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21/12/2023 | FRANCE | N°23VE01524

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 21 décembre 2023, 23VE01524


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme E... D... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 9 février 2023 par lequel le préfet de l'Essonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite, d'enjoindre au préfet de l'Essonne, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour ou de procéder au réexamen de sa situation, dans un dél

ai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 10 euros par jour de re...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... D... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 9 février 2023 par lequel le préfet de l'Essonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite, d'enjoindre au préfet de l'Essonne, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour ou de procéder au réexamen de sa situation, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 10 euros par jour de retard, et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2302054 du 5 juin 2023, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des pièces, enregistrées le 4 juillet 2023 et le 29 novembre 2023, Mme D..., représentée par Me Delcour, avocate, demande à la cour d'annuler ce jugement.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce qu'il ne prend pas en compte tous les éléments caractérisant sa situation ;

- l'arrêté attaqué méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- il méconnaît les stipulations des articles 3-1 et 9 de la convention de New-York relative aux droits de l'enfant ;

- l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile devenu L. 435-1 de ce code.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 octobre 2023, le préfet de l'Essonne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés et s'en remet à ses écritures de première instance.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Versailles en date du 25 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs famille ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport F... Houllier a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ressortissante algérienne née le 13 septembre 1971 et entrée en France le 27 décembre 2020 sous couvert d'un visa de court séjour, a demandé le 24 mars 2022, le renouvellement de son certificat de résidence en qualité de " conjoint de Français ". Elle fait appel du jugement du 5 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Essonne du 9 février 2023 refusant de lui délivrer ce titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de sa destination.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. L'article L. 9 du code de justice administrative dispose que : " Les jugements sont motivés ". Le juge doit ainsi se prononcer, par une motivation suffisante au regard de la teneur de l'argumentation qui lui est soumise, sur tous les moyens expressément soulevés par les parties, à l'exception de ceux qui, quel que soit leur bien-fondé, seraient insusceptibles de conduire à l'adoption d'une solution différente de celle qu'il retient.

3. En l'espèce, il ressort de l'examen du jugement attaqué que le tribunal administratif a répondu, par une motivation suffisante, aux moyens soulevés par Mme D... et qu'il a, en particulier, au point 4 du jugement, indiqué les raisons pour lesquelles, eu égard à la situation personnelle et familiale de la requérante, ainsi que sa situation professionnelle, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales devait être écarté. Dans ces conditions, le jugement est suffisamment motivé et n'est pas entaché d'irrégularité de ce chef.

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

4. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... a épousé, une première fois, le 3 mars 1993, M. B... A..., alors ressortissant algérien, avec qui elle a eu quatre enfants, nés en Algérie les 28 août 1995, 6 février 2000, 29 décembre 2005 et 8 août 2008 et de nationalité algérienne. M. A... a ensuite obtenu la nationalité française par déclaration enregistrée le 16 juin 2017. Après un divorce des époux, le 8 novembre 2008, Mme D... et M. A... se sont remariés le 3 octobre 2019. Mme D... a alors obtenu, le 4 mars 2021, un certificat de résidence portant la mention " conjoint de Français ". Toutefois, pour refuser de renouveler ce titre de séjour, le préfet de l'Essonne s'est fondé sur la circonstance qu'à la date de sa décision, Mme D... était en instance de divorce et que la vie commune avait cessé depuis plusieurs mois.

6. Si la requérante soutient que ce refus est intervenu en méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il est toutefois constant qu'à la date de l'arrêté attaqué, elle avait cessé toute vie commune avec son époux depuis le 3 juin 2021, date à laquelle M. A... l'a menacée et forcée à quitter le domicile conjugal. Par ailleurs, si Mme D... soutient que ses deux enfants majeurs, tous deux de nationalité algérienne, nécessitent sa présence en France, notamment en raison de l'état de santé de son fils aîné, qui souffre de troubles psychologiques ayant justifié son hospitalisation, elle n'apporte pas d'éléments suffisamment probants quant aux soins qu'elle apporte à son fils et n'établit pas qu'elle ne pourrait lui apporter les mêmes soins dans leur pays d'origine, où l'intéressée a résidé jusqu'à l'âge de vingt-six ans, alors que sa fille, C..., titulaire d'un titre de séjour valable jusqu'au 3 juin 2028, ne justifie pas avoir besoin de la présence impérative de sa mère à ses côtés. Si les deux enfants mineurs F... Mme D..., également de nationalité algérienne, ont été scolarisés en France et, selon ses déclarations, y seraient bien intégrés, il ressort des pièces du dossier qu'ils ne sont entrés en France que le 21 mars 2018, respectivement à l'âge de douze et neuf ans, avant d'être de nouveau scolarisés en Algérie pendant quelques mois après y avoir été emmenés de force par leur père, et qu'ils ne sont revenus en France que pour la rentrée scolaire 2022-2023. Compte tenu de leur âge, des relations conflictuelles entretenues par les deux parents et de la circonstance que, par une ordonnance du 30 juin 2022, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire d'Evry-Courcouronnes a constaté que les époux vivaient séparément et a fixé la résidence des deux enfants mineurs chez leur mère, sans droit de visite ou d'hébergement pour le père compte tenu de son comportement passé, ces enfants ont vocation à suivre leur mère en Algérie, pays dont ils ont la nationalité et dans lequel il n'est pas établi qu'ils ne pourraient être normalement scolarisés. Dans ces conditions, compte tenu des circonstances particulières de la vie familiale F... D..., et nonobstant l'intégration professionnelle de l'intéressée, rien ne fait obstacle à ce qu'elle puisse reconstituer, avec ses deux enfants mineurs, sa vie privée et familiale en Algérie, où elle a vécu jusqu'à l'âge de quarante-neuf ans. Par suite, l'arrêté attaqué ne méconnaît pas ces stipulations et n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, anciennement L. 313-14 de ce même code : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. / (...) ".

8. L'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devenu L. 435-1 de ce même code, qui est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, ne s'applique pas aux ressortissants algériens, dont la situation est régie de manière exclusive par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Cependant, bien que cet accord ne prévoie pas de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, un préfet peut délivrer un certificat de résidence à un ressortissant algérien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit et il dispose à cette fin d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.

9. En l'espèce, il résulte de ce qui précède que, nonobstant les difficultés familiales rencontrées par Mme D..., elle ne justifie pas de motifs exceptionnels ou de circonstances humanitaires de nature à justifier sa régularisation exceptionnelle. Par suite, le préfet de l'Essonne n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

10. En dernier lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Selon l'article 9 de cette convention : " L'enfant a le droit de vivre avec ses parents à moins que cela ne soit jugé incompatible avec son intérêt supérieur ; il a également le droit de maintenir des contacts avec ses deux parents s'il est séparé de l'un d'entre eux ou des deux ".

11. En l'espèce, si Mme D... soutient que ses deux enfants mineurs, parfaitement intégrés en France, ne pourraient poursuivre une scolarité normale en Algérie, elle n'apporte aucun élément de nature à établir quels seraient les obstacles à leur scolarité en Algérie. En outre, elle soutient que M. A..., ressortissant français, ne contribue aucunement à l'entretien et l'éducation de ses enfants et que, dans l'intérêt des enfants, il a été décidé par le juge aux affaires familiales, de réserver temporairement les droits de visite et d'hébergement de M. A... après que ce dernier a soustrait ses enfants mineurs pour les emmener en Algérie avant de les y laisser seuls, sous la surveillance de sa mère. Dans ces conditions, le préfet de l'Essonne n'a pas méconnu les stipulations précitées.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête F... D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de l'Essonne.

Délibéré après l'audience du 5 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Signerin-Icre, présidente de chambre,

M. Camenen, président assesseur,

Mme Houllier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.

La rapporteure,

S. HoullierLa présidente,

C. Signerin-IcreLa greffière,

C. Fourteau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 23VE01524


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23VE01524
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : Mme SIGNERIN-ICRE
Rapporteur ?: Mme Sarah HOULLIER
Rapporteur public ?: Mme JANICOT
Avocat(s) : POULLIEUX - DELCOUR

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;23ve01524 ?
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