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20/12/2023 | FRANCE | N°23MA00809

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 20 décembre 2023, 23MA00809


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... B... et Mme C... E... épouse B... ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler les arrêtés du 7 avril 2022 par lesquels le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de leur délivrer un titre de séjour et leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de renvoi.



Par deux jugements nos 2206130 et 22006131 du 10 novembre 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leurs

demandes.





Procédure devant la Cour :



I°) Par une requête enregistrée le 3 a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... et Mme C... E... épouse B... ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler les arrêtés du 7 avril 2022 par lesquels le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de leur délivrer un titre de séjour et leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de renvoi.

Par deux jugements nos 2206130 et 22006131 du 10 novembre 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la Cour :

I°) Par une requête enregistrée le 3 avril 2023, sous le n° 23MA00809, M. B..., représenté par Me Chartier, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2206130 du tribunal administratif de Marseille du 10 novembre 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 7 avril 2022 qui le concerne ;

3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, sur le fondement des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié ", dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous une astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa demande, dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt, sous une astreinte de 50 euros par jour de retard;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, la somme de 2 000 euros à verser à son conseil, qui renonce dans ce cas à percevoir la part contributive de l'Etat due au titre de l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- la décision attaquée a été prise sans examen particulier de sa situation personnelle, le préfet n'ayant notamment pas examiné sa demande d'admission exceptionnelle au séjour au regard de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce qui a entaché sa décision d'erreur de droit ;

- la décision attaquée, qui a été prise sans saisine préalable de la commission du titre de séjour et du droit d'asile prévue à l'article L. 432-13, 4° du code de l'entrée et du séjour des étrangers pour les étrangers qui demandent un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-23 ou de l'article L. 435-1 du même code, est entachée d'un vice de procédure ;

- le refus de séjour attaqué méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il méconnaît en outre l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il remplit les critères de la circulaire Valls du 28 novembre 2012.

Le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas produit d'écritures.

II°) Par une requête enregistrée le 3 avril 2023, Mme B..., représentée par Me Chartier, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2206131 du tribunal administratif de Marseille du 10 novembre 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 7 avril 2022 qui la concerne ;

3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, sur le fondement des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié ", dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous une astreinte de 100 euros par jour de retard, et à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa demande, dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt, sous une astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 la somme de 2 000 euros à verser à son conseil, qui renonce dans ce cas à percevoir la part contributive de l'Etat due au titre de l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

- la décision attaquée a été prise sans examen particulier de sa situation personnelle ;

- la décision attaquée, qui a été prise sans saisine préalable de la commission du titre de séjour et du droit d'asile prévue à l'article L. 432-13, 4° du code de l'entrée et du séjour des étrangers pour les étrangers qui demandent un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-23 ou de l'article L. 435-1 du même code, est entachée d'un vice de procédure ;

- le refus de séjour attaqué méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il méconnaît en outre l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas produit d'écritures.

M. B... et Mme B... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 3 mars 2023.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Renaud Thielé, président assesseur de la 6ème chambre pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure.

Considérant ce qui suit :

1. Par deux arrêtés du 7 avril 2022, le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté les demandes de titre de séjour que lui avait présentées, les 28 et 29 septembre 2021, Mme B... et M. B..., ressortissants arméniens, et a assorti ces décisions d'obligations de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. M. et Mme B... relèvent appel des jugements du 10 novembre 2022 par lesquels le tribunal administratif de Marseille a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur la jonction :

2. Les affaires enregistrées sous les nos 23MA00809 et 23MA00810 présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur le bien-fondé des jugements :

3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

4. M. D... B... et Mme C... B... sont arrivés en France courant 2011 avec leurs deux fils. Ils ont signé le 23 août 2011 un bail de location pour un appartement situé dans le 14e arrondissement de Marseille, et produisent des quittances de loyers correspondantes pour les années 2012 et 2013, ainsi que des courriers de l'administration fiscale établis à cette adresse pour les mêmes années. Ils justifient aussi de cartes d'aide médicale d'état régulièrement renouvelées respectivement à compter de février et mai 2014 et toutes les années suivantes. Ainsi, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, les requérants justifient donc être présents de manière habituelle en France depuis 2011, soit depuis plus de dix ans à la date de la décision attaquée. Leurs deux fils, désormais majeurs, résident régulièrement en France, sous couvert de cartes de résident valables respectivement jusqu'en 2027 et 2031, et exercent tous deux une activité d'auto-entrepreneur dans le bâtiment, pour laquelle l'un d'eux, Sargis, justifie avoir acquis en décembre 2020 un local à usage de commerce dans le 9e arrondissement de Marseille. Les épouses de ces deux fils bénéficient également de cartes de séjour valables jusqu'en 2023 et 2033. Depuis novembre 2021, M. D... et C... B... résident désormais chez leur fils A... B... et l'épouse de ce dernier, qui ont acquis leur résidence principale en juin 2021 dans le 11e arrondissement de Marseille. M. A... B... et son épouse attestent que M. D... B... leur fournit de l'aide pour la rénovation de leur maison et que Mme C... B... s'occupe de leurs deux enfants, ce qui est corroboré par plusieurs attestations d'un médecin généraliste, de voisins et de la dame qui aide les enfants pour leurs devoirs. Par ailleurs, Mme C... B... justifie être dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine, son père étant décédé et sa mère et sa fratrie résidant en Espagne. Eu égard à la durée de séjour sur le territoire national des intéressés, à la présence en France de l'ensemble de leur famille proche et aux liens familiaux forts qui se manifestent notamment par une entraide familiale réciproque, les requérants sont fondés à soutenir que le préfet ne pouvait refuser de les admettre au séjour sans porter une atteinte excessive à leur droit au respect de sa vie familiale, garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requérants, M. et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté leurs demandes.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant d'un délai d'exécution. ". L'article L. 911-3 du même code précisant que : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. ".

7. Eu égard aux motifs du présent arrêt, et en l'absence de tout changement allégué dans les circonstances de droit ou de fait, son exécution entraîne nécessairement la délivrance aux intéressés d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à M. B... et à Mme B... ce titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais de l'instance :

8. M. et Mme B... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Chartier, avocat des époux B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Chartier de deux sommes de 1 000 euros.

D É C I D E :

Article 1er : Les jugements du tribunal administratif de Marseille nos 2206130 et 2206131 et les arrêtés du préfet des Bouches-du-Rhône du 7 avril 2022 édictés à l'encontre de M. et Mme B... sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à M. B... et à Mme B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à Me Chartier en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B..., à Mme C... E... épouse B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Chartier.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.

Délibéré après l'audience du 11 décembre 2023, où siégeaient :

- M. Renaud Thielé, président assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 décembre 2023.

2

N°s 23MA00809 - 23MA00810


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA00809
Date de la décision : 20/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. THIELÉ
Rapporteur ?: Mme Isabelle GOUGOT
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : CHARTIER;CHARTIER;CHARTIER

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-20;23ma00809 ?
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