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15/12/2023 | FRANCE | N°21PA04517

France | France, Cour administrative d'appel, 9ème chambre, 15 décembre 2023, 21PA04517


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Crédit industriel et commercial (CIC) a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits et majorations, d'une part, d'une somme totale de 30 515 217 euros au titre des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale à l'impôt sur les sociétés et de contribution exceptionnelle à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012, ainsi que, d'

autre part, d'une somme totale de 1 401 019 euros au titre des rappels de cotisation sur la v...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Crédit industriel et commercial (CIC) a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits et majorations, d'une part, d'une somme totale de 30 515 217 euros au titre des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale à l'impôt sur les sociétés et de contribution exceptionnelle à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012, ainsi que, d'autre part, d'une somme totale de 1 401 019 euros au titre des rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de la taxe additionnelle à cette cotisation et des frais de gestion correspondants qui lui ont été réclamés au titre des mêmes exercices.

Par un jugement n° 1901942 du 10 juin 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 4 août 2021, et des mémoires enregistrés les 30 juillet 2022, 5 décembre 2022 et 7 septembre 2023, la société Crédit industriel et commercial, représentée par Me Hellio et Me Le Boulanger, avocats, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1901942 du 10 juin 2021 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- lors d'un précédent contrôle, portant sur les exercices clos en 2008 et 2009, le service vérificateur n'a pas remis en cause la méthode de détermination de la rémunération de la garantie ;

- la garantie mise en place constitue une opération de crédit, au sens de l'article 313-1 du code monétaire et financier, emportant indemnisation des pertes subies par la filiale BDL en cas de défaillance de ses débiteurs ; elle n'organise pas le transfert du risque de marché complet et n'est donc pas assimilable à un " credit default swap " ;

- la fixation de la rémunération due par BDL est fondée sur les probabilités de défaut historiques, cette méthode constituant la norme dans le contexte d'une opération de crédit et étant validée par les autorités prudentielles pour les calculs de consommation de fonds propres relatifs au risque de crédit ; cette méthode a également été mise en œuvre dans ses relations avec des clients tiers ; elle a permis, en l'espèce, de déterminer un taux de pertes moyen de 0,052 % au 31 octobre 2010 et 0,706 % à compter du 1er mai 2012, dont l'administration a admis qu'il correspondait au prix de revient de la prestation fournie ; en appelant ainsi un taux de garantie de 0,1 % puis 0,2 % sur l'intégralité du portefeuille de sa filiale, la société appelante a dégagé une marge substantielle, comprise entre environ 100 % et 180 % du prix de revient, dont l'administration ne démontre pas qu'elle n'aurait pas un caractère suffisant ; en s'étant uniquement fondée sur une méthode aboutissant à une marge manifestement excessive de 1 400 % pour l'année 2011, l'administration fiscale ne démontre pas l'existence d'un écart injustifié entre la rémunération conctractuellement prévue et la valeur vénale de la prestation fournie ;

- la méthode d'évaluation retenue par le service, fondée sur l'écart de rendement des titres détenus par la BDL par rapport à celui des obligations des Etats les mieux notés, n'est pas pertinente, dès lors, d'une part, que la garantie donnée ne couvre pas l'intégralité des risques reflétés par le différentiel de rendement mesuré par le service et, d'autre part, qu'elle aboutit à remplacer le risque de crédit réel des titres couverts par le risque de crédit propre de l'Allemagne, ce qui méconnaît le principe fondamental selon lequel une garantie a pour effet de remplacer le risque propre de l'objet couvert par le risque propre de la partie garante et repose sur le postulat manifestement erroné selon lequel la société appelante présenterait une situation comparable à celle de l'Allemagne ; en validant cette méthode, le tribunal a dénaturé les faits et entaché sa décision d'erreurs de droit ;

- la garantie donnée à la filiale BDL couvre uniquement les risques que constituent le défaut du débiteur, la restructuration d'une dette et le passage d'un titre en " speculative grade ", tandis que la filiale conserve le risque de retard de paiement, le risque de variation de valeur de son portefeuille, le risque de recouvrement, le risque de perte de liquidité de certains titres et le risque de devise ; la filiale bénéficiaire de la garantie supporte l'intégralité du risque de marché tant qu'un évènement déclencheur de la garantie n'intervient pas ; si la société appelante a garanti le portefeuille de sa filiale, elle n'a pas, dans les faits, reçu la propriété de l'intégralité des titres, la garantie n'ayant en réalité été mise en œuvre sur 5 % environ du portefeuille sur la période vérifiée ; les premiers juges ont donc validé à tort la méthode proposée par le service en considérant que la garantie litigieuse emportait transfert à la société mère de la totalité des risques de crédit de sa filiale ;

- dès lors que la garantie ne porte pas sur le risque de liquidité, qui constitue la majeure partie de l'écart de crédit (" spread ") déterminé par l'administration fiscale, le taux de 1,04 % de l'encours calculé par le service sur la base de ce spread est à la fois très approximatif et surévalué ;

- la méthode mise en œuvre par le service ne permet pas de déterminer un prix de pleine concurrence, dès lors que le rapport de l'OCDE sur les transactions financières précise que les différentiels de rendement permettent seulement de déterminer le prix maximum que le bénéficiaire de la garantie sera disposé à payer ; l'administration a ainsi fixé un prix " plafond " et non un prix de marché, lequel ne peut résulter que de négociations menées dans des conditions de pleine concurrence ; ce prix " plafond " est d'autant plus biaisé qu'il prend appui sur la notation de l'Allemagne, qui est l'Etat le mieux noté, et non sur celle, plus basse, du garant ;

- l'administration, qui ne s'est pas fondée sur des transactions comparables, s'est livrée à un calcul purement théorique, qui ne démontre pas l'existence d'un écart significatif entre le prix convenu par les parties à la convention de garantie et un prix de marché ;

- l'ajustement opéré par le service pour tenir compte de l'existence d'une franchise annuelle de 50 millions d'euros ne permet pas de corriger les erreurs liées à la détermination du risque de crédit, dès lors qu'il se fonde sur des indices construits à partir du marché des credit default swaps, qui faisait alors l'objet d'une intense spéculation ; le modèle mathématique utilisé par l'administration comporte en outre de nombreuses erreurs, notamment en ce qu'il repose sur un taux de défaut de 50 %, très supérieur au taux de défaut effectivement observé sur la période, et en ce qu'il fait appel à un ratio " K/Ml " devant être égal à 1, valeur pourtant inapplicable dans la formule contenue dans le fichier Excel utilisé par le service vérificateur ;

- la mise en œuvre de trois méthodes alternatives, issues de travaux universitaires visant à isoler la part du risque de défaut dans le spread de crédit, permet de dégager, après correction des approximations les plus manifestes de la méthode mise en œuvre par l'administration, une commission de garantie fixée respectivement à 0,09 %, 0,10 % et 0,23 % de l'encours, soit un niveau très proche de la rémunération contractuellement due à la société CIC, laquelle ne s'écarte donc pas significativement de la valeur vénale de la prestation fournie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 juin 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Un courrier a été adressé par le président de la 9ème chambre de la Cour aux parties, le 24 novembre 2023, aux fins de les inviter à fournir des précisions sur la nature des divers risques compris dans le risque de crédit censé être reflété par les écarts de taux de rendement identifiés par l'administration, sur les données ayant servi au retraitement des 389 lignes de titres analysées par l'administration au titre de la recherche d'opérations comparables sur le marché aboutissant à un écart de rendement de 1,68 %, sur les raisons pour lesquelles cet écart de rendement de 1,68 % a été fixé à 1,04 % dans la proposition de rectification, sur l'importance relative du risque de défaut parmi les divers risques couverts par la garantie, sur la portée de la garantie offerte par le CIC en cas d'abaissement de notation des émetteurs et sur la part du portefeuille d'obligation détenues par la société BDL ayant donné lieu à titrisation.

Une lettre, enregistrée le 28 novembre 2023, a été présentée pour la société Crédit industriel et commercial par Me Hellio et Me Le Boulanger.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code monétaire et financier ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'arrêté du 20 février 2007 relatif aux exigences de fonds propres applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marjanovic ;

- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public ;

- les observations de Me Hellio et de Me Le Boulanger, pour la société Crédit industriel et commercial ;

- et les observations de M. C..., pour le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Une note en délibéré, enregistrée le 4 décembre 2023, a été produite pour la société Crédit industriel et commercial par Me Hellio et Me Le Boulanger.

Une note en délibéré, enregistrée le 6 décembre 2023, a été produite par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Considérant ce qui suit :

1. La Banque de Luxembourg (BDL), qui exerce au Luxembourg une activité de banque privée comportant principalement la gestion des dépôts de ses clients sur des comptes à terme, détient, pour le financement de ses activités, un portefeuille de titres de placement constitué essentiellement de titres de dettes souveraines et d'obligations de sociétés. Afin de rassurer ses clients dans le contexte de la crise bancaire déclenchée en 2008, elle a conclu le 22 décembre 2008, avec la société Crédit industriel et commercial (CIC), sa société mère française, une " convention de garantie ", ultérieurement modifiée par avenant du 10 décembre 2010, par laquelle cette dernière s'est engagée, dans le dernier état des stipulations contractuelles, à couvrir, sous réserve d'une franchise annuelle de 50 millions d'euros, la valeur d'une fraction de ce portefeuille, en cas de réalisation de certains évènements de crédit, moyennant une rémunération égale à 0,10 % de l'encours, ultérieurement portée à 0,20 % à compter du 1er mai 2012. A l'occasion d'une vérification de la comptabilité de la société CIC portant sur la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012, l'administration fiscale a estimé que le niveau de rémunération de cette garantie, inférieur à une rémunération de pleine concurrence évaluée à 0,77 % de l'encours, caractérisait dans cette mesure un transfert de bénéfices à l'étranger, au sens des dispositions de l'article 57 du code général des impôts et a, en conséquence, réintégré les sommes de 45 609 180 euros et 31 876 613 euros dans les résultats imposables au titre des exercices respectivement clos en 2011 et 2012. Elle a en conséquence notifié des rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des mêmes années. La société CIC relève régulièrement appel du jugement du 10 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires résultant de ces réintégrations.

Sur la régularité du jugement :

2. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision d'imposition attaquée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La société CIC ne peut donc utilement soutenir que le tribunal a entaché sa décision d'erreurs de droit et de dénaturation des faits pour demander l'annulation du jugement attaqué.

Sur le bien-fondé des impositions :

3. Aux termes de l'article 57 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités (...) ". Ces dispositions instituent, dès lors que l'administration fiscale établit l'existence d'un lien de dépendance et d'une pratique entrant dans les prévisions de l'article 57 du code général des impôts, une présomption de transfert indirect de bénéfices qui ne peut utilement être combattue par l'entreprise imposable en France que si celle-ci apporte la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties.

4. Lorsqu'elle constate que les prix facturés par une entreprise établie en France à une entreprise étrangère qui lui est liée sont inférieurs à ceux pratiqués par des entreprises similaires exploitées normalement, c'est-à-dire dépourvues de liens de dépendance, l'administration doit être regardée comme établissant l'existence d'un avantage qu'elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l'entreprise française, sauf pour celle-ci à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties aux moins équivalentes. À défaut d'avoir procédé à une telle comparaison, l'administration n'est, en revanche, pas fondée à invoquer la présomption de transfert de bénéfices ainsi instituée mais doit, pour démontrer qu'une entreprise a consenti une libéralité en facturant des prestations à un prix insuffisant, établir l'existence d'un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu.

5. Il résulte de l'instruction que par une " convention de garantie ", conclue le 22 décembre 2008 dans le contexte de la crise bancaire sévissant alors, la société CIC s'est engagée, pendant une durée de quatorze ans, à recevoir la propriété de titres de placement détenus par sa filiale luxembourgeoise BDL, contre paiement simultané d'un " prix de référence " correspondant à leur valeur de marché au 30 septembre 2008, en cas de faillite de l'émetteur de référence d'un titre ou de l'un de ses éventuels garants de référence, ainsi que, pour les seuls titres de " type titrisation ", en cas de baisse de notation, inférieure à la note BBB, de tout obligé ou de non-paiement en tout ou partie des intérêts à toute date d'échéance. En contrepartie de cette garantie, la BDL s'est engagée à verser à sa société mère une rémunération mensuelle calculée au taux de 0,40 % l'an sur la valeur de référence de son portefeuille.

6. Par un avenant du 10 décembre 2010, conclu dans le contexte d'incertudes prévalant alors sur la capacité de l'Etat grec à honorer ses engagements financiers, le périmètre de cette convention a été étendu pour intégrer notamment un portefeuille de " titres émis ou garantis par des émetteurs souverains et assimilés ", incluant en particulier des obligations d'Etat grecques d'une valeur totale de 394 386 097 euros au 31 octobre 2010, et un portefeuille de " collateralized loan obligations " (CLO) européens, tandis que les cas de restructuration de certains des titres couverts ont été ajoutés aux évènements de crédit susceptibles de justifier la mise en œuvre de la garantie. Le point 7 de cet avenant prévoit en outre l'application d'une franchise annuelle d'un montant de 50 millions d'euros, tandis que son point 8 ramène à 0,10 % l'an le taux de la rémunération due par le bénéficiaire de la garantie, lequel taux a ultérieurement été porté à 0,20 % à compter du 1er mai 2012.

7. Il résulte de l'économie de ces stipulations qu'elles ne prévoient ni la substitution de la société CIC à sa filiale BDL en cas de défaillance de cette dernière, ni l'indemnisation d'éventuelles pertes que subirait le bénéficiaire de la garantie du fait de la défaillance de ses débiteurs mais qu'elles organisent le transfert de la propriété de ses titres à sa société mère française, contre paiement de leur " prix de référence " contractuellement fixé à leur valeur de marché au 31 octobre 2010, en cas de réalisation de certains évènements de crédit tels que faillite de ses débiteurs, restructuration de leurs dettes ou abaissement de leur notation en catégorie dite " spéculative ". Ainsi, même si la BDL conserve certains des risques susceptibles d'affecter son portefeuille, tels que le risque de retard de paiement, le risque de variation de valeur, le risque de recouvrement, le risque de perte de liquidité de certains titres ou le risque de devise, les stipulations concernées ont en réalité pour objet et pour effet de transférer à sa société mère l'essentiel du risque de crédit affectant ses éléments d'actif couverts par la garantie, lequel inclut, outre le risque éventuel de défaut de paiement de l'émetteur et le risque de non-recouvrement, les risques de moindre rendement ou de moindre liquidité, voire de convertibilité, afférents à la restructuration ou à la dégradation en catégorie spéculative de sa dette, et de protéger ainsi sa filiale des risques les plus significatifs de dépréciation de la valeur desdits éléments. Par suite, la convention de garantie en cause ne peut s'analyser comme une simple opération de crédit au sens de l'article 313-1 du code monétaire et financier, mais doit être regardée comme un dérivé de crédit ayant pour sous-jacent une part de l'actif de la BDL et s'apparentant ainsi à un contrat d'échange sur le risque de défaut (" credit default swap "), constitutif d'une opération de marché visant à couvrir les risques de crédit attachés à un " panier " de titres émis par différentes entités de référence (" basket default swap "), et incluant de surcroît le risque de restructuration des dettes souveraines qui n'est pas au nombre des risques inclus dans le modèle standard de contrat de " credit default swap " établi par l'International Swaps and Derivatives Association, ainsi que, pour les obligations titrisées, le risque de dégradation en catégorie spéculative de la note de l'émetteur.

8. Pour valoriser la prestation ainsi fournie à sa filiale, la société CIC expose s'être fondée, comme elle l'avait d'ailleurs fait dans le cadre du refinancement de la société tierce Peugeot, sur une analyse des probabilités historiques de défaut auxquelles ont été appliqués les taux de pertes associées en cas de défaut, conformément à la méthode préconisée par le Comité de B... sur le contrôle bancaire dans le cadre des accords dits " B... A... " publiés en 2004 et traduite dans l'arrêté du 20 février 2007 relatif aux exigences de fonds propres applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement. Sur ces bases, permettant de déterminer un taux de pertes moyen de 0,052 % au 31 octobre 2010, puis de 0,0706 % à compter du 1er mai 2012, elle a donc appelé un taux de garantie de 0,1 %, puis 0,2 % à compter de mai 2012, dégageant ainsi une marge d'environ 100 %, puis 180 %.

9. Le service vérificateur, tout en admettant que les éléments d'appréciation retenus par la société CIC pour justifier de la rémunération due par sa filiale BDL étaient représentatifs des coûts associés à la production de la prestation, a néanmoins estimé que le prix convenu par les parties à la convention de garantie était sous-évalué et a entrepris de le comparer avec un " prix de pleine concurrence ". A cette fin, il ressort des propositions de rectification des 24 décembre 2014 et 30 juin 2015 que l'administration, en l'absence de transactions de même nature réalisées à la même date par la société CIC et susceptibles de servir de " comparables parfaits ", a évalué la valeur de marché du risque de crédit transféré à la société CIC en comparant, dans un premier temps et à partir de la moyenne des rendements sur les trois mois précédant la signature de l'avenant, les rentabilités des obligations faisant l'objet de la garantie aux rentabilités des obligations émises par les Etats, et notamment l'Allemagne, bénéficiant des meilleurs signatures, l'écart, ou " spread ", entre les rendements obligataires des emprunts d'Etats et les rendements des autres catégories d'actifs obligataires permettant de quantifier la " valeur de marché " du risque de défaut par catégories d'actif. Après regroupement des titres couverts par type d'émetteur, par notation et par devise, elle a, dans un second temps, appliqué les écarts de rendement constatés aux différentes catégories de titres composant le portefeuille, pour dégager un " coût du risque de crédit " global de 79 624 066 euros, dont 35 747 957 euros se rapportant à la seule dette souveraine grecque, sur un encours total de 7 629 560 585 euros, soit une valorisation du risque de crédit du portefeuille garanti au taux annuel de 1,04 % de cet encours. Afin de tenir compte, enfin, de l'existence d'une franchise annuelle de 50 millions d'euros réduisant le risque attaché au contrat, le service vérificateur a calculé l'espérance mathématique des compensations devant être versées à la société BDL en cas de mise en œuvre de la convention en utilisant le modèle mono-factoriel à copules gaussiennes et en retenant des hypothèses de corrélation déterminées à partir des indices Itraxx déduits du marché des " credit default swaps ". En retenant l'hypothèse médiane de corrélation des défauts, soit 50 %, l'administration fiscale a considéré, en définitive, que la rémunération de pleine concurrence de la garantie donnée par la société CIC à sa filiale luxembourgeoise devait être arrêtée à 0,77 % de l'encours.

10. Toutefois, devant la Cour, l'administration fiscale, ayant admis lors de l'audience publique ne plus disposer des éléments sur la base desquels le service vérificateur avait arrêté les taux de rémunération mentionnés au point précédent et ayant reconnu que la méthode alors mise en œuvre était entachée de nombreux biais, fait valoir que le prix de pleine concurrence de la garantie accordée par la société CIC à sa filiale BDL doit être fixé à 1,32 % de l'encours couvert, après ajustement du taux de 1,68 % pour tenir compte de l'existence de la franchise précitée d'un montant annuel de 50 millions d'euros.

11. En l'état des explications ainsi fournies, qui tendent à faire supporter par la société CIC, dans tous les cas où la garantie serait susceptible de jouer, la totalité de l'insuffisance de rendement des titres garantis par rapport à des titres de meilleur qualité devant leur être substitués, l'administration, qui ne conteste pas que l'objet de la garantie offerte par la société CIC consiste essentiellement à garantir un risque de crédit, tel que défini au point 7 du présent arrêt, en cas de survenance de l'un des évènements mentionnés, et n'établit ni même n'allègue que le taux de 1,32 % auquel elle aboutit à la suite de nouveaux calculs, au demeurant fournis après clôture de l'instruction, incluant une nouvelle méthode de calcul de la composante de la marge liée au risque de crédit évoquée pour la première fois lors de l'audience, reposerait sur la prise en compte d'autres éléments de risque, devant être pris en charge par la société CIC, ne peut être regardée comme rapportant la preuve qui lui incombe de ce que les prestations litigieuses auraient été facturées à un niveau de prix inférieur à celui qui aurait été pratiqué par des entreprises similaires exploitées normalement, ni même, à supposer même qu'elle ait entendu se placer sur ce terrain, de l'existence d'un écart injustifié, révélateur d'une libéralité, entre les sommes facturées et la valeur vénale de la prestation fournie.

12. Il résulte de ce qui précède que la société Crédit industriel et commercial est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale à l'impôt sur les sociétés et de contribution exceptionnelle à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012, ainsi que des rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de la taxe additionnelle à cette cotisation ainsi que des frais de gestion correspondants qui lui ont été réclamés au titre des mêmes exercices.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, une somme de 3 000 euros à verser à la société Crédit industriel et commercial sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 10 juin 2021 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 2 : La société Crédit industriel et commercial est déchargée, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale à l'impôt sur les sociétés et de contribution exceptionnelle à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012, ainsi que des rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de la taxe additionnelle à cette cotisation et des frais de gestion correspondants qui lui ont été réclamés au titre des mêmes exercices.

Article 3 : L'Etat versera à la société Crédit industriel et commercial une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Crédit industriel et commercial et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction des vérifications nationales et internationales.

Délibéré après l'audience du 1er décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président,

- M. Marjanovic, président assesseur,

- Mme Boizot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 15 décembre 2023.

Le rapporteur,

V. MARJANOVICLe président,

S. CARRERE

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA04517


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA04517
Date de la décision : 15/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: M. Vladan MARJANOVIC
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-15;21pa04517 ?
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