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12/12/2023 | FRANCE | N°23NT02375

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 12 décembre 2023, 23NT02375


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 21 avril 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.



Par un jugement n°2307395 du 15 juin 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enr

egistrée le 3 aout 2023, M. A..., représenté par Me Néraudau, demande à la cour :



1°) d'annuler le jugement ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 21 avril 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n°2307395 du 15 juin 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 aout 2023, M. A..., représenté par Me Néraudau, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 15 juin 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes et l'arrêté du 21 avril 2023 du préfet de Maine-et-Loire ;

2°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de lui remettre une attestation de demande d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de son conseil, une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision de transfert est insuffisamment motivée ;

- la décision de transfert méconnait l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et l'article 13 du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 :

* il n'est pas démontré que son droit à l'information a été garanti dès le début de la procédure d'asile ;

* il n'a pas pu bénéficier d'une information complète et effective en temps utile et dans une langue comprise ;

* au moment de sa prise d'empreintes, M. A... n'était pas informé des éléments relatifs à l'utilisation de ses empreintes et données personnelles ;

- les conditions de son entretien individuel méconnaissent les dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 :

* l'exigence de confidentialité n'a pas été respectée et le premier juge a inversé la charge de la preuve en retenant qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que les conditions dans lesquelles s'est déroulé l'entretien n'auraient pas garanti la confidentialité de l'entretien ;

* le résumé d'entretien est incomplet et comporte des informations erronées quant à ses conditions de prise en charge et d'hébergement en Italie ;

* il n'a pas été mené par une personne qualifiée en droit national ;

- la décision de transfert est entachée d'une erreur da fait dès lors qu'il a pu consulter un médecin en France ;

- les arrêtés de transfert sont suspendus en raison de la saturation du système d'accueil italien, comme l'indique le ministre de l'intérieur italien dans une circulaire du 5 décembre 2022 ;

- contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, à la date de la décision contestée, l'exécution des arrêtés de réadmission était suspendue, ce qui explique l'absence de réponse des autorités italiennes à la demande de prise en charge de l'intéressé ;

- la décision de transfert méconnait l'article 3-2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 en raison des défaillances systémiques que connaît l'Italie qui n'est plus en capacité matérielle de reprendre en charge des demandeurs d'asile ;

- la décision de transfert est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, elle méconnait l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 ainsi que les articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, notamment en raison de sa vulnérabilité et de ses problèmes de santé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 novembre 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Un mémoire en réplique a été enregistré le 27 novembre 2023 qui n'a pas été communiqué.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 juillet 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Pons a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant guinéen, s'est présenté à la préfecture de la Loire-Atlantique le 1er février 2023 pour solliciter le statut de réfugié. La consultation du fichier " Eurodac " consécutive au relevé de ses empreintes digitales a révélé qu'il avait franchi irrégulièrement la frontière italienne en provenance d'un Etat tiers dans la période de douze mois précédant le dépôt de sa première demande d'asile et que les autorités italiennes avaient enregistré ses empreintes digitales le 31 décembre 2022. Saisies par les autorités françaises le 3 février 2023, les autorités italiennes ont accepté tacitement la reprise en charge de l'intéressé. Par un arrêté du 21 avril 2023, le préfet de Maine-et-Loire a décidé de transférer M. A... aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile. M. A... relève appel du jugement du 15 juin 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) 2. Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ".

3. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et notamment son article 4, et par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment son article 3.

4. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

5. Le requérant soutient que le préfet a refusé à tort de reconnaitre l'existence de défaillances systémiques en Italie et invoque la méconnaissance des dispositions précitées du 2. de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Dans son arrêté contesté du 21 avril 2023, le préfet de Maine-et-Loire a relevé que les autorités italiennes, saisies le 29 décembre 2022 d'une demande de prise en charge de M. A... en application du règlement précité, avaient accepté implicitement leur responsabilité, qu'elles devaient donc être regardées comme responsables de l'examen de sa demande d'asile et que l'intéressé n'établissait pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités responsables de l'examen de sa demande d'asile.

6. Toutefois, indépendamment des considérations liées à la situation sanitaire du pays, le requérant a produit en première instance une lettre circulaire du 5 décembre 2022, adressée à l'ensemble des services des autres Etats chargés de l'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, par laquelle le ministère de l'intérieur italien a indiqué à ces Etats qu'ils étaient priés de suspendre temporairement les transferts vers l'Italie, à l'exception de ceux liés à la réunification familiale des mineurs non accompagnés, à compter du 6 décembre 2022, pour des raisons liées à l'indisponibilité des installations d'accueil. En application des dispositions précitées de l'article 3-2 du règlement n° 604/2013, il appartient à l'autorité préfectorale, lorsqu'elle détermine l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale, d'apprécier s'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou dans les conditions d'accueil des demandeurs. En produisant la lettre circulaire du 5 décembre 2022 par laquelle l'Etat italien, par une information officielle diffusée à tous les Etats membres, a fait état de l'indisponibilité des installations d'accueil sur son territoire à compter du 6 décembre 2022, le requérant apporte la preuve que ses craintes relatives au défaut de protection en Italie sont fondées, alors que le préfet de Maine-et-Loire n'établit pas, en se bornant à faire état d'éléments statistiques quant à la pression migratoire subie par l'Italie et qu'il produit en appel, que l'indisponibilité des installations d'accueil évoquée par l'Italie dans la lettre circulaire du 5 décembre 2022 avait cessé à la date du 21 avril 2023 à laquelle il a décidé le transfert de M. A... vers ce pays. Il s'ensuit qu'est fondé le moyen tiré par le requérant de ce que le préfet a méconnu les dispositions précitées du 2. de l'article 3 du règlement n° 604/2013 en retenant qu'il n'y avait pas de sérieuses raisons de croire qu'il existait sur tout le territoire de la république italienne des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou dans les conditions d'accueil des demandeurs d'asile.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. ".

9. L'annulation de la décision de transfert vers l'Italie de M. A... est prononcée au motif que le préfet de Maine-et-Loire a méconnu les dispositions du 2. de l'article 3 du règlement n°604-2013 du 26 juin 2013, dès lors qu'il y avait de sérieuses raisons de croire qu'il existait en Italie, à la date de l'arrêté contesté, des défaillances systémiques dans les conditions d'accueil des demandeurs. Compte tenu de ce motif d'annulation, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de Maine-et-Loire délivre à M. A..., ainsi qu'il le demande, une attestation de demande d'asile en procédure normale, sous réserve d'un changement de circonstances de fait et dans le respect des dispositions des alinéas 2 et 3 du 2. de l'article 3 précité du règlement.

Sur les frais liés au litige :

10. M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale au titre de la présente instance. Aussi, et dans la mesure où l'Etat est la partie perdante à cette instance, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à sa charge, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, la somme de mille cinq cents (1 500) euros, à verser à Me Néraudau avocate du requérant. Ce versement vaudra, conformément à cet article 37, renonciation à ce qu'elle perçoive la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle dont bénéficie l'intéressée.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°2307395 du 15 juin 2023 du tribunal administratif de Nantes et l'arrêté du 21 avril 2023 du préfet de Maine-et-Loire décidant du transfert de M. A... aux autorités italiennes sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire d'enregistrer la demande d'asile de M. A... en procédure normale, sous réserves d'un changement de circonstances de fait et dans le respect des dispositions des alinéas 2 et 3 du 2. de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera la somme de mille cinq cents (1 500) euros à Me Néraudau en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Néraudau et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 1er décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Coiffet, président,

- Mme Gélard, première conseillère,

- M. Pons, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2023.

Le rapporteur,

F. PONSLe président,

O. COIFFET

La greffière,

I. PETTON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°23NT02375


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02375
Date de la décision : 12/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. COIFFET
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : NERAUDAU

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-12;23nt02375 ?
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