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11/12/2023 | FRANCE | N°22MA00807

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 11 décembre 2023, 22MA00807


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SCI de l'Étoile du Sud a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la société EDF à lui verser la somme de 586 352,78 euros en réparation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi du fait de l'erreur commise par celle-ci dans l'application des conditions financières relatives au contrat d'achat d'électricité qu'elles ont conclu le 2 novembre 2011, ainsi que les intérêts capitalisés au taux légal à compter du 28 octobre 2019.



Par un jugement n° 1901670 du 25 janvier 2022, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa dema...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI de l'Étoile du Sud a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la société EDF à lui verser la somme de 586 352,78 euros en réparation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi du fait de l'erreur commise par celle-ci dans l'application des conditions financières relatives au contrat d'achat d'électricité qu'elles ont conclu le 2 novembre 2011, ainsi que les intérêts capitalisés au taux légal à compter du 28 octobre 2019.

Par un jugement n° 1901670 du 25 janvier 2022, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 10 mars 2022, 9 mai et 11 août 2023, la SCI de l'Étoile du Sud, représentée par Me Muscatelli, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 25 janvier 2022 ;

2°) de condamner la société EDF à lui verser la somme de 586 352,78 euros, somme majorée des intérêts capitalisés à compter du 28 octobre 2019 ;

3°) de mettre à la charge de la SA EDF la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'action qu'elle a engagée est recevable dès lors qu'elle s'est conformée aux règles de l'article XIII du contrat qu'elle a signé avec la SA EDF le 2 novembre 2011 ;

- la responsabilité de la SA EDF est engagée à son égard pour avoir tout d'abord instruit sa demande de contrat d'achat, puis s'être conventionnellement engagée à acheter l'électricité produite, sur la base du régime " S 06 " issu de l'arrêté du 10 juillet 2006 inapplicable en l'espèce, et pour avoir appliqué in fine le tarif " S10 " issu de l'arrêté du 12 janvier 2010 moins avantageux ;

- aucune faute de nature à atténuer cette responsabilité ne saurait être retenue à son encontre ;

- en raison de cette faute, elle a subi un préjudice à hauteur de 586 352,78 euros en principal résultant de la différence entre les deux tarifs et de la perte de chance sérieuse d'un retour sur investissement beaucoup plus important que celui dont elle bénéficie en exécution du contrat d'achat d'électricité la liant à la SA EDF.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 5 septembre 2022 et le 21 juillet 2023, la SA EDF, représentée par l'AARPI Baker et McKenzie, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la SCI de l'Étoile du Sud la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la demande de la SCI de l'Étoile du Sud est irrecevable ;

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Un courrier du 23 juin 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.

Par ordonnance du 7 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été informées, par un courrier du 16 novembre 2023, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré du caractère illicite du contrat d'achat d'électricité, les parties à un tel contrat ne pouvant contractuellement déroger aux tarifs d'achat fixés par l'arrêté du 12 janvier 2010 pris pour l'application de l'article L. 314-11 du code de l'énergie. (CE, Assemblée du 28 décembre 2009, commune de Béziers, n° 304802, aux tables).

Des observations en réponse au moyen d'ordre public ont été produites pour la société EDF le 22 novembre 2023 et communiquées le lendemain.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'énergie ;

- la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ;

- la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 ;

- le décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 ;

- le décret n° 2001-410 du 10 mai 2001 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Me Giansili, pour la SCI de l'Étoile du Sud, et de Me Perche, pour la société EDF.

Connaissance prise de la note en délibéré enregistrée le 29 novembre 2023, et produite pour la SCI de l'Étoile du Sud.

Considérant ce qui suit :

1. La SCI de l'Étoile du Sud a fait installer des panneaux photovoltaïques sur la toiture d'un bâtiment lui appartenant situé à Sarrola-Carcopino, en vue de la commercialisation de l'électricité produite dans le cadre de l'obligation d'achat prévue aux articles L. 314-1 et suivants du code de l'énergie. Le contrat d'achat d'électricité a été signé le 2 novembre 2011 avec la société EDF et prévoyait l'application du tarif d'achat dit " S06 " fixé par l'arrêté interministériel du 10 juillet 2006 fixant les conditions d'achat de l'électricité d'origine photovoltaïque. Par courrier du 2 octobre 2015, la SA EDF a informé la SCI de l'Étoile du Sud que le tarif applicable à l'installation était en réalité le tarif dit " S10 ", fixé par un arrêté interministériel du 12 janvier 2010, en précisant, d'une part, que ce nouveau tarif serait appliqué à l'avenir et, d'autre part, que le trop-perçu résultant de l'application du tarif " S06 " serait déduit du montant des échéances suivantes. Le 16 décembre 2015, la société requérante a assigné la société EDF devant le juge des référés du tribunal de commerce d'Ajaccio aux fins d'obtenir le paiement de l'électricité qu'elle produit sur la base du tarif " S06 ". Sa demande a été rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître. La SCI de l'Étoile du Sud a adressé, le 22 octobre 2019, à la société EDF une " notification de différend " afin d'obtenir le paiement amiable de la somme de 586 352,78 euros, demande à laquelle cette dernière n'a pas donné de suite. La SCI de l'Étoile du Sud a alors saisi le tribunal administratif de Bastia d'une demande tendant à la condamnation de la SA EDF à l'indemniser à hauteur de 586 352,78 euros. Par le jugement du 25 janvier 2022, le tribunal administratif a rejeté cette demande. La SCI de l'Étoile du Sud fait appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 10 juillet 2006 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil : " La date de demande complète de contrat d'achat par le producteur détermine les tarifs applicables à une installation. Cette demande est considérée comme étant complète lorsqu'elle comporte la copie de la lettre de notification mentionnée à l'article R. 421-12 du code de l'urbanisme, lorsqu'un permis de construire est nécessaire, ainsi que les éléments définis à l'article 2 du présent arrêté. / Si la demande complète de contrat d'achat est effectuée en 2006, les tarifs applicables sont ceux de l'annexe du présent arrêté. Si la demande complète de contrat d'achat est effectuée après le 31 décembre 2006, les tarifs mentionnés à l'annexe du présent arrêté sont indexés au 1er janvier de l'année de la demande par application du coefficient K défini ci-après : [...] ". Aux termes de l'article 5 du même arrêté : " Peut bénéficier d'un contrat d'achat aux tarifs définis dans les conditions indiquées à l'article 3 ci-dessus, dans la mesure où elle respecte à la date de signature du contrat d'achat les conditions des décrets du 6 décembre 2000 et du 10 mai 2001 susvisés, une installation mise en service pour la première fois après la date de publication du présent arrêté et dont les générateurs photovoltaïques n'ont jamais produit d'électricité à des fins d'autoconsommation ou dans le cadre d'un contrat commercial. /La date de mise en service de l'installation correspond à la date de son raccordement effectif au réseau public. / Le contrat d'achat est conclu pour une durée de 20 ans à compter de la mise en service de l'installation. Cette mise en service doit avoir lieu dans un délai de trois ans à compter de la date de demande complète de contrat d'achat par le producteur. En cas de dépassement de ce délai, la durée du contrat d'achat est réduite d'autant. ".

3. Aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 12 janvier 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil : " La date de demande complète de raccordement au réseau public par le producteur détermine les tarifs applicables à une installation. La demande complète doit comporter les éléments définis à l'article 2 ainsi que les éléments précisés dans la documentation technique de référence du gestionnaire de réseau public auquel l'installation est raccordée. Les tarifs applicables sont définis à l'annexe 1 du présent arrêté. ".

4. Il résulte de l'instruction que l'appelante a présenté une " demande de contrat d'achat d'énergie électrique produite par une installation utilisant l'énergie radiative du soleil " le 29 décembre 2009. Un contrat d'achat a été signé avec la SA EDF le 2 novembre 2011 en faisant référence, en son article 5 et au point 2 " Tarifs " de l'article VII des conditions générales annexées au contrat, au tarif dit " S06 ". Si, à la date de la demande de contrat d'achat, l'arrêté interministériel du 10 juillet 2006 relatif au tarif d'achat dit " S06 " était en vigueur, celui-ci a été remplacé, au cours de l'instruction de la demande présentée par la SCI de l'Étoile du Sud, par un nouveau tarif d'achat dit " S10 " fixé par un arrêté interministériel du 12 janvier 2010, seul applicable en l'espèce, dès lors que l'installation photovoltaïque de l'appelante n'avait pas été mise en service à la date de publication de cet arrêté du 12 janvier 2010.

5. Alors que la SCI de l'Étoile du Sud recherche la responsabilité de la SA EDF, il résulte de l'instruction que cette dernière ne lui a pas transmis des informations sur les tarifs applicables avant le mois de novembre 2011 alors que sa décision d'investissement peut être regardée comme étant intervenue dès le mois de janvier 2010 par le dépôt en mairie d'une déclaration préalable de travaux en vue de l'installation d'une centrale photovoltaïque, puis en juillet 2010, par la signature d'un devis pour l'acquisition d'une centrale pour un montant de 866 557,44 euros. L'appelante ne saurait se prévaloir de la demande de contrat d'achat d'énergie qu'elle a déposée opportunément le 29 décembre 2009, dès lors qu'elle ne pouvait ignorer les conditions auxquelles elle pouvait bénéficier de ce type de contrat ni les conditions tarifaires au vu notamment des montants élevés des investissements qu'elle envisageait de réaliser. Pour ces mêmes motifs, elle ne peut davantage alléguer de ce qu'étant une société spécialisée dans le seul domaine de l'immobilier, elle ne saurait être considérée comme une professionnelle du domaine du photovoltaïque. Il s'en déduit que l'erreur commise par la SA EDF sur les tarifs apparait sans lien direct avec la décision d'investissement de la SCI de l'Étoile du Sud.

6. Par ailleurs, la société appelante n'établit pas l'existence d'un préjudice résultant de la différence de rendement entre un investissement dans le domaine de la production d'électricité photovoltaïque et un investissement dans le domaine de l'immobilier locatif. En outre, elle ne justifie pas de l'engagement, et donc de l'indisponibilité de fonds propres. Il s'ensuit que la SCI de l'Étoile du Sud ne peut, en tout état de cause, se prévaloir d'un quelconque préjudice indemnisable.

7. Il résulte de ce tout ce qui précède que la SCI de l'Étoile du Sud n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

8. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SCI de l'Étoile du Sud est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la SA EDF présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI de l'Étoile du Sud et à la SA EDF.

Délibéré après l'audience du 27 novembre 2023, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président de chambre,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 décembre 2023.

2

No 22MA00807


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA00807
Date de la décision : 11/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-01-01 Marchés et contrats administratifs. - Notion de contrat administratif. - Existence d'un contrat.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: Mme Isabelle RUIZ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : SCP BAKER & MCKENZIE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-11;22ma00807 ?
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