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21/12/2023 | FRANCE | N°22LY03359

France | France, Cour administrative d'appel, 7ème chambre, 21 décembre 2023, 22LY03359


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 28 juin 2022 par lequel le préfet de la Savoie a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2204854 du 18 octobre 2022, le tribunal a rejeté à cette demande.

Procédure devant la cour



Par une requête et un mémoire enregistrés le

s 18 novembre 2022 et 23 juin 2023, M. A..., représenté par Me Nkele, demande à la cour :

1°) d'annuler ce j...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 28 juin 2022 par lequel le préfet de la Savoie a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2204854 du 18 octobre 2022, le tribunal a rejeté à cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire enregistrés les 18 novembre 2022 et 23 juin 2023, M. A..., représenté par Me Nkele, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et cet arrêté ;

2°) d'enjoindre au préfet de la Savoie de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", ou tout autre titre avec autorisation de travailler, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier, étant insuffisamment motivé ; il méconnaît les exigences d'un procès équitable et le principe du contradictoire, au regard des exigences des articles L. 5 et R. 611-1 du code de justice administrative, les premiers juges n'ayant pas rouvert l'instruction afin de prendre en compte ses observations enregistrées le 4 octobre 2022 après la date de clôture de l'instruction fixée au 20 septembre précédent à 12 heures, alors que le préfet de la Savoie avait déposé son mémoire en défense le 15 septembre 2022 ;

- le refus de titre de séjour, qui a opposé l'absence de caractère sérieux et assidu de la formation suivi, plus d'un an après le dépôt de sa demande, est entaché d'erreur de droit ; il méconnaît les dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il justifie de son identité ; le préfet aurait dû, compte tenu de l'évolution de sa situation, faire application de l'article L. 421-35 du même code il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination doivent être annulées par voie de conséquence du refus de titre de séjour.

Par un mémoire enregistré le 30 novembre 2023, le préfet de la Savoie conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de M. Chassagne, premier conseiller, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant de la République du Mali, né le 13 mars 2003 à Fangoune Kagoro, est entré irrégulièrement sur le territoire français le 10 avril 2018. Après avoir été pris en charge par le département des Hautes-Alpes, il a été confié provisoirement à l'aide sociale à l'enfance de la Savoie par une ordonnance du 13 juin 2018 du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Chambéry, confirmée par jugement en assistance éducative du 27 juillet 2018. Une tutelle a été par la suite ouverte et confiée au département de la Savoie, par ordonnance du 29 janvier 2019 du juge des tutelles des mineurs du même tribunal. M. A... a demandé un titre de séjour le 15 mars 2021 au préfet de la Savoie qui, par un arrêté du 28 juin 2022, lui a opposé un refus, fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. A... relève appel du jugement du tribunal administratif de Grenoble qui a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité :

2. En premier lieu, M. A... se borne à soutenir que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé sans toutefois assortir un tel moyen des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.

3. En second lieu, aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. (...). " Aux termes de l'article R. 611-1 du même code : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Aux termes de l'article R. 776-11 de ce code : " Le président de la formation de jugement (...), dès l'enregistrement de la requête, faire usage du pouvoir prévu au premier alinéa de l'article R. 613-1 de fixer la date à laquelle l'instruction sera close. Il peut, par la même ordonnance, fixer la date et l'heure de l'audience au cours de laquelle l'affaire sera appelée. Dans ce cas, l'ordonnance tient lieu de l'avertissement prévu à l'article R. 711-2. ". Aux termes de l'article R. 613-1 de ce même code : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction. "

4. D'une part, il résulte des dispositions précitées de l'article R. 611-1, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer le premier mémoire d'un défendeur ou tout mémoire contenant des éléments nouveaux, est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties. D'autre part, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le juge administratif a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.

5. Il ressort des pièces du dossier de première instance qu'en application de l'article R. 776-11 précité, le président de la formation de jugement a, par une ordonnance du 11 août 2022, fixé une clôture d'instruction au 20 septembre 2022 à 12 heures ainsi qu'une date d'audience au 4 octobre suivant. Le premier mémoire en défense du préfet de la Savoie a été enregistré par le greffe du tribunal administratif de Grenoble le 15 septembre 2022 et a été communiqué à l'intéressé, comme il devait obligatoirement l'être en vertu de l'article R. 611-1 précédemment cité, le lendemain matin, et a été reçu le 17 septembre 2022 à 12 heures 59. Dans ces circonstances, M. A... bénéficiait d'environ trois jours pour formuler des observations, lequel n'apparait pas en l'espèce, au regard du contenu du mémoire en défense et des pièces produites insuffisant. Ainsi, si le mémoire en réplique produit par M. A..., qui a été enregistré largement après la clôture de l'instruction, soit le jour même de l'audience, le 4 octobre 2022 à 6 heures 59, contenait des éléments nouveaux, il ne s'agissait néanmoins pas de circonstances de fait ou d'éléments de droit dont il n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui étaient susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire. Par suite, les premiers juges n'étaient pas tenus de rouvrir l'instruction et de communiquer ce mémoire. Le moyen tiré de l'irrégularité du jugement pour méconnaissance des exigences d'un procès équitable et du principe du contradictoire doit être écarté.

Sur la légalité de l'arrêté contesté :

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 421-35 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les étrangers âgés de seize à dix-huit ans qui déclarent vouloir exercer une activité professionnelle se voient délivrer l'un des titres de séjour suivants : / 1° Une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " s'ils remplissent les conditions prévues aux articles (...) L. 423-22 (...) ".

7. Si M. A... fait valoir que, compte tenu de l'évolution de sa situation personnelle en cours d'instruction de la demande de titre de séjour, le préfet aurait dû analyser sa demande comme fondée non sur l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais sur l'article L. 421-35 de ce code, toutefois, ces dernières dispositions sont relatives à la délivrance d'un titre de séjour aux étrangers mineurs, ce qui n'était pas le cas de M. A... à la date de la décision litigieuse. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet aurait dû, compte tenu de l'évolution de sa situation, faire application de l'article L. 421-35 ne peut qu'être écarté.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième -anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française. ".

9. Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", présentée sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 423-22, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entre dans les prévisions de l'article L. 421-35 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'il a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance. Si ces conditions sont remplies, il ne peut alors refuser la délivrance du titre qu'en raison de la situation de l'intéressé appréciée de façon globale au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le juge de l'excès de pouvoir exerce sur cette appréciation un entier contrôle. Par ailleurs, lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'est pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre disposition de ce code.

10. Dès lors que la demande de M. A... se fondait sur ces dispositions, il appartenait au préfet d'examiner sa situation conformément à ce qui a été exposé au point 9. Si M. A..., qui aurait pu contester le refus implicite de lui délivrer un tel titre de séjour, fait valoir que le préfet ne pouvait lui opposer, plus d'un an après sa demande de titre de séjour, l'absence de suivi avec sérieux d'une formation, cet élément est de ceux que le préfet doit prendre en considération pour l'attribution d'un titre de séjour sur ce fondement. Par suite, en prenant en compte, pour apprécier la situation de M. A... cet élément, le préfet n'a pas commis d'erreur de droit.

11. Il ressort des pièces du dossier que si M. A..., confié au département de la Savoie en qualité de mineur, a obtenu durant l'année 2021 un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) mention " employé de vente spécialisé option B produits d'équipement courant ", il ne justifiait toutefois pas d'une inscription dans une formation pour l'année 2021-2022 et ne pouvait donc se prévaloir du caractère sérieux et assidu du suivi d'une formation. Le préfet a également noté que l'intéressé n'était pas isolé dans son pays. Il se borne à alléguer sans en justifier le décès de ses parents et n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays où vivent un oncle et un cousin. Il est en contact régulier avec son frère qui réside en Algérie. Par ailleurs, le préfet a indiqué que si l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française est positif, l'intéressé a toutefois fait l'objet d'une procédure pour détention d'un faux document d'identité. Si M. A... fait valoir que cette procédure a été classée sans suite, elle a néanmoins conduit à ce que le procureur de la République de Chambéry fasse saisir cette carte d'identité, dont l'intéressé a reconnu devant un officier de police judiciaire lors d'une audition qu'elle était fausse eu égard à ses conditions d'obtention. En estimant, au regard de ces éléments, et après avoir procédé à un examen global de sa situation, que celle-ci ne justifiait pas la délivrance du titre de séjour demandé, le préfet n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 423-22.

12. En troisième lieu, en toute hypothèse, à supposer même que M. A... justifie, par la production d'un nouvel acte de naissance, de son identité, ce n'est qu'à titre superfétatoire que le préfet s'est fondé sur le fait qu'il ne justifiait pas de son identité pour refuser le titre de séjour sollicité.

13. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier, que M. A..., qui ne se trouvait en France que depuis un peu plus de quatre années à la date de la décision de refus de séjour contestée, y demeurait célibataire et sans enfant. Il n'apparaît pas qu'il justifierait d'une insertion, sur le plan personnel, d'une particulière intensité, ni d'une insertion sur le plan professionnel, même si, ainsi qu'il a été dit précédemment, il a obtenu un CAP en 2021 et a ensuite travaillé en 2021 et 2022. Il n'a exercé que comme intérimaire en qualité essentiellement de manutentionnaire, aide maçon, manœuvre, agent d'entretien ou de nettoyage, ces métiers étant sans lien avec sa formation, Par suite, et alors que l'intéressé n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, aucune erreur manifeste d'appréciation des conséquences de cette décision sur sa situation personnelle ne peut être retenue.

14. En dernier lieu, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination ne sont pas illégales par voie de conséquence de l'illégalité de la décision refusant un titre de séjour.

15. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Sa requête doit, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Savoie.

Délibéré après l'audience du 7 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Duguit-Larcher, présidente de la formation de jugement.

M. Chassagne, premier conseiller.

Mme Djebiri, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.

Le rapporteur,

J. Chassagne

La présidente de la formation de jugement,

A. Duguit-Larcher La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY03359

kc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY03359
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme DUGUIT-LARCHER
Rapporteur ?: M. Julien CHASSAGNE
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : NKELE MEDARD

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;22ly03359 ?
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