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22/12/2023 | FRANCE | N°21VE00644

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 22 décembre 2023, 21VE00644


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le ministre de l'intérieur a demandé au tribunal administratif d'Orléans :

- de condamner solidairement la société Spie Batignolles Grand Ouest et la société L'Heudé et Associés Architectes à lui verser la somme de 478 453,91 euros toutes taxes comprises, majorée des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des désordres relatifs aux infiltrations dans la fosse du " running man " et au bardage du stand de tir de Saint

-Cyr-sur-Loire ;

- de condamner la société Spie Batignolles Grand Ouest à lui verser la so...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le ministre de l'intérieur a demandé au tribunal administratif d'Orléans :

- de condamner solidairement la société Spie Batignolles Grand Ouest et la société L'Heudé et Associés Architectes à lui verser la somme de 478 453,91 euros toutes taxes comprises, majorée des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des désordres relatifs aux infiltrations dans la fosse du " running man " et au bardage du stand de tir de Saint-Cyr-sur-Loire ;

- de condamner la société Spie Batignolles Grand Ouest à lui verser la somme de 22 128,61 euros toutes taxes comprises, majorée des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des désordres relatifs aux infiltrations par la toiture terrasse et aux fissures horizontales sur le mur du couloir Nord de ce même bâtiment.

Par un jugement n° 1802491 du 8 janvier 2021, le tribunal administratif d'Orléans a notamment :

- condamné la société L'Heudé et Associés Architectes et la société Spie Batignolles Grand Ouest à verser à l'Etat la somme totale de 436 920,65 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des désordres constitués par les infiltrations d'eau dans la fosse du " running man " du stand de tir de Saint-Cyr-Sur-Loire ;

- condamné la société L'Heudé et Associés Architectes et la société Spie Batignolles Grand Ouest à verser à l'Etat la somme totale de 32 555,27 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des désordres constitués par la mauvaise tenue des bardages en bois du stand de tir de Saint-Cyr-Sur-Loire ;

- condamné la société Spie Batignolles Grand Ouest à verser à l'Etat la somme totale de 21 108,61 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des désordres constitués par les infiltrations d'eau par le toit terrasse et par les fissures sur les façades est et nord du stand de tir de Saint-Cyr-sur-Loire ;

- mis à la charge définitive et solidaire de la société Spie Batignolles Grand Ouest et de la SARL L'Heudé et Associés Architectes les frais d'expertise et les frais d'investigations engagés dans le cadre de cette expertise à hauteur de 15 687,15 euros et à la charge définitive de la société Spie Batignolles Grand Ouest à hauteur de 1 020 euros ;

- condamné la société L'Heudé et Associés Architectes à garantir la société Spie Batignolles Grand Ouest à hauteur de 60 % de la somme de 436 920,65 euros toutes taxes comprises, de 20 % de la somme de 32 555,27 euros toutes taxes comprises, de 5 033,55 euros au titre des frais d'investigation des infiltrations de la fosse du " running man " du stand de tir de Saint-Cyr-sur-Loire, compris dans les dépens, à hauteur de la somme de 117,88 euros au titre des frais d'investigation de la mauvaise tenue du bardage en bois du stand de tir de Saint-Cyr-sur-Loire, également compris dans les dépens et à hauteur de 55 % de la somme de 6 708,50 au titre des frais et honoraires d'expertise ;

- condamné la société Spie Batignolles Grand Ouest à garantir la société L'Heudé et Associés Architectes à hauteur de 40 % de la somme de 436 920,65 euros toutes taxes comprises, de 80 % de la somme de 32 555,27 euros toutes taxes comprises, de 3 355,70 euros au titre des frais d'investigation des infiltrations de la fosse du " running man " du stand de tir de Saint-Cyr-sur-Loire, compris dans les dépens, à hauteur de la somme de 471,52 euros au titre des frais d'investigation de la mauvaise tenue du bardage en bois du stand de tir de Saint-Cyr-sur-Loire, également compris dans les dépens et à hauteur de 45 % de la somme de 6 708,50 au titre des frais et honoraires d'expertise.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 mars 2021, ainsi que des mémoires, enregistrés le 30 septembre 2023 et le 9 novembre 2023, la SARL L'Heudé et Associés Architectes, représentée par Me Meunier, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant :

- qu'il l'a condamnée solidairement avec la société Spie Batignolles Grand Ouest à verser à l'Etat la somme de 436 920,65 euros toutes taxes comprises en réparation des désordres constitués par les infiltrations d'eau dans la fosse du " running man " du stand de tir de Saint-Cyr-Sur-Loire, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2018 avec capitalisation ;

- qu'il l'a condamnée à garantir la société Spie Batignolles Grand Ouest à hauteur de 60 % de cette somme et à hauteur de la somme de 5 033,55 euros au titre des frais d'investigation des infiltrations de la fosse du " running man " du stand de tir de Saint-Cyr-sur-Loire, compris dans les dépens ;

- qu'il a condamné la société Spie Batignolles Grand Ouest à garantir la société L'Heudé et Associés Architectes à hauteur uniquement de 40 % des condamnations prononcées à son encontre sur ce poste de préjudice et à hauteur de la somme de 3 355,70 euros au titre des frais d'investigation des infiltrations de la fosse du " running man " du stand de tir de Saint-Cyr-sur-Loire, compris dans les dépens ;

- qu'il a condamné la société Spie Batignolles Grand Ouest à garantir la société L'Heudé et Associés Architectes à hauteur uniquement de 45 % de la somme de 6 708,50 euros au titre des frais et honoraires de l'expertise ;

2°) de condamner la société Spie Batignolles Grand Ouest à la garantir de toute condamnation en principal, frais et accessoires, en ce compris les frais d'expertise et les dépens, qui pourrait être prononcée à son encontre, ou à tout le moins à hauteur de 80 % du montant total de ces condamnations ;

3°) de mettre à la charge du ministre de l'intérieur ou solidairement de tout succombant la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé concernant la fixation à 60 % de l'appel en garantie prononcé à son encontre ;

- les études d'exécution revenaient à la société Spie Batignolles Grand Ouest et à sa sous-traitante, la société Soprema, s'agissant en particulier du lot étanchéité ; l'ouvrage tel qu'exécuté ne correspond plus à la prestation décrite dans le cahier des clauses techniques particulières d'origine, mais à celle rectifiée par l'entreprise, qui n'a toutefois pas relevé que le principe de la couche d'imperméabilisation unique ne serait pas adapté ; le défaut de conception à l'origine principale du désordre, tenant à l'absence de prescription d'une étanchéité verticale sur toute la périphérie du bâtiment, ne relève donc pas de la conception architecturale mais de la conception-adaptation sur le chantier qui ne saurait lui être opposée ; l'expert ne pouvait donc retenir d'imputabilité au maître d'œuvre pour des omissions sur un descriptif qui a été ultérieurement modifié par l'entreprise ; par ailleurs, concernant l'utilisation d'un drain agricole souple aux lieu et place d'un drain route rigide, mis en place à 60 cm au-dessus de la semelle et non au niveau de cette dernière, et du défaut d'enrobage du drain, il y a lieu de constater que c'est sur les remarques de l'architecte à l'occasion des réunions de chantier que la problématique a été relevée et que la société SPIE Batignolles et Soprema ont conclu un avenant permettant de remédier aux désordres ; le principe d'une étanchéité épaisse était bien prévu dans le cahier des clauses techniques particulières et la société Spie Batignolles aurait dû pouvoir présenter un produit correspondant à la demande du descriptif ; aucun vice de conception ni défaut de surveillance n'est donc caractérisé ; en tout état de cause, le défaut de surveillance, quand bien même il serait avéré, ne constituerait qu'une " cause secondaire " du désordre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juin 2021, et un mémoire, enregistré le 20 octobre 2023 la société Spie Batignolles Grand Ouest, représentée par Me Rudermann, avocat, demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête de la société L'Heudé et Associés Architectes et de confirmer le jugement du tribunal administratif d'Orléans ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner la société L'Heudé et Associés Architectes à la garantie à hauteur de 85 % minimum des condamnations prononcées à son encontre et de laisser à la charge du maître d'ouvrage une part au moins égale à 10 % correspondant aux manquements du contrôleur technique qui n'a pas été attrait à la cause ;

3°) de mettre à la charge du ministre de l'intérieur ou de tout succombant la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens invoqués par la société requérante ne sont pas fondés dès lors en particulier que la société requérante était chargée, au titre de sa mission EXE, de l'élaboration des plans d'exécution et que s'il y a eu modification entre la rédaction du cahier des clauses techniques particulières et l'exécution des travaux, le maître d'œuvre a forcément approuvé cette modification au titre de ses différentes missions de maîtrise d'œuvre, notamment VISA.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 novembre 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens invoqués par la société requérante ne sont pas fondés dès lors en particulier que la société requérante a commis une erreur de conception et n'a pas relevé à partir des plans d'exécution soumis à son visa une mise en œuvre des travaux différente de ce qui était prévue au cahier des clauses techniques particulières.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée ;

- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 approuvant le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé ;

- l'arrêté du 21 décembre 1993 précisant les modalités techniques d'exécution des éléments de mission de maîtrise d'œuvre confiés par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florent,

- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,

- et les observations de Me Jean-Baptiste, substituant Me Rudermann, pour la société Spie Batignolles Grand Ouest, les autres parties n'étant ni présentes ni représentées.

Considérant ce qui suit :

1. L'Etat a entrepris la construction d'un stand de tir sur la commune de Saint-Cyr-sur-Loire. Dans le cadre de cette opération, un marché de maîtrise d'œuvre a été signé le 31 décembre 2002 avec le cabinet L'Heudé et Associés Architectes, mandataire d'un groupement conjoint solidaire composé également du bureau d'études Barbeau et du bureau d'études Delage et Delage. La réalisation des lots 1 à 12 a été confiée à la société Spie Batignolles Ouest, devenue Spie Batignolles Grand Ouest, par marché notifié le 7 septembre 2004, la société Spie ayant elle-même sous-traité le lot n° 3 étanchéité/couverture à l'entreprise Soprema le 4 novembre 2004. Les travaux ont été réceptionnés sans réserve le 15 février 2006. Ayant constaté l'apparition de fissures et d'infiltrations d'eau affectant l'ouvrage, le ministre de l'intérieur a obtenu du juge des référés du tribunal administratif d'Orléans, par ordonnance du 25 juin 2015, la désignation d'un expert afin de déterminer l'origine de ces désordres et, sur la base du rapport d'expertise déposé le 29 août 2016, sollicité la condamnation solidaire des sociétés L'Heudé et Associés Architectes et Spie Batignolles Grand Ouest à l'indemniser au titre des différents désordres constatés. Par la présente requête, la société L'Heudé et Associés Architectes relève appel du jugement du 8 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif d'Orléans l'a condamnée solidairement avec la société Spie Batignolles Grand Ouest, sur le fondement de la garantie décennale, à indemniser l'Etat au titre des infiltrations d'eau dans la fosse du " running man " du stand de tir de Saint-Cyr-Sur-Loire et l'a condamnée à garantir la société Spie Batignolles Grand Ouest à hauteur de 60 % de la condamnation en lien avec ce chef de préjudice. La société Spie Batignolles Grand Ouest demande, quant à elle, par la voie de l'appel incident, de condamner la société L'Heudé et Associés Architectes à la garantie à hauteur de 85 % minimum des condamnations prononcées à son encontre et, par la voie de l'appel provoqué, de laisser à la charge du maître d'ouvrage une part au moins égale à 10 % correspondant selon elle aux manquements du contrôleur technique qui n'a pas été attrait à la cause.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. La société L'Heudé et Associés Architectes soutient que le jugement, en se bornant à reprendre les proportions dégagées par l'expert sans en analyser le bien-fondé, est insuffisamment motivé concernant la fixation des pourcentages d'appel en garantie. Le jugement attaqué précise toutefois que les infiltrations d'eau dans la fosse du " running man " du stand de tir de Saint-Cyr-Sur-Loire résultent " principalement d'un défaut de conception de l'étanchéité de cette zone, imputable au maître d'œuvre, qui aurait dû prévoir, dès l'origine, une étanchéité verticale sur toute la périphérie du bâtiment, avec un drain périphérique rigide et une tranchée drainante ". En déduisant de ces constatations d'expertise que la responsabilité des désordres incombait à hauteur de 60 % à la société L'Heudé et Associés Architectes, les premiers juges ont suffisamment motivé leur décision.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

S'agissant des conclusions d'appel principal et d'appel incident :

3. S'agissant des désordres affectant la fosse du " running man ", l'expert désigné par le tribunal a constaté des infiltrations dans la fosse ayant conduit à la rouille des mécanismes des cibles, ne permettant plus à celles-ci de se déplacer et rendant ainsi l'ouvrage impropre à sa destination, et considéré que ces désordres étaient dus, à titre principal, à un vice de conception puisqu'à l'origine seule une couche d'imperméabilisation était prévue sur les parois enterrées extérieures, conception modifiée pour un rajout d'une étanchéité verticale en partie nord et centrale puis par avenant en partie sud (sauf le pignon sud et le retour sur les deux façades), à titre subsidiaire, à une faute d'exécution et de surveillance par l'utilisation d'un drain agricole aux lieu et place d'un drain routier, en tout état de cause mal positionné et mal enrobé, ainsi qu'une faute d'exécution en raison de l'existence d'une bande sans étanchéité en partie haute du mur enterré de la fosse et de l'absence de fixation de l'étanchéité en tête.

4. La société L'Heudé et Associés Architectes soutient que c'est à tort que les premiers juges ont considéré, conformément aux conclusions de l'expert, que la responsabilité des désordres dans la fosse du " running man " incombait à hauteur de 60 % à la société L'Heudé et Associés Architectes alors notamment que la maîtrise d'œuvre ne s'était pas vu confier la réalisation des études d'exécution s'agissant du lot étanchéité.

5. Aux termes de l'article 7 de la loi du 12 juillet 1985 : " Le maître de l'ouvrage peut confier au maître d'œuvre tout ou partie des éléments de conception et d'assistance suivants : (...) 5° Les études d'exécution ou l'examen de la conformité au projet et le visa de celles qui ont été faites par l'entrepreneur ; (...) ".

6. Aux termes de l'article 8 du décret du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé : " I. Les études d'exécution permettent la réalisation de l'ouvrage. Elles ont pour objet, pour l'ensemble de l'ouvrage ou pour les seuls lots concernés : / a) D'établir tous les plans d'exécution et spécifications à l'usage du chantier ainsi que les plans de synthèse correspondants ; / b) D'établir sur la base des plans d'exécution un devis quantitatif détaillé par lot ou corps d'état ; / c) D'établir le calendrier prévisionnel d'exécution des travaux par lot ou corps d'état ; / d) D'effectuer la mise en cohérence technique des documents fournis par les entreprises lorsque les documents pour l'exécution des ouvrages sont établis partie par la maîtrise d'œuvre, partie par les entreprises titulaires de certains lots. / II. Lorsque les études d'exécution sont, partiellement ou intégralement, réalisées par les entreprises, le maître d'œuvre s'assure que les documents qu'elles ont établis respectent les dispositions du projet et, dans ce cas, leur délivre son visa. "

7. Aux termes de l'article 29 du cahier des clauses administratives générales-travaux auquel renvoie le cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du macro-lot confié à l'entreprise Spie Batignolles : " Plans d'exécution - Notes de calculs - Etudes de détail. / 29.1. Documents fournis par l'entrepreneur : / Sauf stipulation différente du C.C.A.P., l'entrepreneur établit d'après les pièces contractuelles les documents nécessaires à la réalisation des ouvrages, tels que les plans d'exécution, notes de calculs, études de détail. (...) / 29.2. Documents fournis par le maître d'œuvre : Si le marché prévoit que le maître d'œuvre fournit à l'entrepreneur des documents nécessaires à la réalisation des ouvrages, la responsabilité de l'entrepreneur n'est pas engagée sur la teneur de ces documents. Toutefois, l'entrepreneur a l'obligation de vérifier, avant toute exécution, que ces documents ne contiennent pas d'erreurs, omissions ou contradictions qui sont normalement décelables par un homme de l'art ; s'il relève des erreurs, omissions ou contradictions il doit le signaler immédiatement au maître d'œuvre par écrit. "

8. En l'espèce, il résulte du III C) de l'acte d'engagement, de l'annexe 1 à cet acte ainsi que de l'article 1.4.2 du CCAP du marché de maîtrise d'œuvre produits par la société appelante que celle-ci s'était vu confier, en sus de la mission de base, la mission EXE (études d'exécution) à titre de mission complémentaire, dont la rémunération était fixée à 13,31 % du marché. Le cahier des clauses administratives particulières du marché de travaux prévoyait par ailleurs en son article 1.4 que la maîtrise d'œuvre était " chargée d'une mission de base complète, avec études d'exécution (...). Les documents d'exécution des ouvrages (DEO) sont à la charge de l'entreprise. " Si l'article 8.1 du cahier des clauses administratives générales prévoyait par ailleurs l'établissement par la société de travaux et la remise au maître d'œuvre, pendant la période de préparation du chantier, " des plans d'exécution, notes de calcul et études de détail nécessaires pour le début des travaux, dans les conditions prévues à l'article 29 du CCAG et à l'article 8.2 [du CCAP] ", seuls les documents " énumérés aux dispositions générales du CCTP " sont visés par ces dispositions, or la lecture du cahier des clauses techniques particulières, dans sa version modifiée en août 2003 versée par le ministre de l'intérieur à l'appui de sa requête de première instance, n'indique aucunement que les études d'exécution sont à la charge de l'entreprise, y compris s'agissant du lot 3 étanchéité, lequel mentionne au titre des spécifications techniques (p. 3) que l'entrepreneur aura à sa charge uniquement l'établissement des plans d'atelier, des plans de montage et des plans de réservations. Il en est de même du cahier des clauses techniques particulières annexé à l'avenant conclu au contrat de sous-traitance entre la société Spie Batignolles Grand Ouest et la société Soprema le 8 décembre 2004. Si la société appelante produit un cahier des clauses techniques particulières relatif au lot 3, indiquant au titre des spécifications techniques que " les plans d'exécution des ouvrages seront à la charge de l'entrepreneur ", il ne résulte pas de l'instruction que ce document non daté et comportant des annotations manuscrites serait la version définitive annexée aux actes d'engagement de l'entreprise Spie Batignolles Grand Ouest. Enfin, la société L'Heudé et Associés Architectes se prévaut du dossier des ouvrages exécutés (DOE) dont les plans ont été réalisés par la société Soprema en novembre 2014 et modifié en dernier lieu le 24 juin 2005 pour les adapter au DOE. Ce dossier ne permet toutefois pas de déduire que les études d'exécution étaient à la charge de l'entrepreneur.

9. S'agissant toutefois de l'étanchéité en partie courante des voiles enterrés, il résulte du point 212 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du lot 2 que l'étanchéité de l'ensemble des parois de la fosse du " running man " était prévue par " l'exécution d'une étanchéité épaisse par produit genre " Trapcofuge ou équivalent " appliqué en 2 couches croisées ". L'expert lui-même, en réponse au dire du conseil de la société Soprema affirmait " Je rappelle que le cahier des clauses techniques particulières préconisait une étanchéité sur l'ensemble des murs enterrés ; le plan remis par Soprema (avant Spie et Soprema) ne prévoyait pas une étanchéité sur l'ensemble des parties enterrées mais uniquement au niveau du couloir du running man (zone la plus profonde du bâtiment) ". Il résulte ainsi de l'instruction que l'absence d'étanchéité sur certaines parties des voiles enterrés ne résulte pas d'un vice de conception, aucune étude d'exécution n'ayant notamment remis en cause les prescriptions du CCTP, mais d'un défaut d'exécution imputable à l'entrepreneur et d'un défaut de surveillance du maître d'œuvre. Si l'expert indiquait par ailleurs en réponse au dire de la société appelante que le produit Trapcofuge mentionné au cahier des clauses techniques particulières ne permettait pas une imperméabilisation suffisante, il résulte de l'instruction que ce produit, d'une part, n'était mentionné qu'à titre d'exemple et que le cahier des clauses techniques particulières prévoyait " une étanchéité épaisse [...] appliquée en 2 couches croisées ", d'autre part, que ce produit n'a finalement pas été utilisé mais remplacé par un autre par l'entreprise de travaux ainsi qu'il ressort du courrier du 29 septembre 2004 de la société Spie produit pour la première fois en appel et qu'enfin, les infiltrations, selon les constatations de l'expert judiciaire, ne sont pas tant dues à l'imperméabilisant employé mais à l'absence de toute étanchéité sur certaines parties de la construction. Ainsi, le complément d'étanchéité réalisé en cours de marché, par ailleurs incomplet, ne peut donc être imputable à une erreur de conception du maître d'œuvre.

10. Enfin, il résulte de l'instruction que le point 212 du cahier des clauses techniques particulières du lot 2 prévoyait expressément la mise en place, en pied de voile du sous-sol, d'un " drain rigide de diamètre 100 mm " et non d'un drain agricole souple comme l'indique l'expert. Le cahier des clauses techniques particulières prévoyait par ailleurs une protection par géotextile de ce drain et un " enrobage en gravillon 15/25 rond de 0,30 m au pourtour du drain ". La mise en place d'un drain agricole ne constitue donc cette fois encore pas un vice de conception mais une erreur d'exécution imputable à l'entreprise de travaux, que n'a pas relevée le maître d'œuvre, également responsable par conséquent au titre de son devoir de surveillance.

11. Enfin, si la société L'Heudé et Associés Architectes indique avoir soulevé ces défauts en cours de chantier, il résulte du rapport d'expertise que seule une observation figure sur le compte rendu de la réunion de chantier le 26 mai 2005 mais sans réitération ultérieure ni action proactive du maître d'œuvre et sans réserve à la réception des travaux.

12. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation des responsabilités respectives du maître d'œuvre et de l'entreprise de travaux en fixant à 30 % la responsabilité de la société appelante et à 70 % la responsabilité de la société Spie Batignolles Grand Ouest.

13. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de ramener à 30 % le pourcentage de responsabilité de la société L'Heudé et Associés Architectes et de réformer en ce sens le jugement attaqué du tribunal administratif d'Orléans. Par conséquent, la société Spie Batignolles et la société appelante se garantiront respectivement à hauteur de 70 % et 30 % de la somme de 436 920,65 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2018 et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 5 juillet 2019, due à l'Etat en réparation des désordres constitués par les infiltrations d'eau dans la fosse du " running man " du stand de tir de Saint-Cyr-Sur-Loire ainsi qu'au titre de la somme de 8 389,25 euros due à l'Etat au titre des frais d'investigation des infiltrations de la fosse du " running man " du stand de tir de Saint-Cyr-sur-Loire. Eu égard au partage de responsabilité fixé par le présent arrêt et aux responsabilités retenues par le tribunal au titre des autres désordres, non contestées dans le cadre de la présente instance, la société Spie Batignolles et la société appelante se garantiront respectivement à hauteur de 70 % et 30 % au titre de la somme de 6 708,50 euros due au titre des frais et honoraires de l'expert.

14. Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu par ailleurs de rejeter la demande incidente de la société Spie Batignolles Grand Ouest tendant à la condamnation de la société L'Heudé et Associés Architectes à la garantie à hauteur de 85 % minimum des condamnations prononcées à son encontre.

S'agissant des conclusions d'appel provoqué :

15. Si, au titre de son appel provoqué, la société Spie Batignolles Grand Ouest entend remettre en cause le montant de la condamnation, le devis dont elle se prévaut ne comprend pas la remise en état de la fosse et notamment des rails permettant la mobilité des cibles, rendue dysfonctionnelle par les infiltrations. Ce devis ne chiffre pas par ailleurs la reprise totale de l'étanchéité pourtant prônée par l'expert. La société n'établit pas en outre que l'expertise judiciaire serait irrégulière au regard des dispositions de l'article R. 621-7 du code de justice administrative dès lors qu'elle ne justifie pas de l'envoi du dire qu'elle soutient avoir transmis à l'expert et qu'elle lui reproche d'avoir ignoré.

16. Si la société Spie soutient également que la nature décennale des désordres affectant les maçonneries n'est pas établie, il résulte néanmoins du rapport de l'expert qu'en raison des fissures qui affectent les murs, interviennent en façade est des chutes d'enduits pouvant affecter la sécurité des personnes. Il n'est pas non plus sérieusement contesté que la fissure en façade nord compromet la solidité de l'ouvrage. Les conditions de l'engagement de la responsabilité décennale étaient donc remplies.

17. Enfin, la société Spie Batignolles Grand Ouest n'est pas fondée à demander qu'il soit laissé à la charge du maître d'ouvrage une part au moins égale à 10 % correspondant aux manquements du contrôleur technique, le maître d'ouvrage n'ayant pas vocation à garantir la société des fautes éventuellement commises par les autres intervenants au chantier qu'il appartenait à la société Spie Batignolles Grand Ouest d'attraire elle-même à la cause.

Sur les frais relatifs à l'instance d'appel :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société L'Heudé et Associés Architectes, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement des sommes que la société Spie Batignolles Grand Ouest demande à ce titre. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu par ailleurs de mettre à la charge de la société Spie Batignolles Grand Ouest la somme que la société appelante sollicite sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La société Spie Batignolles Grand Ouest et la société L'Heudé et Associés Architectes se garantiront respectivement à hauteur de 70 % et 30 %, d'une part, au titre de la somme de 436 920,65 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2018 et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 5 juillet 2019, due à l'Etat en réparation des désordres constitués par les infiltrations d'eau dans la fosse du " running man " du stand de tir de Saint-Cyr-Sur-Loire, d'autre part, au titre de la somme de 8 389,25 euros due à l'Etat au titre des frais d'investigation des infiltrations de la fosse du " running man " du stand de tir de Saint-Cyr-sur-Loire et enfin, au titre de la somme de 6 0708,50 euros relative aux frais et honoraires de l'expert.

Article 2 : Le jugement n° 1802491 du tribunal administratif d'Orléans du 8 janvier 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société L'Heudé et Associés Architectes est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de la société Spie Batignolles Grand Ouest présentées par la voie de l'appel incident, de l'appel provoqué et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié la SARL L'Heudé et Associés Architectes, à la société Spie Batignolles Grand Ouest et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 7 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président de chambre,

M. Pilven, président assesseur,

Mme Florent, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 décembre 2023.

La rapporteure,

J. FLORENTLe président,

P-L. ALBERTINILa greffière,

F. PETIT-GALLAND

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 21VE00644


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE00644
Date de la décision : 22/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-05-01-02 Marchés et contrats administratifs. - Exécution financière du contrat. - Rémunération du co-contractant. - Indemnités.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: Mme Julie FLORENT
Rapporteur public ?: Mme VILLETTE
Avocat(s) : RUDERMANN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-22;21ve00644 ?
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