Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 24 mai 2023 par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2303028 du 4 juillet 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédures devant la cour :
I. Sous le n° 23TL01730, par une requête et des mémoires enregistrés les 13 juillet, 16 octobre et 16 novembre 2023, M. A..., représenté par Me Rosé, demande à la cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler ce jugement ;
3°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Hérault du 24 mai 2023 ;
4°) d'enjoindre à titre principal au préfet de l'Hérault de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " membre de famille de citoyen de l'Union européenne ", ou, à titre subsidiaire de procéder au réexamen de sa situation ;
5°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de l'obtention d'un titre de séjour ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 contre renonciation à la part contributive de l'Etat et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les premiers juges ont commis une erreur de droit en interprétant de manière restrictive les dispositions des articles L. 233-1 et L. 233-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que son épouse, ressortissante de l'Union européenne, exerçait une activité professionnelle sur le territoire français ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- la mesure d'éloignement est entachée d'un vice de procédure en violation de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale ;
- le préfet a commis une erreur de droit en fondant la mesure d'éloignement sur les dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen réel et complet de sa situation ;
- la mesure d'éloignement est entachée d'une erreur de droit, dès lors qu'il remplissait les conditions pour bénéficier de plein droit d'un titre de séjour en qualité de conjoint d'un ressortissant de l'Union européenne établi en France ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation au regard des dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur le refus de délai de départ volontaire :
- le préfet a commis une erreur de droit en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire sur le fondement des dispositions de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision est entachée d'un détournement de procédure ;
Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :
- cette décision est privée de base légale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- le préfet a commis une erreur de droit en fondant sa décision sur les dispositions de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2023, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 novembre 2023.
II. Sous le n° 23TL01731, par une requête et un mémoire complémentaire enregistrée les 13 juillet et 16 octobre 2023, M. A..., représenté par Me Rosé, demande à la cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) de prononcer le sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 4 juillet 2023 ;
3°) de prononcer le sursis à l'exécution de l'arrêté du préfet de l'Hérault du 24 mai 2023 ;
4°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens et une somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 contre renonciation à la part contributive de l'Etat et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'exécution du jugement rejetant sa demande d'annulation de l'arrêté pris à son encontre par le préfet de l'Hérault porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les moyens de sa requête d'appel présentent un caractère sérieux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 octobre 2023, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 novembre 2023.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Chabert, président.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 24 mai 2023, le préfet de l'Hérault a obligé M. A..., ressortissant tunisien né le 10 mai 1975, à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour en France d'une durée de deux ans. Par la requête enregistrée sous le n° 23TL01730, M. A... relève appel du jugement du 4 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté. Par sa requête n° 23TL01731, il sollicite le sursis à l'exécution de ce même jugement. Ces requêtes étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 23 novembre 2023. Par suite, sa demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle est dépourvue d'objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. D'une part, aux termes de l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les citoyens de l'Union européenne ont le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'ils satisfont à l'une des conditions suivantes : / 1° Ils exercent une activité professionnelle en France ; / 2° Ils disposent pour eux et pour leurs membres de famille de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie (...) ". L'article L. 233-2 du même code dispose que : " Les ressortissants de pays tiers, membres de famille d'un citoyen de l'Union européenne satisfaisant aux conditions énoncées aux 1° ou 2° de l'article L. 233-1, ont le droit de séjourner sur le territoire français pour une durée supérieure à trois mois (...) ". Aux termes de l'article L. 200-4 de ce code : " Par membre de famille d'un citoyen de l'Union européenne, on entend le ressortissant étranger, quelle que soit sa nationalité, qui relève d'une des situations suivantes : / 1° Conjoint du citoyen de l'Union européenne ; (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., ressortissant tunisien qui a déclaré être entré en France en 2018, s'est marié avec Mme D... B..., de nationalité roumaine, le 15 décembre 2022 à Montpellier. Il ressort également des pièces du dossier que l'épouse de l'appelant exerce une activité professionnelle à temps partiel sur le territoire français en qualité d'agent de service dans la société EGN Hôtellerie depuis le 24 avril 2022. A ce titre, le requérant produit, d'une part, un avenant au contrat de travail conclu entre Mme B... et la société EGN Hôtellerie du 1er octobre 2022, par lequel le contrat à durée déterminée conclu initialement est devenu un contrat à durée indéterminée à temps partiel de vingt heures par semaine et, d'autre part, plusieurs bulletins de paye de son épouse pour les années 2022 et 2023. Dans ces conditions, l'épouse de M. A... justifiait d'une activité professionnelle réelle et effective à la date de la décision attaquée. Dès lors, l'intéressé est fondé à soutenir qu'il était à la date de l'arrêté en litige en situation de bénéficier d'un titre de séjour comme membre de famille d'un citoyen de l'Union européenne au titre des dispositions citées au point précédent.
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 200-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le présent livre détermine les règles applicables à l'entrée, au séjour et à l'éloignement : / (...) 3° Des membres de famille des citoyens de l'Union européenne et des étrangers qui leur sont assimilés, tels que définis à l'article L. 200-4 (...) ". L'article L. 251-1 du même code dispose que : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : / 1° Ils ne justifient plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 232-1, L. 233-1, L. 233-2 ou L. 233-3 ; / 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ; / 3° Leur séjour est constitutif d'un abus de droit ".
6. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a été interpelé pour des faits de vente frauduleuse au détail de tabac de manufacture sans qualité de débitant de tabac de revendeur ou d'acheteur revendeur le 20 octobre 2020, ainsi que pour des faits d'entrée irrégulière d'un étranger en France et de conduite d'un véhicule sans permis le 8 octobre 2019. Toutefois, ces faits revêtent un caractère isolé et ne peuvent, à eux seuls, être regardés comme caractérisant une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. Par suite, le préfet de l'Hérault ne pouvait prononcer à l'encontre de l'appelant une mesure d'éloignement pour ce motif.
7. M. A... étant en situation d'obtenir la délivrance de plein droit d'un titre de séjour, il ne pouvait légalement faire l'objet d'une mesure portant obligation de quitter le territoire français. Par voie de conséquence, les décisions refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, fixant le pays de destination et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans sont dépourvues de base légale.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 mai 2023 portant obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de destination et lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
9. Le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de l'Hérault procède un nouvel examen de la situation de M. A... et prenne une nouvelle décision dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il y a lieu, dans cette attente, pour le préfet de délivrer à l'appelant une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours à compter de la même date.
Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution de la requête n° 23TL01731 :
10. Le présent arrêt statuant sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du 4 juillet 2023, les conclusions de l'appelant tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement se trouvent dépourvues d'objet. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur les frais liés aux litiges :
11. M. A... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, son avocat peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 37 de la loi ci-dessus visée du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Rosé, avocat de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, le versement à Me Rosé de la somme de 1 200 euros sur le fondement de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2303028 du 4 juillet 2023 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 24 mai 2023 par lequel le préfet de l'Hérault a obligé M. A... à quitter le territoire français sans délai et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Hérault de réexaminer la situation de M. A... et de prendre une nouvelle décision dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour dans un délai de 8 jours.
Article 4 : L'Etat versera à Me Rosé, avocat de M. A..., la somme de 1 200 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve de renonciation à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête n° 23TL01730 de M. A... est rejeté.
Article 6 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution présentée par M. A... dans la requête n° 23TL01731.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Me Rosé et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 23 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Chabert, président,
M. Haïli, président assesseur,
M. Jazeron, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 décembre 2023.
Le président-rapporteur,
D. Chabert
Le président assesseur,
X. Haïli
La greffière,
N. Baali
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution du présent jugement.
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Nos 23TL01730, 23TL01731