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11/12/2023 | FRANCE | N°22PA00295

France | France, Cour administrative d'appel, 8ème chambre, 11 décembre 2023, 22PA00295


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. K... M... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 16 janvier 2020 par laquelle le directeur opérationnel territorial " Colis Île-de-France " a prononcé à son encontre une sanction d'exclusion temporaire de fonction pour une durée de vingt-quatre mois, dont vingt-et-un mois avec sursis à compter du 20 janvier 2020.



Par un jugement n° 2003361/3 du 19 novembre 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa

demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire enregist...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. K... M... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 16 janvier 2020 par laquelle le directeur opérationnel territorial " Colis Île-de-France " a prononcé à son encontre une sanction d'exclusion temporaire de fonction pour une durée de vingt-quatre mois, dont vingt-et-un mois avec sursis à compter du 20 janvier 2020.

Par un jugement n° 2003361/3 du 19 novembre 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 20 janvier et 19 décembre 2022, M. M..., représenté par Me Arvis, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2003361/3 du 19 novembre 2021 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) d'annuler la décision du 16 janvier 2020 du directeur opérationnel territorial " Colis Île-de-France " ;

3°) d'enjoindre à la société La Poste de retirer de son dossier l'ensemble des pièces relatives à la procédure disciplinaire à l'issue de laquelle a été prise la décision du 16 janvier 2020 ;

4°) de mettre à la charge de la société La Poste la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il n'a pas été signé par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience en méconnaissance de l'article

R. 741-7 du code de justice administrative ;

- l'enquête administrative préalable à la procédure disciplinaire a méconnu le principe d'impartialité ; ses propos ont été dénaturés ; sa demande tendant à faire témoigner M. A... a été rejetée et certains témoignages en sa faveur ont été retirés de la procédure comme l'a reconnu la société La Poste ;

- la procédure disciplinaire a été menée en méconnaissance des droits de la défense dès lors qu'il n'a pas pu, devant le conseil de discipline, présenter dans le détail les nombreux témoignages dont il disposait, ni exposer et lire en entier les observations écrites qu'il avait remises au secrétariat du conseil de discipline ; la société La Poste n'établit pas que ses observations et les quatre-vingt pièces qu'il a présentées ont été communiquées aux membres du conseil de discipline ;

- son entier dossier disciplinaire, notamment l'intégralité des témoignages, ne lui a pas été communiqué ;

- la composition de la commission administrative paritaire réunie en conseil de discipline est irrégulière en ce qu'elle a méconnu la condition de parité entre les représentants de l'administration et les représentants du personnel posée par les dispositions de l'article 14 de la loi du 11 janvier 1984 et de l'article 5 du décret du 28 mai 1982 ; La Poste n'établit pas que les membres de la commission administrative paritaire aient été régulièrement convoqués ;

- l'avis du conseil de discipline a été rendu sans être motivé ;

- le président du conseil de discipline a méconnu les dispositions de l'article 8 du décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat en ne proposant pas une sanction moins sévère alors que le conseil de discipline avait émis un avis défavorable à l'unanimité à la sanction proposée d'une exclusion temporaire de fonctions de vingt-quatre mois sans sursis ;

- la décision contestée est insuffisamment motivée en fait ;

- elle est fondée sur des faits matériellement inexacts et est entachée d'une erreur de qualification juridique des faits ;

- la sanction est disproportionnée eu égard à ses qualités relationnelles, à sa manière de servir depuis vingt-quatre ans, à l'absence de sanction disciplinaire antérieure et alors, à supposer que les faits reprochés sont considérés comme établis, que ces faits sont isolés et ont eu lieu sur une courte période.

Par des mémoires en défense enregistrés le 14 novembre 2022 et le 9 janvier 2023, la société La Poste conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. M... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les agissements de M. M... à l'égard de Mme I... sont constitutifs d'un harcèlement moral ;

-les moyens soulevés pas le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;

- le décret n°94-130 du 11 février 1994 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Larsonnier,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Arvis, représentant M. M... et de Me Tastard, représentant la société La Poste.

Considérant ce qui suit :

1. Fonctionnaire rattaché au sein de la société La Poste depuis décembre 1990, M. M... a été nommé, le 18 juin 2018, directeur de centre de livraison de l'agence Coliposte de Pantin. Par une décision du 16 janvier 2020, le directeur opérationnel territorial " Colis Ile-de-France " a prononcé à son encontre une sanction d'exclusion temporaire de fonction pour une durée de vingt-quatre mois, dont vingt-et-un mois avec sursis à compter du 20 janvier 2020. Par un jugement du 19 novembre 2021, dont M. M... relève appel, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".

3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que le jugement attaqué a, conformément aux prescriptions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, été signé par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience.

La circonstance que l'ampliation du jugement qui a été notifiée au requérant ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de ce jugement.

Sur la légalité de la décision du 16 janvier 2020 :

En ce qui concerne la légalité externe :

4. L'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version applicable à la date de la décision contestée, dispose que : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination./ (...) Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes et à l'assistance de défenseurs de son choix. L'administration doit informer le fonctionnaire de son droit à communication du dossier. Aucune sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe par les dispositions statutaires relatives aux fonctions publiques de l'Etat, territoriale et hospitalière ne peut être prononcée sans consultation préalable d'un organisme siégeant en conseil de discipline dans lequel le personnel est représenté. /L'avis de cet organisme de même que la décision prononçant une sanction disciplinaire doivent être motivés ".

5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite des accusations de harcèlement moral formulées par M. F... et Mme I... à l'encontre de M. M..., la direction opérationnelle territoriale " Colis Ile-de-France " a décidé, le 4 avril 2019, l'ouverture du dispositif de prévention et de traitement des situations de harcèlement moral. Après avoir entendu M. M... et les deux agents concernés, la cellule mise en place dans le cadre de ce dispositif a remis un rapport de synthèse le 7 juin 2019. Il ressort des termes de la décision du 16 janvier 2020 que, pour prononcer la sanction en litige à l'encontre de M. M..., le directeur opérationnel territorial " Colis Ile-de-France " s'est notamment fondé sur les éléments recueillis par cette cellule. Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient la société La Poste, M. M... peut utilement soulever le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie dans le cadre du dispositif de prévention et de traitement des situations de harcèlement moral à l'appui de ses conclusions à fin d'annulation de la décision du 16 janvier 2020.

6. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport de synthèse du 7 juin 2019, que dans le cadre du dispositif de prévention et de traitement des situations de harcèlement moral, un représentant de la direction des ressources humaines et un assistant social ont séparément recueilli les témoignages de M. F... les 10 et 14 mai 2019 et de Mme I... les 13 et 15 mai 2019. M. M... a été entendu le 20 mai 2019 par l'assistant social et le 21 mai 2019 par le représentant de la direction des ressources humaines. Si le requérant soutient qu'il a été interrogé sans avoir été préalablement informé des faits reprochés, il ressort des mentions du rapport de synthèse du 7 juin 2019 que les faits reprochés lui ont été présentés avant de recueillir ses déclarations. A supposer même, comme le soutient M. M..., que la cellule aurait refusé d'entendre les témoins qu'il citait, il ressort des pièces du dossier qu'elle n'a entendu aucun témoin et n'a recueilli, ainsi qu'il vient d'être dit, que les seuls témoignages de M. F..., de Mme I... et de M. M.... Il ne ressort pas des pièces du dossier que le représentant de la direction des ressources humaines et l'assistant social auraient, lors des entretiens avec les personnes concernées ou lors de la retranscription de leurs déclarations dans le rapport de synthèse, manqué à l'impartialité requise ou manifesté une animosité particulière à l'égard de M. M..., ni dénaturé ses propos.

7. En deuxième lieu, M. M... soutient que l'enquête administrative qui a succédé à celle menée dans le cadre du dispositif de prévention et de traitement des situations de harcèlement moral est entachée de partialité dès lors que les témoignages de M. A... et de M. C... ont été respectivement refusé ou retiré de la procédure. Il ressort des pièces du dossier que par un courrier du 22 novembre 2019 de la responsable discipline et relations sociales, M. M... a été informé qu'il était susceptible de faire l'objet d'une sanction relevant de la compétence du conseil de discipline et qu'il avait la possibilité de citer des témoins devant le conseil de discipline. Il ressort de l'exposé du rapporteur devant le conseil de discipline réuni le 7 janvier 2020 que, le 9 décembre 2019, M. M... a informé la directrice des ressources humaines qu'il entendait citer onze témoins dont M. A... et M. C... et que l'ensemble de ces témoins ont été invités à se présenter devant le conseil de discipline. Il ressort du compte-rendu du conseil de discipline que parmi les onze témoins dont M. M... estimait que l'audition présentait un caractère utile, dix se sont présentés et ont été entendus par le conseil de discipline dont M. A... et M. C.... En outre, M. M... a produit, le 23 septembre 2019, huit témoignages et le 3 janvier 2020, sept autres témoignages ainsi que des lettres de soutien émanant de gérants de sociétés prestataires. Il ressort des mentions du procès-verbal de la réunion du conseil de discipline que l'intégralité des pièces présentées par M. M..., ainsi que par ailleurs son mémoire en défense de quatre-vingt pages, ont été communiqués aux membres du conseil de discipline avant la réunion et qu'ils ont été en mesure d'en prendre connaissance. Il ne ressort pas des pièces du dossier que des témoignages ou des pièces en faveur de M. M..., notamment les témoignages de M. A... et de M. C..., auraient été écartés de la procédure disciplinaire, ni que la société La Poste aurait reconnu ne pas avoir pris en considération l'ensemble des témoignages présentés par l'intéressé. Il ressort seulement de l'exposé du rapporteur devant le conseil de discipline réuni le 7 janvier 2020, qu'après avoir analysé chacun des témoignages présentés par le requérant, le rapporteur a porté une appréciation quant à leur pertinence au regard de la matérialité des faits reprochés dès lors que la plupart de ces témoignages ne portaient pas sur les relations entre M. M..., d'une part, et M. F... et Mme I..., d'autre part. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure disciplinaire aurait été menée à charge ne peut qu'être écarté.

8. En troisième lieu, il ressort du procès-verbal de communication du dossier disciplinaire et du dossier personnel de M. M... du 28 novembre 2019, signé par l'intéressé, qu'il a eu communication de son dossier disciplinaire et a disposé de la copie intégrale des pièces de son dossier disciplinaire. A la suite de sa convocation du 3 décembre 2019 devant le conseil de discipline, il a à nouveau été informé de la possibilité de consulter son dossier disciplinaire mais n'a pas exercé ce droit. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que M. M... n'aurait pas eu communication de son dossier disciplinaire doit être écarté.

9. En quatrième lieu, il ressort des mentions du procès-verbal de la réunion du conseil de discipline du 7 janvier 2020 que M. M... et ses défenseurs ont pris la parole à plusieurs reprises et que dix témoins cités par M. M... ont, ainsi qu'il a déjà été dit, été entendus. Si M. M... soutient qu'il n'a pas pu présenter oralement devant le conseil de discipline l'intégralité des observations écrites qu'il avait adressées au secrétariat du conseil de discipline, ni les nombreux témoignages en sa faveur, il ressort des mentions du procès-verbal de la réunion du conseil de discipline, ainsi qu'il a déjà été dit, que l'intégralité des pièces présentées par

M. M... et son mémoire en défense ont été, préalablement à la séance, communiqués aux membres du conseil de discipline qui ont déclaré en avoir pris connaissance. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des droits de la défense doit être écarté.

10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 14 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, alors applicable : " Dans chaque corps de fonctionnaires existent une ou plusieurs commissions administratives paritaires comprenant, en nombre égal, des représentants de l'administration et des représentants du personnel. (...) ". Aux termes de l'article 67 de la même loi : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination qui l'exerce après avis de la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline et dans les conditions prévues à l'article 19 du titre Ier du statut général. (...) ".

11. Aux termes de l'article 1er du décret du 11 février 1994 relatif aux commissions administratives paritaires de La Poste : " Des commissions administratives paritaires sont instituées à La Poste selon les règles énoncées par le présent décret ". Aux termes de l'article 5 du même décret : " Les commissions administratives paritaires comprennent en nombre égal des représentants de La Poste et des représentants du personnel. Elles ont des membres titulaires et un nombre égal de membres suppléants ". Aux termes de l'article 6 du même décret, dans sa version applicable à la date de la décision contestée : " Le nombre des représentants du personnel est de deux membres titulaires et de deux membres suppléants pour chaque grade ou grade de niveau équivalent défini par la décision relative aux commissions administratives paritaires. (...) ". Aux termes de l'article 35 du même décret, dans sa version applicable à la date de la décision contestée : " Lorsque les commissions administratives paritaires siègent en formation restreinte, seuls les membres titulaires et, éventuellement, leurs suppléants représentant le grade ou le grade de niveau équivalent auquel appartient le fonctionnaire intéressé et les membres titulaires ou suppléants représentant le grade ou le grade de niveau équivalent immédiatement supérieur ainsi qu'un nombre égal de représentants de La Poste sont appelés à délibérer ". Aux termes de l'article 40 du même décret, dans sa version applicable à la date de la décision contestée : " Les commissions administratives ne délibèrent valablement qu'à la condition d'observer les règles de constitution et de fonctionnement édictées par la loi du 11 janvier 1984 susvisée et par le présent décret, ainsi que par le règlement intérieur. En outre, les trois quarts au moins de leurs membres doivent être présents lors de l'ouverture de la réunion. (...) ".

12. Il résulte des dispositions de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 citées au point 4 et des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 et du décret du 11 février 1994 citées aux points 10 et 11, qu'une commission administrative paritaire ne peut valablement délibérer, en formation restreinte comme en formation plénière, qu'à la condition qu'aient été régulièrement convoqués, en nombre égal, les représentants de l'administration et les représentants du personnel, membres de la commission, habilités à siéger dans la formation considérée, et eux seuls, et que le quorum ait été atteint. Si la règle de la parité s'impose ainsi pour la composition des commissions administratives paritaires, en revanche, la présence effective en séance d'un nombre égal de représentants du personnel et de représentants de l'administration ne conditionne pas la régularité de la consultation d'une commission administrative paritaire, dès lors que ni les dispositions précitées, ni aucune autre règle, ni enfin aucun principe ne subordonnent la régularité des délibérations des commissions administratives paritaires à la présence en nombre égal de représentants de l'administration et de représentants du personnel.

13. Il ressort des courriers du 20 décembre 2019 versés aux débats par la société La Poste que quatre représentants du personnel ont été régulièrement convoqués au conseil de discipline du 7 janvier 2020. Il ressort du procès-verbal de la réunion du conseil de discipline que quatre représentants de La Poste et seulement deux représentants du personnel ont siégé. Cependant, ainsi qu'il a été dit au point précédent, la circonstance que deux représentants du personnel n'ont pas déféré à leur convocation est sans influence sur la régularité de la séance du conseil de discipline, qui a pu valablement délibérer dans la composition où il se trouvait, dès lors que la règle du quorum était par ailleurs respectée.

14. En sixième lieu, il résulte des dispositions de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 citées au point 4 que l'avis de la commission administrative paritaire compétente siégeant en conseil de discipline doit être motivé. Cette exigence de motivation constitue une garantie. Cette motivation peut être attestée par la production, sinon de l'avis motivé lui-même, du moins du procès-verbal de la réunion de la commission comportant des mentions suffisantes.

15. Le procès-verbal de la réunion du conseil de discipline du 7 janvier 2020, qui a été consacrée à l'examen de la situation de M. M..., mentionne de manière suffisamment précise les faits qui auraient été commis par l'intéressé à l'encontre de M. F... et de Mme I... et qui sont susceptibles d'être considérés comme des agissements constitutifs de harcèlement moral, les propos tenus lors de cette réunion par les différents participants, dont les témoins cités par M. M..., et les éléments sur lesquels se sont fondés les représentants du personnel et de la Poste pour se prononcer sur la proposition de sanction, en particulier sur la période de sursis. Il indique que la proposition de sanction d'une exclusion temporaire de fonction de vingt-quatre mois fermes a recueilli six voix contre et que la seconde proposition de sanction d'une exclusion temporaire de fonction de vingt-quatre mois dont vingt-et-un mois avec sursis a recueilli le vote à l'unanimité des membres du conseil. Ainsi, l'avis donné par le conseil de discipline, qui a notamment mentionné la sanction qui lui paraissait la plus appropriée compte tenu des faits reprochés, est suffisamment motivé. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'avis du conseil de discipline doit être écarté.

16. En septième lieu, aux termes de l'article 8 du décret du 25 octobre 1984 : " Le conseil de discipline, au vu des observations écrites produites devant lui et compte tenu, le cas échéant, des déclarations orales de l'intéressé et des témoins ainsi que des résultats de l'enquête à laquelle il a pu être procédé, émet un avis motivé sur les suites qui lui paraissent devoir être réservées à la procédure disciplinaire engagée. / A cette fin, le président du conseil de discipline met aux voix la proposition de sanction la plus sévère parmi celles qui ont été exprimées lors du délibéré. Si cette proposition ne recueille pas l'accord de la majorité des membres présents, le président met aux voix les autres sanctions figurant dans l'échelle des sanctions disciplinaires en commençant par la plus sévère après la sanction proposée, jusqu'à ce que l'une d'elles recueille un tel accord. (...) ".

17. Il ressort des mentions du procès-verbal de la réunion du conseil de discipline du

7 janvier 2020, ainsi qu'il a déjà été dit, que la présidente a mis au vote la proposition de sanction d'exclusion temporaire de fonction de vingt-quatre mois. Cette proposition ayant recueilli six voix contre, la présidente a mis aux voix la sanction d'exclusion temporaire de fonction de vingt-quatre mois dont vingt-et-un mois avec sursis, c'est-à-dire contrairement à ce que soutient M. M... une sanction moins sévère du fait de la période de sursis que la première sanction proposée. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 8 du décret du 25 octobre 1984 doit être écarté.

18. En huitième lieu, la décision du 16 janvier 2020 prononçant à l'encontre de M. M... la sanction d'exclusion temporaire de fonction pour une durée de vingt-quatre mois, dont vingt-et-un mois avec sursis, vise notamment l'article 24 de la loi du 13 juillet 1983, la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom et l'avis du conseil de discipline du 7 janvier 2020. Elle mentionne les faits reprochés à M. M..., les différentes étapes de l'enquête administrative et de la procédure disciplinaire et porte l'appréciation selon laquelle l'intéressé a eu à plusieurs reprises à l'encontre d'au moins deux collaborateurs des agissements considérés comme fautifs, constitutifs d'une situation de harcèlement moral. Il s'ensuit que la décision contestée comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré d'une insuffisante motivation de la décision contestée doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

19. Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984, alors applicable : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. / Premier groupe : / l'avertissement ; /le blâme ; /l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours. /Deuxième groupe : /la radiation du tableau d'avancement ; /l'abaissement d'échelon à l'échelon immédiatement inférieur à celui détenu par l'agent ; /l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre à quinze jours ; /le déplacement d'office. /Troisième groupe : /la rétrogradation au grade immédiatement inférieur et à l'échelon correspondant à un indice égal ou, à défaut, immédiatement inférieur à celui afférent à l'échelon détenu par l'agent ; /l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans. /Quatrième groupe : /la mise à la retraite d'office ; /la révocation. / (...) / L'exclusion temporaire de fonctions, qui est privative de toute rémunération, peut être assortie d'un sursis total ou partiel. Celui-ci ne peut avoir pour effet, dans le cas de l'exclusion temporaire de fonctions du troisième groupe, de ramener la durée de cette exclusion à moins de un mois. / (...) ".

20. D'une part, lorsque l'administration s'est fondée sur plusieurs motifs dont certains sont illégaux, il appartient au juge administratif d'examiner s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision en se fondant sur les seuls motifs légaux. D'autre part, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

21. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que quelques mois après son arrivée en qualité de directeur de centre de livraison au sein de l'agence Coliposte de Pantin,

M. M... a entretenu des relations professionnelles très tendues avec M. F..., qui exerçait les fonctions de responsable production sur l'agence de Pantin et qui avait assumé l'intérim de la fonction de directeur de centre de livraison de l'agence Coliposte de Pantin jusqu'à son arrivée. Il ressort des échanges de courriels produits au dossier, comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, que M. M... a, au fil des mois, progressivement modifié le ton employé à l'égard de M. F..., passant du tutoiement au vouvoiement et ne s'adressant plus à lui en utilisant son prénom mais en le nommant de manière très impersonnelle " Monsieur ", marque de distanciation manifeste et ostentatoire. En outre, il ressort notamment des courriels des 11 octobre, 10 et 19 novembre 2018 échangés entre les intéressés, des courriels des 13 et 17 novembre 2018 de M. F... adressés respectivement à M. D..., ancien directeur de centre de livraison au sein de l'agence Coliposte de Pantin, et à M. H..., directeur opérationnel territorial " Colis Ile-de-France ", du courriel du 22 novembre 2018 de

M. M... envoyé à M. A..., directeur de la livraison et des projets ACP Ile-de-France, du compte-rendu des déclarations de M. G... du 23 juillet 2019, que reprochant à M. F... de ne pas exercer correctement ses fonctions, M. M... lui a demandé, à compter du

11 octobre 2018, de l'informer de " toutes les décisions prises " et de " toutes les organisations mises en place ", lui a adressé des courriels rédigés dans un style brutal, en particulier lorsqu'il sollicitait la réalisation de certaines tâches, l'a exclu des prises de décisions concernant pourtant son service, s'est abstenu de l'informer de la teneur de ces décisions, l'empêchant ainsi de mener à bien ses missions. Ainsi, le 13 novembre 2018, M. F... n'a pas été convié à une réunion importante avec les prestataires et les informations échangées pendant cette réunion ne lui ont pas été communiquées, le mettant dans l'impossibilité d'orienter les chefs d'équipe qui étaient sous sa responsabilité. Il n'a pas non plus reçu les informations lui permettant de participer à une réunion prévue le 14 novembre 2018 alors que sa présence était annoncée. M. F... a par ailleurs été dessaisi de plusieurs de ses attributions et s'est vu confier des tâches de rangement comme ranger le local des archives. Il ressort d'un courriel du 17 novembre 2018 adressé par

M. F... au directeur opérationnel territorial " Colis Ile-de-France " que M. M... l'a contacté pour lui apprendre sèchement qu'il ne resterait pas à l'agence et qu'il contacterait le directeur de la livraison et des projets ACP Ile-de-France. Il ressort du témoignage de

M. G..., qui a travaillé auprès de M. F... pendant quatre mois, qu'à compter de cet incident, M. M... ne s'est plus adressé à M. F... que par courriel. Il ressort également de ce témoignage que M. M... n'a eu de cesse de rabaisser M. F.... Devant la cellule mise en place dans le cadre du dispositif de prévention et de traitement des situations de harcèlement moral, M. M... a reconnu pouvoir exercer un management " rentre dedans " avec une façon de communiquer brutale et avoir dessaisi M. F... d'une partie de ses missions afin d'améliorer les résultats de l'agence de Pantin. Il ressort notamment des courriels adressés par M. F... à M. D..., son ancien collègue, et à M. H..., directeur opérationnel territorial " Colis Ile-de-France ", que l'attitude et les agissements de M. M... ont généré chez M. F... beaucoup d'angoisse et un état de stress au travail élevé qui l'ont conduit à quitter l'agence à la faveur d'une mobilité. Il résulte de l'ensemble de ces éléments, et alors même que la manière de servir de M. M... a été estimée très satisfaisante par sa hiérarchie jusqu'au prononcé de la sanction en litige et qu'il a entretenu de bonnes relations avec une partie de ses collaborateurs qui louent ses qualités managériales et ses résultats comme en attestent notamment les nombreuses attestations versées au dossier, que l'autorité disciplinaire ne s'est pas fondée sur des faits matériellement inexacts et a pu à juste titre estimer que les faits reprochés au requérant constituaient une faute de nature à justifier une sanction.

22. En revanche, il ressort des pièces du dossier, notamment des courriels versés au dossier émanant tant de M. M... que de Mme L... et de M. E..., collègues de Mme I..., que cette dernière, recrutée en qualité de responsable des ressources humaines en octobre 2018, a rencontré des difficultés d'adaptation à son poste dès son arrivée à l'agence de Pantin et que ses efforts d'investissement, d'apprentissage et de formation ont, comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, été insuffisants et qu'une partie de son travail a dû être effectué par Mme L.... Si M. M... a pu rappeler à Mme I..., sur un ton directif et parfois sec, l'étendue de ses missions et lui demander de moins solliciter ses collègues et de s'investir davantage dans son travail, il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait outrepassé ses pouvoirs hiérarchiques, ni, comme le soutient la société La Poste, que Mme I... aurait fait l'objet d'une surveillance " très resserrée " de la part de M. M.... Si la société La Poste soutient également que les fonctions de Mme I... ont été limitées à des tâches sans rapport avec le niveau de responsabilité attendu d'un responsable des ressources humaines, et notamment qu'aucune autonomie décisionnelle ne lui a été accordée et qu'une partie de ses attributions ont été exercées par Mme J... et par Mme L..., il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme J... ait agi en vertu d'instructions de M. M.... En outre, il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a déjà été dit, que c'est Mme I... qui, rencontrant des difficultés d'adaptation à son poste de travail, a fréquemment sollicité les conseils et l'aide de Mme L... pour la réalisation de ses missions. S'il ressort de l'attestation non datée de Mme B..., chef d'équipe, que Mme I... " descendait souvent du bureau en pleurant ", elle reconnaît n'avoir pas été directement témoin d'un comportement ou de propos de

M. M... à l'encontre de Mme I... qui aurait excédé l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Par ailleurs, il ressort de la déclaration d'un prestataire de transport que le

6 décembre 2018, M. M... l'a pris à partie ainsi que Mme I... qui l'accompagnait et qu'il a fermé violemment la porte de son bureau sur la main de cette dernière. Mme I... n'a toutefois pas présenté de déclaration d'accident de service. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que cet incident isolé, pour regrettable qu'il soit, procéderait d'une volonté de nuire à Mme I.... Au vu de l'ensemble de ces éléments, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que les agissements et l'attitude de M. M... à l'égard de Mme I... ne pouvaient être regardés comme constitutifs d'un harcèlement moral et que, par suite, la décision contestée était entachée d'une erreur de qualification juridique des faits quant au motif fondé sur le harcèlement moral commis à l'encontre de cette dernière.

23. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la société La Poste aurait pris la même décision en se fondant sur le seul motif tiré de ce que les agissements de M. M... commis à l'encontre de M. F... sont constitutifs de harcèlement moral.

24. En troisième et dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. M... a fait l'objet d'excellentes évaluations professionnelles, qu'il était apprécié de sa hiérarchie, ainsi qu'il a déjà été dit, et qu'il n'a jamais fait l'objet de sanction disciplinaire, notamment pendant les vingt années où il a exercé des fonctions de direction. En outre, il produit de nombreuses attestations émanant de collègues et de prestataires de transports faisant état de ses compétences, de ses qualités managériales, de sa bienveillance et de relations de travail cordiales. Toutefois, eu égard à la nature des faits commis à l'encontre de M. F..., des conséquences de ces agissements sur la santé psychologique de ce dernier qui a dû quitter l'agence où il travaillait depuis dix ans à la faveur d'une mobilité, et même si ces faits se sont déroulés sur une courte période et présentent un caractère isolé, l'autorité disciplinaire n'a pas pris une sanction disproportionnée en prononçant à l'encontre du requérant une exclusion temporaire de fonction pour une durée de vingt-quatre mois, dont vingt-et-un mois avec sursis.

25. Il résulte de tout ce qui précède que M. M... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

26. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. M..., n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la société La Poste de retirer de son dossier l'ensemble des pièces relatives à la procédure disciplinaire à l'issue de laquelle a été prise la décision du 16 janvier 2020 ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société La Poste, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. M... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. M... le versement de la somme que la société La Poste demande sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. M... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société La Poste sur le fondement de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. K... M... et à la société La Poste.

Délibéré après l'audience du 20 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente de chambre,

- M. Ho Si Fat, président assesseur,

- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 décembre 2023.

La rapporteure,

V. LARSONNIER La présidente,

A. MENASSEYRE

La greffière,

N. COUTY

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22PA00295 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA00295
Date de la décision : 11/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MENASSEYRE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SCP ARVIS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-11;22pa00295 ?
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