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21/12/2023 | FRANCE | N°22DA01981

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 21 décembre 2023, 22DA01981


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 28 février 2020 par lequel le maire de Sainghin-en-Weppes lui a infligé la sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de huit jours et de mettre à la charge de la commune de Sainghin-en-Weppes la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Par un jugement n° 2002825 du 29 juillet 2022, le tribunal admini

stratif de Lille a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une r...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 28 février 2020 par lequel le maire de Sainghin-en-Weppes lui a infligé la sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de huit jours et de mettre à la charge de la commune de Sainghin-en-Weppes la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2002825 du 29 juillet 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés, le 24 septembre 2022, le 10 mai 2023 et le 12 juillet 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, Mme A..., représentée par Me Virginie Stienne-Duwez, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 28 février 2020 du maire de la commune

de Sainghin-en-Weppes ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Sainghin-en-Weppes une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé ;

- la matérialité des griefs articulés à son encontre n'est pas établie ;

- les faits qui lui sont reprochés ne peuvent être qualifiés de fautifs ;

- la sanction qui lui a été infligée présente un caractère disproportionné par rapport aux griefs retenus à son encontre ;

- cette sanction est entachée de détournement de pouvoir.

Par des mémoires, enregistrés le 1er décembre 2022 et le 16 juin 2023, la commune de Sainghin-en-Weppes, représentée par Me Benjamin Marcilly, conclut au rejet de la requête et demande, en outre, à la cour de mettre à la charge de Mme A... une somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 20 juin 2023 la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 13 juillet 2023.

Postérieurement à la clôture de l'instruction, Mme A... a produit un mémoire, enregistré le 27 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dominique Bureau, première conseillère,

- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Stienne-Duwez, représentant Mme A..., et de Me Marcilly, représentant la commune de Sainghin-en-Weppes.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a été recrutée par voie de mutation par la commune

de Sainghin-en-Weppes, en qualité d'ingénieur territorial, pour occuper le poste de directeur des services technique à compter du 4 août 2014. Par arrêté du 1er décembre 2014, elle a été nommée au grade d'ingénieur territorial principal à compter du 15 décembre 2014. Par un courrier du 19 novembre 2015, le maire de la commune de Sainghin-en-Weppes a informé Mme A... de ce qu'une procédure disciplinaire allait être engagée à son encontre en vue du prononcé d'une sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quinze jours. Le 8 juin 2016, le conseil de discipline a émis un avis favorable à l'application de la sanction de l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de huit jours. Par une décision du 28 février 2020, le maire de la commune de Sainghin-en-Weppes a prononcé cette sanction à l'encontre de Mme A.... Cette dernière relève appel du jugement du 29 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la légalité externe de l'arrêté contesté :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination. / (...) / L'avis de cet organisme de même que la décision prononçant une sanction disciplinaire doivent être motivés ".

3. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu imposer à l'autorité qui prononce une sanction, l'obligation de préciser elle-même, dans sa décision, les griefs qu'elle entend retenir à l'encontre du fonctionnaire intéressé, de sorte que ce dernier puisse, à la seule lecture de la décision qui lui est notifiée, connaître les motifs de la sanction qui le frappe.

4. Pour énoncer, dans l'arrêté contesté du 28 février 2020, les griefs qu'il entendait retenir à l'encontre de Mme A..., le maire de la commune de Sainghin-en-Weppes s'est référé à l'un des paragraphes conclusifs de l'avis rendu le 8 juin 2016, qu'il a cité dans son arrêté aux termes duquel : " les faits reprochés à Mme B... A... résultant de ce qu'elle a outrepassé les pouvoirs qui lui ont été délégués pour la signature d'un devis, de ce qu'elle ne respecte pas le principe d'obligation hiérarchique, essentiellement à l'égard du directeur général des services, et de ce que son comportement a occasionné des altercations et des tensions avec les agents des services techniques, des services administratifs et au cours de réunions de services sont établis " et " ces faits constituent des manquements aux obligations du fonctionnaire justifiant une sanction disciplinaire ".

5. Une telle motivation a mis Mme A... à même de connaître, à la seule lecture de l'arrêté contesté, les motifs de la sanction qui lui a été infligée et est, par suite, conforme aux exigences posées par les dispositions, citées au point 2, de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983.

En ce qui concerne la légalité interne de l'arrêté contesté :

S'agissant du délai dans lequel la sanction a été prononcée :

6. D'une part, contrairement à ce que soutient Mme A..., aucun principe général du droit n'enferme dans un délai déterminé l'exercice de l'action disciplinaire à l'égard d'un fonctionnaire.

7. D'autre part, l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction issue de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, dispose : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination. / Aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée au-delà d'un délai de trois ans à compter du jour où l'administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits passibles de sanction. (...) Passé ce délai (...), les faits en cause ne peuvent plus être invoqués dans le cadre d'une procédure disciplinaire ". Lorsqu'une loi nouvelle institue, sans comporter de disposition spécifique relative à son entrée en vigueur, un délai de prescription d'une action disciplinaire dont l'exercice n'était précédemment enfermé dans aucun délai, le nouveau délai de prescription est immédiatement applicable aux procédures en cours mais ne peut, sauf à revêtir un caractère rétroactif, courir qu'à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle.

8. En l'espèce, la procédure disciplinaire ayant donné lieu à la sanction contestée a été engagée par l'envoi à l'intéressée, le 19 novembre 2015, d'un courrier l'informant de l'ouverture de cette procédure, soit avant l'entrée en vigueur des dispositions citées au point précédent. Par suite, Mme A... ne saurait utilement se prévaloir ni de la lettre, ni de l'esprit de ces dispositions pour soutenir que la décision lui infligeant cette sanction ne pouvait plus légalement intervenir le 28 février 2020, date à laquelle elle a été prise.

S'agissant des griefs retenus à l'encontre de Mme A... et du caractère proportionné de la sanction :

9. Aux termes de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire (...) ". Aux termes de l'article 89 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : / (...) Deuxième groupe : l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre à quinze jours (...) ".

10. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si la matérialité des faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire est établie, si ces faits constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

11. Ainsi qu'il a été dit au point 4, pour infliger la sanction contestée, le maire de la commune de Sainghin-en-Weppes s'est fondé sur ce que Mme A... avait outrepassé les pouvoirs qui lui était délégués pour la signature d'un devis, sur ce qu'elle ne respectait pas le principe d'obligation hiérarchique, essentiellement à l'égard du directeur général des services, et sur ce que son comportement avait occasionné des altercations et des tensions avec les agents des services techniques, des services administratifs et au cours de réunions de services.

12. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la requérante a apposé sa signature et la mention " bon pour accord " sur un devis d'une société daté du 29 juillet 2015, alors qu'il est constant que les commandes de matériel ne font pas partie de ses attributions. Ainsi, alors même que la signature de ce bon de commande présentait un caractère d'urgence en raison de la fermeture imminente de l'établissement du fournisseur durant la période estivale et que le directeur général des services avait donné un accord de principe à cette commande, Mme A..., qui avait d'ailleurs la possibilité de soumettre ce bon de commande à la signature du maire qu'elle devait rencontrer l'après-midi même, a outrepassé les pouvoirs qui lui étaient délégués, ce qui revêt un caractère fautif. Ce premier grief est, par suite, suffisamment établi.

13. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme A..., qui employait dans ses courriels un ton peu mesuré, a cru bon d'adresser en copie à ses propres agents des courriers électroniques des 6 juillet 2015 et 28 juillet 2015 ayant pour objet d'alerter le directeur général des services sur la surcharge de travail imposée aux services techniques. De la même manière, Mme A... a pris l'initiative de convier à une réunion de service qui s'est tenue le 6 octobre 2015 l'un des agents de son service qui n'y était pas invité. Enfin, il est constant qu'au cours d'une communication téléphonique du 7 octobre 2015, Mme A... a interrogé le directeur général des services sur le non renouvellement du contrat de l'un de ses agents en faisant écouter la conversation, non seulement par l'adjoint au maire chargé des travaux, mais encore à plusieurs agents des services techniques. Un tel comportement inapproprié, adopté de manière répété et destiné à mettre le directeur général des services dans une situation difficile, en particulier vis-à-vis des agents des services techniques, n'est pas conforme au comportement devant être adopté par tout fonctionnaire vis-à-vis de son supérieur hiérarchique et revêt un caractère fautif. Ce deuxième grief est, par suite, suffisamment établi.

14. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier, aussi bien de plusieurs attestations produites par la commune que de certains témoignages recueillis au cours de l'enquête préliminaire puis de l'instruction dans le cadre de la procédure pénale engagée par Mme A..., que cette dernière présentait un tempérament nerveux, la conduisant à réagir, en cas de difficulté, par une attitude à connotation agressive et l'adoption d'un ton ou de comportements inappropriés de nature à susciter des situations conflictuelles. La persistance d'une telle attitude revêt un caractère fautif. Ce troisième grief est, par suite, suffisamment établi.

15. En quatrième lieu, Mme A... fait valoir que son comportement était justifié par la charge de travail excessive imposée à l'ensemble des agents municipaux, en particulier aux services techniques dont elle assurait la direction, et a été suscité par l'attitude, qualifiable de harcèlement, adoptée à son encontre tant par le directeur général des services que par le maire de la commune. Elle souligne que ces agissements s'inscrivent dans un contexte plus général, mis en évidence par les témoignages recueillis dans le cadre de la procédure pénale qu'elle a engagée et marqué par un climat de plus en plus tendu qui, du fait de ces deux personnes, s'est instauré au sein des services municipaux depuis le début de l'année 2015, par le dénigrement systématique des agents qui ne parvenaient pas à faire face au surcroît de travail qui leur était imposé, ainsi que par un usage important des sanctions disciplinaires. Cette situation a eu pour conséquence un nombre important d'arrêts de maladie ou de départ des agents de la commune. Par ailleurs, huit autres agents de la commune se sont portés partie civile à la suite de l'action pénale qu'elle a engagée. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que le maire ou le directeur général des services aient adopté à l'encontre de Mme A... un comportement inapproprié, à l'exception de deux cas ponctuels, l'un où le directeur général des services s'est emporté contre elle au cours d'une réunion de service et l'autre, lors de l'entretien préalable à l'engagement de la procédure disciplinaire qui s'est déroulé le 10 novembre 2015. Dans ces conditions, compte tenu en outre de la répétition des faits commis par Mme A... sur une courte période, et alors même que celle-ci n'a jamais été sanctionnée auparavant, la sanction de l'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de huit jours ne présente pas un caractère disproportionné au regard des fautes qu'elle a commises.

En ce qui concerne le détournement de pouvoir :

16. Dans les circonstances de l'espèce, eu égard notamment à ce qui a été dit aux points 12 à 15, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

17. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 28 février 2020 du maire de la commune de Mme A... lui infligeant la sanction de l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de huit jours, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction.

Sur les frais d'instance :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les frais, non compris dans les dépens, exposés par Mme A... en appel, soient mis à la charge de la commune de Sainghin-en-Weppes, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme A... une somme à verser à la commune de Sainghin-en-Weppes au titre de ces dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Sainghin-en-Weppes en appel sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la commune de Sainghin-en-Weppes.

Délibéré après l'audience publique du 5 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.

La rapporteure,

Signé : D. Bureau

La présidente de chambre,

Signé : M.-P. Viard

La greffière,

Signé : N. Roméro La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière

N. Roméro

2

N° 22DA01981


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01981
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: Mme Dominique Bureau
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : SELARL RESSOURCES PUBLIQUES AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;22da01981 ?
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