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19/12/2023 | FRANCE | N°21BX03862

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 19 décembre 2023, 21BX03862


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... D... et Mme B... C... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge partielle des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contributions sociales et des pénalités correspondantes mises à leur charge au titre des années 2014 à 2016, à hauteur d'un montant total de 2 621 euros, et le rétablissement des déficits fonciers reportables correspondants.



Par un jugement n° 2001057 du 5 août 2021, le tribunal

administratif de Poitiers a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par u...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... et Mme B... C... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge partielle des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contributions sociales et des pénalités correspondantes mises à leur charge au titre des années 2014 à 2016, à hauteur d'un montant total de 2 621 euros, et le rétablissement des déficits fonciers reportables correspondants.

Par un jugement n° 2001057 du 5 août 2021, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 5 octobre 2021 et 21 avril 2022, M. D... et Mme C..., représentés par Me Aide, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2001057 du tribunal administratif de Poitiers du 5 août 2021 ;

2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux correspondants aux loyers versés à la SCI RHEA pour la maison située 11 bis Chemin de Piégu à Saint-Benoit ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la qualification des loyers comme étant anormalement bas est erronée :

--- il n'existe aucune obligation pour le propriétaire de donner en location un bien à sa valeur réelle ;

--- sur ce dernier point, la doctrine exprimée dans le paragraphe n°430 de l'instruction BOI-RFPI-BASE-10-10 du 12 septembre 2012 précise qu'un bail ne saurait être écarté pour le seul motif qu'il comporterait un prix de loyer atténué ;

--- la SCI RHEA, bailleur, ne leur a pas consenti de libéralité en tant que locataires de la maison située 11 bis Chemin du Piégu ; la doctrine exprimée dans les paragraphes 400 et suivants de l'instruction BOI-RFPI-BASE-10-10 du 12 septembre 2012 et la jurisprudence du Conseil d'Etat, qui permet à l'administration de rectifier le revenu déclaré en majorant le prix du loyer du montant de la libéralité que le propriétaire a consenti à son locataire, ne leur sont pas applicables dès lors que le prix de location n'était pas nettement inférieur à la valeur locative normale et que l'administration ne démontre pas que la location de l'immeuble à un prix atténué ne relevait pas de circonstances indépendantes de sa volonté ; l'élément matériel comme intentionnel de la libéralité fait défaut ;

--- la maison présente des caractéristiques susceptibles d'entrainer la diminution de la valeur locative du bien ;

- c'est à tort que l'administration, confirmée par les premiers juges, a considéré que les loyers versés ne correspondaient pas à la valeur locative du marché : le service s'est appuyé sur des surfaces erronées en excluant à tort de son calcul le montant du loyer affecté à un usage professionnel ; la valeur réelle doit s'appuyer sur la base des termes de comparaison qu'ils apportent.

Par des mémoires enregistrés les 22 mars 2022 et 22 mai 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens développés par la requérante ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 11 mai 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 9 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de M. Gueguein, rapporteur public,

- les observations de Me Aide représentant Mr D... et Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. M. D... et Mme C..., liés par un pacte civil de solidarité, sont associés et cogérants de la société civile immobilière (SCI) RHEA, propriétaire de trois biens immobiliers dont leur résidence principale située à Saint-Benoît. Cette SCI, relevant du régime de l'article 8 du code général des impôts, a fait l'objet d'un contrôle sur pièces qui a abouti à un rehaussement des revenus fonciers qu'elle avait déclarés au titre des années 2013 à 2016 au motif notamment que le loyer déclaré pour le logement que M. D... et Mme C... occupaient était anormalement bas. Parallèlement, le service a tiré les conséquences de ce rehaussement et une proposition de rectification a été notifiée à M. D... et Mme C... le 11 octobre 2017 au titre de l'impôt sur le revenu 2014 à 2016. Ces impositions supplémentaires ont été mises en recouvrement le 20 septembre 2018. Par une réclamation préalable du 18 février 2019, M. D... et Mme C... ont contesté ces impositions. L'administration a partiellement admis cette contestation et a procédé à un dégrèvement le 30 janvier 2020. Par la présente requête, M. D... et Mme C... relèvent appel du jugement du 5 août 2021 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande de décharge des impositions supplémentaires restant en litige.

Sur le bien-fondé des impositions en litige :

2. Il résulte de l'instruction que la SCI RHEA a loué à M. D... et Mme C... un immeuble situé 11b chemin de Piégu à Saint-Benoit composé d'un local de 4 m2 utilisé par M. D... pour son activité de masseur kinésithérapeute, pour un montant de 550 euros par mois à compter de mars 2015, et d'une maison d'une superficie de 155 m2 à usage d'habitation pour un montant de 750 euros par mois, depuis l'année 2014. Le service a considéré, d'une part, que les produits de la location du local réservé à l'usage professionnel de M. D... n'avaient pas été déclarés, et a réintégré ces loyers pour les années 2015 et 2016, et a qualifié, d'autre part, le loyer de la maison d'habitation d'anormalement bas et l'a rehaussé à un montant de 7,41 euros /m2 par mois pour les années 2014, 2015 et 2016. M. D... et Mme C... contestent ces rehaussements.

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 30 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions de l'article 15-II, le revenu brut des immeubles ou parties d'immeubles dont le propriétaire se réserve la jouissance est constitué par le montant du loyer qu'ils pourraient produire s'ils étaient donnés en location. Il est évalué par comparaison avec les immeubles ou parties d'immeubles similaires faisant l'objet d'une location normale, ou, à défaut, par voie d'appréciation directe. Il est majoré, s'il y a lieu, des recettes visées au deuxième alinéa de l'article 29. Cette disposition ne concerne pas le droit de chasse. ". Aux termes de l'article 15 du même code : " (...) II. - Les revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu. (...) ".

4. Comme l'ont considéré à juste titre les premiers juges, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir des dispositions précitées du II de l'article 15 du code général des impôts qui couvrent les hypothèses dans lesquelles les contribuables se réservent la jouissance de logements dont ils sont propriétaires et pour lesquels ils ne sont pas imposables à raison du revenu en nature correspondant à la disposition gratuite de ces logements, dès lors que la SCI RHEA, propriétaire de l'immeuble en litige, leur louait cet immeuble. Par ailleurs, si leur argument peut également être entendu comme celui tiré de ce qu'il n'existe aucune obligation qu'un bailleur donne en location un bien à sa valeur réelle, ou simplement en contrepartie d'un loyer, le bailleur n'en demeure pas moins, dans le cadre des principes exposés ci-après, imposable à hauteur du montant réel des loyers minorés ou abandonnés.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 29 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions des articles 33 ter et 33 quater, le revenu brut des immeubles ou parties d'immeubles donnés en location, est constitué par le montant des recettes brutes perçues par le propriétaire, augmenté du montant des dépenses incombant normalement à ce dernier et mises par les conventions à la charge des locataires. Les subventions et indemnités destinées à financer des charges déductibles sont comprises dans le revenu brut. Il n'est pas tenu compte des sommes versées par les locataires au titre des charges leur incombant. (...) ". Lorsque, en l'absence de circonstances indépendantes de la volonté du propriétaire, le loyer d'un immeuble est notablement inférieur à sa valeur locative réelle, l'administration est en droit de retenir cette dernière pour le calcul du revenu foncier imposé, en vue de tenir compte de la libéralité que le propriétaire a consentie à son locataire.

6. S'agissant, d'une part, de la surface du bien en litige et du montant des loyers à prendre en compte, les requérants soutiennent que la comparaison entre le prix du marché et celui consenti par la SCI, doit s'effectuer au regard de l'ensemble du loyer mensuel versé à cette dernière pour un montant total de 1 300 euros mensuel, comprenant les 750 euros de loyer mensuel de la maison d'habitation et les 550 euros de loyer du local réservé à l'usage professionnel de M. D.... Ils soutiennent également que la maison d'habitation présente une superficie totale de 155 m2 dont 6,35 m2 correspondant au local réservé à l'usage professionnel de M. D.... Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment des surfaces déclarées par la SCI RHEA elle-même dans sa réponse à l'administration fiscale datée du 16 juin 2016 dans le cadre de la mise à jour de la documentation cadastrale, que la surface totale des pièces d'habitation du bien en litige s'élève à 159 m2, à laquelle s'ajoutent 48 m2 de dépendances. En retenant une superficie de 155 m2, l'administration ne peut, en l'absence de toute donnée plus précise, être regardée comme ayant retenu une superficie excessive. En outre, comme le soutient à juste titre l'administration, elle n'avait pas à prendre en compte le loyer rémunérant la location du local à usage professionnel, quelle que soit la superficie de ce dernier, pour apprécier la normalité de la location consentie à usage d'habitation et ce d'autant plus qu'il est constant que le loyer du local à usage professionnel a été fixé en mars 2015 alors que le loyer de la maison d'habitation courait depuis début 2014.

7. S'agissant, d'autre part, du montant du loyer, il résulte de l'instruction que pour établir la valeur réelle du montant du loyer mensuel moyen du bien en litige, l'administration a fait la moyenne de trois termes de comparaison proposés par les contribuables eux-mêmes lors de leurs observations du 8 novembre 2017 et a fixé à 7,41 euros/m2 le tarif moyen de location contre un tarif de 4,84 euros/m2 pratiqué par la société. Si les requérants contestent le refus de prendre en compte un quatrième terme de comparaison qu'ils avaient également avancé, il résulte de l'instruction que ce dernier a été écarté à bon droit par l'administration compte tenu de sa superficie importante de 214 m2. Quant au cinquième terme de comparaison proposé par les contribuables, en remplacement du quatrième, s'il peut être pris en compte, il doit, conformément ce que soutient l'administration, être corrigé pour tenir compte de la baisse de 10% des loyers dans la commune, baisse qui n'est pas contestée par les requérants, ce qui porte, en effectuant la moyenne avec les trois termes de comparaison non contestés par les contribuables, le loyer à 7,48 euros/m2 pour les années en litige, soit à un niveau légèrement supérieur à celui retenu par l'administration.

8. Pour justifier d'un loyer nettement inférieur, les requérants se prévalent de ce que l'administration n'a pas pris en compte des caractéristiques spécifiques du bien en litige entrainant une diminution de sa valeur locative et de ce qu'en tout état de cause, le différentiel entre le loyer moyen mensuel retenu par l'administration et celui pratiqué par la SCI n'était pas suffisant pour justifier du rehaussement opéré. S'il est constant que la maison d'habitation en litige est située à proximité d'une ligne de chemin de fer, il ne résulte pas de l'instruction que les nuisances sonores générées soient de nature à justifier une valeur locative moindre que celle ressortant des éléments de comparaison qui portent notamment sur une maison de 113 m2 située dans le quartier d'une zone d'activité, la zone d'activité du Grand Large, pour un loyer mensuel de 895 euros soit 7,9 euros/m2. Il en est de même des charges énergétiques qui seraient particulièrement importantes alors même qu'il résulte de l'instruction que des travaux de réhabilitation ont été entrepris, et de l'absence de portail et de garage, circonstance qui n'apparaît pas déterminante par rapport aux éléments de comparaison retenus et qui ne correspond au demeurant pas à la consistance du bien telle que déclarée par la SCI le 16 juin 2016 et mentionnée au point 6. Au regard des éléments de comparaison retenus par l'administration, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le loyer pratiqué, minoré de presque 35%, est notablement inférieur à sa valeur locative réelle. Dans ces conditions, et en l'absence de circonstances indépendantes de la volonté du propriétaire, l'administration était en droit de retenir la valeur locative réelle fixée à 7,41 euros /m2 mensuels pour le calcul du revenu foncier imposé, en vue de tenir compte de la libéralité que le propriétaire a consentie à son locataire.

En ce qui concerne l'interprétation de la loi fiscale :

9. Si les requérants se prévalent, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, du bénéfice de la doctrine exprimée dans le paragraphe n°430 de l'instruction BOI-RFPI-BASE-10-10 du 12 septembre 2012 selon laquelle un bail ne saurait être écarté pour le seul motif qu'il comporterait un prix de loyer atténué, et dans les paragraphes 400 et suivants de la même instruction qui précisent les deux conditions cumulatives pour que l'administration puisse rectifier, sous le contrôle du juge, un loyer anormalement bas, prix de la location nettement inférieur à la valeur locative normale de l'immeuble loué et absence de circonstances indépendantes de la volonté du propriétaire, cette instruction ne comporte pas une interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il a été fait application dans le présent arrêt.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande de décharge des impositions en litige.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demandent les requérants au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1 : La requête de M. D... et Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et Mme B... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

M. Sébastien Ellie, premier conseiller,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2023.

La rapporteure,

Héloïse E...

La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21BX03862


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03862
Date de la décision : 19/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Héloïse PRUCHE-MAURIN
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : CABINET TEN FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-19;21bx03862 ?
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