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12/12/2023 | FRANCE | N°21TL00611

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 12 décembre 2023, 21TL00611


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A..., Mme C... A... et Mme E... A..., agissant en leur nom personnel et en leur qualité d'ayant-droits de Mme G... F... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Montpellier à leur verser la somme de 271 310 euros en réparation des préjudices subis par Mme G... F... lors de l'intervention chirurgicale du 15 décembre 2015 et à leur verser à chacune la somme de 35 000 euros en réparation des préju

dices d'anxiété, moraux et d'affection qu'elles ont subis à titre personnel et en leu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A..., Mme C... A... et Mme E... A..., agissant en leur nom personnel et en leur qualité d'ayant-droits de Mme G... F... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Montpellier à leur verser la somme de 271 310 euros en réparation des préjudices subis par Mme G... F... lors de l'intervention chirurgicale du 15 décembre 2015 et à leur verser à chacune la somme de 35 000 euros en réparation des préjudices d'anxiété, moraux et d'affection qu'elles ont subis à titre personnel et en leur qualité de filles de Mme G... F... et de mettre à la charge de l'établissement la somme de 8 000 euros à leur verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1903330 du 14 décembre 2020, le tribunal administratif de Montpellier a condamné le centre hospitalier régional universitaire de Montpellier à verser à Mmes A... la somme de 36 830 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault la somme de 230 945,51 euros ainsi que 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et a mis à la charge de l'établissement une somme de 1 500 euros à verser à Mmes A... en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire ampliatif, enregistrés le 11 février 2021 sous le n°21MA00569 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 11 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n°21TL00569, et un mémoire enregistré le 8 juin 2021, le centre hospitalier régional universitaire de Montpellier, représenté par Me D..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement n° 1903330 du 14 décembre 2020 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) de rejeter l'appel incident des consorts A... ;

3°) de rejeter les demandes des consorts A... et de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault.

Il soutient que :

- il ne conteste pas le principe de sa responsabilité ;

- Mme F... présentait un état antérieur, et la somme qu'il a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie ne correspond pas aux droits à remboursement exposés par le tiers-payeur en lien avec la faute ;

- le tribunal a insuffisamment motivé sa décision et n'a pas répondu au moyen tiré de l'insuffisance des justificatifs attendus du tiers payeur pour établir un lien entre les soins et la faute retenue en raison d'incohérences entre le détail des débours et l'attestation d'imputabilité, de la production tardive d'un décompte définitif prenant en compte des débours liés à l'état antérieur de la patiente ainsi que des soins postérieurs à l'attestation d'imputabilité ;

- certains débours engagés depuis le 1er août 2017 correspondent à des soins, des traitements et des consultations liés à l'état antérieur de la patiente ;

- le déficit fonctionnel temporaire tel qu'indemnisé par le tribunal a été surévalué et doit être réduit ;

- l'indemnité de 15 700 euros au titre du déficit fonctionnel permanent est excessive compte tenu de l'âge de la patiente à la date de consolidation et à la date de son décès ;

- le tribunal n'a pas indemnisé les préjudices retenus proportionnellement à un taux de perte de chance et l'entier préjudice a été réparé s'agissant de la dégradation de la fonction rénale ;

- il ne résulte pas de l'instruction que Mme F... pratiquait régulièrement une activité physique ou de loisir à laquelle elle aurait dû renoncer en raison de la faute retenue de sorte que c'est à bon droit qu'aucune indemnisation n'a été attribuée ;

- le besoin d'assistance à tierce personne a été pris en charge à compter du 2 mai 2017 par le versement d'une allocation personnalisée d'autonomie et ne justifie pas une indemnisation complémentaire ; son besoin d'assistance ne pourrait être indemnisé que du mois de juin 2016 au mois de mai 2017 qui ne saurait excéder un montant de 5 434 euros ;

- les montants des frais de déplacement, d'achat d'un déambulateur et d'adaptation du logement excèdent les demandes initiales et sont ainsi irrecevables, ils ne sont en état de cause pas justifiés ; les factures produites sont relatives à des travaux sans lien avec l'état de santé de Mme F....

Par des mémoires en défense enregistré le 8 avril 2021 et le 10 janvier 2023, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault représentée par la SCP Cauvin Leygue, agissant par Me Cauvin, conclut à la condamnation du centre hospitalier régional universitaire de Montpellier à lui verser une somme de 230 945,51 euros au titre de ses débours, 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, toutes sommes étant assorties des intérêts et de leur capitalisation à compter de 8 avril 2021, et de lui allouer une somme de 800 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que le montant des prestations dont elle a été amenée à faire l'avance s'élève définitivement à la somme de 230 945,51 euros conformément aux attestations qu'elle produit.

Par des mémoires en défense enregistrés les 12 et 28 avril 2021 et le 7 juillet 2021, Mme B... A..., Mme C... A... et Mme E... A..., représentées par Me Carretero, concluent au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demandent la condamnation du centre hospitalier régional universitaire de Montpellier à leur verser en raison du préjudice subi par leur mère une somme de 2 670 euros au titre de l'incapacité temporaire, 8 340 euros au titre de l'incapacité temporaire partielle de classe III à 50%, 65 000 euros au titre de l'incapacité temporaire partielle à 35%, 20 000 euros au titre des souffrances endurées, 5 000 euros au titre du préjudice esthétique, 50 000 euros au titre du préjudice d'agrément et 6 840 euros au titre de l'assistance à tierce personne et à leur verser en réparation de leur propre préjudice une somme de 25 000 euros chacune, ainsi que 2 367,29 euros à Mme B... A... en réparation des frais exposés par elle, 669,14 euros à Mme C... A... en réparation des frais exposés par elle, ainsi que le versement d'une somme de 8 000 euros au titre des frais qu'elles ont exposés en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elles font valoir que :

- le jugement est suffisamment motivé ; la caisse primaire d'assurance maladie a justifié de ses débours par la production d'un décompte définitif ;

- tous leurs chefs de préjudices doivent être majorés, le tribunal n'a pas pris en considération les préjudices résultant pour elles des préjudices subis par leur mère des suites de l'opération du 15 décembre 2015 ;

- il ne saurait y avoir une minoration des préjudices subis par Mme F... en raison d'une perte de chance ;

- les préjudices de Mme F... ne peuvent être calculés au prorata temporis en raison de son décès ;

- ses souffrances endurées ont été estimées comme importantes et seule une somme de 7 000 euros a été attribuée ;

- le déficit temporaire n'a été alloué que sur la base de 20 euros par jour pendant 455 jours et le déficit fonctionnel permanent de 35% est sous-évalué à 15 700 euros ;

- le versement d'une somme de 1 800 euros est insuffisant au regard d'un préjudice esthétique évalué à 2 ;

- Mme F... a subi un préjudice d'agrément, ainsi que l'a retenu l'expert ;

- la demande formulée au titre de l'assistance par tierce personne a été écartée alors que Mme F... est passée d'une autonomie complète à une dépendance dans les gestes de la vie courante et n'a bénéficié qu'en mai 2017 de l'allocation personnalisée d'autonomie à raison de 3 heures par jour, 3 fois par semaine, ses filles ont été présentes le reste du temps ;

- elles ont subi un préjudice moral et d'affection du fait de la dégradation de l'état de santé de leur mère qui s'établit à 10 000 euros pour chacune d'elles et un préjudice moral du fait du décès de leur mère qui s'établit à 25 000 euros pour chacune d'elles ;

- elles ont engagé des frais de transport pour visiter leur mère durant son hospitalisation d'un montant de 529,62 euros pour B... A..., 660,14 euros pour C... A... ainsi que des frais d'achat d'un déambulateur ;

- B... A... a exposé personnellement des frais d'aménagement du domicile de sa mère d'un montant de 1 774,67 euros.

Par une ordonnance en date du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête du centre hospitalier régional universitaire de Montpellier.

Par courrier du 12 janvier 2023, la cour a demandé à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault, la production de pièces pour compléter l'instruction (attestation d'imputabilité du médecin conseil en analysant le lien entre le relevé détaillé des débours et les suites fautives de l'intervention ainsi que toute précision permettant de vérifier que tous les actes mis à la charge du centre hospitalier universitaire par le relevé détaillé des débours sont en lien avec les suites de l'intervention du 15 décembre 2015).

Par une ordonnance du 12 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 juillet 2023 à 12h.

II. Par une requête enregistrée le 12 février 2021 et des mémoires enregistrés le 28 avril et le 7 juillet 2021 sous le n° 21MA00611 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille puis le 11 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, Mme B... A..., Mme C... A..., Mme E... A..., représentées par Me Cerretero, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1903330 du 14 décembre 2020 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à leurs demandes ;

2°) de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Montpellier à leur verser au titre du préjudice subi par leur mère une somme de 2 670 euros au titre de l'incapacité temporaire, 8 340 euros au titre de l'incapacité temporaire partielle de classe III à 50%, 65 000 euros au titre de l'incapacité temporaire partielle à 35%, 20 000 euros au titre des souffrances endurées, 5 000 euros au titre du préjudice esthétique, 50 000 euros au titre du préjudice d'agrément et 6 840 euros au titre de l'assistance à tierce personne et à leur verser en réparation de leur propre préjudice une somme de 25 000 euros chacune, ainsi que 2 367,29 euros à Mme B... A... en réparation des frais exposés par elle, 669,14 euros à Mme C... A... en réparation des frais exposés par elle ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Montpellier une somme de 8 000 euros au titre des frais qu'elles ont exposés en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le jugement est suffisamment motivé ; la caisse primaire d'assurance maladie a justifié de ses débours par la production d'un décompte définitif ;

- tous leurs chefs de préjudices doivent être majorés, le tribunal n'a pas pris en considération les préjudices résultant pour elles des préjudices subis par leur mère des suites de l'opération du 15 décembre 2015,

- il ne saurait y avoir une minoration des préjudices subis par Mme F... en raison d'une perte de chance ;

- les préjudices de Mme F... ne peuvent être calculés au prorata temporis en raison de son décès ;

- ses souffrances endurées ont été estimées comme importantes et seule une somme de 7000 euros a été attribuée ;

- le déficit temporaire n'a été alloué que sur la base de 20 euros par jour pendant 455 jours et le déficit fonctionnel permanent de 35% est sous-évalué par le versement 15 700 euros ;

- le versement d'une somme de 1 800 euros est insuffisant au regard d'un préjudice esthétique évalué à 2 ;

- Mme F... a subi un préjudice d'agrément, ainsi que l'a retenu l'expert ;

- la demande formulée au titre de l'assistance par tierce personne a été écartée alors que Mme F... est passée d'une autonomie complète à une dépendance dans les gestes de la vie courante et n'a bénéficié qu'en mai 2017 de l'allocation personnalisée d'autonomie à raison de 3 heures par jour, 3 fois par semaine, ses filles ont été présentes le reste du temps ;

- elles ont subi un préjudice moral et d'affection du fait de la dégradation de l'état de santé de leur mère qui s'établit à 10 000 euros pour chacune d'elles et un préjudice moral du fait du décès de leur mère qui s'établit à 25 000 euros pour chacune d'elles ;

- elles ont engagé des frais de transport pour visiter leur mère durant son hospitalisation d'un montant de 529,62 euros pour B... A..., 660,14 euros pour C... A... ainsi que des frais d'achat d'un déambulateur ;

- B... A... a exposé personnellement des frais d'aménagement du domicile de sa mère d'un montant de 1 774,67 euros.

Par des mémoires enregistrés le 8 avril 2021 et le 10 janvier 2023, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault, représentée par la SCP Cauvin Leygue, agissant par Me Cauvin, conclut à la condamnation du centre hospitalier régional universitaire de Montpellier à lui verser une somme de 230 945,51 euros au titre de ses débours, 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, toutes sommes étant assortie des intérêts et de leur capitalisation à compter de 8 avril 2021, et de lui allouer une somme de 800 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que le montant des prestations dont elle a été amenée à faire l'avance s'élève définitivement à la somme de 230 945,51 euros conformément aux attestations qu'elle produit.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 juin 2021, le centre hospitalier régional universitaire représenté par M. D..., conclut au rejet de la requête des consorts A....

Il fait valoir que :

- le déficit fonctionnel temporaire tel qu'indemnisé par le tribunal a été surévalué et doit être réduit et non majoré comme le demandent les appelantes ;

- les souffrances endurées par Mme F... évaluées à 4 sur une échelle de 1 à 7 ont été justement indemnisées ;

- l'indemnité allouée au titre du préjudice esthétique a été justement évaluée ;

- aucun préjudice d'agrément distinct de celui réparé au titre du déficit fonctionnel n'est établi ;

- le besoin d'assistance à tierce personne a été pris en charge à compter du 2 mai 2017 et ne justifie pas une indemnisation complémentaire ; son besoin d'assistance ne pourrait être indemnisé que du mois de juin 2016 au mois de mai 2017 qui ne saurait excéder un montant de 5 434 euros ;

- l'indemnité de 15 700 euros attribuée au titre du déficit fonctionnel permanent de 35 % est excessive et doit être ramenée à de plus justes proportions ;

- les montants des frais de déplacement, d'achat d'un déambulateur et d'adaptation du logement excèdent les demandes initiales et sont ainsi irrecevables, ils ne sont en tout état de cause pas justifiés ; les factures produites sont relatives à des travaux sans lien avec l'état de santé de Mme F... ;

- l'indemnité allouée au titre du préjudice moral n'est pas insuffisante.

Par une ordonnance en date du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de Mmes A....

Par une ordonnance du 12 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 juillet 2023 à 12h.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Céline Arquié, première conseillère,

- et les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mmes B... A..., C... A... et E... A... en leur qualité d'ayants droit, ont demandé la réparation des préjudices subis par leur mère Mme G... F..., décédée le 14 août 2019, en cours d'instance, des suites de l'opération réalisée le 15 décembre 2015 au centre hospitalier régional universitaire de Montpellier ainsi que celle de leurs préjudices personnels. Par jugement du 14 décembre 2020, le tribunal administratif de Montpellier a condamné le centre hospitalier régional universitaire de Montpellier à verser à Mmes B... A..., C... A... et E... A... une somme totale de 36 830 euros, et à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault une somme de 230 945,51 euros ainsi qu'une somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Par la requête n° 21TL00569 le centre hospitalier régional universitaire de Montpellier relève appel de ce jugement et Mmes B... A..., C... A... et E... A..., par la voie de l'appel incident, demandent que le montant de l'indemnité qui leur a été allouée au titre de l'incapacité temporaire, de l'incapacité temporaire partielle de classe III à 50%, de l'incapacité temporaire partielle à 35%, des souffrances endurées, du préjudice esthétique, du préjudice d'agrément, de l'assistance à tierce personne ainsi que le montant de l'indemnité qui leur a été attribué en réparation de leurs préjudices personnels soient réévalués à la hausse. Par la requête n° 21TL00611, Mme B... A..., C... A... et E... A... relèvent appel de ce jugement. Il y a lieu de joindre ces requêtes pour statuer par un seul arrêt.

Sur la régularité du jugement :

2. Il ressort des pièces du dossier que dans ses écritures de première instance, le centre hospitalier régional universitaire de Montpellier soulevait le moyen tiré de l'insuffisance des justificatifs attendus du tiers payeur pour établir un lien entre les soins et la faute retenue en raison d'incohérences entre le détail des débours et l'attestation d'imputabilité, de la production tardive d'un décompte définitif prenant en compte des débours liés à l'état antérieur de la patiente ainsi que des soins postérieurs à l'attestation d'imputabilité. Le tribunal n'a pas répondu sur ce point tout en faisant droit à l'intégralité de la demande de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault. Le centre hospitalier régional universitaire de Montpellier est ainsi fondé à soutenir que les premiers juges n'ont pas suffisamment motivé leur jugement.

3. Par suite, il y a lieu de statuer par la voie de l'évocation sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault et par l'effet dévolutif sur les droits des consorts A... en leur qualité d'ayants droit et à titre personnel.

Sur la responsabilité :

4. Le tribunal administratif de Montpellier a considéré que la nécrose du rein gauche dont a souffert Mme F... à la suite de l'intervention du 15 décembre 2015 au centre hospitalier de Montpellier pour traiter un anévrisme de l'aorte abdominale était inéluctable en raison de l'infection constatée. Il a également considéré que la thrombose à l'origine de la perte du rein droit était imputable à un défaut de surveillance du stent posé sur l'artère rénale droite et ainsi de la perte de la fonction rénale de la patiente, de sorte que l'établissement devait être regardé comme responsable des préjudices subis dans les suites de l'intervention du 15 décembre 2015. Le jugement n'est pas contesté sur ce point.

Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault :

5. La caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault sollicite au titre des frais hospitaliers exposés, un montant de 65 867,29 euros pour les périodes du 9 janvier 2016 au 6 juin 2016, du 27 décembre 2016 au 3 février 2017 puis du 28 juin 2017 au 1er juin 2017, au titre des frais médicaux exposés du 22 mars 2016 au 17 juin 2016 un montant de 23 342,42 euros, au titre des frais pharmaceutiques exposés du 9 janvier 2016 au 14 décembre 2016 un montant de 2 132,51 euros et au titre des frais futurs exposés un montant de 139 603,29 euros, sur la base d'une attestation d'imputabilité de son médecin-conseil du 26 décembre 2022, d'un relevé de débours définitif et d'un relevé de débours détaillé en date du 30 décembre 2022.

6. Le centre hospitalier conteste le montant de 139 603, 29 euros sollicité par la caisse au titre des frais futurs exposés en soutenant que Mme F... présentait un état antérieur justifiant des traitements hypolipémiant, hormonal pour la thyroïde, anti sécrétoire gastrique et antiplaquettaire et que le débours détaillé au titre des soins post consolidation mentionne de nombreuses dépenses de pharmacie mais qu'aucun détail n'est donné quant à la nature des traitements concernés.

7. Il ressort de l'attestation d'imputabilité du 26 décembre 2022 que les soins postconsolidation consommés impliquent des dépenses de pharmacie du 5 juillet 2017 au 14 août 2019 résultant de la prescription de l'oracilline antibiotique pour le traitement et la prévention de certaines infections dues à des bactéries, sans lien avec les traitements suivi par la patiente en raison de son état antérieur.

8. En revanche, l'attestation d'imputabilité du médecin conseil mentionne huit visites de consultation de médecine générale du 5 juillet 2017 au 5 janvier 2019, alors que l'examen du débours détaillé fait apparaître six consultations de médecine générale en 2017 et onze en 2018. Elle mentionne par ailleurs une consultation de cardiologie alors que l'examen du débours détaillé fait apparaître 4 consultations en cardiologie en 2019. Par ailleurs, aucun élément de l'attestation d'imputabilité ou du rapport d'expertise ne permet d'établir un lien avec les consultations de chirurgie viscérale, les soins d'anesthésie, réanimation et chirurgie viscérale réalisés hors les deux périodes d'hospitalisation du 14 décembre 2017 au centre Nephocare et du 26 au 27 juillet 2018 à la clinique du Parc mentionnée par le médecin conseil ou les actes cotés XHO, XME et XPH pour lesquels aucune spécialité n'est mentionnée ou ceux enfin correspondant à des soins d'hospitalisation entre le 1er et le 26 mai 2018. Le détail des débours prend également en compte des actes d'otorhinolaryngologie et des analyses d'anatomopathologie sans que le lien avec la faute retenue ne soit établi et alors que l'attestation du médecin conseil de la caisse n'en fait pas état. En dépit de la demande qui lui a été faite par la cour, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault n'apporte aucun élément de nature à rattacher ces débours, d'un montant total de 72 216,58 euros, à l'intervention du 15 décembre 2015. Par suite, le montant de l'indemnité que le centre hospitalier régional universitaire de Montpellier doit verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault au titre des frais post consolidation doit être ramené de 139 603,29 euros à 67 386,71 euros.

Sur l'évaluation des préjudices de Mme F... :

9. Contrairement à ce que font valoir les consorts A..., l'indemnisation des préjudices n'a pas été déterminée proportionnellement à un taux de perte de chance.

En ce qui concerne le déficit fonctionnel temporaire :

10. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que Mme F... a subi un déficit fonctionnel temporaire total du 9 janvier au 17 février 2016, du 10 avril au 13 avril 2016, du 19 décembre 2016 au 6 janvier 2017, du 13 janvier au 3 février 2017 et du 28 juin au 1er juillet 2017, soit pendant quatre-vingt-neuf jours, un déficit fonctionnel temporaire partiel de 50% du 18 février au 9 avril 2016, du 14 avril au 18 décembre 2016, du 7 au 12 janvier 2017, du 4 février au 27 juin 2017 et du 2 au 5 juillet 2017, soit durant quatre-cent-cinquante-cinq jours. En prenant en compte une base de 20 euros par jour suffisante sans être excessive au regard des circonstances prises en compte, l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire doit être fixée à 6 330 euros ainsi que l'ont à bon droit retenu les premiers juges.

En ce qui concerne l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent :

11. Il résulte de l'instruction que Mme F..., dont l'état de santé a été consolidé au 5 juillet 2017, a subi un déficit fonctionnel permanent au taux de 35%. Compte tenu de l'espérance de vie moyenne de 11,66 ans et de la circonstance que la victime est décédée 3 ans après le fait dommageable et avant son indemnisation, lesquelles doivent être prises en compte pour l'indemnisation, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en le fixant à 15 000 euros ainsi que l'ont à bon droit retenu les premiers juges.

En ce qui concerne le préjudice d'agrément :

12. Il résulte de l'instruction que, du fait des séquelles de l'intervention, Mme F... n'a plus été en mesure de se déplacer de façon autonome et a subi un préjudice d'agrément résultant de l'impossibilité de poursuivre sa pratique régulière d'exposante sur des vide-greniers ou de chinage sur des brocantes. Ce préjudice peut être justement évalué à la somme de 3 000 euros.

En ce qui concerne les frais d'assistance à tierce personne :

13. Il résulte de l'instruction que Mme F..., qui est passée d'une autonomie complète à une dépendance dans les gestes de la vie courante, a eu besoin de l'assistance d'une tierce personne à compter de son retour à son domicile, le 6 juin 2016, jusqu'au 2 mai 2017, date à laquelle elle a obtenu le versement de l'allocation personnalisée d'autonomie, à raison de 38 heures par mois pour la confection de ses repas notamment. Sur la base d'un taux horaire de 13 euros compte tenu des cotisations dues par l'employeur et des majorations pour travail de dimanche, jours fériés et congés payés, ces frais doivent être fixés à 5 434 euros.

En ce qui concerne les frais divers :

14. Il ne résulte pas de l'instruction que les frais d'aménagement, de peinture et de décoration engagés par les consorts A... aient été rendus nécessaire par l'état de santé de Mme F... à la suite de la faute de l'établissement. L'expert mentionne d'ailleurs qu'il n'y a pas eu de travaux d'aménagement de son logement.

15. La réalité des dépenses de déplacement engagées par les filles de Mme F... dont le remboursement est demandé n'est pas justifiée par les pièces du dossier. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner leur recevabilité, ces chefs de préjudice doivent être écartés.

En ce qui concerne les souffrances endurées :

16. Mme F... a enduré des souffrances en raison des multiples interventions chirurgicales qu'elle a subies et de dialyses régulières qu'elle supportait difficilement. Ces souffrances ont été évaluées par l'expert à 4 sur une échelle allant de 1 à 7. Le préjudice peut être justement réévalué à la somme de 8 000 euros.

En ce qui concerne le préjudice esthétique :

17. Mme F... a subi un préjudice esthétique évalué par l'expert à 2 sur une échelle allant de 1 à 7, lequel prend en compte les multiples cicatrices abdominales en raison de deux éventrations. Le préjudice peut être justement évalué à la somme de 1 800 euros ainsi que l'ont à bon droit retenu les premiers juges.

En ce qui concerne les préjudices propres des consorts A... :

18. Les filles de Mme F... justifient avoir subi des préjudices propres d'anxiété, moraux et d'affection du fait de la faute de l'établissement à l'encontre de leur mère, dont il sera fait une juste appréciation en leur allouant à chacune une somme de 2 000 euros ainsi que l'ont à bon droit retenu les premiers juges. En revanche, il n'est pas établi que le décès prématuré de leur mère serait en lien avec faute imputable au centre hospitalier justifiant le versement d'une somme distincte.

19. Il résulte de ce qui précède que la somme que le centre hospitalier régional et universitaire de Montpellier doit être condamné à verser aux consorts A... doit être portée à 41 564 euros. Le montant des indemnités dues à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault doit quant à lui être limitée à 158 728,93 euros.

Sur les intérêts :

20. La caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault a droit, ainsi qu'elle le demande, aux intérêts au taux légal sur la somme qui lui est accordée à compter du 8 avril 2021. A cette même date, la caisse a demandé la capitalisation des intérêts. Il y a lieu d'y faire droit à compter du 8 avril 2022, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :

21. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, d'accorder à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault une somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

22. Les dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier régional et universitaire de Montpellier la somme que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault demande au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du centre hospitalier régional et universitaire de Montpellier une somme de 1 500 euros à verser aux consorts A....

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement du tribunal administratif de Montpellier n° 1903330 du 14 décembre 2020 sont annulés.

Article 2 : Le centre hospitalier régional et universitaire de Montpellier est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault une somme de 158 728,93 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2021. Les intérêts dus par le centre hospitalier universitaire de Montpellier sur cette somme seront capitalisés à la date du 8 avril 2022 ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Le centre hospitalier universitaire de Montpellier versera à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Article 4 : La somme que le centre hospitalier régional et universitaire de Montpellier est condamné à verser aux consorts A... est portée à 41 564 euros.

Article 5 : L'article 1er du jugement n° 1903330 du 14 décembre 2020 du tribunal administratif de Montpellier est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : Le centre hospitalier universitaire de Montpellier versera aux consorts A... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., Mme C... A..., à Mme E... A..., au centre hospitalier régional universitaire de Montpellier et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Blin, présidente assesseure,

Mme Arquié, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2023.

La rapporteure,

C. Arquié

La présidente,

A. Geslan-Demaret

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaire de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

Nos 21TL00569, 21TL00611


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21TL00611
Date de la décision : 12/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: Mme Céline ARQUIÉ
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : SCP D'AVOCATS CAUVIN - LEYGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-12;21tl00611 ?
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