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21/12/2023 | FRANCE | N°21BX03774

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 21 décembre 2023, 21BX03774


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 4 février 2019 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Dijon

a rejeté son recours hiérarchique formé à l'encontre de la décision du 18 décembre 2018

par laquelle la directrice adjointe de la maison centrale de Saint-Maur l'a déclassé de son emploi d'auxiliaire à la bibliothèque, et d'enjoindre à la directrice de la maison centrale de le ré

intégrer dans cet emploi.



Par un jugement n° 1900574 du 22 juillet 2021, le tribunal a requal...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 4 février 2019 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Dijon

a rejeté son recours hiérarchique formé à l'encontre de la décision du 18 décembre 2018

par laquelle la directrice adjointe de la maison centrale de Saint-Maur l'a déclassé de son emploi d'auxiliaire à la bibliothèque, et d'enjoindre à la directrice de la maison centrale de le réintégrer dans cet emploi.

Par un jugement n° 1900574 du 22 juillet 2021, le tribunal a requalifié les conclusions comme dirigées contre les décisions des 18 décembre 2018 et 4 février 2019, et a annulé

ces décisions.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 septembre 2021, le garde des sceaux, ministre

de la justice, demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de M. D....

Il soutient que :

- les pièces produites, un courriel du 28 janvier 2019 rédigé par l'adjointe au chef d'établissement récapitulant les faits et les pièces qui lui sont annexées, démontrent l'existence du conflit avec M. C..., ainsi que l'attitude inadaptée de M. D... à son poste de travail ; c'est ainsi à tort que le tribunal a estimé que la matérialité des faits n'était pas établie ; la décision n'est entachée d'aucune erreur d'appréciation ;

- en ce qui concerne les autres moyens invoqués devant le tribunal, il s'en rapporte à ses écritures de première instance, qu'il produit.

Par un mémoire en défense enregistré le 31 mai 2022, M. D..., représenté par la SCP Gury et Maître, conclut au rejet de la requête et demande à la cour d'annuler le jugement en ce qu'il a omis de statuer sur les conclusions à fin d'injonction, d'enjoindre à l'Etat de le réintégrer dans son emploi d'auxiliaire à la bibliothèque de la maison centrale de Saint-Maur dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il fait valoir que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il a omis de statuer sur ses conclusions à fin d'injonction ;

- les éléments produits en appel par le ministre ne sont pas de nature à mettre en cause l'annulation de la décision du 18 décembre 2018 prononcée par le tribunal pour erreur manifeste d'appréciation, dès lors que la note du psychologue produite pour la première fois en appel n'a pas été soumise au contradictoire et porte à son encontre des accusations erronées, et que le courriel de l'adjointe au chef d'établissement ne comporte aucun élément nouveau ;

- l'annulation pour erreur manifeste d'appréciation de la décision de déclassement implique sa réintégration ;

- à titre subsidiaire, la décision de déclassement est insuffisamment motivée et a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que la suspension a été prolongée au-delà

de 5 jours et qu'il n'a pas été mis en mesure de se défendre sur les conclusions de l'administration relatives à l'inventaire de la bibliothèque réalisé le 27 décembre 2018.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une

décision du 28 octobre 2021, modifiée par une décision du 14 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., incarcéré en dernier lieu à la maison centrale de Saint-Maur depuis

le 15 avril 2004, était classé depuis 2005 dans un emploi d'auxiliaire de bibliothèque de cet établissement. Par une décision du 18 décembre 2018, la directrice adjointe de la maison centrale l'a déclassé de cet emploi pour insuffisance professionnelle, au motif que son comportement était inadapté à ce poste de confiance, et son recours hiérarchique, qui n'était alors pas obligatoire, a été rejeté par une décision du directeur interrégional des services pénitentiaires de Dijon du 4 février 2019. M. D... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 4 février 2019 et d'enjoindre à l'administration de le réintégrer sur son poste. Le garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel du jugement du 22 juillet 2021 par lequel

le tribunal, après avoir requalifié les conclusions comme dirigées contre les deux décisions

du 18 décembre 2018 et du 4 février 2019, a annulé la première pour erreur manifeste d'appréciation, et la seconde pour méconnaissance du principe du contradictoire, en l'absence de communication à l'intéressé de faits révélés par un inventaire de la bibliothèque postérieur à la décision initiale, sur lequel l'autorité hiérarchique s'était fondée pour confirmer cette dernière. Par son appel incident, M. D... demande qu'il soit fait droit à ses conclusions à fin d'injonction, sur lesquelles les premiers juges ont omis de statuer.

Sur la régularité du jugement :

2. Le jugement n'a pas statué sur les conclusions à fin d'injonction de M. D.... Il est ainsi irrégulier, et doit être annulé dans cette mesure. Il y a lieu de se prononcer sur ces conclusions par voie d'évocation, et sur le surplus par l'effet dévolutif de l'appel.

Sur l'appel du ministre :

En ce qui concerne la décision du 18 décembre 2018 :

3. Aux termes de l'article D. 432-4 du code de procédure pénale alors applicable : " Lorsque la personne détenue s'avère incompétente pour l'exécution d'une tâche, cette défaillance peut entraîner le déclassement de cet emploi. / Lorsque la personne détenue ne s'adapte pas à un emploi, elle peut faire l'objet d'une suspension, dont la durée ne peut excéder cinq jours, afin qu'il soit procédé à une évaluation de sa situation. A l'issue de cette évaluation, elle fait l'objet soit d'une réintégration dans cet emploi, soit d'un déclassement de cet emploi en vertu de l'alinéa précédent. / (...). "

4. Il ressort des pièces du dossier que la décision de déclassement a été prise alors que M. D... exerçait l'emploi d'auxiliaire de bibliothèque à la maison centrale de Saint-Maur depuis plus de treize ans, et que son adaptation à cet emploi n'avait jamais été mise en cause. Si la décision du 18 décembre 2018 fait référence à des " comptes rendus professionnels

faisant état à plusieurs reprises de critiques et de menaces à l'égard d'un détenu autorisé par la hiérarchie à emprunter des ouvrages à la bibliothèque ", seule une altercation verbale a été rapportée le 26 juin 2018 par un surveillant qui n'y avait pas assisté, et cet incident, dont les circonstances demeurent incertaines, n'a donné lieu à aucune procédure disciplinaire. L'existence de réflexions à l'égard de la conseillère pénitentiaire d'insertion et de probation (CPIP) chargée de la bibliothèque sur le choix et le renouvellement des livres est corroborée par un compte-rendu de cette conseillère du 17 janvier 2019, selon lequel M. D... avait fait part de son mécontentement en décembre 2014 au sujet du non-renouvellement de l'abonnement au Monde Diplomatique et s'était offusqué de l'acquisition de bandes dessinées qu'il estimait trop violentes, mais les missions de l'auxiliaire de bibliothèque incluent un rôle consultatif pour l'achat de livres, et il ne ressort pas des pièces du dossier que M. D..., qui a continué à être sollicité pour établir des listes de livres à acquérir pour la bibliothèque, se serait exprimé de manière inappropriée. Enfin, les critiques à l'égard du chef de détention lorsque la bibliothèque fait l'objet de fouilles administratives se rapportent à une fouille du 3 décembre 2018, après laquelle M. D... se serait " indigné " d'avoir retrouvé la bibliothèque souillée par des traces de pattes de chien et un sachet de nourriture pour poissons éventré, ce qui, en l'absence d'élément caractérisant une réaction excessive, n'apparaît pas particulièrement critiquable dès lors que l'auxiliaire est chargé du nettoyage des locaux. Les " interventions inappropriées à l'occasion des visites d'autorités administratives ", avec une contestation du choix des thèmes des ouvrages achetés, ne sont pas documentées quant aux dates, aux interlocuteurs et aux propos tenus. C'est ainsi à bon droit que le tribunal a annulé la décision du 18 décembre 2018 pour erreur manifeste d'appréciation.

En ce qui concerne la décision du 4 février 2019 :

5. Il est constant que M. D... n'a pas été invité à présenter ses observations sur les nouveaux griefs opposés par le directeur interrégional, tirés des constats réalisés lors d'un inventaire de la bibliothèque effectué le 27 décembre 2018, postérieurement au déclassement. Dans ces circonstances, la décision de déclassement ne pouvait reposer sur les faits ainsi reprochés à l'auxiliaire de bibliothèque, et la décision du 4 février 2019 ne pouvait qu'être annulée.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a annulé les décisions du 18 décembre 2018 et du 4 février 2019.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

7. Le présent arrêt implique seulement qu'il soit enjoint à l'administration de réexaminer la situation de M. D.... Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'enjoindre au directeur de la maison centrale de Saint-Maur de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

8. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de

l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros, à verser à Me Gury.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Limoges n° 1900574 du 22 juillet 2021 est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions à fin d'injonction de M. D....

Article 2 : L'appel du garde des sceaux, ministre de la justice, est rejeté.

Article 3 : Il est enjoint au directeur de la maison centrale de Saint-Maur de réexaminer la situation de M. D... et de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Gury une somme de 1 200 euros au titre des dispositions

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de

la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de M. D... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice,

à M. A... D..., au directeur de la maison centrale de Saint-Maur et à Me Gury.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.

La rapporteure,

Anne B...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 21BX03774


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03774
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : SCP GURY ET MAITRE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;21bx03774 ?
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