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13/12/2023 | FRANCE | N°23DA00255

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 13 décembre 2023, 23DA00255


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté en date du 28 juillet 2022 par lequel le préfet du Nord lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français durant un an.



Par un jugement n° 2206238 du 18 octobre 2022, le magistrat désign

é par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.



Procédure devant ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté en date du 28 juillet 2022 par lequel le préfet du Nord lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français durant un an.

Par un jugement n° 2206238 du 18 octobre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 février 2023, Mme B..., représentée par Me Clément, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté en date du 28 juillet 2022 par lequel le préfet du Nord lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français durant un an ;

3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou à défaut, qu'il lui soit enjoint de réexaminer sa situation et de prendre une nouvelle décision dans un délai d'un mois sous astreinte de 150 euros par jour de retard, et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans l'attente de ce réexamen, conformément aux articles L. 911-1, L. 911-2 et L. 911-3 du code de justice administrative ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement une somme de 1 500 euros, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, à verser à son conseil, à charge pour ce dernier de renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat.

Elle soutient que :

- le refus d'admission au séjour est entaché d'un défaut d'examen sérieux de la situation personnelle et méconnaît les dispositions des articles L. 425-9, L. 431-2, L. 542-4 et R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour et méconnaît les articles L. 611-3 et R. 425-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision fixant le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de de quitter le territoire français ;

- l'interdiction de retour sur le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, est insuffisamment motivée et est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle et d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 mars 2023, le préfet du Nord conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'aucun moyen soulevé par la requérante n'est fondé.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Marc Baronnet, président assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante ivoirienne, née le 10 mars 1987, déclarant être entrée en France en 2019, s'est vu refuser l'asile par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 31 décembre 2021, le recours introduit à l'encontre de cette décision ayant été rejeté par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 23 mai 2022. Mme B... a en outre demandé, le 23 février 2021, un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par une décision du 18 février 2022, le préfet du Nord a rejeté cette demande, motif pris de l'absence de production des documents justifiant l'état civil de Mme B.... Mme B... fait appel du jugement n° 22006238 du 18 octobre 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 28 juillet 2022 du préfet du Nord lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui interdisant le retour sur le territoire français durant un an.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 431-2, qui reprend les dispositions antérieurement codifiées l'article L. 311-6, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, : " Lorsqu'un étranger a présenté une demande d'asile qui relève de la compétence de la France, l'autorité administrative, après l'avoir informé des motifs pour lesquels une autorisation de séjour peut être délivrée et des conséquences de l'absence de demande sur d'autres fondements à ce stade, l'invite à indiquer s'il estime pouvoir prétendre à une admission au séjour à un autre titre et, dans l'affirmative, à déposer sa demande dans un délai fixé par décret. Il est informé que, sous réserve de circonstances nouvelles, notamment pour des raisons de santé, et sans préjudice de l'article L. 611-3, il ne pourra, à l'expiration de ce délai, solliciter son admission au séjour ". Aux termes de l'article D. 431-7 du même code : " Pour l'application de l'article L. 431-2, les demandes de titres de séjour sont déposées par le demandeur d'asile dans un délai de deux mois. Toutefois, lorsqu'est sollicitée la délivrance du titre de séjour mentionné à l'article L. 425-9, ce délai est porté à trois mois ". Aux termes de l'article L. 542-4 du même code : " L'étranger auquel la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé ou qui ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 542-2 et qui ne peut être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre doit quitter le territoire français, sous peine de faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / (...) "

4. Il ressort des pièces du dossier que le préfet du Nord a, par une décision du 18 février 2022, rejeté la demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile de Mme B.... Dès lors, en l'absence de changement de circonstances, le refus d'admission au séjour sur le même fondement contenu dans l'arrêté du 28 juillet 2022 revêt le caractère d'une décision confirmative. Dans ces conditions, Mme A... B... doit être regardée comme demandant l'annulation de ces deux dernières décisions ainsi que des autres décisions contenues dans l'arrêté du 28 juillet 2022 par lesquelles le préfet du Nord l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français durant un an.

5. Il ressort des décisions contestées que, pour refuser l'admission au séjour de Mme B..., le préfet du Nord s'est fondé sur l'absence de production de documents justifiant de son état civil ainsi que sur l'absence de circonstances nouvelles, depuis l'enregistrement de sa demande d'asile en 2019, lui permettant de demander un titre de séjour hors du délai prévu à l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Or, il ressort des pièces du dossier que si Mme B... présentait dès l'enregistrement de sa demande d'asile en 2019 un déficit constitutionnel en protéines C et S compliqué d'une thrombose veineuse spléno-mésaraïque avec hypertension portale segmentaire et des antécédents de rupture de varices œsophagiennes, qu'elle recevait alors un traitement anticoagulant au long et s'il était suspecté une béta thalassémie, le diagnostic concernant cette dernière pathologie, rare, et son niveau de gravité n'ont été confirmés qu'au mois de septembre 2021. En outre, ce n'est qu'à compter de cette date que Mme B... a bénéficié d'un traitement adapté à cette pathologie et consistant en des supports transfusionnels toutes les 4 semaines, nécessitant des bilans réguliers. Le diagnostic confirmé de cette pathologie constitue ainsi une circonstance nouvelle depuis l'enregistrement de la demande d'asile en 2019, de nature à faire obstacle à l'application des conditions de délai mentionnées à l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En conséquence, dès lors que la demande de Mme B... ne pouvait être regardée comme présentée hors du délai prévu à l'article L. 431-2, le préfet du Nord ne pouvait la rejeter sans avoir saisi le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration de la situation de Mme B... et l'a ainsi privée d'une garantie. Le refus d'admission au séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne pouvait être fondé sur la seule absence de production de documents justifiant de son état civil, est par suite entaché d'illégalité.

6. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus d'admission au séjour contenu dans la décision du 18 février 2022 et dans l'arrêté du 28 juillet 2022 et, par la voie de l'exception d'illégalité, des autres décisions contestées et contenues dans ce même arrêté.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

7. Si Mme B... allègue que le traitement de ses pathologies ne serait pas accessible en Côte d'Ivoire, la seule production à cet égard d'un certificat médical du Dr. Garnotel, déclarant que Mme B... " risque d'être privée dans son pays d'origine " d'une prise en charge médicale appropriée, ne suffit pas à l'établir. Dans ces conditions, il n'y a lieu de faire droit qu'aux conclusions aux fins de réexamen de la demande de Mme B..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

8. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Clément, avocat de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Clément de la somme de 1 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2206238 du 18 octobre 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille, la décision du 18 février 2022 et l'arrêté du 28 juillet 2022 du préfet du Nord sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet territorialement compétent de réexaminer la situation de Mme B... dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : L'Etat versera à Me Clément une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Clément.

Copie en sera adressée au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 1er décembre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Thierry Sorin, président de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur ;

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 décembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : M. BaronnetLe président de chambre,

Signé : T. Sorin

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

Anne-Sophie VILLETTE

N°23DA00255 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00255
Date de la décision : 13/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Sorin
Rapporteur ?: M. Marc Baronnet
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : CLEMENT

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-13;23da00255 ?
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