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20/12/2023 | FRANCE | N°23PA04377

France | France, Cour administrative d'appel, 7ème chambre, 20 décembre 2023, 23PA04377


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. G... F... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 2 août 2023 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile.



Par un jugement n° 2318691/8 du 16 septembre 2023, le Tribunal administratif de Paris, après avoir admis M. F... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a, d'une part, annulé l'arrêté attaqué, d'autre part, enjoint au préfet de po

lice de délivrer à l'intéressé une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... F... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 2 août 2023 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2318691/8 du 16 septembre 2023, le Tribunal administratif de Paris, après avoir admis M. F... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a, d'une part, annulé l'arrêté attaqué, d'autre part, enjoint au préfet de police de délivrer à l'intéressé une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de dix jours et mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros à Me Pafundi, sous réserve que ce dernier renonce à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 19 octobre 2023, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2318691/8 du 16 septembre 2023 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. F... devant le Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- l'état de santé de M. F... n'est pas incompatible avec un transfert en Italie et la décision n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation quant à la mise en œuvre de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- c'est en outre à tort que le Tribunal administratif de Paris lui a enjoint de délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale dès lors que, l'intéressé ayant sollicité l'asile en Italie et en France sous des identités et des dates de naissances différentes, sa situation relève du 2° du A... de l'article L. 723-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui prévoit un examen de la demande d'asile en procédure accélérée ;

- l'arrêté attaqué a été signé par une autorité compétente ;

- il est suffisamment motivé ;

- la procédure de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 a été respectée ;

- l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 n'a pas été méconnu, qui prévoit le droit à un entretien individuel ;

- l'intéressée a bénéficié d'un entretien conformément aux dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration manque en fait dès lors que l'intéressé a été reçu par les services de la préfecture le 26 juillet 2023, avant l'édiction de l'arrêté en cause et a ainsi pu présenter ses observations en temps utile ;

- le moyen tiré de la méconnaissance des articles 21 et 22 du règlement (UE) n° 604/2013 manque en fait dès lors que les autorités italiennes ont en réalité bien été saisies de la demande et qu'elles ont fait connaître leur accord de façon explicite le 21 mars 2023 ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 manque en fait dès lors que le préfet apporte la preuve que les informations relatives à la mise en œuvre de son transfert ont été communiquées à l'intéressé notamment par la remise d'un laissez-passer ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 32 de ce règlement est inopérant dès lors que cet article n'impose pas que l'échange d'informations ait lieu avant l'édiction de la décision de transfert, mais seulement dans un délai raisonnable avant le transfert effectif de l'intéressé, de sorte que les autorités italiennes seront informées de l'état de santé du requérant lors de son transfert vers l'Italie ;

- l'arrêté est entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard des défaillances systémiques des autorités italiennes dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile, de sorte que la décision litigieuse méconnaît l'article 3 du règlement n° 604/2013 ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne manque en fait dès lors que l'arrêté en cause n'implique pas son renvoi dans son pays d'origine par les autorités italiennes ;

- l'arrêté ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni n'est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

La requête du préfet de police a été communiquée à M. F..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Auvray a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. G... F..., ressortissant guinéen déclarant être né le 10 mai 1998, est entré irrégulièrement en France et y a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du fichier Eurodac ayant révélé que l'intéressé avait franchi irrégulièrement les frontières italiennes le 28 octobre 2022, le préfet de police a adressé aux autorités de ce pays une demande de prise en charge de M. F... en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, que les autorités italiennes ont acceptée de façon expresse le 21 mars 2023. Le préfet de police a, en conséquence, décidé du transfert de M. F... aux autorités italiennes par un arrêté du 30 mai 2023, lequel a été annulé par un jugement n° 2313810/8 du 13 juillet 2023 du Tribunal administratif de Paris au motif que le préfet n'établissait pas que l'intéressé avait été mis en possession de la brochure B intitulée " Je suis sous procédure C... - Qu'est-ce que cela signifie ' ". En conséquence de ce jugement, M. F... a été convoqué une nouvelle fois et, après un examen d'ensemble de sa situation, le préfet de police a, le 2 août 2023, pris un nouvel arrêté de transfert de l'intéressé vers l'Italie que le Tribunal administratif de Paris a, par un jugement n° 2318691/8 du 16 septembre 2023, également annulé. Par la présente requête, le préfet de police relève appel de ce jugement du 16 septembre 2023.

Sur le moyen d'annulation retenu par le Tribunal :

2. Aux termes de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe par en vertu des critères fixés par le présent règlement ".

3. Dans son arrêt C-578/16 PPU du 16 février 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a interprété ces dispositions dans le sens que, lorsque le transfert d'un demandeur d'asile présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave est susceptible d'entraîner un risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, un tel transfert constitue un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. La Cour en a déduit que les autorités de l'État membre concerné doivent vérifier auprès de celles de l'État membre responsable que les soins indispensables et appropriés à l'état de santé du demandeur d'asile seront disponibles à l'arrivée et que le transfert n'entraînera pas, par lui-même, un risque réel d'une aggravation significative et irrémédiable de cet état. Elle a en outre précisé que, au cas où ces autorités s'apercevraient que l'état de santé du demandeur d'asile ne devait pas s'améliorer à court terme ou que la suspension pendant une longue durée de la procédure risquait d'aggraver son état, l'État membre requérant pourrait choisir d'examiner lui-même la demande du demandeur en faisant usage de la " clause discrétionnaire " prévue par les dispositions qui précèdent. Toutefois, la faculté pour les autorités françaises d'examiner une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un État tiers, alors même que cet examen ne leur incombe pas, relève du pouvoir discrétionnaire du préfet et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

4. Pour annuler l'arrêté contesté, le tribunal a considéré que le préfet de police avait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de faire application de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 précité du règlement dit " C... A... ", l'état de santé de M. F..., atteint d'une pathologie chronique du foie en cours de poussée, nécessitant un traitement lourd dont la poursuite est qualifiée d'indispensable, incompatible avec un transfert vers l'Italie, qui serait susceptible d'entraîner a minima à court terme, un arrêt de tout traitement en l'absence au dossier de tout élément permettant de s'assurer qu'un suivi équivalent pourrait être mis en place en Italie.

5. Toutefois, s'il est constant que l'état de santé de M. F..., qui a levé le secret médical, nécessite un suivi en raison d'une pathologie hépatique en cours de poussée, il ne ressort pas des seuls documents médicaux produits que ce suivi médical, entamé seulement depuis son arrivée en France au début de l'année 2023 et pour lequel il est pris en charge à l'hôpital Saint-Antoine, ne pourrait pas être poursuivi en Italie, ni qu'il existerait un risque réel d'aggravation significative et irrémédiable de cet état de santé du fait du seul transfert dans ce pays, alors surtout qu'il ressort d'un certificat médical du 29 juin 2023 que l'intéressé est traité par un antiviral administré per os depuis le mois de mars 2023, que la charge virale a depuis lors diminué, que la perte de poids est stabilisée et que, selon un courrier du 28 août 2023 émanant également de l'hôpital Saint-Antoine, la prochaine consultation n'est fixée que pour le 13 novembre 2023. Dans ces conditions, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 2 août 2023 et lui a enjoint de délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale, le préfet faisant en outre valoir que la situation de l'intéressé relève de la procédure accélérée en application des dispositions du 2° du A... de l'article L. 723-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. F... en première instance.

Sur les autres moyens soulevés par M. F... :

7. En premier lieu, par un arrêté n° 2023-00059 du 23 janvier 2023 régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs spécial n° 75-2023-056 de la préfecture de police, le préfet de police a donné à Mme B... D..., attaché principal d'administration de l'Etat, délégation à l'effet de signer les décisions dans la limite de ses attributions, dont relève la police des étrangers, en cas d'absence ou d'empêchement d'autorités dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles n'ont pas été absentes ou empêchées lors de la signature de la décision litigieuse. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige aurait été signé par une autorité incompétente doit être écarté comme manquant en fait.

8. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué mentionne les considérations de fait et de droit qui en sont le fondement et, notamment, celles qui ont permis de déterminer l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile de M. F.... Par suite, cet arrêté, qui répond aux exigences de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est suffisamment motivé.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre A... afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un Etat membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre A... ou vers le premier Etat membre auprès duquel la demande a été introduite, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable devient l'Etat membre responsable ".

10. Le système européen commun d'asile a été conçu de telle sorte qu'il est permis de supposer que l'ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux. Ainsi, il est présumé que l'Italie, Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, assure un traitement des demandeurs d'asile respectueux de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Cependant, cette présomption peut être renversée s'il y a des raisons sérieuses de croire qu'il existe des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte.

11. M. F... soutient, en termes généraux, que l'Italie connaît des défaillances systémiques dues au durcissement de sa politique migratoire depuis l'arrivée au gouvernement de M. E... et se prévaut, sans d'ailleurs les produire, du rapport de l'organisation suisse d'aide aux réfugiés publié le 10 juin 2021, d'une note datée du 5 décembre 2022 du ministre italien de l'intérieur qui demande une suspension des transferts " C... " du fait de l'importance des flux migratoires ainsi que de décisions de juridictions de certains Etats de l'Union. L'intéressé relève en outre, sans toutefois documenter ses allégations de façon précise et actualisée, que les migrants connaissant de graves problèmes de santé rencontrent en Italie des difficultés croissantes d'accès aux soins.

12. Toutefois, la note du 5 décembre 2022 du ministre de l'intérieur italien invoquée par M. F... se borne à demander à ses homologues " une suspension temporaire " des transferts de demandeurs d'asile en Italie pour des motifs purement techniques liés à la saturation des centres d'accueil, sans du reste que soit abordée la question de l'accès aux soins des demandeurs d'asile. Par ailleurs, alors qu'il n'est pas même allégué que la Commission européenne aurait, sur le fondement de l'article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, adressé aux autorités italiennes une lettre de mise en demeure quant à l'existence de défaillances systémiques, il ressort des pièces versées aux débats que c'est par une décision expresse du 21 mars 2023 que les autorités italiennes ont accepté la prise en charge de la demande d'asile de M. F... dont le transfert a été ordonné par l'arrêté litigieux pris le 2 août 2023, soit plus de sept mois après la note du ministre de l'intérieur italien. Dans ces conditions, et eu égard à ce qui a été dit notamment au point 5 du présent arrêt, il ressort des pièces du dossier que les craintes de M. F... quant à l'existence de défaillances systémiques en Italie notamment au regard des conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile dont l'état de santé nécessite une prise en charge ne sont pas fondées.

13. En quatrième lieu, en vertu du paragraphe 3 de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 et des paragraphes 2 et 3 de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'intégralité des informations qui, en application des paragraphes 1 de chacun de ces articles, doivent être fournies aux personnes concernées dans une langue qu'elles comprennent ou dont on peut raisonnablement penser qu'elles la comprennent, figure dans des brochures communes rédigées par la Commission.

14. Il ressort des pièces du dossier que M. F... s'est vu remettre le 26 juillet 2023 les documents d'information dits brochures A et B qui, intitulés respectivement " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande " et " Je suis sous procédure C... - qu'est-ce que cela signifie ' ", portent sa propre signature et qui constituent les brochures communes prévues par les dispositions de l'article 4 du règlement précité, en langue malinké, langue qu'il a déclaré comprendre. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.

15. En cinquième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / [...] 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national [...] ".

16. Il ressort des pièces du dossier que M. F..., assisté d'un interprète en langue malinké, a bénéficié, le 23 mai 2023, puis le 26 juillet 2023, dans les locaux de la préfecture de police, d'un entretien individuel assuré par un agent de la préfecture de police dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il n'aurait pas été qualifié pour conduire l'entretien. En tout état de cause, il ressort du compte-rendu de cet entretien qu'il a permis de déterminer l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile de l'intéressé. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

17. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou se faire représenter par un mandataire de son choix ". Compte tenu de la procédure spéciale mise en place par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 qui prévoit notamment, à son article 5, le droit à un entretien individuel préalable à l'édiction de l'arrêté de transfert, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration est inopérant, la circonstance que, comme le relève M. F..., l'arrêté litigieux mentionne " vous êtes informé que vous pouvez présenter des observations, avertir un conseil ou une personne de votre choix " étant sans incidence sur la légalité de l'arrêté en cause, cette mention, qui figure au pied de l'arrêté, après la signature de l'autorité administrative et celle de l'administré, ne se rapportant pas à la procédure devant être suivie préalablement à l'édiction de la mesure contestée.

18. En septième lieu, aux termes de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 : " (...) 1. L'Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'n autre Etat membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre Etat membre aux fins de prise en charge du demandeur (...) ; aux termes de l'article 22 de ce règlement : (...) 1. L'Etat membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur dans un délai de deux mois à compter de la réception de la requête. 2. Dans le cadre de la procédure de détermination de l'Etat membre responsable, des éléments de preuve et des indices sont utilisés (...) ".

19. M. F... fait grief au préfet de police de ne point établir qu'il aurait adressé une requête aux autorités italiennes et que ces dernières y auraient répondu. Or, il ressort des pièces versées aux débats par le préfet de police que l'intéressé s'est vu remettre le 26 janvier 2023 une attestation de demandeur d'asile et que les autorités italiennes, saisies dès le 31 janvier 2023 d'une requête en prise en charge de l'examen de la demande d'asile de l'intéressé, ont fait connaître leur accord exprès le 21 mars 2023. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des articles 21 et 22 dudit règlement manque en fait et ne peut, dès lors, qu'être écarté.

20. En huitième lieu, aux termes du paragraphe 2 de l'article 26 de ce même règlement : " La décision visée au paragraphe 1 contient des informations sur les voies et délais de recours disponibles (...) et à la mise en œuvre du transfert et comporte, si nécessaire, des informations relatives au lieu et à la date auxquels la personne concernée doit se présenter si cette personne se rend par ses propres moyens dans l'Etat membre responsable ".

21. M. F... soutient que les informations nécessaires pour qu'il se présente par ses propres moyens aux autorités italiennes ne lui ont pas été données. Or, il ressort des pièces versées aux débats par le préfet de police que, contrairement aux affirmations de l'intéressé, ces informations, de nature à lui permettre d'exécuter spontanément la décision de transfert litigieuse, figurent sur le laissez-passer établi le 2 août 2022 en possession duquel il ne conteste pas avoir été mis.

22. En neuvième lieu, aux termes de l'article 32 de ce règlement : " Aux seules fins de l'administration de soins ou de traitements médicaux, notamment aux personnes handicapées, aux personnes âgées, aux femmes enceintes, aux mineurs et aux personnes ayant été victimes d'actes de tortures, de viol ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, l'Etat membre procédant au transfert transmet à l'Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer, dans la mesure où l'autorité compétente conformément au droit national dispose de ces informations, lesquelles peuvent dans certains cas porter sur l'état de santé physique ou mentale de cette personne (...) ".

23. M. F... fait grief au préfet de police de ne pas avoir fourni ces informations aux autorités italiennes. Outre qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé aurait fait état de ses problèmes de santé aux autorités compétentes, notamment durant l'entretien individuel, il résulte des dispositions citées au point précédent que de telles informations n'ont pas à être fournies avant l'édiction de la mesure de transfert, mais en temps utile avant le transfert effectif prévu en l'espèce pour la mi-janvier 2024.

24. En dixième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

25. Eu égard à la faible durée de sa présence en France et à la circonstance qu'il n'y a aucune famille, et alors qu'ainsi qu'il a été dit, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé ne pourrait pas bénéficier en Italie d'une prise en charge adaptée à son état de santé, l'arrêté contesté n'a pas porté au droit de M. F... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a été pris. Dans ces conditions, M. F... n'est pas fondé à soutenir que cet arrêté méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, il n'est pas davantage fondé à soutenir qu'il serait entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa vie personnelle.

26. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 2 août 2023 et lui a enjoint de délivrer à M. F... une attestation de demande d'asile en procédure normale. Les conclusions de la demande présentée par ce dernier devant le Tribunal administratif de Paris, auxquelles cette juridiction a fait droit, doivent, dès lors, être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2318691/8 du 16 septembre 2023 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par M. F... devant le Tribunal administratif de Paris, auxquelles cette juridiction a fait droit par les articles 2, 3 et 4 de son jugement, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. G... F....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Auvray, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente-assesseure,

- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 décembre 2023.

Le président-rapporteur,

B. AUVRAYL'assesseur le plus ancien,

P. HAMON

La greffière,

L. CHANALa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA04377


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA04377
Date de la décision : 20/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. AUVRAY
Rapporteur ?: M. Brice AUVRAY
Rapporteur public ?: Mme JURIN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-20;23pa04377 ?
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