Vu la procédure suivante :
Procédure antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler, d'une part, l'arrêté du 28 avril 2023 par lequel le préfet de la Vienne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi et l'a interdit de retour sur le territoire pour une durée de deux ans et, d'autre part, l'arrêté du même jour par lequel le préfet de la Vienne l'a assigné à résidence dans le département pour une durée de cent-quatre-vingts jours.
Par un jugement n° 2301204 du 5 juin 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, de la décision fixant le pays de renvoi et de la décision lui interdisant le retour sur le territoire français. Elle a renvoyé l'examen des conclusions de la demande tendant à l'annulation de la décision portant assignation à résidence devant une formation collégiale du tribunal, lequel a annulé cette décision par un jugement n° 2301204 du 28 septembre 2023.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires enregistré le 7 juillet 2023, le 17 novembre 2023 et le 22 novembre 2023, M. A..., représenté par Me Lelong, demande à la cour :
1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;
2°) d'annuler le jugement du 5 juin 2023 du tribunal administratif de Poitiers ;
3°) d'annuler l'arrêté du 28 avril 2023 par lequel le préfet de la Vienne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi et l'a interdit de retour sur le territoire pour une durée de deux ans ;
4°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " entrepreneur/profession libérale " dans un délai d'un mois sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa situation et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
5°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- le mémoire en défense est irrecevable faute pour le préfet de justifier de la délégation de signature consentie à son signataire ;
Sur la régularité du jugement :
- le jugement est irrégulier en l'absence de réponse au moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation de sa situation en application des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est entachée d'une insuffisance de motivation qui révèle un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- c'est à tort que le préfet s'est estimé en situation de compétence liée ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une erreur de fait dès lors qu'il justifie de ses attaches familiales et de son intégration professionnelle ;
- il remplit les critères posés par l'article R. 5221-20 du code du travail dès lors que sa société relève des métiers dits en tension ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire :
- elle est privée de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les dispositions des articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est privée de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur la décision portant interdiction de retour :
- elle est privée de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant refus d'accorder un délai de départ volontaire ;
- elle est entachée d'une insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen de sa situation ;
- elle est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de son intégration sociale et professionnelle en France.
Par un mémoire enregistré le 25 octobre 2023, le préfet de la Vienne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que la requête est tardive et que les moyens soulevés sont infondés.
Par une ordonnance du 2 novembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 25 novembre 2023.
M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2023/008186 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 14 septembre 2023.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Ellie a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant tunisien né le 25 août 1973, est entré en France le 18 septembre 2018 sous couvert d'un visa de court séjour. Le 30 décembre 2020, il a demandé la délivrance d'un titre de séjour mention " entrepreneur ". Par un arrêté du 1er mars 2022, la préfète de la Vienne a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. À la suite de son interpellation en situation irrégulière, l'intéressé a fait l'objet d'un arrêté du 28 avril 2023 par lequel le préfet de la Vienne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et d'un arrêté du même jour par lequel le préfet de la Vienne l'a assigné à résidence dans le département pour une durée de cent-quatre-vingts jours. M. A... relève appel du jugement du 5 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 28 avril 2023 portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, fixant le pays de renvoi et portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Sur l'admission à l'aide juridictionnelle à titre provisoire :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 11 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " dans les cas d'urgence, (...) l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président ". Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande de M. A... tendant à l'octroi de l'aide juridictionnelle provisoire.
Sur la recevabilité du mémoire en défense :
3. Aux termes de l'article R. 431-9 du même code : " (...) les mémoires en défense (...) présentés au nom de l'Etat sont signés par le ministre intéressé. (...) la compétence des ministres peut être déléguée par décret : (...) 2° (...) au préfet (...) ".
4. Par un arrêté n°2023-DCL-MACJ-3 du 7 juillet 2023, régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de la Vienne, Mme D... C..., attachée d'administration de l'État, adjointe au directeur de la citoyenneté et de la légalité, a reçu délégation pour signer les mémoires en défense au nom de l'État en cas d'absence ou d'empêchement de M. E... F..., directeur de la citoyenneté et de la légalité de la préfecture de la Vienne. Dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que ce dernier n'ait pas été absent ou empêché, la fin de non-recevoir opposée par M. A..., tirée de l'irrecevabilité du mémoire en défense sur le fondement de l'article R. 431-9 du code de justice administrative, doit être écartée.
Sur la recevabilité de la requête :
5. Le jugement du tribunal administratif de Poitiers a été notifié à M. A... le 7 juin 2022, de sorte que ce dernier pouvait introduire sa requête en appel jusqu'au 8 juillet 2022. La présente requête, enregistrée le 7 juillet 2022 au greffe de la cour, n'est donc pas tardive.
Sur la régularité du jugement :
6. Il ressort des termes de la requête introduite par M. A... devant le tribunal administratif de Poitiers que l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile était invoqué au soutien du moyen tiré de ce que le préfet se serait cru à tort en situation de compétence liée et qu'il aurait ainsi commis une erreur de droit. En réponse à ce moyen le premier juge a retenu, au point 6 du jugement attaqué, qu'il ne ressortait pas de la décision attaquée que le préfet se serait cru dans une telle situation. Il ressort en outre du point 8 du jugement attaqué que le premier juge a écarté le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation en relevant l'insuffisance de liens personnels et familiaux en France de l'intéressé en dépit de revenus suffisants tirés de l'activité de son entreprise. Ces points répondent aux moyens tirés de l'erreur de droit et de l'erreur manifeste d'appréciation tels qu'ils ont été soulevés dans la demande de première instance. Dès lors, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement pour défaut de réponse à un moyen doit être écarté.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
7. Aux termes de l'article L. 611-1-2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. M. A... soutient que la décision en litige est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de son insertion professionnelle. Il produit à ce titre ses diplômes, ses contrats de travail, les attestations de ses anciens employeurs et, depuis la création de sa société R3W le 2 septembre 2019, ayant une activité dans le domaine de la fibre optique, les attestations et les règlements des entreprises avec qui il travaille en qualité de technicien spécialisé en communication et les factures émises par sa société à raison de prestations réalisées pour ses donneurs d'ordres. Il verse également au dossier des attestations relatives à ses formations, ainsi que les pièces justifiant du niveau suffisant de ses revenus depuis 2020, notamment ses avis d'imposition sur le revenu et une attestation nouvellement produite en appel de la société S2iA, son principal client, relatant ses qualités professionnelles. L'intéressé fait également valoir ses liens personnels en France en produisant plusieurs attestations de connaissances selon lesquelles il fait preuve d'un comportement exemplaire, dont deux attestations nouvelles produites en appel. Enfin, l'un de ses enfants est scolarisé au collège en France, son épouse et son second enfant vivant toujours en Tunisie. Au regard de l'ensemble de ces éléments, M. A..., qui travaille depuis son arrivée en France, est fondé à soutenir que le préfet de la Vienne a commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions du 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés par M. A..., que la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée.
En ce qui concerne les autres décisions :
10. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que les décisions refusant d'accorder un délai de départ volontaire, fixant le pays de renvoi et portant interdiction de retour doivent être annulées par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés.
11. Il résulte de tout ce qui précède que l'article 3 du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 5 juin 2023 doit être annulé, de même que la décision du préfet de la Vienne du 28 avril 2023.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. L'annulation d'un arrêté portant obligation de quitter le territoire français au motif qu'il porterait une atteinte excessive au droit de l'intéressé au respect de sa vie familiale et à exercer une activité professionnelle n'implique pas nécessairement que l'administration délivre à celui-ci un titre de séjour. En revanche, compte tenu de l'annulation prononcée par le présent arrêt, et en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il appartient au préfet de la Vienne de réexaminer la situation de M. A... et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, sans qu'il soit besoin d'assortir cette obligation d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
13. M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros, à verser à Me Lelong, avocate de M. A..., en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
DECIDE :
Article 1er : M. A... est admis, à titre provisoire, à l'aide juridictionnelle.
Article 2 : L'article 3 du jugement n° 2301204 du tribunal administratif de Poitiers du 5 juin 2023 et l'arrêté du préfet de la Vienne du 28 avril 2023 sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Vienne de statuer à nouveau sur le cas de M. A... et, dans cette attente, de délivrer à M. A... une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 4 : L'État versera une somme de 1 200 euros à Me Lelong en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 28 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
M. Ellie, premier conseiller,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2023.
Le rapporteur,
Sébastien EllieLa présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX01891