Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen ou subsidiairement l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser la somme de 95 000 euros outre le remboursement des frais d'obsèques exposés à la suite du décès de leur enfant.
Par un jugement n°1802211 du 11 décembre 2020 le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 février et 3 décembre 2021, Mme C... B... et M. D... B..., représentés par Me Soublin, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 11 décembre 2020 ;
2°) avant dire droit d'ordonner une expertise médicale ;
3°) de condamner le CHU de Caen ou l'ONIAM à leur verser la somme de 95 000 euros en réparation des préjudices subis, majorée des intérêts de droit capitalisés ;
4°) de mettre à la charge du CHU de Caen ou de l'ONIAM la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que :
- les opérations d'expertise ont méconnu le principe du contradictoire eu égard aux liens existant entre l'expert et le sachant ; l'expert n'a pas renseigné le tribunal sur les questions qui lui étaient posées ;
- le CHU a commis une faute dans l'organisation du service en donnant le 16 janvier 2015 du lait maternisé au lieu de lait maternel à leur enfant prématuré en méconnaissance des données acquises de la science et du choix qu'ils avaient exprimé, faisant ainsi perdre à ... une chance de se soustraire au risque lié à une alimentation non humaine ;
- une infection nosocomiale est à l'origine du décès de leur enfant, décédé d'un choc septique, chez qui ont été retrouvés trois agents infectieux révélant l'existence d'une infection iatrogène ;
- le CHU devra réparer les préjudices qu'ils ont subi en leur remboursant les frais d'obsèques de ..., en indemnisant les souffrances de celui-ci à hauteur de 30 000 euros, et en indemnisant leur préjudice moral à hauteur de 35 000 euros pour chacun.
Par un mémoire enregistré le 8 avril 2021, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes (ONIAM), représenté par Me Welsch, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que l'affection dont est décédé ..., en l'absence de lien avec des soins, ne présente pas le caractère d'une infection nosocomiale et que la nouvelle expertise sollicitée est dépourvue d'utilité.
Par un mémoire enregistré le 30 septembre 2021, le CHU de Caen, représenté par
Me Le Prado, conclut au rejet de la requête présentée par M. et Mme B....
Il fait valoir que :
- les conclusions tendant à ce qu'une nouvelle expertise soit ordonnée sont irrecevables faute d'avoir été présentées devant le premier juge ;
- il n'y a pas lieu d'ordonner une nouvelle expertise, l'expert ayant répondu aux questions qui lui étaient posées ;
- aucun moyen n'est fondé, en l'absence de faute commise par l'hôpital et engageant la responsabilité de celui-ci.
Par un arrêt avant dire droit prononcé le 25 février 2022, la cour a annulé le jugement du tribunal administratif de Caen, évoqué l'affaire et ordonné une expertise aux fins, notamment, de déterminer si les actes et soins effectués lors de la prise en charge au CHU du jeune ... B..., décédé à l'hôpital, ont été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science médicale, dans la négative, d'analyser de façon précise et motivée la nature des erreurs, imprudences, manques de précaution, négligences, maladresses ou autres défaillances qui peuvent être relevées, d'indiquer si les obligations en matière d'information des parents ont été remplies, de dire si, et dans quelle mesure, les manquements relevés ont été la cause d'une perte de chance de survie, en chiffrant cette perte de chance en pourcentage, de déterminer les préjudices de ..., de fixer le montant des débours et frais médicaux, y compris futurs, en relation directe et exclusive avec les éventuels manquements du centre hospitalier.
Le président de la cour a désigné en qualité d'experts le professeur H..., neuropédiatre, le docteur C..., néonatologiste, et le docteur F..., gynécologue-obstétricien.
Le rapport des experts a été enregistré le 16 juillet 2023.
Par des mémoires enregistrés les 30 août 2023 et 18 octobre 2023, le CHU de Caen, représenté par Me Le Prado, conclut dans le même sens que ses précédentes écritures.
Il fait valoir que :
- en tant qu'elles excèdent leurs demandes de première instance, les conclusions des consorts B... sont irrecevables ; les préjudices des consorts B... étaient consolidés à la date à laquelle la juridiction administrative a été saisie ;
- la perte de chance de 95% retenue par le collège d'experts est excessive ;
- elle ne tient pas compte de l'état préexistant de l'enfant, présentant de nombreux facteurs de risque d'ECUN ;
- l'absence de mise sous antibiothérapie immédiate de l'enfant n'était pas fautive, le bilan inflammatoire étant négatif ;
- il n'est apporté aucun élément statistique concernant les chances de rétablissement ou de survie d'un nouveau-né prématuré atteint d'une entéro colite ulcéro nécrosante fulgurante (ECUN) ; le taux de perte de chance retenu par les experts ne tient compte que du risque de survenue de la complication et non de ses chances de guérison une fois la complication apparue ;
- les frais de construction d'un monument funéraire ne sauraient donner lieu à indemnisation ;
- compte tenu de son très jeune âge au moment de son décès, ... B... n'a pas pu avoir conscience d'une espérance de vie réduite justifiant une indemnisation ;
- il n'existe pas de lien de causalité entre le décès de ... et les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle dont les consorts B... demandent l'indemnisation ;
- les consorts B... ne sauraient prétendre à leur indemnisation au titre de déficits fonctionnels temporaire et permanent, qui correspondent à des préjudices personnels propres à la victime directe du dommage ;
- l'indemnisation du préjudice moral des requérants doit être ramenée à de plus justes proportions ;
- aucun préjudice d'accompagnement ne saurait être indemnisé, alors que ... est décédé dans les toutes premières semaines de vie et que l'accompagnement a été assuré par le personnel hospitalier ;
- le décès de ... n'a pu causer un préjudice direct et certain à A... B..., née postérieurement à ce décès.
Par un mémoire enregistré le 31 août 2023, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes (ONIAM), représenté par Me Welsch, conclut au rejet de la requête des époux B....
Il fait valoir que l'affection dont est décédé ... n'est pas liée à une infection en lien avec des soins et ne présente pas le caractère d'une infection nosocomiale, mais résulte d'un défaut de prise en charge fautif de l'hôpital de Caen, ce qui exclut toute indemnisation au titre de la solidarité nationale.
Par des mémoires enregistrés les 29 septembre, 13 et 20 octobre 2023, Mme C... B... et M. D... B..., représentés par Me Soublin, demandent à la cour :
1°) de condamner le CHU de Caen ou l'ONIAM à leur verser la somme de 274 435,26 euros en réparation des préjudices subis par eux et par leur fils E..., majorée des intérêts de droit capitalisés ;
2°) de condamner le CHU de Caen ou l'ONIAM à leur verser la somme de 4 750 euros en réparation des préjudices subis par leur fille A..., majorée des intérêts de droit capitalisés ;
3°) de mettre à la charge du CHU de Caen ou de l'ONIAM la somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le centre hospitalier a commis plusieurs fautes dans la prise en charge de leur enfant, né prématuré, qui sont à l'origine de son décès ;
- ils ont aussi été victimes d'un défaut d'information sur l'état de santé de leur enfant ;
- à titre subsidiaire, si la responsabilité fautive de l'hôpital ne devait pas être reconnue, leur enfant est décédé d'un choc septique résultant d'une infection nosocomiale dont le CHU et/ou l'ONIAM devront répondre ;
- ils doivent être indemnisés des souffrances physiques endurées par leur fils, de son préjudice lié à l'angoisse d'une mort imminente, des frais divers qu'ils ont été contraints d'assumer, des pertes de gains professionnels et de l'incidence professionnelle subies par
Mme B..., des souffrances et des déficits fonctionnels temporaire et permanent qu'ils ont subis et continuent de subir, de leurs préjudices d'accompagnement et d'affection ;
- ils sont aussi fondés à demander l'indemnisation des préjudices de leurs fille A..., née en 2018, dont les premières années ont été affectées par les problèmes de santé de sa mère, très lourdement et durablement affectée par la mort de son premier enfant et qui n'a pu s'occuper d'elle aussi bien que si celui-ci avait vécu ;
- les conclusions d'appel présentées au-delà du montant des demandes de première instance sont recevables.
Par un mémoire enregistré le 4 octobre 2023, la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados, représentée par Me Bourdon, demande à la cour :
1°) de mettre à la charge du CHU de Caen, en indemnisation des débours qu'elle a exposés pour ... B..., la somme de 2 598 euros, assortie des intérêts calculés à compter du dépôt de son mémoire, valant mise en demeure de payer, avec capitalisation de ces intérêts ;
2°) de mettre à la charge du CHU de Caen, en indemnisation des débours qu'elle a exposés pour Mme C... B..., la somme de 102 879,07 euros, assortie des intérêts calculés à compter du dépôt de son mémoire, valant mise en demeure de payer, avec capitalisation de ces intérêts ;
3°) de lui accorder le montant maximum de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
4°) de mettre à la charge du CHU de Caen la somme de 1 200 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens de l'instance.
Elle fait valoir que :
- elle justifie de ses débours à hauteur de 2 598 euros pour ... B... et 102 879,07 euros pour C... B..., cette dernière somme étant composée de dépenses de santé actuelles à hauteur de 125,28 euros, des indemnités journalières versées à son assurée sociale, correspondant aux arrêts de travail consécutifs au décès de l'enfant et imputables sur les pertes de gains professionnels actuels invoquées par l'intéressée, et de la pension d'invalidité, versée ou à verser à celle-ci consécutivement à ces faits ;
- elle est fondée à demander le paiement de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Par un courrier du 9 novembre 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de soulever d'office le moyen tiré l'irrecevabilité des conclusions d'appel de la Caisse primaire d'assurance maladie du Calvados tendant au remboursement de ses débours, en l'absence de demande présentée à cette fin devant le tribunal administratif de Caen.
Il a été répondu à cette information par un mémoire enregistré le 9 novembre 2023, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados par Me Bourdon, qui conclut aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures et, à titre subsidiaire, demande la condamnation de l'hôpital de Caen à lui verser la somme de 59 283, 26 euros correspondant à ses débours exposés postérieurement au jugement de première instance.
Par des ordonnances des 27 et 29 septembre 2023, le président de la cour a liquidé les frais et honoraires des experts aux sommes de 3 480 euros, 2 700 euros et 2 520 euros.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 15 décembre 2022 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour 2023 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vergne,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
- et les observations de Me Soublin, représentant les époux B....
Une note en délibéré, présentée pour les époux B..., a été enregistrée le 17 novembre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., alors âgée de trente-huit ans, a accouché, le 23 novembre 2014 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Caen, de ..., né grand prématuré au terme de
26 semaines et 6 jours d'aménorrhée et avec un poids de seulement 680 grammes, admis en service de néonatologie, mais qui est décédé deux mois plus tard, le 24 janvier 2015, des suites d'une entérocolite ulcéro-nécrosante (ECUN) foudroyante. M. et Mme B..., mettant en cause les conditions de la prise en charge alimentaire de leur enfant et la survenance d'une infection nosocomiale, ont présenté en vain des réclamations préalables au CHU de Caen et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). Leur requête indemnitaire portée devant le tribunal administratif de Caen a été rejetée par un jugement du 11 décembre 2020. M. et Mme B... ont relevé appel de ce jugement. Par un arrêt avant dire droit du 25 février 2022, ce jugement a été annulé pour s'être fondé sur une expertise irrégulière, et, après avoir évoqué l'affaire, la juridiction a ordonné une nouvelle expertise. Les experts ont déposé leur rapport le 16 juin 2023.
Sur l'obligation de l'ONIAM :
2. Si les requérants mettent en cause l'ONIAM, il ne résulte pas de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que le décès du petit ... aurait eu pour origine une infection nosocomiale, bien que, le jour de son décès, aient été notées au plan infectieux la présence de serratia marcescens sur la sonde endotrachéale et dans le pus pharyngé, ainsi qu'une hémoculture positive pour deux types de staphylococcus epidermis. L'ONIAM doit, par suite, être mis hors de cause.
Sur la responsabilité du CHU de Caen :
3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ". L'article 1111-2 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur, disposait que " I. Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / (...) II. Les droits des mineurs ou des majeurs sous tutelle mentionnés au présent article sont exercés, selon les cas, par les titulaires de l'autorité parentale ou par le tuteur (...) / IV. (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen (...) ".
4. En premier lieu, les requérants mettent en cause le comportement fautif de l'hôpital de Caen, tant dans la prise en charge de l'alimentation de ... que dans la prise en charge de l'ECUN à partir de la manifestation de cette pathologie grave le 16 janvier 2015. Il résulte de l'instruction que cette pathologie trouve son origine dans la conjugaison de deux facteurs : la très grande prématurité, facteur d'immaturité de la paroi digestive, avec une fragilité extrême et un risque majeur de nécrose, et le déficit immunitaire du nourrisson, propice aux infections et chocs septiques. Elle est une complication connue de la grande prématurité, observée chez 5% des prématurés nés avant 28 semaines, dont la fréquence est inversement proportionnelle à l'âge gestationnel et comportant un risque de mortalité de 3% en moyenne, mais variable selon l'âge gestationnel, le grade de l'ECUN, et le caractère chirurgical ou non de l'ECUN.
5. S'il n'est pas contesté que ... présentait de nombreux facteurs de risques inévitables, liés à une grande prématurité, à son retard de croissance intra utérin, à une détresse respiratoire néonatale, à une persistance du canal artériel, à l'administration d'une corticothérapie postnatale pour traiter une dysplasie bronchopulmonaire, et à la transfusion qui lui avait été faite d'un culot globulaire, tous éléments pris en compte par les experts, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise qu'un enchaînement d'imprudences et de fautes ont conduit au décès de l'enfant.
6. D'abord, des pratiques critiquables, qualifiées par les experts d'" imprudences ", ont été adoptées pour la conduite de l'alimentation orale de ... du 17 décembre 2014 au 16 janvier 2015, qui ont pu augmenter le risque de survenance de cette complication grave du nourrisson qu'est l'ECUN. ... a en effet été alimenté à partir du 17 décembre 2014, alors qu'il avait un âge corrigé de 30 SA + 2 jours, avec du lait maternel frais alors que celui-ci n'est pas recommandé avant 32 SA. Puis, du 5 au 15 janvier 2015, il a été alimenté avec du lait frais, donc non stérile, via une sonde duodénale, alors que seul un lait stérile doit être administré en cas de nutrition duodénale. Enfin, le 16 janvier 2015, il a reçu, un biberon de lait maternisé " de formule " Préguigoz(r) alors que, compte tenu de son poids, il aurait dû être alimenté de manière privilégiée par du lait maternel frais ou de lactarium pasteurisé jusqu'à ce qu'il ait atteint le poids de 1,5 kg.
7. Surtout, il doit être reproché à l'équipe des fautes dans la prise en charge, une fois l'ECUN déclarée et repérable, soit à partir du 16 janvier 2015, qui ont été déterminantes dans l'évolution péjorative de son état santé et son décès. Ainsi, le 16 janvier, dans l'heure suivant l'administration de lait maternisé, ... a présenté des symptômes évocateurs d'une entérocolite nécrosante de grade IIa selon la classification de Bell modifiée, correspondant à une gravité moyenne, soit des selles sanglantes, un abdomen sensible avec désaturation à la palpation, ce diagnostic étant confirmé par l'examen radiologique de l'abdomen, montrant des images de pneumatose. Or les bonnes pratiques recommandaient, d'une part, de stopper immédiatement l'alimentation entérale, ce qui a été fait mais pour une durée trop brève, l'alimentation étant reprise de manière très prématurée, le 18 janvier 2015, donc moins de 48 h après la dernière selle sanglante alors qu'il aurait fallu attendre 7 à 10 jours, et selon un rythme trop rapide, et, d'autre part, d'engager immédiatement une antibiothérapie de première intention, ce qui n'a pas été fait en raison d'un bilan inflammatoire alors négatif. Ils ajoutent que de nouveaux symptômes apparus le 20 janvier, consistant en deux nouveaux épisodes de selles sanglantes notés et rapportés à une fissure anale, auraient dû alerter l'équipe sur la nécessité d'arrêter à nouveau l'alimentation, laquelle a été poursuivie. Ils rapportent enfin que, le 24 janvier, alors qu'il avait déjà été noté à 00h10 à propos de ... " ballonné, refuse de téter ", l'enfant a présenté entre 05h et 07h15 plusieurs signes d'alerte vitale (bradycardies / désaturations), mais que l'équipe médicale n'a été informée que deux heures plus tard, trouvant à 7h15 un enfant en arrêt cardio-respiratoire qui n'a pu être ranimé malgré les manœuvres de réanimation adéquates.
8. S'il n'est pas possible d'établir un lien direct, comme le font les requérants, entre l'alimentation de ... par du lait maternisé le 16 janvier 2015 et son décès huit jours plus tard, ni entre ce décès et les imprudences analysées au point 6 commises antérieurement dans la manière dont cet enfant a été alimenté, les experts estiment très clairement qu'à partir de l'épisode d'ECUN du 16 janvier 2015 et pour les raisons exposées au point 7, l'enfant n'a pas été pris en charge selon les règles de l'art. Les manquements consistant dans la reprise trop précoce et rapide de l'alimentation entérale de ... à partir du 18 janvier 2015, dans l'absence d'antibiothérapie pratiquée à partir de cette date, et dans le retard à la prise en charge en urgence vitale du 24 janvier 2015 présentent le caractère de fautes de nature à engager la responsabilité du CHU de Caen.
9. En second lieu, M. et Mme B..., font valoir n'avoir à aucun moment été informés de la pathologie dont était atteint leur enfant ni, surtout, de la gravité de son état et de l'évolution dramatique de celui-ci à partir du 16 janvier 2015 et jusqu'à son décès, de sorte qu'ils n'ont pas pu s'y préparer. S'il résulte de l'instruction que, malgré des signes cliniques et symptômes allant dans le sens d'un diagnostic d'ECUN, ce diagnostic n'a été formellement posé qu'après le décès de ... et son autopsie, il n'en demeure pas moins que le grief exprimé par M. et
Mme B..., tenant à l'absence d'information sur l'aggravation de l'état de santé de leur enfant dans ses tout derniers jours de vie et jusque très peu de temps avant son décès doit être regardé comme établi en l'absence de toute défense sur ce point de l'hôpital de Caen. Il y a lieu, dans ces conditions, de retenir un manquement de celui-ci à l'obligation d'information qui lui incombe en vertu des dispositions, citées au point 3, de l'article L.1111-2 du code de la santé publique.
Sur l'évaluation des préjudices :
En ce qui concerne le taux de perte de chance :
10. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
11. Au cas particulier, il résulte clairement des conclusions de l'expertise ordonnée par la cour qu'une " prise en charge adéquate aurait certainement permis d'éviter l'accident dramatique terminal du 24 janvier ". Les experts retiennent l'existence d'une perte de chance d'éviter le décès de 95% résultant, d'une part, d'une probabilité proche de 0 de faire une forme fulgurante et létale d'ECUN le 24 janvier 2015, soit 8 jours après la symptomatologie initiale d'ECUN, la possibilité d'une ECUN fulgurante chez un prématuré à deux mois de vie non alimenté étant exclue, et, d'autre part, de la prise en compte d'un risque résiduel de récidive de l'ECUN même correctement pris en charge.
12. D'une part, si le CHU, qui se prévaut des observations de son médecin conseil, affirme que l'absence de mise sous antibiothérapie immédiate de l'enfant n'était pas fautive, le bilan inflammatoire étant négatif, il ne conteste pas valablement l'analyse des experts selon laquelle une antibiothérapie devait être prescrite le 16 janvier 2015 en première intention, susceptible d'être arrêtée après récupération des résultats de bilans inflammatoires et bactériologiques dans un délai de 48h.
13. D'autre part, en se bornant à déplorer qu'il ne soit apporté aucun élément statistique concernant les chances de rétablissement ou de survie d'un nouveau-né prématuré atteint d'une ECUN, l'hôpital n'apporte pas d'éléments susceptibles de remettre en cause les conclusions des experts selon lesquelles, dans le cas particulier de ..., pour lequel toute alimentation aurait dû être arrêtée, la probabilité de faire une forme fulgurante et létale d'ECUN le 24 janvier, soit 8 jours après la symptomatologie initiale d'ECUN, était proche de 0 (perte de chance 100%), la possibilité d'une ECUN fulgurante chez un prématuré à deux mois de vie non alimenté étant exclue. L'hôpital ne produit de son côté aucune statistique fiable et documentée, portant sur une situation médicale comparable à celle de l'espèce, soit sur les chances de survie d'un prématuré déjà âgé de deux mois, atteint d'une ECUN de stade IIa prise en charge de manière adéquate et en temps utile. Sur ce point, s'il est fait état, dans un dire du docteur G..., médecin conseil de l'hôpital, d'une statistique de taux de mortalité de 42% pour un enfant pesant 680 grammes à la naissance, cette statistique ne peut être retenue en ce qu'elle rapporte l'expérience particulière d'un service de chirurgie accueillant des " formes chirurgicales d'ECUN qui ont un taux de mortalité dix fois supérieur à celui des formes non chirurgicales ". De même, la référence à une statistique générale de mortalité des grands prématurés n'est pas pertinente.
14. Enfin, contrairement à ce que soutient l'hôpital de Caen et ainsi qu'il a déjà été dit au point 5, les experts ont bien tenu compte, de l'état préexistant de ..., qui présentait de nombreux facteurs de risques inévitables, qu'ils ont rappelés dans leur rapport.
15. Il y a lieu, dans ces conditions, de retenir le taux de 95% de perte de chance retenu par les experts.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne les préjudices subis par ... B... avant son décès :
16. En premier lieu, il sera fait une juste appréciation du déficit fonctionnel subi par ... entre le 16 janvier 2015, date de la prise en charge inadaptée de son ECUN, et le 24 janvier 2015, date de son décès, en accordant à ses parents et ayants-droits la somme de 130 euros tenant compte du taux de perte de chance défini ci-dessus.
17. En deuxième lieu, les souffrances endurées par le petit ... avant son décès sont évaluées à 7 sur une échelle de 7 par les experts. Il en sera fait une juste appréciation en condamnant le CHU de Caen à verser à M. et Mme B... une somme de 15 000 euros tenant compte du taux de perte de chance défini ci-dessus au point 15.
18. En troisième lieu, l'existence, pour ... B..., d'un préjudice indemnisable lié à une angoisse de mort imminente n'est pas établie. La demande tendant à l'indemnisation de ce chef de préjudice ne peut, par suite, être accueillie
En ce qui concerne les préjudices subis par M. et Mme B... :
S'agissant des préjudices patrimoniaux :
19. En premier lieu, les requérants sont fondés à demander le remboursement des frais d'obsèques de ..., justifiés par des factures pour un montant total de 2 931,50 euros. Une somme de 2 784,93 euros doit, par suite, être accordée à M. et Mme B... après application du taux de perte de chance.
21. En deuxième lieu, M. et Mme B... sont fondés à demander, au titre des frais divers, le remboursement des coûts qu'ils ont exposés correspondant aux honoraires de l'avocat qui les a assistés dans le cadre de la première expertise ordonnée en référé, à leurs frais de déplacement pour assister aux opérations de cette première expertise, organisée à Lisieux, calculés par application du barème kilométrique applicable à la date de réalisation de cette expertise en 2017, ainsi qu'aux mêmes frais d'avocat et de déplacement qu'ils ont exposés pour la seconde expertise, ordonnée par la cour et organisée en 2013 à Paris, soit une dépense totale de 2 202,45 euros ramenée à 2 092,33 euros après application du taux de perte de chance. En revanche, la somme de 1 500 euros qu'ils demandent en remboursement des frais et honoraires du premier expert, mis à leur charge par une ordonnance de taxation du 10 octobre 2017 confirmée par le jugement du tribunal administratif, constituent des dépenses dont la charge définitive doit être attribuée dans le cadre de l'instance d'appel au titre des dépens de cette instance.
22. En troisième lieu, Mme B... fait valoir que, employée de façon régulière par la ville de Caen comme agent contractuelle jusqu'à la naissance de E... sur des postes de remplacement d'agents momentanément indisponibles, elle n'a pu reprendre un emploi à la suite des difficultés psychologiques longues qu'elle a traversées et qui ont été réactivées gravement à l'occasion de la naissance d'un deuxième enfant en 2018. Elle demande l'indemnisation des pertes de gains professionnels qu'elle a subies en 2018, 2019, 2020 et 2021, à hauteur d'une somme totale de 25 214,79 euros après application du taux de perte de chance, ainsi que l'indemnisation d'une incidence professionnelle à hauteur de 14 250 euros.
23. Toutefois, d'une part, s'il est fait état de pertes de gains professionnels de Mme B... entre 2018 et 2021, qui résulteraient de l'incapacité à travailler dans laquelle elle s'est trouvée du fait de difficultés d'ordre psychologique médicalement constatées et prises en charge, la requérante n'apporte pas la preuve d'un emploi stable lui procurant des revenus réguliers au cours des années précédentes, ni de précisions sur les revenus qu'elle a perçus à ce titre jusqu'en 2015. Dans ces conditions, elle ne justifie pas du préjudice allégué.
24. D'autre part, s'il résulte de l'instruction, au regard du rapport d'expertise et de l'ensemble des pièces produites, que Mme B... a été durablement dans l'incapacité de travailler en raison du retentissement du décès de ... sur son état de santé, elle ne démontre pas l'existence et la consistance de l'incidence professionnelle dont elle demande également l'indemnisation. Une telle incidence professionnelle ne peut être indemnisée en l'absence de toute visibilité sur la carrière et les perspectives professionnelles de Mme B... antérieures au décès de ..., la seule circonstance qu'elle ait été recrutée et titularisée en 2022 par la ville de Caen dans un emploi relevant du corps d'adjoint administratif territorial ne démontrant pas que, sans les fautes de l'hôpital et le décès de son premier enfant, elle aurait eu une carrière plus continue et linéaire et aurait accédé plus rapidement à la possibilité d'une titularisation dans la fonction publique territoriale ainsi qu'elle le soutient.
S'agissant des préjudices extra patrimoniaux :
25. En premier lieu, le décès survenu dans les conditions rappelées a été pour chacun des parents de E... à l'origine d'un préjudice moral et d'affection d'autant plus intense que cette grossesse menée à son terme était la première, que la naissance du premier enfant du couple était l'aboutissement de démarches réitérées de procréation médicalement assistée, et que l'enfant né grand prématuré avait presque doublé son poids au moment de son décès ce qui suscitait nécessairement une confiance dans la suite de son développement et de sa croissance. L'expert note d'ailleurs que Mme B... a subi de lourdes conséquences psychologiques du fait du décès de son fils, nécessitant un suivi psychiatrique. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par M. et Mme B..., père et mère de l'enfant, en condamnant le CHU de Caen à leur verser, à chacun, la somme de 30 000 euros après application du taux de perte de chance défini au point 16.
26. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit ci-dessus au point 9, les requérants font valoir sans qu'il leur soit répliqué sur ce point n'avoir à aucun moment été informés de la pathologie dont était atteint leur enfant ni de la gravité de son état et de l'évolution dramatique de son état de santé à partir du 16 janvier 2015 et jusqu'à son décès. Ils se plaignent d'un préjudice d'impréparation consistant dans l'incapacité où ils se sont trouvés, en raison de ce défaut d'information, de se préparer au décès de ..., auprès duquel ils ont été appelés en urgence, très peu de temps avant qu'il décède en leur présence. Il sera fait une juste appréciation du préjudice ainsi subi et caractérisé par eux en leur accordant une somme de 3 800 euros à chacun après application du taux de perte de chance.
27. En troisième lieu, les requérants demandent l'indemnisation d'un préjudice d'accompagnement en faisant valoir qu'ils étaient " évidemment au chevet de leur fils lorsqu'il a développé la pathologie mal prise en charge par le CHU de Caen " et " également lors de son décès " Toutefois, par cette seule argumentation et alors que ... B... était hospitalisé depuis sa naissance en raison de sa grande prématurité et que, dans ce cadre et indépendamment de toute faute imputable au centre hospitalier, ses parents étaient fréquemment présents auprès de lui, l'existence d'un préjudice d'accompagnement en lien avec les fautes imputables au centre hospitalier n'est pas caractérisée.
28. En quatrième lieu, les requérants font valoir l'intensité des souffrances qu'ils ont endurées, ainsi que les répercussions de la disparition de leur enfant sur leur état de santé mentale, Mme B... ayant été dans l'incapacité de travailler jusqu'en avril 2022. Ils soutiennent l'un et l'autre, d'une part, avoir subi un déficit fonctionnel temporaire pour des raisons d'ordre psychiatrique ou psychologique, qu'ils évaluent à 25% de janvier 2015 à avril 2022, et, d'autre part, rester désormais affectés, après l'épreuve traversée, d'un déficit fonctionnel permanent évalué à 5%.
29. Il ressort du rapport d'expertise, d'une part, que les experts ont constaté des préjudices subis par les requérants, qu'ils qualifient de " préjudices par ricochet ", liés au suivi psychiatrique de Mme B... à partir de 2018, du fait " de la décompensation d'un trouble anxieux au moment de la naissance du second enfant ", rappelant que, si elle a accouché par césarienne d'une petite fille prématurée et bien-portante le 31 janvier 2018, " Mme B... a été en arrêt de travail en raison de ces troubles psychiatriques jusqu'en mai 2022 ". Ils constatent également qu'" on peut noter une IPP de 5% pour les parents en raison du stress post décès d'un enfant ". Les requérants versent au dossier plusieurs attestations démontrant le suivi et le traitement, aux plans psychologique et psychiatrique, de Mme B... par plusieurs professionnels de santé en raison d'un syndrome dépressif majeur, des témoignages de proches attestant de ce retentissement psychique, et ils font valoir que M. B... lui-même a été atteint psychiquement et a dû suppléer son épouse lorsque celle-ci s'effondrait. Il sera fait une juste appréciation des préjudices ainsi caractérisés par les requérants, qui se distinguent du préjudice moral et d'affection déjà indemnisé au point 25, en condamnant l'hôpital de Caen à verser aux requérants une indemnisation globale au titre des troubles dans les conditions d'existence, d'un déficit fonctionnel permanent " psychique " évalué à 5% par les experts pour chacun des parents, et des troubles d'ordre psychologique et psychiatrique ayant durablement affecté
Mme B... à distance du décès de son premier enfant. Il en sera fait une juste appréciation en accordant à Mme B... une somme de 12 000 euros et à M. B... une somme de 8 000 euros après application du taux de perte de chance.
En ce qui concerne les préjudices subis par la jeune A... B... :
30. M. et Mme B..., demandent la condamnation du CHU à leur verser une indemnisation de 4 750 euros après application du taux de perte de chance, en leur qualité d'ayants-droit de leur fille A..., née le 31 janvier 2018. S'il ne peut être admis, pour celle-ci, née plus de trois ans après son frère ..., l'existence d'un préjudice moral qu'elle aurait subi du fait du décès de son frère, il n'en demeure pas moins que les conditions de vie et d'accompagnement éducatif de cette petite fille, née à l'issue d'un nouveau parcours de procréation médicalement assistée, ont été substantiellement affectées par les effets du décès de son frère sur sa mère, et qu'elle a souffert de l'état de santé psychologique de celle-ci et de son indisponibilité. Il sera fait, dans les circonstances particulières de l'espèce, une juste appréciation du préjudice d'(ANO(A... B...(/ANO) en l'évaluant à une somme de 2 000 euros après application du taux de perte de chance et en condamnant le CHU de Caen à verser cette somme à M. et Mme B....
31. Il résulte de ce qui précède que les préjudices dont justifient M. et Mme B... s'établissent aux sommes de 92 477,26 euros s'agissant de leurs préjudices propres, de 15 130 euros s'agissant du préjudice de ... et de 2 000 euros s'agissant du préjudice de leur fille A..., soit une somme totale de 109 607,26 euros.
Sur le droit à indemnisation des requérants :
32. La personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur. Cette personne n'est toutefois recevable à majorer ses prétentions en appel que si le dommage s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu'elle attaque. Il suit de là que, s'il appartient au juge d'appel d'évaluer, à la date à laquelle il se prononce, les préjudices invoqués, qu'ils l'aient été dès la première instance ou qu'ils le soient pour la première fois en appel, et de les réparer dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges, il ne peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant que si le dommage s'est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué.
33. Il résulte de l'instruction que, si le décès de ... est survenu en 2015 et si les consorts B... ont pu saisir dès cette date le tribunal administratif de Caen pour obtenir réparation de leurs préjudices et des souffrances de ... jusqu'à son décès, qu'ils imputaient alors à la fourniture à leur enfant d'un lait inadapté par l'hôpital, et, subsidiairement, à la survenance d'une infection nosocomiale, l'étendue réelle des conséquences dommageables de la prise en charge inadéquate de ... au CHU de Caen, soit une perte de chance d'éviter la mort de cet enfant évaluée à 95%, n'a été connue qu'après le dépôt d'une seconde expertise, ordonnée par la cour administrative d'appel, qui a fait apparaître l'étendue et les causes exactes des préjudices allégués, et dont les conclusions ont été inverses à celles de l'expertise ordonnée et prise en compte par le tribunal administratif pour fonder son jugement, concluant au contraire à l'absence de toute faute du CHU et de tout préjudice indemnisable, et s'abstenant de procéder à l'évaluation des préjudices comme cela lui avait pourtant été demandé. En outre, une partie des préjudices dont M. et Mme B... demandent l'indemnisation en cause d'appel correspondent à des préjudices à caractère continu ou s'étant prolongés au-delà de la date du jugement du tribunal administratif de Caen du 11 décembre 2020. Enfin, et en tout état de cause, ce jugement ayant été annulé pour irrégularité par l'arrêt avant dire droit rendu par la cour le
25 février 2022, les requérants, dans le cadre de l'examen du litige par la juridiction statuant après évocation, ne sauraient être limités dans leurs prétentions par l'indemnité totale qu'ils avaient demandée en première instance.
34. Il suit de là que M. et Mme B..., s'ils ont demandé aux premiers juges la condamnation du CHU de Caen ou de l'ONIAM à leur verser les sommes de 30 000 euros en réparation des souffrances endurées par ... avant son décès et de 35 000 euros pour chacun d'entre eux en indemnisation de leurs propres préjudices extra patrimoniaux, soit une somme totale de 100 000 euros, peuvent en appel détailler leurs préjudices et rehausser le montant de leurs prétentions. Par suite, le CHU de Caen ne pouvant valablement soutenir que l'indemnité qui leur est due devrait être plafonnée au montant sollicité par eux en première instance, les requérants sont fondés à demander la condamnation de cet établissement public à leur verser l'intégralité des sommes mentionnées au point 31.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
35. M. et Mme B... ont droit à ce que la somme qui leur est accordée porte intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2018, date de réception par le CHU de Caen de leur réclamation préalable.
36. Les requérants ont demandé la capitalisation des intérêts dans leur requête enregistrée devant la cour le 10 février 2021, date à laquelle étaient dus au moins une année d'intérêts, cette demande prendra donc effet à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de celle-ci.
En ce qui concerne les droits de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Calvados :
37. Lorsqu'une caisse, pourtant régulièrement appelée en cause en première instance, n'a pas présenté de conclusions devant le tribunal administratif, cette circonstance fait obstacle à ce qu'elle présente devant la cour administrative d'appel des conclusions tendant au remboursement de sommes exposées par elle antérieurement au jugement de première instance. Au cas particulier, toutefois, eu égard à l'annulation pour irrégularité par la cour du jugement du tribunal administratif de Caen, à l'office du juge d'appel statuant après évocation, et compte tenu également de ce qui a été dit-ci-dessus au point 33, la CPAM du Calvados est recevable à faire valoir l'ensemble des débours qu'elle a exposés en lien avec le décès de ... avant ou après le jugement du 11 décembre 2020.
38. En premier lieu, il ressort du décompte définitif établi par la CPAM du Calvados correspondant aux débours qu'elle a exposés pour ... B... que cette caisse a exposé pour celui-ci des " frais hospitaliers " à hauteur de 2 598 euros pour la journée du 24 janvier 2015, correspondant au jour du décès de ... et de sa prise en charge en urgence vitale, après la dégradation foudroyante de son état de santé du fait des manquements dans sa prise en charge imputables à l'hôpital. Le remboursement de cette somme n'étant contesté en défense ni dans son principe ni dans son montant, la caisse est, par suite, fondée à demander 95% de cette somme, soit 2 468 euros.
39. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que le décès de ... a durablement mis dans l'incapacité de travailler Mme B..., et que celle-ci a été suivie durant plusieurs années par des professionnels de santé qui en attestent. Il y a lieu, dans ces conditions, et en l'absence de contestation sérieuse de ces débours par le CHU de Caen, de mettre à la charge de cet établissement la somme de 24 636 euros correspondant à 95% des indemnités journalières versées à Mme B... entre 30 mai 2018 et le 31 mars 2021, retracées dans la notification définitive des débours établie par la CPAM.
40. En troisième lieu, si Mme B... s'est vue accorder une pension d'invalidité à partir de du 1er avril 2021, le remboursement à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados des montants de cette pension versés ou à verser à Mme B... ne peut être accueillie, en l'absence de lien de causalité direct et certain pouvant être établi, en l'état du dossier, entre le décès de ... en janvier 2015 et la ou les pathologies ayant justifié l'octroi de cette pension, alors que les documents versés par la requérante dans le cadre de l'instance d'appel font état, en plus des problèmes psychologiques et psychiatriques déjà évoqués, d'autres problèmes de santé correspondant à un diabète de type 2 et à des dorsolombalgies intenses et chroniques. De même, l'imputabilité au décès de ... de la somme de 125,28 euros correspondant à des " frais médicaux " exposés " du 2 août 2021 au 17 avril 2023 " ne peut être admise en l'absence de toute précision sur les dépenses en cause et d'attestation d'imputabilité.
41. Il résulte de ce qui précède que la CPAM du Calvados est fondée à demander la condamnation du CHU de Caen à lui verser la somme de 27 104 euros.
42. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 € et d'un montant minimum 91 €. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget (...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 15 décembre 2022 visé ci-dessus : " Les montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale sont fixés respectivement à 115 € et à 1 162 € au titre des remboursements effectués au cours de l'année 2022. ".
43. Il y a lieu, en application des dispositions précitées de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, de mettre à la charge du CHU de Caen la somme de 1 162 euros qui sera versée à la CPAM du Calvados au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Sur les dépens :
44. Il y a lieu, en l'espèce, de mettre à la charge définitive du CHU de Caen, les frais de l'expertise taxés et liquidés par une ordonnance du vice-président du tribunal administratif de Caen à la somme de 1 500 euros ainsi que ceux liquidés et taxés par le président de la cour administrative d'appel de Nantes par ses ordonnances des 27 septembre 2023 aux sommes de 3 480 euros, 2 700 euros et 2 520 euros, soit un total de 8 700 euros.
Sur les frais liés au litige :
45. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'ONIAM qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées à ce titre par M. et Mme B... ne peuvent dès lors être accueillies.
46. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du CHU de Caen, sur le fondement des mêmes dispositions, une somme de 3 000 euros qui sera versée à M. et Mme B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, ainsi qu'une somme de 1 000 euros à verser à la CPAM du Calvados.
DECIDE :
Article 1er : Le CHU de Caen est condamné à verser à M. et Mme B... la somme totale de 109 607,26 euros qui sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2018. Les intérêts échus à la date du 10 février 2021, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le CHU de Caen versera à la CPAM du Calvados la somme de 27 104 euros, outre la somme de 1 162 euros au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Article 3 : Les frais des expertises taxés et liquidés aux sommes de 1 500 euros et 8 700 euros sont mis à la charge définitive du CHU de Caen.
Article 4 : Le CHU de Caen versera à M. et Mme B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à la CPAM du Calvados la somme de
1 000 euros au titre des mêmes dispositions.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme B... et des conclusions de la CPAM du Calvados est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., à M. D... B..., au centre hospitalier universitaire de Caen, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados.
Délibéré après l'audience du 16 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Lellouch, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2023.
Le rapporteur,
G.-V. VERGNE
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21NT00365002