La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/12/2023 | FRANCE | N°21LY03907

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 13 décembre 2023, 21LY03907


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



La SCEA Saint Pierre a demandé au tribunal administratif de Grenoble : 1°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 121 216 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2018, en réparation des préjudices que lui ont causés, au titre des années 2009, 2011 et 2013, l'illégalité des arrêtés du préfet de la Drôme ordonnant l'arrachage des vergers d'arbres du genre Prunus présentant un taux de contamination par la maladie de la Sharka supérieur à 5 % su

r l'année en cours ; 2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en applicati...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La SCEA Saint Pierre a demandé au tribunal administratif de Grenoble : 1°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 121 216 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2018, en réparation des préjudices que lui ont causés, au titre des années 2009, 2011 et 2013, l'illégalité des arrêtés du préfet de la Drôme ordonnant l'arrachage des vergers d'arbres du genre Prunus présentant un taux de contamination par la maladie de la Sharka supérieur à 5 % sur l'année en cours ; 2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1901972 du 30 septembre 2021, le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à verser à la SCEA Saint Pierre la somme de 44 559 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2018, a mis à la charge de l'Etat le versement à la SCEA Saint Pierre d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 6 décembre 2021, la SCEA Saint Pierre, représentée par la SELARL Bard, agissant par Me Bard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 30 septembre 2021 en ce qu'il a rejeté ses demandes indemnitaires relatives aux préjudices subis du fait des arrachages effectués en 2011 et en 2013 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 128 032 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2018 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a estimé que la créance dont elle se prévaut, tendant à la réparation des préjudices qui lui ont été causés par l'exécution de l'arrêté illégal du 11 août 2011, serait prescrite, dès lors qu'elle n'a eu connaissance de ses droits que suite aux décisions de la Cour administrative d'appel de Lyon du 22 novembre 2016 et du Conseil d'Etat du 24 juin 2019, et que le préjudice n'était pas chiffrable puisque le tribunal a désigné un expert ;

- l'illégalité des arrêtés du préfet de la Drôme ordonnant l'arrachage des parcelles présentant un taux de contamination par le virus de la Sharka supérieur à 5 % sur l'année en cours lui ouvre droit à réparation ;

- trois parcelles étaient impactées entre 5 et 10 % et lui donnent droit, sur la base des évaluations de l'expert, à une indemnité de 128 032 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 septembre 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet.

Il soutient que les moyens soulevés sont infondés.

Par une ordonnance du 15 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 2 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère ;

- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;

- et les observations de Me Bard pour la SCEA Saint Pierre.

Et après avoir pris connaissance de la note en délibéré présentée pour la SCEA Saint Pierre, enregistrée le 29 novembre 2023 ;

Considérant ce qui suit :

1. La SCEA Saint Pierre, qui exerce une activité d'arboriculture sur le territoire des communes de Granges-les-Beaumont et de Romans-sur-Isère, a dû procéder à l'arrachage de 3,4595 hectares de vergers de pêchers en 2009, 2011 et 2013, en exécution d'arrêtés du préfet de la Drôme pris chacune de ces années et prescrivant notamment l'arrachage des arbres contaminés par la maladie de la Sharka et de toute parcelle présentant un taux de contamination par cette maladie de 5 % et plus. Elle a recherché la responsabilité de l'Etat à raison des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité des arrêtés du préfet de la Drôme. Par le jugement du 30 septembre 2021 dont elle relève appel, le tribunal administratif de Grenoble n'a que partiellement fait droit à sa demande en condamnant l'Etat à lui verser la somme de de 44 559 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2018 et en mettant à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La SCEA Saint Pierre relève appel de ce jugement en ce qu'il a rejeté ses demandes indemnitaires relatives aux préjudices subis du fait des arrachages effectués en 2011 et en 2013.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. L'illégalité des arrêtés des 27 avril 2009, 11 août 2011 et 23 juillet 2013, incompétemment pris par le préfet de la Drôme, est de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Une telle illégalité est la cause directe et certaine des préjudices subis en conséquence des arrachages d'arbres sains pratiqués sur les parcelles contaminées à hauteur de 5 à 10 % par le virus de la Sharka.

En ce qui concerne les préjudices subis du fait des arrachages effectués en 2011 :

3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". Aux termes de son article 3 : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ".

4. Il résulte des dispositions citées au point précédent que le point de départ de la prescription quadriennale est la date à laquelle la victime est en mesure de connaître de façon suffisamment précise l'origine et la gravité du dommage qu'elle a subi ou est susceptible de subir.

5. D'une part, le fait générateur de la créance dont se prévaut la SCEA Saint Pierre est constitué par l'adoption illégale de l'arrêté en litige du 11 août 2011. La circonstance que l'illégalité qui en est à l'origine n'a été révélée qu'ultérieurement par le juge n'est pas de nature à faire légitimement regarder la SCEA Saint Pierre comme ayant ignoré l'existence de sa créance, alors qu'il lui était loisible de présenter un recours juridictionnel ou une demande de paiement pour faire valoir ses droits.

6. D'autre part, comme l'a relevé le tribunal, rien ne faisait obstacle à ce que les préjudices résultant des coûts d'arrachage et de replantation des arbres sains soient mesurés dès qu'ils ont été subis, au plus tard à la date d'arrachage des arbres concernés, soit en l'espèce l'année 2011. De même, la perte de marge nette de l'exploitation, quand bien même elle se calculerait sur une période de plusieurs années, s'agissant d'un dommage définitif, s'impute à l'année 2011, au cours de laquelle son importance et son étendue pouvaient être déterminées.

7. Il résulte de ce qui précède que la SCEA Saint Pierre n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la créance relative aux préjudices qui ont été causés par l'exécution de l'arrêté illégal du 11 août 2011 était prescrite en application des dispositions citées au point 3.

En ce qui concerne les préjudices subis du fait des arrachages effectués en 2013 :

8. Le jugement attaqué a relevé que pour les parcelles cadastrées Id7058 et Id86469, il était seulement indiqué un taux de contamination inférieur à 10 % avec un nombre d'arbres contaminé inférieur à 10 % du nombre total d'arbres sur les parcelles en cause, qu'aucun des documents produits ne permet d'établir que le taux de contamination de ces parcelles était compris entre 5 % et 10 %, le nombre d'arbres contaminés n'étant pas même indiqué. La note d'expertise établie par M. A... en novembre 2021 précise et complète sa précédente note d'expertise du 28 février 2019, pour les parcelles cadastrées Id7058 et Id86469, en indiquant qu'elles comportaient respectivement 30 et 21 arbres contaminés permettant de vérifier que le taux de contamination se situe en deçà de 10 %. La note d'expertise établie par M. A... en novembre 2021 ajoute également une parcelle cadastrée Id7040, arrachée en 2013, mais qui ne figurait pas dans la précédente note d'expertise.

9. La personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur. Cette personne n'est toutefois recevable à majorer ses prétentions en appel que si le dommage s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu'elle attaque. Il suit de là qu'il appartient au juge d'appel d'évaluer, à la date à laquelle il se prononce, les préjudices invoqués, qu'ils l'aient été dès la première instance ou le soient pour la première fois en appel, et de les réparer dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges. Il ne peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant que si le dommage s'est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué.

10. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que fait valoir le ministre, la circonstance que les dommages imputables à l'arrachage de la parcelle cadastrée Id 7040, ne figuraient ni dans sa demande préalable d'indemnisation, ni dans la demande de première instance, ne fait pas obstacle à ce que la SCEA Saint Pierre sollicite en appel leur indemnisation.

11. Le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire fait également valoir, les discordances pouvant exister, d'une part, s'agissant de cette parcelle cadastrée Id 7040, entre la note d'expertise établie par M. A... en novembre 2021 et les données produites en 2019 par la FREDON reproduite à l'annexe 1 du dire technique d'expert du 28 février 2019, produit en première instance par la SCEA, d'autre part, s'agissant des parcelles cadastrées Id7058 et Id86469, entre les deux notes d'expertise établies par M. A.... Ces discordances sont sans incidence sur le taux de contamination de ces parcelles, lequel reste compris entre 5 et 10 %, et par suite, l'existence du droit à réparation.

12. Alors que le coût unitaire de remplacement des arbres a été évalué à 33,49 euros par l'expert, les incohérences relatives au nombre total d'arbres plantés sur les parcelles cadastrées Id7058 et Id86469 ne permettent pas d'identifier précisément le nombre d'arbres sains arrachés, qui dépasse cependant 730 arbres. L'incohérence des données relatives à l'année de plantation et à la superficie des parcelles, données déterminantes pour le calcul de la perte de marge nette, ne permet pas davantage à la cour de procéder à une évaluation exacte de ce chef de préjudice et de faire intégralement droit à ses prétentions en se fondant sur les conclusions de note d'expertise établie par M. A....

13. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation des préjudices subis par la SCEA Saint Pierre, à la somme de 25 000 euros au titre de l'arrachage des arbres sains effectués et de la reconstitution des plantations concernées et à la somme de 15 000 euros au titre de la perte de marge nette sur ces parcelles.

14. Il résulte de ce qui précède que la SCEA Saint Pierre est seulement fondée à demander que l'indemnité, que le tribunal administratif a condamné l'Etat à lui verser, soit portée à la somme de 84 559 euros.

Sur les intérêts :

15. La SCEA Saint Pierre a droit aux intérêts de la somme de 84 559 euros à compter de la date de réception de sa réclamation préalable, soit le 22 novembre 2018.

Sur les frais liés au litige :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à la SCEA Saint Pierre en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 44 559 euros que l'Etat a été condamné à verser à la SCEA Saint Pierre par le jugement du 30 septembre 2021 est portée à 84 559 euros. Ladite somme portera intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2018.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 30 septembre 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à la SCEA Saint Pierre une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SCEA Saint Pierre et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 décembre 2023.

La rapporteure,

Bénédicte LordonnéLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY03907


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY03907
Date de la décision : 13/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-02-02-02 Responsabilité de la puissance publique. - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. - Fondement de la responsabilité. - Responsabilité pour faute. - Application d'un régime de faute simple.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Bénédicte LORDONNE
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : CABINET BARD

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-13;21ly03907 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award