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15/12/2023 | FRANCE | N°21PA00338

France | France, Cour administrative d'appel, 9ème chambre, 15 décembre 2023, 21PA00338


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Crédit Agricole a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, pour un montant de 256 098 euros, des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles et exceptionnelles auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2015.



Par un jugement n° 1907861 du 19 novembre 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.





Procédure devant la Cour

:



Par une requête, enregistrée le 20 janvier 2021, et un mémoire ampliatif enregistré le 2 avril 2021, la s...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Crédit Agricole a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, pour un montant de 256 098 euros, des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles et exceptionnelles auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2015.

Par un jugement n° 1907861 du 19 novembre 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 20 janvier 2021, et un mémoire ampliatif enregistré le 2 avril 2021, la société Crédit Agricole, représentée par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1907861 du 19 novembre 2020 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué, qui ne répond pas aux moyens relatifs aux impositions dues au titre des exercices 2016 et 2017, est insuffisamment motivé ;

- le tribunal s'est mépris sur la portée de ses écritures en considérant qu'elle sollicitait la déduction de provisions sur le fondement des dispositions de l'article 39 du code général des impôts, alors qu'elle soutenait que les décotes sur prêts restructurés étaient déductibles sur le fondement des dispositions de l'article 38 du même code ;

- en ne retenant pas que les décotes sur prêts restructurés correspondent à la perte de valeur d'un élément d'actif et qu'elles sont par suite déductibles sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 38 du code général des impôts, le tribunal a entaché sa décision d'erreur de droit ;

- en jugeant qu'elle ne rapportait pas la preuve de la cession probable des créances correspondant aux prêts restructurés, le tribunal a dénaturé les pièces du dossier et entaché sa décision d'une erreur de droit ;

- la restructuration d'un prêt affecte négativement sa valeur vénale, eu égard aux perspectives de titrisation, et empêche qu'il puisse être cédé pour sa valeur nominale ; la décote qui enregistre cette perte définitive affecte donc un élément de l'actif immobilisé et n'a pas le caractère d'une provision au sens de l'article 39 du code général des impôts ; la constatation d'une décote se traduit comptablement par une variation négative de l'actif constitué par la créance restructurée, qui justifie qu'elle soit fiscalement déductible au titre de l'année de sa constatation ; en jugeant le contraire, le tribunal a entaché sa décision d'erreur de droit.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juin 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'arrêté du 26 décembre 2014 portant homologation du règlement n° 2014-07 du 26 novembre 2014 de l'autorité des normes comptables ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marjanovic ;

- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public ;

- et les observations de Me Hazan, représentant la société Crédit Agricole.

Considérant ce qui suit :

1. Par une réclamation contentieuse du 19 juillet 2018, la société Crédit Agricole, agissant en sa qualité de tête du groupe fiscalement intégré auquel appartient la Caisse régionale de crédit agricole mutuel (CRCAM) du Centre Ouest, a vainement sollicité la correction des résultats déclarés par cette dernière, entrant dans la base du résultat d'ensemble du groupe, au titre des exercices clos en 2015, 2016 et 2017, afin de déduire les décotes sur prêts restructurés constatées au titre de ces exercices pour les montants respectifs de 673 941 euros, 608 545 euros et 550 909 euros. Elle relève régulièrement appel du jugement du 19 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge correspondante des impositions concernées.

Sur la régularité du jugement :

2. D'une part, il ressort du dossier de première instance, transmis à sa demande à la Cour, que la société Crédit Agricole a fait valoir devant les premiers juges que les décotes sur prêts structurés mentionnées au point précédent étaient déductibles des résultats de la CRCAM du Centre Ouest par des moyens communs à chacun des exercices en litige. Par suite, et alors qu'il est constant que les corrections sollicitées n'étaient susceptibles de n'entraîner qu'une réduction des impositions dues au titre de l'exercice clos en 2015, premier exercice non prescrit, la société appelante n'est pas fondée à reprocher aux premiers juges, qui ont statué sur l'ensemble des moyens dont ils étaient saisis, d'avoir rejeté sa demande de réduction desdites impositions sans répondre à des moyens qui auraient été spécifiquement relatifs aux impositions dues au titre des exercices 2016 et 2017.

3. D'autre part, il ressort du point 6 du jugement attaqué que les premiers juges ont expressément considéré que les décotes sur prêts structurés en litige n'étaient pas déductibles des résultats imposables sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 38 du code général des impôts. Par suite, et alors qu'il ressort au demeurant des pièces jointes à sa réclamation du 19 juillet 2018 que les sommes dont elle demande présentement la déduction figuraient initialement dans la liste des " provisions non déductibles " mentionnées dans les états annexes aux liasses fiscales relatives aux exercices en litige jointes, la société Crédit Agricole n'est pas fondée à soutenir que le tribunal, en désignant comme " provisions " les décotes concernées, se serait mépris sur l'objet de la demande dont il était saisi.

4. Enfin, dans le cadre de l'effet dévolutif, le juge d'appel, qui est saisi du litige, se prononce non sur les motifs du jugement de première instance mais directement sur les moyens mettant en cause la régularité et le bien-fondé des impositions en litige. Par suite, les moyens tirés de ce que le jugement attaqué serait entaché d'erreurs de droit et de dénaturation des pièces du dossier ne peuvent utilement être invoqués au soutien des conclusions à fin d'annulation dudit jugement.

Sur le bien-fondé des impositions :

5. D'une part, aux termes des 1 et 2 de l'article 38 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code, le bénéfice imposable est " constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiées ".

6. D'autre part, aux termes de l'article 2221-1 du règlement comptable n° 2014-07 de l'autorité des normes comptables, homologué par arrêté interministériel du 26 décembre 2014 : " Au sein de l'ensemble de leurs risques de crédit, les établissements assujettis distinguent comptablement les encours sains et les encours douteux. ". Aux termes de l'article 2221-5 du même règlement : " Le classement en encours douteux peut être abandonné lorsque le risque sur la contrepartie (...) est définitivement levé et lorsque les paiements ont repris de manière régulière pour les montants correspondant aux échéances contractuelles d'origine. Dans ce cas, l'encours est porté à nouveau en encours sain. / Les créances restructurées du fait de la situation financière d'un débiteur peuvent également être à nouveau inscrites en encours sain dans une sous-catégorie spécifique jusqu'à leur échéance finale (...). / Lors de la restructuration, tout abandon de principal ou d'intérêt, échu ou couru, est constaté en perte. / Au moment de la restructuration, le prêt restructuré fait l'objet d'une décote d'un montant égal à l'écart entre l'actualisation des flux contractuels initialement attendus et l'actualisation des flux futurs attendus de capital et d'intérêts issus de la restructuration. Le taux d'actualisation à retenir est le taux d'intérêt effectif d'origine pour les prêts à taux fixe ou le dernier taux effectif avant la date de restructuration déterminé selon les termes contractuels pour les prêts à taux variable. Dans l'hypothèse où il existe des prix de marché observables pour des créances de même nature et de mêmes caractéristiques ayant fait l'objet de transactions récentes, notamment par le biais de cessions à l'extérieur du groupe auquel appartient la société détenant lesdites créances, la décote peut également être calculée par référence à ces prix de marché. / Afin de couvrir le risque de non recouvrement des flux à encaisser subsistant suite à une restructuration, une dépréciation peut être constituée et vient s'ajouter au montant de la décote. / La décote sur les créances restructurées ayant un caractère douteux peut ne pas être comptabilisée en déduction desdites créances s'il est démontré que la couverture du risque avéré lié à ces créances est comptabilisée par le biais d'une dépréciation pour créances douteuses, au moins égale au montant de la décote. / Lorsque les créances restructurées sont transférées des encours douteux vers les encours sains, la dépréciation constituée pour couvrir le risque de non recouvrement des flux suite à la restructuration doit être reprise par le compte de résultat, contrairement à la décote restant à amortir qui revêt un caractère définitif et dont l'amortissement est poursuivi. ".

7. Il résulte des dispositions citées au point précédent que la restructuration d'une créance détenue par un établissement de crédit donne lieu comptablement au constat d'une perte, lorsqu'elle comporte un abandon en capital ou en intérêts, d'une décote, qui enregistre uniquement la perte d'intérêts futurs, et, tant que la créance conserve un caractère douteux, d'une dépréciation destinée à couvrir le risque de non-recouvrement des flux restant à encaisser.

8. Il résulte de l'instruction que la CRCAM du Centre Ouest a porté sur les états annexes à ses liasses fiscales des exercices clos en 2015, 2016 et 2017 les sommes respectives de 673 941 euros, 608 545 euros et 550 909 euros au titre de " provisions " sur crédits restructurés qu'elle n'a pas déduites de ses résultats imposables. Si la société Crédit Agricole soutient que ces sommes correspondent en réalité aux décotes prévues par les dispositions rappelées au point 6 et fait valoir qu'elles traduiraient ainsi la perte de valeur vénale des créances de la CRCAM du Centre Ouest ayant fait l'objet d'une restructuration et, par suite, une variation négative des actifs constitués par ces créances restructurées, elle ne fournit toutefois, en tout état de cause, aucune précision utile sur la décomposition de ces sommes entre les fractions constatant respectivement une perte en capital ou en intérêts, la perte d'intérêts futurs ou une dépréciation couvrant le risque de non-recouvrement des flux restant à encaisser, ni sur leur ventilation entre les encours sains et les encours douteux. Si elle expose également que les créances restructurées ont vocation à être cédées pour une valeur vénale égale à la différence entre leur valeur nominale et la décote constatée au moment de leur restructuration, elle se borne, à cet égard, à des considérations générales, en l'absence de toute obligation justifiée de titrisation des créances en cause, dépourvues de toute justification d'une dépréciation effective de la valeur vénale des créances ayant fait l'objet d'une décote, laquelle, ainsi que rappelé au point 7, n'a d'autre objet que d'enregistrer la perte des intérêts futurs s'y rapportant. Dans ces conditions, faute d'établir un lien quelconque entre les " provisions " mentionnées au point 8 et une dépréciation effective, à due concurrence, de son actif immobilisé au titre des exercices en litige, elle n'est pas fondée à demander leur déduction des résultats imposables de la CRCAM du Centre Ouest sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 38 du code général des impôts.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Crédit Agricole n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Sa requête doit, par suite, être rejetée, y compris les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Crédit Agricole est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Crédit Agricole et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à l'administratrice générale des finances publiques chargées de la direction des grandes entreprises.

Délibéré après l'audience du 1er décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président,

- M. Marjanovic, président assesseur,

- Mme Boizot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 15 décembre 2023.

Le rapporteur,

V. MARJANOVICLe président,

S. CARRERE

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 21PA00338


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA00338
Date de la décision : 15/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: M. Vladan MARJANOVIC
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : SCP WAQUET FARGE HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-15;21pa00338 ?
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