Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 16 novembre 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné.
Par un jugement n° 2300512 du 13 avril 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 juillet 2023, M. A..., représenté par Me Trébesses, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2300512 du tribunal administratif de Bordeaux du 13 avril 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 16 novembre 2022 de la préfète de la Gironde ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, dans le même délai, de procéder au réexamen de sa situation administrative et de lui délivrer, dans l'attente, un récépissé de demande de titre de séjour autorisant le séjour et le travail ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- les documents d'état civil produits devant l'administration sont authentiques ; en refusant de reconnaître leur force probante, la préfète a méconnu les dispositions des articles R. 431-10 et L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que de l'article 47 du code civil ;
- eu égard au caractère réel et sérieux du suivi de sa formation et à son insertion dans la société française, la décision attaquée méconnait les dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- eu égard à sa situation personnelle et professionnelle, l'arrêté méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 septembre 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 juin 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Michaël Kauffmann a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant malien, est entré irrégulièrement en France au cours du mois de novembre 2018. Se disant né le 15 octobre 2003, il a été pris en charge, en tant que mineur isolé puis en qualité de jeune majeur, par les services de l'aide sociale à l'enfance du département de la Gironde. Le 11 mars 2022, il a sollicité son admission au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 16 novembre 2022, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné. M. A... relève appel du jugement du 13 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 16 novembre 2022 :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française. ".
3. Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour de plein droit portant la mention " vie privée et familiale ", sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entre dans les prévisions de l'article, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'il a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance. Si ces conditions sont remplies, le préfet ne peut alors refuser la délivrance du titre qu'en raison de la situation de l'intéressé appréciée de façon globale au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Cet article 47 du code civil prévoit, dans sa rédaction alors en vigueur, que : " Tout acte de l'état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
5. L'article 47 du code civil précité pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays. Il résulte également de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
6. En premier lieu, pour refuser de délivrer un titre de séjour à M. A..., la préfète de la Gironde s'est fondée sur la circonstance que les documents qu'il a produits pour établir son état civil, soit, notamment, un extrait conforme de jugement supplétif d'acte de naissance n° 977 établi le 4 mars 2020 par le tribunal civil de Bamako et un acte de naissance n° 90 établi le 6 mars 2020, sont dépourvus de valeur probante et que l'intéressé ne justifiait ainsi ni de son identité, ni de sa nationalité, ni de son âge. A cet effet, la préfète de la Gironde s'est appuyée sur un rapport d'examen technique du 30 juin 2022, établi par un analyste en fraude documentaire et à l'identité de la direction zonale de la police aux frontières de Bordeaux. Selon ce rapport, l'extrait conforme de jugement supplétif d'acte de naissance présente un caractère probant. En revanche, un avis défavorable est émis sur l'authenticité de l'acte de naissance dès lors que le nom de l'imprimeur ne figure pas sur l'acte et que son mode d'impression, en offset, n'est pas conforme. Toutefois, alors que la préfète ne fait état d'aucun texte ou document probants relatifs aux normes et aux usages en vigueur dans les services d'état civil du Mali, notamment quant aux mentions obligatoires devant figurer sur l'acte de naissance ainsi qu'à son mode d'impression, ces seuls éléments sont insuffisants pour établir le caractère falsifié de l'acte de naissance. En outre, la préfète ne fait état d'aucun élément sérieux permettant de douter de l'authenticité de l'extrait conforme de jugement supplétif d'acte de naissance, également produit par M. A..., sur lequel l'analyste en fraude documentaire et à l'identité a émis un avis favorable. A cet égard, la circonstance, mentionnée dans l'arrêté litigieux, que cet extrait conforme ne fait pas mention de l'identité du requérant ou de la date de la requête n'est pas de nature à établir le caractère frauduleux du document dès lors que la préfète ne se prévaut d'aucun texte de nature à établir que ce type de mentions serait obligatoire. Il résulte d'ailleurs du compte rendu d'entretien sur l'évaluation de l'âge de M. A..., établi le 28 novembre 2018, que le référent enfance du pôle solidarité sociale a conclu, à cette date, à la minorité du requérant. Dans ces conditions, M. A... est fondé à soutenir qu'en estimant qu'il ne justifiait ni de son identité, ni de son âge, ni de ce que, par suite, il a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance au plus tard le jour de ses seize ans, la préfète de la Gironde a entaché sa décision d'erreur de fait.
7. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A..., né le 15 octobre 2003, est arrivé en France au cours du mois de novembre 2018 et qu'il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance alors qu'il était âgé de quinze ans. A compter du mois d'octobre 2020, l'intéressé a suivi une formation de " serrurier métallier " au sein du centre de formation d'apprentis (CFA) BTP de Blanquefort dans le cadre d'un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) de trois ans. En parallèle, l'appelant a signé le 18 septembre 2020 un contrat d'apprentissage en alternance avec la société Métallerie Médina et Fils. Il résulte du rapport du 8 octobre 2021 de la structure d'accueil, l'association laïque Le Prado, produit pour la première fois en appel, que M. A... fait preuve d'investissement et d'implication dans son projet de vie et dans son souhait de s'intégrer dans la société française. Dans ses bulletins de suivi de formation, qui font état de résultats corrects, ses enseignants ont notamment relevé ses efforts, ses progrès et son bon comportement, le caractère réel et sérieux du suivi de cette formation étant corroborée par l'admission, le 3 juillet 2023, à son CAP qui, si elle constitue une circonstance postérieure à la date de l'arrêté contesté révèle, à cet égard, une situation qui lui est antérieure. Les bulletins de salaire établis sans discontinuer par son employeur depuis le mois d'octobre 2020 démontrent, en outre, son sérieux dans le suivi du volet professionnel de sa formation. Enfin, la préfète n'allègue pas que la présence de l'intéressé en France constitue une menace à l'ordre public et l'intéressé justifie d'une insertion sociale très satisfaisante au vu de l'avis de sa structure d'accueil. Dans ces conditions même si M. A..., dont le père est décédé, n'est pas dépourvu de toute attache familiale dans son pays d'origine, sa mère y résidant, le refus de titre de séjour qui lui a été opposé est entaché d'erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'illégalité de cette décision entraîne, par voie de conséquence, celle des décisions subséquentes portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Il est dès lors fondé à demander l'annulation de ce jugement ainsi que celle de l'arrêté de la préfète de la Gironde du 16 novembre 2022.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Eu égard au motif d'annulation retenu aux points 6 et 7 et en l'absence de changement dans les circonstances de droit et de fait intervenu depuis l'édiction de l'arrêté du 16 novembre 2022, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance, au profit de M. A..., d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Dès lors, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde de délivrer un tel titre de séjour à l'intéressé dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Sur les frais liés au litige :
10. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Trébesses, avocat de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Trébesses de la somme de 1 200 euros.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2300512 du 13 avril 2023 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : L'arrêté de la préfète de la Gironde du 16 novembre 2022 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Trébesses une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Trébesses renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Jean Trébesses et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Bénédicte Martin, présidente,
M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,
Mme Pauline Reynaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2023.
Le rapporteur,
Michaël Kauffmann La présidente,
Bénédicte MartinLe greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 23BX020242