La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/12/2023 | FRANCE | N°23LY01523

France | France, Cour administrative d'appel, 7ème chambre, 21 décembre 2023, 23LY01523


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure



Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 8 décembre 2021 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire par l'association Itinova.



Par un jugement n° 2200889 du 7 mars 2023, le tribunal a rejeté sa demande.





Procédure devant la cour



Par une requête et un mémoire enregistrés les 4 mai et 21 juillet 2023, Mme B..., représentée

par Me Meyer, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et la décision mentionnée ci-dessus ;

2°) de mettre à la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 8 décembre 2021 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire par l'association Itinova.

Par un jugement n° 2200889 du 7 mars 2023, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire enregistrés les 4 mai et 21 juillet 2023, Mme B..., représentée par Me Meyer, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et la décision mentionnée ci-dessus ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier dans la mesure où le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de ce que l'inspectrice du travail n'a pas vérifié que la condition prévue à l'article 05.03.2 de la convention collective de l'hospitalisation privée à but non lucratif était respectée ;

- la décision litigieuse est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle n'a pas été adoptée au terme d'une procédure respectant le principe du contradictoire et les droits de la défense garantis par les stipulations de l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par l'article R. 2421-4 du code du travail ;

- la matérialité des faits qui lui sont reprochés n'est pas établie ;

- c'est à tort que l'inspectrice du travail a considéré que ces faits étaient d'une gravité suffisante pour autoriser son licenciement ;

- l'inspectrice du travail n'a pas contrôlé le respect de la condition fixée à la convention collective de l'hospitalisation privée à but non lucratif tirée du caractère grave de la faute.

Par des mémoires enregistrés les 9 et 14 juin 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Il s'en rapporte à ses écritures de première instance et soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.

Par un mémoire enregistré le 14 juin 2023, l'association Itinova, représentée par Me Renaud conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de Mme B... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.

Par une ordonnance du 24 juillet 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 août 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;

- le code du travail ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Djebiri, première conseillère ;

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Laborie substituant Me Meyer, pour Mme C..., ainsi que celles de Me Marcon substituant Me Renaud, pour l'association Itinova ;

Considérant ce qui suit :

1. L'association Itinova, située à Villeurbanne et gestionnaire d'établissements et services sociaux, médico-sociaux et sanitaires, a sollicité le 22 octobre 2021 l'autorisation de procéder au licenciement pour motif disciplinaire de Mme C..., directrice des ressources humaines, qui exerçait des fonctions de conseillère de prud'hommes. Mme B... relève appel du jugement du tribunal administratif de Lyon qui a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 8 décembre 2021 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité territoriale du Rhône a fait droit à la demande de l'association Itinova.

Sur la régularité du jugement :

2. Mme C... dans son mémoire enregistré le 7 février 2022 devant le tribunal a soulevé un moyen tiré de ce que l'inspectrice du travail n'a pas contrôlé le respect de la condition fixée dans la convention collective de l'hospitalisation privée à but non lucratif tirée de ce que le licenciement ne pouvait être prononcé qu'en cas de faute grave. Un tel moyen, qui n'était pas inopérant, n'a été ni visé ni examiné par le tribunal. Par suite, il y a lieu d'annuler ce jugement et, par la voie de l'évocation, de statuer immédiatement sur la demande de Mme C....

Sur la légalité de la décision du 8 décembre 2021 :

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2421-4 du code du travail : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. (...) ".

4. Dans le cadre de son enquête, l'inspectrice du travail s'est fondée notamment sur l'audition de Mme C..., des agents de son service et du président de l'association, sur les courriers des agents du service et sur l'enquête interne. Mme B... a produit au cours de l'enquête de l'inspectrice du travail des témoignages d'agents travaillant dans des services qui n'étaient pas le sien et des échanges SMS " à teneur personnelle " qu'elle a eu avec ses agents. Si l'inspectrice du travail a refusé de les prendre en considération, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces éléments auraient été déterminants pour contester la matérialité des faits reprochés à l'intéressée. L'inspectrice du travail n'était pas tenue d'entendre l'ensemble des salariés du service qu'elle dirigeait, ni a fortiori l'ensemble du personnel du siège de l'association Itinova. Il s'ensuit que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que l'inspectrice du travail, qui fixe librement les modalités de son enquête, aurait méconnu le caractère contradictoire de l'enquête ou porté atteinte aux droits de la défense.

5. En deuxième lieu, la procédure suivie par l'inspecteur du travail dans le cadre de l'examen d'une demande de licenciement ne revêt pas un caractère juridictionnel. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne saurait être utilement invoqué.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 2421-5 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée (...) ". Cette motivation doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. A ce titre, il incombe à l'inspecteur du travail, lorsqu'il est saisi d'une demande de licenciement motivée par un comportement fautif, d'exposer les faits reprochés au salarié de manière suffisamment précise et de rechercher si les faits reprochés sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

7. Dans sa décision du 8 décembre 2021, l'inspectrice du travail, après avoir visé les textes dont il a été fait application, à savoir le code du travail et la convention collective applicable, a détaillé les griefs reprochés par l'employeur à Mme C..., tirés des accusations de harcèlement moral portés contre elle par plusieurs salariés de l'association. Cette décision mentionne les motifs pour lesquels l'inspectrice du travail a estimé que les faits étaient établis, qu'ils présentaient un caractère fautif et précise que cette faute était d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, tout en rappelant le contexte conflictuel existant avec la direction générale de l'association. Dès lors, la décision, qui comporte les considérations de fait et les éléments de droit qui en constituent le fondement est motivée. Le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.

8. En quatrième lieu, la requérante soutient que l'inspectrice du travail n'a pas vérifié que la règle prévue par la convention collective en son article 05.03.2, qui fait obstacle au licenciement, pour un autre motif que la faute grave, du salarié qui n'a jamais fait l'objet d'une mesure disciplinaire, était bien respectée. Toutefois, l'inspectrice du travail, qui devait, au titre du contrôle qui lui incombe, notamment vérifier la régularité de ce projet de licenciement au regard de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressée, au nombre desquelles figurent les stipulations des accords collectifs de travail applicables au salarié, a visé la convention collective et indiqué que la gravité de la faute était avérée. Il ressort ainsi des termes de la décision que l'inspectrice, qui avait été saisie d'une demande d'autorisation dans laquelle l'employeur avait indiqué qu'il ne pouvait procéder au licenciement qu'en cas de faute grave en se référant à la convention collective, a bien vérifié que cette condition était remplie.

9. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail : " Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. " Aux termes de l'article L. 1152-5 du même code : " Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d'une sanction disciplinaire ".

10. Il résulte de ces dispositions que le harcèlement moral se caractérise par des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel. Il s'en déduit que, pour apprécier si des agissements sont constitutifs d'un harcèlement moral, l'inspecteur du travail doit, sous le contrôle du juge administratif, tenir compte des comportements respectifs du salarié auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et du salarié susceptible d'en être victime, indépendamment du comportement de l'employeur. Il appartient, en revanche, à l'inspecteur du travail, lorsqu'il estime, par l'appréciation ainsi portée, qu'un comportement de harcèlement moral est caractérisé, de prendre en compte le comportement de l'employeur pour apprécier si la faute résultant d'un tel comportement est d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement.

11. L'inspectrice du travail a, pour autoriser le licenciement, retenu que Mme C... avait commis une faute grave en ayant eu un comportement de harcèlement moral à l'égard de trois de ses collaborateurs et, dans une moindre mesure, à l'égard d'un quatrième. Elle a estimé que ce comportement était indépendant et antérieur à l'action de dénonciation par les directeurs dont elle faisait partie des dysfonctionnements de la direction générale de l'association. Pour contester la matérialité des faits qui lui sont reprochés, Mme C... soutient que certains ne sont pas avérés et que d'autres s'expliquent par le contexte de représailles à son encontre à la suite de sa dénonciation de dysfonctionnements au sein de la direction générale. Toutefois, les courriers des 5 et 6 octobre 2021 de trois de ses collaborateurs, les éléments recueillis lors de l'enquête de l'inspectrice du travail et les attestations concordantes et circonstanciées de salariés recueillies lors de l'enquête interne puis lors de l'enquête menée par l'inspectrice du travail, dont rien ne permet de dire qu'elles n'auraient pas été menées de façon loyale, établissent l'existence, à l'égard de quatre salariés, qui exerçaient leurs fonctions au sein de la direction des ressources humaines et étaient ainsi placés sous l'autorité de Mme C..., d'un comportement inapproprié répété de la requérante à leur égard. Ces agissements, qui se traduisaient par l'emploi fréquent d'un ton agressif ainsi que par la tenue de propos négatifs et dénigrants sur leur manière de travailler, mais aussi sur leurs choix personnels d'organisation ou, en ce qui concerne l'une d'entre eux, son apparence physique, excédaient l'exercice normal de son pouvoir hiérarchique. Ces faits ont été à l'origine pour les salariés qui en ont été victimes d'une anxiété importante, d'un sentiment de peur et de mal-être au travail, allant jusqu'à nécessiter un arrêt de travail de plusieurs mois et un suivi psychologique pour l'un d'entre eux. En outre, s'il est constant que la requérante avait dénoncé, préalablement à la procédure disciplinaire menée à son encontre, les manquements du directeur général de l'association, cette situation ne permet pas de justifier les agissements de Mme C... vis-à-vis des agents de son service, alors même que ce contexte aurait occasionné pour elle une surcharge de travail et de l'anxiété. Enfin, en se bornant à produire plusieurs échanges de SMS et de courriels avec les salariés concernés, dont le ton est cordial, et de décisions d'attributions de primes et de témoignages faisant état de ses qualités humaines et professionnelles, Mme B... ne remet pas en cause les attestations concordantes des salariés relatant les faits d'agressivité verbale répétée et de dénigrement commis à plusieurs reprises à leur encontre. Il y a lieu d'écarter le moyen tiré de l'erreur sur la matérialité des faits.

12. En sixième lieu, ces agissements, eu égard à leur répétition et à leur gravité, bien qu'ils soient intervenus dans un contexte conflictuel au sein de la direction de l'association et alors que la requérante, qui exerçait ses fonctions dans l'association depuis cinq ans, n'avait pas d'antécédent disciplinaire, sont suffisamment graves pour fonder une mesure de licenciement. Dans ces conditions, l'inspectrice du travail de l'unité territoriale du Rhône a pu légalement estimer que le licenciement pour faute de Mme C... était justifié.

13. En septième lieu, aux termes de l'article 05.03.2 de la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951 " (...) Sauf en cas de faute grave, il ne pourra y avoir de mesure de licenciement à l'égard d'un salarié, si ce dernier n'a pas fait l'objet précédemment d'au moins une sanction citée ci-dessus (...) ".

14. Pour les motifs exposés aux points 11 et 12, et en raison des fonctions de directrice des ressources humaines de Mme C..., ces faits caractérisent une faute grave au sens des stipulations de l'article 05.03.2 de la convention précitée. Dès lors, bien que Mme B... n'ait pas eu de passé disciplinaire, l'association pouvait mettre en œuvre une procédure de licenciement sans méconnaître l'article 05.03.2 précité.

15. Il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 8 décembre 2021 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité territoriale du Rhône a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire. Doivent être également rejetées ses conclusions tendant à la mise à la charge de l'État d'une somme au titre des frais liés au litige.

16. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... une somme au titre des frais exposés par l'association Itinova pour les besoins du litige. Ces conclusions doivent donc être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2200889 du 7 mars 2023 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : Les demandes présentées par Mme C... devant le tribunal administratif de Lyon et le surplus des conclusions qu'elle a présentées en appel sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions présentées par l'association Itinova au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à l'association Itinova.

Délibéré après l'audience du 7 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Duguit-Larcher, présidente de la formation de jugement ;

M. Chassagne, premier conseiller ;

Mme Djebiri, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.

La rapporteure,

C. DjebiriLa présidente de la formation de jugement,

A. Duguit-Larcher

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

N° 23LY01523 2

ar


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY01523
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07 Travail et emploi. - Licenciements.


Composition du Tribunal
Président : Mme DUGUIT-LARCHER
Rapporteur ?: Mme Christine DJEBIRI
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : SELARL DELGADO & MEYER

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;23ly01523 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award