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13/12/2023 | FRANCE | N°22LY01488

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 13 décembre 2023, 22LY01488


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 20 mai 2020 par laquelle le président de la communauté de communes Morvan Sommets et Grands Lacs a prononcé son licenciement pour insuffisance professionnelle, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux, et de condamner ladite communauté de communes à lui verser la somme de 100 969,37 euros en réparation des préjudices causés par l'illégalité de ces décisions.



Par un jugement n° 2003191 du 15 mars 2022, le tribunal administratif de Dijon a annulé la déci...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 20 mai 2020 par laquelle le président de la communauté de communes Morvan Sommets et Grands Lacs a prononcé son licenciement pour insuffisance professionnelle, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux, et de condamner ladite communauté de communes à lui verser la somme de 100 969,37 euros en réparation des préjudices causés par l'illégalité de ces décisions.

Par un jugement n° 2003191 du 15 mars 2022, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du 20 mai 2020, et rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. B....

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 16 mai 2022, et des mémoires enregistrés les 13 septembre 2023 et 8 novembre 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, M. A... B..., représenté par Me Lopez, doit être regardé comme demandant à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 15 mars 2022 en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) de condamner la communauté de communes Morvan Sommets et Grands Lacs à lui verser la somme de 93 219,37 euros en réparation des préjudices financiers causés par cette décision illégale, et la somme de 7 750 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi ;

3°) de mettre à la charge de la communauté de communes Morvan Sommets et Grands Lacs une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les circonstances exceptionnelles de l'état d'urgence sanitaire n'ont pas permis une appréciation adaptée de sa manière de servir et les motifs de la décision de licenciement ne sont pas fondés ;

- il a subi un préjudice financier, constitué des pertes de rémunération de mai 2020 à décembre 2022 et du surplus de facturation du loyer qui lui a été réclamé, qu'il évalue à la somme totale de 92 769,37 euros ;

- le coût de l'hébergement mis à sa disposition a été unilatéralement et abusivement augmenté, alors que le confinement l'empêchait de trouver une autre solution, ce qui lui a occasionné un surcoût de 450 euros ;

- il a également subi un préjudice moral, qu'il évalue à 7 750 euros.

Par des mémoires en défense enregistrés le 13 juillet 2022 et le 10 octobre 2023, la communauté de communes Morvan Sommets et Grands Lacs, représentée par la SELARL Walgenwitz Avocats, agissant par Me Walgenwitz conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de M. B... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 10 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 13 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Joël Arnould, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;

- et les observations de Me Hammerer, avocate, pour M. B..., et celles de Me Walgenwitz, avocate, pour la communauté de communes Morvan Sommets et Grands Lacs ;

Considérant ce qui suit :

1. M. B... a été engagé par la communauté de communes Morvan Sommets et Grands Lacs pour une durée de trois ans à compter du 16 décembre 2019, en qualité de directeur contractuel de son office de tourisme. Par lettre du 16 mars 2020, le président de la communauté de communes l'a informé de ce qu'à l'issue de la période d'essai de trois mois prévue par son contrat, son engagement était confirmé. Toutefois, par une décision du 20 mai 2020, M. B... a été licencié pour insuffisance professionnelle. Il relève appel du jugement du 15 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision du 20 mai 2020, mais rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant notamment à la condamnation de la communauté de communes Morvan Sommets et Grands Lacs à l'indemniser des préjudices causés selon lui par l'illégalité de cette décision.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le bien-fondé du licenciement litigieux :

2. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision administrative entachée d'incompétence, il appartient au juge administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l'espèce, par l'autorité compétente. Dans le cas où il juge qu'une même décision aurait été prise par l'autorité compétente, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la conséquence directe du vice d'incompétence qui entachait la décision administrative illégale.

3. Aux termes du premier alinéa de l'article 39-2 du décret du 15 février 1988 visé ci-dessus, relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale : " L'agent contractuel peut être licencié pour un motif d'insuffisance professionnelle ". Le licenciement d'un agent contractuel en vertu de ces dispositions ne peut être fondé que sur des éléments révélant l'inaptitude de l'agent à exercer normalement les fonctions pour lesquelles il a été engagé et non sur une carence ponctuelle dans l'exercice de ces fonctions. Toutefois, une telle mesure ne saurait être subordonnée à ce que l'insuffisance professionnelle ait été constatée à plusieurs reprises au cours de la carrière de l'agent ni qu'elle ait persisté après qu'il ait été invité à remédier aux insuffisances constatées. Par suite, une évaluation portant sur la manière dont l'agent a exercé ses fonctions durant une période suffisante et révélant son inaptitude à un exercice normal de ses fonctions est de nature à justifier légalement son licenciement.

4. En l'espèce, pour prononcer le licenciement de M. B..., la communauté de communes Morvan Sommets et Grands Lacs s'est fondée sur son incapacité à prendre le temps d'écoute et d'observation nécessaire à une bonne appréhension des enjeux de développement local et du territoire essentielle à la bonne exécution des missions d'un directeur de l'office du tourisme, sur son attitude inappropriée lors de réunions en présentiel ou en visioconférence avec les agents de développement de la collectivité, et son impossibilité de se projeter dans une démarche collective et sa volonté de faire aboutir et d'imposer ses seules décisions, sur sa mauvaise appréhension de la frontière entre ses missions et celles données aux autres agents, malgré les rappels qui lui avaient été adressés, et enfin sur une erreur commise par le requérant en matière de gestion des ressources humaines, celui-ci ayant décidé de modifier la résidence administrative d'un agent sans prendre l'avis de son supérieur hiérarchique ni avoir un recul suffisant.

5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que quelques jours après la prise de son poste, M. B... a validé l'envoi de vœux et que la directrice générale des services a dû porter à son attention que ces vœux n'avaient pas été validés par la présidente de l'office. Par ailleurs, le 28 mars 2020, il a également signé pour acceptation des devis, validant ainsi des commandes d'un montant supérieur à celui pour lequel il avait reçu délégation. Enfin, en avril 2020, M. B... a donné instruction à la responsable des ressources humaines de la communauté de communes de procéder au changement de la résidence administrative de l'un des agents placés sous son autorité, sans avoir obtenu l'accord de la directrice générale des services. Il ne ressort pas de la seule circonstance qu'il entrait dans ses attributions d'organiser l'office de tourisme, qu'il aurait reçu délégation pour décider seul d'une telle modification. Il ressort de ces erreurs que M. B..., qui s'en excuse en invoquant son passé de chef d'entreprise, n'a pas su prendre connaissance des conditions d'exécution de ses fonctions, dans le cadre d'une structure administrative hiérarchisée et subordonnée à des élus.

6. En deuxième lieu, M. B... s'est excusé auprès de la directrice général des services pour avoir, lors d'une réunion organisée par celle-ci en visio-conférence sur le sujet des aides aux entreprises du territoire, monopolisé la parole au détriment des agents du service chargé du développement économique, et il a fait valoir son empathie, en qualité d'ancien chef d'entreprise, pour les difficultés rencontrées par les opérateurs économiques, soumettant en outre à sa supérieure hiérarchique deux lettres décrivant ses réflexions personnelles en matière d'aides économiques à destination des entreprises, en lui proposant de les transmettre à des élus de la collectivité. Quelques semaines plus tard, il s'est vanté d'avoir passé la nuit à travailler avec son épouse, étrangère à la communauté de communes, pour mettre au point un projet d'opération n'entrant pas dans ses attributions et en décalage avec les orientations déterminées lors d'une réunion tenue la veille. Enfin, en mai 2020, dans le cadre de l'élaboration d'un projet d'animation touristique, M. B..., alors qu'il lui était demandé de travailler sur la faisabilité juridique, financière et technique de ce projet, a insisté pour assurer à l'aide d'outils personnels, la conception graphique du projet. Ces incidents révèlent une mauvaise appréhension par le requérant de la frontière de ses missions, un manque d'écoute et une impossibilité à se projeter dans une démarche collective.

7. Alors même qu'une partie des faits reprochés à M. B... se sont déroulés avant qu'il ait été confirmé dans ses fonctions à l'issue de la période d'essai, que d'autres sont liés au travail isolé dans le cadre particulier du confinement sanitaire, et quand bien même la réalité des réunions de " recadrage " des 20 et 22 avril 2020 ne serait pas démontrée, la communauté de communes Morvan Sommets et Grands Lacs pouvait ainsi sans commettre d'erreur d'appréciation en déduire que l'intéressé était inapte à l'exercice normal des fonctions pour lesquelles il avait été recruté.

8. Dès lors, l'autorité compétente de la communauté de communes pouvait légalement décider le licenciement de M. B... pour insuffisance professionnelle, et il résulte de l'instruction que, si elle avait statué, elle aurait pris cette même mesure. Dans ces circonstances, ni le préjudice financier que M. B... affirme avoir subi du fait de la perte de rémunération consécutive à son licenciement, ni le préjudice financier résultant de la réévaluation de son loyer, ni le préjudice moral dont il se prévaut ne peuvent être regardés comme la conséquence directe du vice d'incompétence dont était entachée la décision ayant prononcé son licenciement.

9. Par ailleurs, le requérant, qui a bénéficié à titre provisoire de la mise à disposition d'une chambre d'hôtes pour un coût de 30 euros par semaine, n'établit pas qu'en décidant de lui appliquer à compter du 13 mai 2020 le tarif de 60 euros par nuit prévu par la délibération du conseil communautaire du 24 janvier 2019 pour la location de cette chambre, la communauté de communes aurait méconnu un engagement pris à son égard ou exercé à son égard un abus constitutif d'une faute de nature à engager sa responsabilité.

10. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement contesté, le tribunal administratif de Dijon a rejeté ses conclusions indemnitaires.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté de communes Morvan Sommets et Grands Lacs, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par M. B.... Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ce dernier le versement de la somme que la communauté de communes Morvan Sommets et Grands Lacs demande en application de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... B..., est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la communauté de communes Morvan Sommets et Grands Lacs sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la communauté de communes Morvan Sommets et Grands Lacs.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

M. Joël Arnould, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 décembre 2023.

Le rapporteur,

Joël ArnouldLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au préfet de la Nièvre, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY01488


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY01488
Date de la décision : 13/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-10-06-03 Fonctionnaires et agents publics. - Cessation de fonctions. - Licenciement. - Insuffisance professionnelle.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: M. Joël ARNOULD
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : WALGENWITZ AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-13;22ly01488 ?
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