Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée Wyptex a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la région Provence-Alpes-Côte d'Azur à lui payer, à titre principal, une provision de 1 413 827,50 euros toutes taxes comprises ou, à titre subsidiaire, une provision de 1 138 668,09 euros toutes taxes comprises.
Par une ordonnance n° 2204444 du 12 mai 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Marseille a condamné la région Provence-Alpes-Côte d'Azur à payer à la société Wyptex une provision de 1 135 019 euros.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 26 mai 2023, et un mémoire enregistré le 31 août 2023, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, représentée par la SELARL Cabanes Avocats, demande à la Cour :
1°) d'annuler cette ordonnance et de rejeter cette demande ;
2°) de rejeter l'appel incident de la société Wyptex ;
3°) de mettre à la charge de cette dernière la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- son mémoire enregistré le 14 novembre 2022 n'a pas été analysé ;
- la société Wyptex l'a trompée en lui faisant croire qu'elle était en mesure d'honorer le marché ;
- la demande de la société Wyptex est contractuellement irrecevable faute pour celle-ci d'avoir présenté un mémoire de réclamation dans le délai de deux mois suivant la naissance du différend ;
- le marché a été modifié d'un commun accord, son objet étant ramené à la livraison de 495 000 masques de type " FFP02 " ;
- le juge des référés a méconnu son office, dénaturé les pièces du dossier, commis une erreur de droit et entaché sa décision d'une contradiction des motifs en appréciant la réalité de la résiliation après avoir estimé que cette tâche incombait au juge du fond ;
- le juge des référés a fait d'office application de pénalités de retard alors que cela n'était pas sollicité ;
- l'indemnisation retenue des frais de stockage n'est ni compréhensible ni justifiée.
Par un mémoire en défense et en appel incident, enregistré le 2 août 2023, la société Wyptex, représentée par Me Holterbach, demande à la Cour :
1°) de porter le montant de la provision à 1 415 138,50 euros ;
2°) à défaut, de confirmer l'ordonnance ;
3°) subsidiairement, de condamner la région à lui payer une provision de 1 138 668,09 euros toutes taxes comprises ;
4°) dans tous les cas, de mettre à la charge de la région la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société soutient que :
- les moyens présentés à l'appui de l'appel sont infondés ;
- subsidiairement, la responsabilité extracontractuelle de la région doit être engagée ;
- elle a droit à la totalité de la provision sollicitée en première instance.
Par une lettre en date du 1er septembre 2023, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu avant le 1er avril 2024, et que l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 1er octobre 2023.
Par ordonnance du 11 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.
Le juge des référés de la Cour a décidé de renvoyer cette affaire en formation collégiale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Habibi Alaoui substituant Me Cabanes, pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, et de Me Holterbach, pour la société Wyptex.
Connaissance prise de la note en délibéré, présentée pour la société Wyptex et enregistrée au greffe le 28 novembre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ".
2. Par un contrat conclu le 24 mars 2020, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a confié à la société Wyptex un marché public portant sur la fourniture, dans un délai de dix jours, d'un million de masques de protection de type FFP2 ou équivalents et de trois millions de masques à trois plis ou équivalent, moyennant un prix de 3 280 000 euros hors taxes. Le 25 mars 2020, la région a versé une avance de 1 377 600 euros toutes taxes comprises. Le 30 avril 2020, la société Wyptex a finalement livré à la région 495 000 masques FFP2. Le 15 juin 2020, elle a adressé un courrier sollicitant que la région réceptionne le solde des masques FFP2 commandés en contrepartie du versement du solde du marché, la compensation de cette somme avec le montant du trop-perçu de la taxe sur la valeur ajoutée à rembourser à la région ainsi que l'annulation de la commande relative aux masques trois plis. Le 23 juillet 2020, la région a refusé de faire droit à ses demandes. La société Wyptex a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à la condamnation de la région à lui verser, à titre de provision, la somme de 1 413 827,50 euros toutes taxes comprises, ou, subsidiairement, la somme de 1 138 668,09 euros toutes taxes comprises. Par l'ordonnance attaquée, dont la région relève appel, la juge des référés du tribunal administratif de Marseille a condamné cette collectivité publique à payer à la société une somme de 1 135 019 euros.
Sur la provision réclamée au titre de la responsabilité contractuelle de la région :
3. La demande de provision de la société Wyptex soulève la question de savoir, en l'absence de décision formelle de résiliation, si le marché public dont la société Wyptex était titulaire doit être regardé comme ayant été résilié, une telle résiliation étant elle-même de nature à rendre inapplicable la stipulation de l'article 37.2 du cahier des clauses administratives générales qui impose, à peine d'irrecevabilité contractuelle de la demande, la présentation d'un mémoire de réclamation dans le délai de deux mois suivant la naissance du différend (cf. CE, 27 nov. 2019, Société SMA Propreté et autres, no 422600, Lebon T).
4. Cette question de droit, qui pose une difficulté sérieuse au regard du bien-fondé de la demande de provision, fait obstacle à ce que la créance dont se prévaut la société Wyptex puisse être regardée comme présentant le caractère d'une obligation non sérieusement contestable au sens des dispositions précitées de l'article R. 541-1 du code de justice administrative.
5. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens présentés par la région, cette dernière est donc fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif de Marseille a fait partiellement droit à la demande de provision présentée par la société Wyptex.
Sur la provision sollicitée au titre de la responsabilité quasi-délictuelle de la région :
6. L'existence du contrat fait obstacle à ce que la société invoque la responsabilité pour faute de la région sur un fondement autre que celui du contrat. La créance invoquée à ce titre, à titre subsidiaire, par la société sur le terrain de la responsabilité quasi-délictuelle de la région ne peut donc être regardée comme non sérieusement contestable.
Sur les frais liés au litige :
7. L'article L. 761-1 du code de justice administrative fait obstacle à ce qu'une somme quelconque soit laissée à la charge de la région, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre une somme à la charge de la société à ce même titre.
D É C I D E :
Article 1er : Les articles 1er et 2 de l'ordonnance n° 2204444 de la juge des référés du tribunal administratif de Marseille sont annulés.
Article 2 : Les demandes auxquelles ces articles font droit sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et à la société Wyptex.
Délibéré après l'audience du 27 novembre 2023, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 décembre 2023.
N° 23MA01327 2