La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/12/2023 | FRANCE | N°23LY01928

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 21 décembre 2023, 23LY01928


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure

M. C... A... E... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler, d'une part, l'arrêté du 10 mai 2023 par lequel la préfète de la Drôme l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans et, d'autre part, l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.



Par un jugement n° 2303281-2303282 du 26 mai

2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... A... E... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler, d'une part, l'arrêté du 10 mai 2023 par lequel la préfète de la Drôme l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans et, d'autre part, l'arrêté du même jour l'assignant à résidence.

Par un jugement n° 2303281-2303282 du 26 mai 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour

I. Par une requête n° 23LY01928, enregistrée le 7 juin 2023, M. A... E..., représenté par Me Albertin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Drôme du 10 mai 2023 et la décision du même jour portant assignation à résidence ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros hors taxes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'une omission à statuer sur le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision refusant un délai de départ volontaire ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnait le droit d'être entendu ;

- elle est entachée d'erreur de droit en l'absence de notification de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de décision définitive de la Cour nationale du droit d'asile.

- elle méconnaît l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant refus de délai de départ volontaire est illégale par exception d'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle est dépourvue de motivation ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale par exception d'illégalité de la décision refusant un délai de départ volontaire ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant assignation à résidence est illégale par exception d'illégalité de la décision refusant un délai de départ volontaire ;

- elle méconnaît l'article R. 732-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît le droit d'être entendu ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'une erreur de droit ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 octobre 2023 et un mémoire du 28 novembre 2023 non communiqué, le préfet de la Drôme conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

M. A... E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 19 juillet 2023.

Par ordonnance du 10 novembre 2023, l'instruction a été rouverte.

II. Par une requête n° 23LY01931, enregistrée le 7 juin 2023, M. A... E..., représenté par Me Albertin, demande à la cour :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article R 811-17, le sursis à exécution de ce jugement ;

2°) d'enjoindre à la préfète de la Drôme de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans le délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros hors taxes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens présentées dans sa requête au fond présentent un caractère sérieux ;

- l'exécution du jugement attaqué risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 octobre 2023, le préfet de la Drôme conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les conclusions aux fins de délivrance d'une autorisation provisoire de séjour sont irrecevables ;

- les moyens ne sont pas fondés.

La demande d'aide juridictionnelle présentée par M. A... E... a été rejetée par décision du 19 juillet 2023.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Laval, premier conseiller ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A... E..., ressortissant camerounais, a déclaré être entré en France en octobre 2012. Sa demande d'asile, déposée en 2019, a été rejetée par l'office français de protection des réfugiés et des apatrides le 25 septembre 2020. Le 17 mars 2022, il a déposé une demande de titre de séjour en se prévalant de son état de santé. Par un arrêté du 15 novembre 2022, la préfète de la Drôme a rejeté cette demande, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a pris à son encontre une interdiction de retour d'une durée de trois ans, a fixé le pays de destination et l'a, par une décision du même jour, assigné à résidence. Par un jugement du 29 novembre 2022, devenu définitif, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a, d'une part renvoyé devant une formation collégiale du tribunal les conclusions de M. A... E... dirigées contre le refus de titre de séjour et, d'autre part, rejeté le surplus de sa demande tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination, prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans et assignant l'intéressé à résidence dans le département de la Drôme pour une durée de quarante-cinq jours. M. A... a fait l'objet d'un placement en rétention le 28 janvier 2023, qui a été annulé par le juge des libertés et de la détention. Il a refusé d'embarquer le 30 janvier 2023 et a été assigné à résidence le même jour. Par un arrêté du 1er mars 2023, la préfète de la Drôme a prolongé l'assignation à résidence de l'intéressé pour une durée de quarante-cinq jours. Par un jugement du 13 mars 2023, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté. Le 17 avril 2023, M. A... E... a demandé le réexamen de sa demande d'asile, demande rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 26 avril 2023. Par un arrêté du 10 mai 2023, la préfète de la Drôme l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, sur le fondement du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans et, par un arrêté du même jour, l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Par un jugement du 26 mai 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions. M. A... E... relève appel de ce jugement et demande qu'il soit sursis à son exécution.

2. Les affaires enregistrées sous les nos 23LY01928 et 23LY01931 concernent un même ressortissant étranger, sont dirigées contre le même jugement et les mêmes décisions, et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.

Sur la requête n° 23LY01928 :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

3. Le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble s'est prononcé, au point 5 de son jugement, sur le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'ensemble des décisions attaquées. Par suite, M. A... E... n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier en l'absence de réponse au moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision portant refus de délai de départ volontaire.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

4. En premier lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union " ; qu'aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 51 de la Charte : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. (...) ".

5. Ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

6. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français non prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.

7. Une violation des droits de la défense, en particulier du droit d'être entendu, n'entraîne l'annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l'absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent.

8. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... E... aurait été, à un moment de la procédure en litige, informé de ce qu'il était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ou mis à même de présenter des observations.

9. Si l'intéressé, qui est atteint du VIH, fait valoir que son état de santé fait obstacle à son éloignement, les pièces médicales qu'il produit ne permettent pas d'établir que son état de santé se serait dégradé ou que les conditions de prise en charge au Cameroun auraient évolué depuis la décision de refus de titre de séjour en qualité d'étranger malade dont il a fait l'objet, le 15 novembre 2022, dont la légalité est confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du même jour et, par conséquent, de considérer que, si ces éléments avaient été portés à la connaissance de la préfète de la Drôme, la procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.

10. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Lorsqu'un recours contre la décision de rejet de l'office a été formé dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français prend fin à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ou, s'il est statué par ordonnance, à la date de la notification de celle-ci ". Aux termes de l'article L. 542-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 542-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin : 1° Dès que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a pris les décisions suivantes : (...) b) une décision d'irrecevabilité en application du 3° de l'article L. 531-32, en dehors du cas prévu au b du 2° du présent article ; (...) 2° Lorsque le demandeur : (...) b) a introduit une première demande de réexamen, qui a fait l'objet d'une décision d'irrecevabilité par l'office en application du 3° de l'article L. 531-32, uniquement en vue de faire échec à une décision d'éloignement ; (...) ". Aux termes de l'article R. 531-19 de ce code : " La date de notification de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides qui figure dans le système d'information de l'office, et qui est communiquée au préfet compétent et au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration au moyen de traitements informatiques, fait foi jusqu'à preuve du contraire ".

11. Il ressort des pièces du dossier que la demande d'asile de M. A... E... a fait l'objet d'une décision d'irrecevabilité prise par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 26 avril 2023, si bien que son droit de se maintenir sur le territoire national a pris fin à la date de notification de cette décision, en vertu des dispositions précitées de l'article L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette notification est intervenue le 29 avril 2023, ainsi que cela ressort de l'extrait Telemofpra produit au dossier, qui fait foi jusqu'à preuve du contraire. Dans ces conditions, et alors que M. A... E... n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause la date de notification de cette décision, le moyen tiré de ce qu'il bénéficiait, à la date de l'obligation de quitter le territoire contestée, du droit de se maintenir sur le territoire français doit être écarté.

12. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. ".

13. Il ressort des pièces du dossier que M. A... E... est atteint du syndrome du VIH, d'affections psychiatriques et d'insuffisance rénale, pathologies dont il s'est prévalu à l'appui d'une demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade, qui a fait l'objet d'une décision de refus du 15 novembre 2022, prise après avis du collège de médecins de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 8 août 2022, et dont la légalité a été confirmée par une décision de la cour administrative d'appel de Lyon de ce jour. M. A... E... ne démontre pas, par les pièces qu'il produit, que son état de santé se serait dégradé depuis ce refus de séjour, ou que les conditions de prise en charge au Cameroun auraient évolué. Au demeurant, si le traitement par trithérapie Biktarvy qui lui est prescrit n'est pas commercialisé dans son pays d'origine, il ressort des pièces du dossier que la prise en charge des personnes atteintes du VIH est effective au Cameroun, où sont disponibles plusieurs traitements antirétroviraux. A cet égard, M. A... E... n'établit pas que le Biktarvy ne serait pas substituable en produisant un certificat médical établi par son infectiologue le 14 mars 2023, qui se borne à indiquer que la substitution de ce traitement " pourrait entraîner l'apparition de potentiels effets secondaires et altérer l'adhérence thérapeutique du patient ". Les pièces médicales qu'il produit ne permettent pas , par ailleurs, de démontrer qu'il ne pourrait bénéficier d'une prise en charge appropriée au Cameroun de sa pathologie rénale débutante et de ses troubles psychiatriques. Dans ces conditions, l'obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas le 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

14. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

15. M. A... E... fait valoir qu'il réside de façon ininterrompue sur le territoire français depuis 2012 en invoquant sa scolarisation en 2013-2014, son incarcération de 2013 à 2017 et son suivi par le service pénitentiaire d'insertion et de probation entre le 12 janvier 2018 et le 17 février 2022 et se prévaut de son engagement en faveur de la cause homosexuelle, de son état de santé et d'une promesse d'embauche. Il indique également s'être rapproché de sa sœur, Mme D..., également atteinte du VIH. Il ressort toutefois des pièces du dossier que M. A... E..., sorti du système scolaire sans diplôme, n'a pas cherché à régulariser sa situation sur le territoire français avant 2019, que son état de santé ne justifie pas, ainsi qu'il a été dit au point 13 ci-dessus, son maintien sur le territoire français et qu'il a été incarcéré pendant une durée de trois ans pour des faits d'agression sexuelle et de viol commis les 7 juillet, 16 et 17 octobre 2013, qui ont conduit le préfet de l'Essonne à prendre, le 18 novembre 2016, un arrêté d'expulsion dont la légalité a été confirmée par un jugement devenu définitif du tribunal administratif de Versailles du 15 décembre 2017. M. A... E... ne conteste pas avoir été récemment mis en cause, le 15 avril 2023, pour des faits d'agression sexuelle et de violences conjugales. Dans ces circonstances, et alors qu'il constitue une menace pour l'ordre public, il ne peut se prévaloir d'une intégration sur le territoire national. S'il présente Mme D... comme sa sœur, il ressort des pièces du dossier qu'ils n'ont pas les mêmes parents. Enfin, M. A... E... ne démontre pas être dépourvu d'attaches personnelles et familiales dans son pays d'origine. Dans ces conditions, eu égard aux conditions de son séjour en France, la décision d'éloignement ne peut être regardée comme portant une atteinte disproportionnée au droit de M. A... E... au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, cette décision ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de cette décision sur la situation personnelle de l'intéressé doit être écarté.

En ce qui concerne la décision de refus de délai de départ volontaire :

16. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ; 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) ".

17. Il ressort des énonciations de l'arrêté du 10 mai 2023, dans lequel est contenue la décision de refus de délai de départ volontaire, que la préfète de la Drôme s'est fondée, pour considérer qu'il existait un risque de soustraction à la décision portant obligation de quitter le territoire français, sur l'inexécution des décisions d'éloignement précédemment opposées à M. A... E... et sur son refus d'embarquer. Eu égard à ces éléments, la décision contestée, qui vise les articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est suffisamment motivée.

18. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que M. A... E... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre le refus de délai de départ volontaire.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

19. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ". Aux termes de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retours mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) "

20. Pour prononcer une interdiction de retour sur le territoire français, la préfète de la Drôme s'est fondée, au visa de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sur l'ensemble des critères énoncées par ce texte, qui figurent dans l'arrêté du 10 mai 2023, à savoir la durée de séjour de l'intéressé sur le territoire français, la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France, la circonstance qu'il s'est soustrait aux mesures d'éloignement prononcées à son encontre et, enfin, sur la menace à l'ordre public qu'il constitue. Par suite, la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est suffisamment motivée.

21. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 17 et 18 ci-dessus que M. A... E... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision de refus de délai de départ volontaire à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'interdiction de retour sur le territoire français prise à son encontre.

22. En troisième lieu, M A... E... fait valoir l'ancienneté de ses condamnations pour agressions sexuelles et viols, prononcées en 2013, pour contester le motif d'ordre public fondant la décision d'interdiction de retour sur le territoire français. Outre qu'ainsi qu'il vient d'être dit, la décision en litige n'est pas fondée uniquement sur ce motif, la nature et la particulière gravité des faits commis en 2013 ayant entraîné sa condamnation à une peine d'emprisonnement et la circonstance que M. B... a été de nouveau mise en cause en 2023 dans une affaire d'agression sexuelle, caractérisent l'existence d'une menace, toujours actuelle, à l'ordre public. Dans ces conditions, la préfète de la Drôme n'a pas commis d'erreur d'appréciation en prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français et en fixant la durée de cette interdiction à trois ans.

En ce qui concerne la décision portant assignation à résidence :

23. En premier lieu, aux termes de l'article L. 732-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Il est remis aux étrangers assignés à résidence en application de l'article L. 731-1 une information sur les modalités d'exercice de leurs droits, les obligations qui leur incombent et, le cas échéant, la possibilité de bénéficier d'une aide au retour ". Aux termes de l'article R. 732-5 du même code : " L'étranger auquel est notifiée une assignation à résidence en application de l'article L. 731-1, est informé de ses droits et obligations par la remise d'un formulaire à l'occasion de la notification de la décision par l'autorité administrative ou, au plus tard, lors de sa première présentation aux services de police ou aux unités de gendarmerie. (...) ".

24. Ces dispositions imposent, notamment, que l'information qu'elles prévoient soit communiquée, une fois la décision d'assignation à résidence notifiée, au plus tard lors de la première présentation de l'assigné à résidence aux services de police ou de gendarmerie. Il en résulte que si M A... E... soutient qu'il n'a pas reçu l'information prévue par ces articles, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de l'assignation à résidence, qui s'apprécie à la date de son édiction.

25. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 9 du présent arrêt, et en l'absence d'éléments spécifiques invoqués s'agissant de cette décision, le moyen tiré de la violation du droit d'être entendu avant que ne soit prise la mesure d'assignation à résidence doit être écarté.

26. En troisième lieu, l'arrêté portant assignation à résidence mentionne, au visa de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que M. B... a fait l'objet d'un refus d'asile et d'une mesure d'éloignement pour laquelle le délai de départ volontaire n'a pas été accordé, qu'il dispose d'une adresse fixe en France et que l'exécution de la mesure d'éloignement demeure une perspective raisonnable, l'administration disposant de son passeport. Cette décision est donc suffisamment motivée au sens de l'article L. 732-1 du même code. La circonstance que cet arrêté ait été précédé d'autres décisions d'assignation à résidence, motivées de manière similaire, n'est pas, en soi, de nature à révéler un défaut d'examen particulier de sa situation.

27. En quatrième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 17 et 18 ci-dessus que M. A... E... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision lui refusant un délai de départ volontaire à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'assignation à résidence.

28. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire mais dont l' éloignement demeure une perspective raisonnable ". Aux termes de l'article R. 732-3 du même code : " L'assignation à résidence prévue à l'article L. 731-1 ne peut excéder une durée de quarante-cinq jours. Elle est renouvelable une fois dans la même limite de durée. ".

29. L'assignation à résidence du 10 mai 2023 ayant été prise pour l'exécution de la décision d'éloignement du même jour, elle ne constitue pas une nouvelle prolongation de l'assignation à résidence prononcée le 15 novembre 2022, pour l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français du même jour, déjà prolongée par la décision d'assignation du 30 janvier 2023 et celle du 1er mars 2023, cette dernière mesure ayant, au demeurant, été annulée par le tribunal administratif de Grenoble. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir que l'assignation à résidence serait entachée d'erreur de droit et d'un détournement de procédure visant à contourner la limitation de la durée d'une assignation à résidence à une période de quarante-cinq jours renouvelable une fois.

30. En faisant valoir son état de santé, les conditions de son placement en rétention administrative et la circonstance qu'il a honoré ses obligations de présentation, M. A... E... n'établit pas que son éloignement ne demeurait pas une perspective raisonnable à la date de la décision attaquée. Dans ces conditions, la préfète de la Drôme n'a pas fait une inexacte application de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en prononçant à l'égard du requérant une assignation à résidence, mesure à laquelle l'autorité préfectorale peut précisément recourir de préférence à un placement en rétention administrative lorsque l'étranger concerné présente des garanties de représentation.

31. Il résulte de ce qui précède que M. A... E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'allocation de frais liés au litige doivent également être rejetées.

Sur la requête n° 23LY01931 :

32. La cour statuant au fond par le présent arrêt sur les conclusions à fin d'annulation du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 mai 2023, les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet. Il n'y a, dès lors, pas lieu d'y statuer.

33. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme au titre des frais liés au litige exposés par M. A... E....

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'annulation et d'injonction de la requête n° 23LY01931.

Article 2 : La requête n°23LY01928 et le surplus des conclusions de la requête n° 23LY01931 sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... E... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Drôme.

Délibéré après l'audience du 30 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Courbon, présidente de la formation de jugement,

M. Laval, premier conseiller,

M. Porée, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 décembre 2023.

Le rapporteur,

J.-S. Laval

La présidente,

A. Courbon

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY01928-23LY01931


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY01928
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme COURBON
Rapporteur ?: M. Jean-Simon LAVAL
Rapporteur public ?: Mme LESIEUX
Avocat(s) : ALBERTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;23ly01928 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award