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21/12/2023 | FRANCE | N°21BX04588

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 21 décembre 2023, 21BX04588


Vu la procédure suivante :



Par une requête et des mémoires, enregistrés le 18 décembre 2021, le 30 janvier 2023 et le 24 juillet 2023, et un mémoire non communiqué enregistré le 2 novembre 2023, la société Parc Eolien de la Jarrie-Audoin, représentée par Me Harada, demande à la cour :



1°) d'annuler l'arrêté du 18 octobre 2021 par lequel le préfet de la Charente- Maritime a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale pour l'exploitation de deux éoliennes ;



2°) de lui délivrer l'autorisation env

ironnementale sollicitée ;



3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de la Charente-Marit...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 18 décembre 2021, le 30 janvier 2023 et le 24 juillet 2023, et un mémoire non communiqué enregistré le 2 novembre 2023, la société Parc Eolien de la Jarrie-Audoin, représentée par Me Harada, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 18 octobre 2021 par lequel le préfet de la Charente- Maritime a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale pour l'exploitation de deux éoliennes ;

2°) de lui délivrer l'autorisation environnementale sollicitée ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de la Charente-Maritime de statuer à nouveau, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sur sa demande ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- cette décision a été prise en méconnaissance de l'article R. 181-40 du code de l'environnement en l'absence de prise en compte de ses observations ;

- elle a été prise en violation de l'article R. 181-16 du code de l'environnement dès lors que le préfet aurait dû l'inviter à présenter une dérogation espèces protégées ;

- elle est insuffisamment motivée s'agissant de la nécessité de déposer une demande de dérogation espèce protégée ;

- le préfet a commis une erreur de droit dans la détermination du périmètre d'appréciation de l'impact du projet s'agissant de la prise en compte du projet de la société Ferme éolienne de la Jarrie-Audoin et sa décision est entachée de contradiction de motifs ;

- cet arrêté est entaché d'erreur d'appréciation s'agissant de l'impact du projet sur les chiroptères et l'avifaune ;

- cette décision est entachée d'erreur de fait et d'erreur d'appréciation s'agissant de l'existence d'un phénomène de saturation visuelle ;

- le motif tiré de l'impact sur les chiroptères et l'avifaune est entaché d'erreur de droit en l'absence de caractérisation des impacts et en l'absence de prescriptions pour réduire cet impact ;

- le motif tiré de l'impact sur les chiroptères est entaché d'erreur d'appréciation ; le dossier de demande fait apparaître un impact résiduel non significatif après les mesures d'évitement et de réduction ; les recommandations et lignes directrices de la SFEPM et d'Eurobats sont dépourvues de toute valeur réglementaire ; elle propose un plan de bridage renforcé ;

- le motif tiré de l'impact sur l'avifaune est entaché d'erreur d'appréciation ; le dossier de demande fait apparaître un impact résiduel négligeable après les mesures d'évitement et de réduction ;

- en raison de cet impact négligeable, elle n'avait pas à solliciter une dérogation espèces protégées ;

- le préfet ne pouvait lui opposer l'absence d'intégration des suivis naturalistes des projets voisins qui n'était prévu par aucune disposition ;

- le motif tiré de l'impact paysager et patrimonial est entaché d'erreur d'appréciation ; le site ne présente pas de qualité ou de sensibilité justifiant une protection particulière ; l'impact sur les monuments historiques n'est pas significatif ; l'effet de saturation lié au projet n'est pas établi en raison de son faible impact cumulé, du fait notamment de la présence de masques et de l'existence d'espaces de respiration ; les mesures de plantation de haies permettent de réduire la visibilité pour les habitations les plus proches.

Par des mémoires en intervention enregistrés le 1er mars 2022 et le 20 mars 2023, M. et Mme S... H... puis M. et Mme C... J..., M. et Mme S... H..., la commune de Saint-Martial, la commune de Saint-Pierre-de-L'isle, Mme V... W..., M. et Mme B... E..., M. et Mme N... X..., M. et Mme G... T..., M. et Mme P... U..., Mme F... I..., A... et Mme R... D..., M. et Mme Q... L..., M. et Mme O... M..., représentées par Me Monamy, concluent au rejet de la requête .

Ils soutiennent que :

- leur intervention est recevable dès lors qu'ils résident sur le territoire de la commune d'implantation du projet et/ou à proximité de celui-ci et qu'il aura un impact visuel important, il en est de même pour les communes, qui étaient incluses dans le périmètre de l'enquête publique et depuis lesquelles le projet est visible ; la production postérieure d'un mémoire en défense est de nature à régulariser une intervention ;

- ils s'associent aux conclusions en défense et aux moyens présentés par l'Etat ;

- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;

- n'ayant pas la qualité de partie, les frais irrépétibles ne peuvent être mis à leur charge.

Par un mémoire en défense enregistré le 3 mai 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable en application de l'article R. 412-1 du code de justice administrative en l'absence de production de la décision attaquée.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 septembre 2023, le préfet de la Charente-Maritime conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire à ce qu'une éventuelle annulation ne soit assortie que d'une injonction de réexamen.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés et à titre subsidiaire que la délivrance d'une autorisation par la cour n'est pas possible en l'absence de demande de dérogation espèce protégées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Christelle Brouard-Lucas,

- les conclusions de M. Romain Roussel Cera, rapporteur public,

- les observations de Me Terray, pour la société Parc éolien de la Jarrie-Audoin, de Mme K..., représentant le préfet de la Charente-Maritime et de Me Mazetier, représentant M. et Mme J... et autres.

Une note en délibéré présentée par la société Parc Eolien de la Jarrie-Audouin, représentée par Me Harada, a été enregistrée le 18 décembre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La société Parc éolien de la Jarrie-Audouin a déposé les 11 et 13 décembre 2019 une demande d'autorisation environnementale pour l'exploitation d'un parc éolien composé de 2 éoliennes et d'un poste de livraison situé sur la commune de la Jarrie-Audouin. Elle demande l'annulation de l'arrêté du 18 octobre 2021 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a refusé de lui délivrer cette autorisation.

Sur l'intervention :

2. Est recevable à former une intervention devant le juge du fond toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige.

3. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme U... résident sur le territoire de la commune de La Jarrie-Audoin à une distance d'environ 800 mètres de l'éolienne la plus proche, d'une hauteur de 180 mètre en bout de pales, sur laquelle ils auront une visibilité directe, il en est de même de M. et Mme J... qui résident en bordure est du lieu-dit du Petit Breuil sur la commune de Saint-Pierre-de-l'Isle, situé à une distance de 740 mètres de l'éolienne la plus proche en visibilité directe. Il suit de là qu'ils justifient d'un intérêt suffisant pour intervenir, comme ils le précisent dans leur mémoire du 17 mars 2023, au soutien des conclusions du ministre de la transition écologique tendant au rejet de la demande de la société.

4. Dès lors qu'au moins l'un des intervenants est recevable, une intervention collective est recevable. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'intérêt à intervenir des autres intervenants, l'intervention doit être admise.

Sur la légalité de l'arrêté du 18 octobre 2021 :

En ce qui concerne la régularité de la procédure :

5. En premier lieu, aux termes de l'article R. 181-40 du code de l'environnement : " Le projet d'arrêté statuant sur la demande d'autorisation environnementale est communiqué par le préfet au pétitionnaire, qui dispose de quinze jours pour présenter ses observations éventuelles par écrit (...) ".

6. Il résulte de l'instruction que la société Parc éolien de la Jarrie-Audoin a été invitée à présenter ses observations sur le projet d'arrêté par un courrier du 30 septembre 2021 auquel elle a répondu le 13 octobre suivant et que l'arrêté en litige comporte la mention de ces échanges. Par suite, et alors que ces dispositions n'impliquent pas que le préfet réponde précisément aux observations qui lui sont faites, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 181-40 du code de l'environnement doit être écarté.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 181-40 du code de l'environnement : " Le projet d'arrêté statuant sur la demande d'autorisation environnementale est communiqué par le préfet au pétitionnaire, qui dispose de quinze jours pour présenter ses observations éventuelles par écrit (...) ". Aux termes de l'article R. 181-16 du code de l'environnement : " (...) Lorsque l'instruction fait apparaître que le dossier n'est pas complet ou régulier, ou ne comporte pas les éléments suffisants pour en poursuivre l'examen, le préfet invite le demandeur à compléter ou régulariser le dossier dans un délai qu'il fixe. (...) ".

8. Si le préfet souligne que le projet ne comporte pas de demande de dérogation au titre des espèces protégées pour la destruction de site de reproduction ou d'aire de repos alors que les mesures d'évitement et de réduction prévues par le projet ne sont pas suffisantes pour ramener son impact sur les chiroptères et l'avifaune à un niveau acceptable, il ressort de la décision attaquée qu'elle se fonde uniquement sur la méconnaissance des intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Par suite, la requérante ne peut utilement soutenir que la décision serait insuffisamment motivée en l'absence de désignation des espèces devant faire l'objet d'une demande de dérogation et qu'elle aurait été prise en méconnaissance de l'article R. 181-16 du code de l'environnement en l'absence de demande de régularisation de son dossier par la production d'une telle demande.

En ce qui concerne le périmètre d'appréciation de l'impact du projet :

9. Aux termes du III de l'article L. 122-1 du code de l'environnement : " L'évaluation environnementale est un processus constitué de l'élaboration, par le maître d'ouvrage, d'un rapport d'évaluation des incidences sur l'environnement, dénommé ci-après " étude d'impact ", de la réalisation des consultations prévues à la présente section, ainsi que de l'examen, par l'autorité compétente pour autoriser le projet, de l'ensemble des informations présentées dans l'étude d'impact et reçues dans le cadre des consultations effectuées et du maître d'ouvrage. (...) Lorsqu'un projet est constitué de plusieurs travaux, installations, ouvrages ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, il doit être appréhendé dans son ensemble, y compris en cas de fractionnement dans le temps et dans l'espace et en cas de multiplicité de maîtres d'ouvrage, afin que ses incidences sur l'environnement soient évaluées dans leur globalité ".

10. Il résulte de l'instruction que la demande d'autorisation présentée par la société Parc éolien de la Jarrie-Audouin, pour 2 éoliennes E01 et E02 ainsi qu'un poste de raccordement s'inscrit dans un projet de 9 éoliennes et deux postes de raccordement, intitulé " projet éolien de la Jarrie-Audouin ", développé avec la société Ferme éolienne de la Jarrie-Audouin, qui a déposé de manière concomitante une demande d'autorisation portant sur les 7 éoliennes E03 à E09. Le dossier de demande comporte une étude d'impact commune réalisée à l'échelle du parc de 9 éoliennes. Cette étude d'impact précise que la société Nordex et la société Volkswind, " après avoir prospecté sur le même secteur d'étude chacune de leur côté (...) ont souhaité s'associer pour développer le présent projet en commun " et que " bien que le projet fasse l'objet de deux demandes d'autorisations environnementales, la rédaction de la présente étude d'impact est commune à l'ensemble de la zone d'étude et du projet éolien. ". Par suite, en prenant en compte l'impact global du projet éolien de la Jarrie-Audouin, le préfet, qui ne disposait au demeurant d'aucun élément relatif à l'impact spécifique des deux éoliennes de la société Parc éolien de la Jarrie-Audoin, ne s'est pas mépris sur le périmètre d'appréciation du projet. Dans ce contexte, la seule circonstance que la décision précise, avant de se prononcer sur l'impact du projet en matière d'encerclement et de saturation visuelle que l'étude d'impact produite par la société n'analyse que les effets sur le paysage du projet global, n'est pas de nature à révéler une contradiction de motifs. En outre, la société ne peut utilement se prévaloir de la circonstance qu'elle a déposé ultérieurement une demande d'autorisation pour un parc isolé de deux éoliennes situées au même endroit.

En ce qui concerne les motifs tirés de l'atteinte aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement :

11. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ". Aux termes de l'article L. 512-1 de ce code : " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. / L'autorisation, dénommée autorisation environnementale, est délivrée dans les conditions prévues au chapitre unique du titre VIII du livre Ier ". Et aux termes de l'article L. 181-3 du même code : " I.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas ".

S'agissant de l'atteinte à l'avifaune et aux chiroptères :

12. Si le préfet ne pouvait exiger que l'étude d'impact intègre les résultats des suivis naturalistes effectuées dans les parcs en exploitations proches du site d'implantation, il ne ressort pas de la décision attaquée que le préfet se serait fondé sur l'absence de prise en compte de ces études dans le dossier pour refuser la demande. Par ailleurs, il pouvait prendre en compte les résultats de ces études à titre d'élément de contexte pour apprécier la pertinence de l'étude d'impact figurant au dossier.

13. Il résulte de l'instruction que le projet éolien de la Jarrie-Audoin est situé en dehors des zones d'intérêt écologique et des corridors écologiques recensés et protégés au niveau régional et que les éoliennes sont implantées sur des parcelles de culture en milieu ouvert. Toutefois, il résulte de l'étude d'impact que ces parcelles se situent au sein d'un maillage de haies et de bosquets caractérisé par une grande richesse sur le plan de la biodiversité. S'agissant de l'avifaune, 94 espèces ont été recensées et l'étude retient en phase de chantier, un impact brut fort en période de reproduction pour l'Alouette des champs, la Bergeronnette printanière, le Bruant proyer, la Caille des blés, l'Œdicnème criard, l'Accenteur mouchet, le Bruant zizi, le Faucon hobereau, le Gobemouche gris, la Grive draine, la Mésange bleue, la Mésange charbonnière, la Pie-grièche écorcheur, le Pinson des arbres, le Rougegorge familier et la Sittelle torchepot, qui nichent de manière probable ou certaine à proximité du site d'implantation et un impact modéré pour le Bruant jaune, le Chardonneret élégant, la Corneille noire, le Coucou gris, l'Étourneau sansonnet, le Faucon crécerelle, la Fauvette à tête noire, la Fauvette des jardins, la Grive musicienne, le Grosbec casse-noyaux, la Huppe fasciée, l'Hypolaïs polyglotte, la Linotte mélodieuse, le Loriot d'Europe, le Merle noir, le Pic épeiche, le Pigeon ramier, le Pipit des arbres, le Pouillot véloce, le Roitelet à triple bandeau, le Rossignol philomèle, le Tarier pâtre, la Tourterelle des bois, le Troglodyte mignon et le Verdier d'Europe. Elle relève en phase d'exploitation un risque d'impact modéré par collision pour le Milan noir, la Bondrée apivore, le Busard Saint-Martin, et l'Œdicnème criard, inscrits à l'annexe I de la directive Oiseaux ainsi que la Buse variable, le Faucon crécerelle et le Faucon hobereau. L'étude d'impact considère cependant que ces risques sont ramenés à un niveau négligeable après les mesures d'évitement et de réduction envisagées par le projet. Toutefois, s'agissant de la phase chantier, les seules mesures consistant à ne pas démarrer les travaux durant la phase de reproduction et à mettre en place un suivi écologique de chantier en cas de travaux durant cette période ne permettent pas de considérer qu'il n'existe plus de risque de dérangement à l'égard des populations nicheuses. En ce qui concerne la phase d'exploitation, le tableau de comparaison des variantes permet de constater que l'étude retient comme mesure d'évitement faisant disparaître le risque de collision, le passage de 12 à 9 éoliennes et l'abandon des éoliennes situées le plus à l'ouest, alors qu'elle précise également que cette alternative entraîne uniquement une diminution et non une disparition de l'effet barrière du fait de l'existence de trouées limitées entre les éoliennes E01 à E07. Par ailleurs, la mesure de réduction n°4 qui consiste en l'enfouissement d'une ligne moyenne tension ne concerne pas les effets du parc lui-même, et au vu de la fréquentation de la zone pour la chasse et les parades nuptiales, la mesure n°3 de réduction de l'attractivité à la base des éoliennes ne paraît pas de nature à ramener à elle seule le risque de collision à un niveau non significatif. Au regard de ces enjeux significatifs et de ces incohérences, qui ont d'ailleurs conduit la missions régionales d'autorité environnementale (MRAe) à considérer que les mesures d'évitement et de réduction présentées étaient insuffisantes, et ne garantissent pas une absence d'impacts résiduels par le projet, le préfet a pu considérer sans commettre d'erreur d'appréciation que le projet portait atteinte à l'avifaune.

14. En ce qui concerne les chiroptères, l'étude naturaliste retient un risque d'impact modéré de collision et de barotraumatisme avec les éoliennes E02, E03, E04, E05, E06, E08 et E09 pour les populations de la Pipistrelle de Nathusius, de la Noctule commune, de la Pipistrelle commune, de la Noctule de Leisler, de la Sérotine commune et de la Pipistrelle de Kuhl, toutes saisons confondues, en raison du niveau de sensibilité très fort à fort de ce cortège pour ce risque et du fait qu'il fréquente particulièrement les lisières situées au nord et au sud du site, secteurs proches des éoliennes E04 et E09. Elle précise que le maillage bocager constitué de haies et de bosquets proche des éoliennes E02, E05 et E06 représente un secteur d'intérêt pour ce cortège en raison d'une forte activité globale et que la proximité des éoliennes E03 et E08 avec les éléments boisés induit un risque d'impact modéré vis-à-vis de ces espèces. Si l'étude des variantes retenues estime que ce risque a disparu du fait de la mesure d'évitement consistant en la suppression de deux éoliennes dans des zones à enjeux modérés, 4 éoliennes (E02, E03, E05, E04) sont toujours implantées dans ces zones et les éoliennes E01, E04 et E09 sont implantées à proximité immédiate de zones à enjeux forts. En outre, d'une part le projet prévoit la destruction de 95 mètres de haies et d'autre part les pales des éoliennes E02, E03, E08 sont à une distance de 50 mètres des haies et de la canopée et la garde au sol des éoliennes est de 30,25 mètres alors que l'étude naturaliste préconisait, au vu de l'activité observée, des distances respectives de 100 mètres et 40 mètres. Dans ce contexte, et alors que le tableau des risques résiduels se fonde uniquement sur une réduction significative des risques de mortalité tout en précisant que le risque de collision persiste, et que le plan de bridage ne permet de couvrir que 70% de l'activité observée des chiroptères, les mesures d'évitement et de réduction annoncées ne permettent pas de considérer que le projet ne porterait pas une atteinte excessive aux chiroptères. En outre, dès lors que l'impact du projet résulte du choix d'implantation des éoliennes dans une zone favorable aux chiroptères, la société n'est pas fondée à soutenir que le préfet aurait pu assortir une autorisation de prescriptions supplémentaires de nature à ramener le risque à un niveau négligeable. Par suite le préfet n'a commis ni erreur de droit, ni erreur d'appréciation en retenant le motif de l'atteinte aux chiroptères.

S'agissant de l'atteinte à la commodité de voisinage :

15. La circonstance que les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement incluent la protection des paysages ne fait pas obstacle à ce que l'impact visuel d'un projet, en particulier le phénomène de saturation visuelle qu'il est susceptible de produire, puisse être pris en compte pour apprécier ses inconvénients pour la commodité du voisinage au sens de cet article. Il appartient au juge de plein contentieux, pour apprécier les inconvénients pour la commodité du voisinage liés à l'effet de saturation visuelle causé par un projet de parc éolien, de tenir compte, lorsqu'une telle argumentation est soulevée devant lui, de l'effet d'encerclement résultant du projet en évaluant, au regard de l'ensemble des parcs installés ou autorisés et de la configuration particulière des lieux, notamment en termes de reliefs et d'écrans visuels, l'incidence du projet sur les angles d'occupation et de respiration, ce dernier s'entendant du plus grand angle continu sans éolienne depuis les points de vue pertinents.

16. Pour retenir l'existence d'une saturation visuelle et d'un effet d'encerclement le préfet s'est fondé sur les indices de saturation visuelle aux abords du château de Villeneuve-la-Comtesse et de l'église Saint-Martial, du village de la Chapelle-Bâton, à l'est de Loulay, et depuis l'église Sainte-Madeleine située dans le bourg de la Jarrie-Audoin. Il relève également que le dossier ne comporte aucun élément permettant d'apprécier ces indices pour les hameaux de Pouzat, les Groies et les Perrières situés dans un rayon de 4 kilomètres du projet.

17. Il résulte de l'instruction que, s'agissant des abords du château de Villeneuve-la-Comtesse, si les indices de saturation dépassent les seuils habituellement retenus, une partie des parcs éoliens en cause sont situés à plus de 5 kilomètres. En outre, la distance et la présence de végétation permettent de limiter leur prégnance dans le paysage, et le lieu de prise de vue ne correspond pas à une zone habitée. Si pour le point de vue situé à l'est de Loulay, l'étude fait ressortir un impact important et une saturation vers l'est avec un indice d'occupation de l'horizon de 166° sur un peu plus de 180° de champ de vision et n'apporte pas d'élément, pour justifier que le très léger relief suffirait à manquer les nombreux parcs présents à l'ouest, ce point de vue se trouve dans une zone de champs agricoles sans habitation à proximité immédiate. Concernant le point de vue depuis l'église de Saint-Martial, si l'étude ne justifie pas d'avantage de l'absence de visibilité des éoliennes situées à l'est de ce point de vue, il s'agit également d'un site dépourvu d'habitations.

18. En revanche, il résulte de l'instruction que le depuis le village de la Chapelle-Bâton, les éoliennes du projet, situé à moins de 2 kilomètres, seront visibles depuis le cœur du village, et que le projet fait passer l'indice d'occupation au sud et à l'est de 210 à 241,4°, près des trois-quarts de l'horizon étant ainsi occupés, ne laissant plus qu'un angle de respiration de 106° bien en dessous du seuil d'alerte communément retenu de 160°. En outre la proximité des parcs concernés entraîne une très forte prégnance du motif éolien quand bien même toutes les éoliennes ne seraient pas toujours visibles du fait de l'interpositions des bâtiments ou de la végétation. L'implantation du parc en projet contribue ainsi à créer, en tenant compte des aérogénérateurs déjà présents, un effet d'encerclement. De même depuis le bourg de la Jarrie-Audoin, la visibilité du projet est très forte en plusieurs point du village, occupant un angle important de 110°, qui s'ajoute aux parcs existants, et, ainsi que le préfet le fait valoir en défense, le parc en projet entraîne un effet de rupture d'échelle et d'écrasement du fait de la proximité et de la taille des éoliennes ainsi que de leur étalement et de leur positionnement en continuité directe avec le parc d'Antezan-Pardoult, qui contribue à créer un effet d'encerclement pour les horizons depuis l'est du village. En outre, les mesures compensatoires prévues par la société, qui consistent en la plantation de haies et d'arbres le long de voies de circulation afin de créer des écrans végétaux permettant d'atténuer la visibilité des machines, ne permettront pas de masquer les éoliennes depuis les habitations. Au regard de ces éléments, le projet éolien de la Jarrie-Audouin aura pour effet d'accentuer de manière significative le motif éolien, déjà prégnant dans ces lieux de vie entrainant un effet d'encerclement ou de saturation visuelle. Ainsi, le préfet n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que le projet portait une atteinte à la commodité du voisinage et que les mesures compensatoires prévues par la requérante sont insuffisantes. A cet égard, la requérante ne saurait utilement se prévaloir de l'étude d'impact réalisée en 2022 dans le cadre d'une nouvelle demande d'autorisation environnementale portant sur deux éoliennes implantées au même endroit que les éoliennes E01 et E02, qui porte sur un projet différent et est, au demeurant, contradictoire avec celle réalisée en 2017 par le même bureau d'étude s'agissant de la visibilité des parcs alentours.

19. Au vu de ce qui a été dit au point 8, dès lors que la décision en litige n'est pas fondée sur l'absence de demande de dérogation au titre des espèces protégées, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation commise par le préfet en exigeant une telle demande doit être écarté.

20. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête, que les conclusions à fin d'annulation de la société Parc éolien de la Jarrie-Audoin ne peuvent qu'être rejetés. Il en est de même que, par voie de conséquences de ses conclusions tendant à la délivrance de l'autorisation demandée et à fin d'injonction de réexamen ainsi que de ses demandes présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : L'intervention de M. et Mme J... et autres est admise.

Article 2 : La requête de la société Parc éolien de la Jarrie-Audoin est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Parc éolien de la Jarrie-Audoin, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à M. et Mme J... en qualité de représentants uniques au titre de l'article R. 751-3 du code de justice administrative.

Copie en sera adressée au préfet de la Charente-Maritime.

Délibéré après l'audience du 14 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Claude Pauziès, président,

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,

Mme Kolia Gallier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 décembre 2023.

La rapporteure,

Christelle Brouard-LucasLe président,

Jean-Claude Pauziès

La greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21BX04588 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21BX04588
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PAUZIÈS
Rapporteur ?: Mme Christelle BROUARD-LUCAS
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL CERA
Avocat(s) : MONAMY

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;21bx04588 ?
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