Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 27 février 2023 par lequel le préfet de Lot-et-Garonne a refusé de lui délivrer un titre
de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre sous astreinte au préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".
Par un jugement n° 2301670 du 7 juin 2023, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 4 juillet 2023, Mme B..., représentée
par le cabinet K-L Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de Lot-et-Garonne du 27 février 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de Lot-et-Garonne de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
- la décision est insuffisamment motivée au regard de son état de santé, ce qui révèle un défaut d'examen sérieux de sa situation ; en outre, la décision et le jugement comportent des éléments erronés sur sa situation familiale ;
- le préfet, qui s'est cru lié par l'avis des médecins de l'OFII, n'a pas engagé de procédure contradictoire pour lui permettre de présenter des observations sur cet avis ;
- elle présente un mal perforant du talon gauche sévère avec ostéite et une escarre ischiatique droite, laquelle rend impossible tout déplacement vers son pays d'origine ; elle bénéficie de soins infirmiers quotidiens pour l'escarre et d'un suivi pluridisciplinaire pour le mal perforant, suit une rééducation, et présente en outre des troubles cognitifs rendant difficile la gestion de sa maladie ; son état d'impécuniosité, ainsi que son incapacité à se déplacer et à se soigner, ne lui permettrait pas d'accéder à des soins appropriés au Maroc, et son état de santé ne lui permet pas de voyager, contrairement à ce qu'a indiqué le collège des médecins de l'OFII ; la gravité de son état de santé a été sous-évaluée, comme le montre un nouveau certificat d'un médecin agréé ; ainsi, la décision méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle a désormais en France, où résident trois de ses enfants, le centre de ses intérêts personnels et familiaux, de sorte que la mesure d'éloignement méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- en l'absence de traitement adéquat au Maroc, elle risquerait d'être exposée à un déclin grave, irréversible et rapide de son état de santé, de sorte que la décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 octobre 2023, le préfet de Lot-et-Garonne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens invoqués par Mme B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., de nationalité marocaine, née le 1er janvier 1958, est entrée en France le 2 décembre 2018 sous couvert d'un visa de court séjour valable jusqu'au 15 janvier 2019.
Le 2 décembre 2019, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en invoquant son état
de santé. Après avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) des 19 février 2020, 16 novembre 2020 et 22 juillet 2021,
le préfet de Lot-et-Garonne lui a délivré successivement deux autorisations provisoires
de séjour d'une durée de six mois, puis une autre de douze mois. Toutefois, par un arrêté
du 27 février 2023, le préfet a rejeté la demande de carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " présentée par Mme B... le 18 juillet 2022, lui a fait obligation
de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Mme B... relève appel du jugement du 7 juin 2023 par lequel le tribunal administratif
de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...) / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) "
3. En premier lieu, la décision indique que selon l'avis du collège de médecins de l'OFII du 25 octobre 2022, l'état de santé de Mme B... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité, et permet à l'intéressée de voyager sans risque vers son pays d'origine. Il est en outre précisé que les éléments présentés par Mme B... n'établissent pas qu'elle serait dans l'impossibilité de bénéficier au Maroc de soins appropriés à son état de santé. Cette motivation relative à l'état de santé est suffisante, et il en ressort que le préfet ne s'est pas cru lié par l'avis des médecins de l'OFII et a procédé à l'examen particulier de la situation.
4. En deuxième lieu, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose au préfet d'inviter l'intéressé à présenter des observations sur l'avis des médecins de l'OFII avant
de rejeter une demande de titre de séjour présentée sur le fondement des dispositions
de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme B... présentait deux pathologies, un mal perforant sévère du talon gauche avec ostéite, dans un contexte de syringomyélie post-traumatique, et une escarre ischiatique droite d'environ 3 cm de profondeur. Toutefois, la disparition de la lésion au talon gauche a été constatée le 5 avril 2022, laissant une zone d'hyperkératose nécessitant un simple suivi régulier par un pédicure podologue, et si l'escarre ne guérit pas, elle nécessite seulement des soins infirmiers quotidiens, dont il n'est pas démontré que le défaut pourrait avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Enfin, le certificat du 8 mars 2023 de la remplaçante du médecin généraliste de Mme B..., selon lequel un retour dans son pays d'origine risquerait d'entraîner une dégradation de son état clinique très précaire, n'est pas suffisamment précis pour remettre en cause l'avis des médecins de l'OFII cité au point 3.
6. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision de refus de titre de séjour du 27 février 2023.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant
le pays de renvoi :
7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., séparée de son époux, réside depuis son entrée en France chez son fils aîné, titulaire d'une carte de résident. Ce dernier, estimant que sa mère ne pouvait ni continuer à vivre seule compte tenu de la précarité de son état de santé, ni être prise en charge par les autres membres de la fratrie résidant au Maroc, un frère assurant la prise en charge de leur père et une sœur ne disposant pas de moyens matériels et financiers suffisants, l'a accueillie à son foyer. Il a organisé son activité professionnelle et sa vie personnelle afin soit d'être présent auprès de sa mère, soit d'être rapidement joignable en cas de besoin, et veille à ce qu'elle conserve une autonomie physique et intellectuelle, notamment en aménageant son logement pour faciliter ses déplacements, en surveillant la prise de ses traitements et en l'intégrant à une vie familiale et sociale, Mme B... ayant en France deux autres enfants, ainsi que trois frères et une sœur. Dans les circonstances particulières de l'espèce, Mme B... est fondée à soutenir que la mesure d'éloignement porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et que c'est à tort que le tribunal a refusé d'annuler l'obligation de quitter le territoire français, ainsi que, par voie de conséquence, la décision fixant le pays de renvoi.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à demander l'annulation des décisions du 27 février 2023 portant obligation de quitter le territoire français
et fixation du pays de renvoi.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
10. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. " Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. " Aux termes de l'article L. 911-3 de ce code : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. "
11. L'annulation de l'obligation de quitter le territoire français implique seulement qu'il soit enjoint au préfet de Lot-et-Garonne de réexaminer la situation de Mme B.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais exposés à l'occasion du litige :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Les décisions du préfet de Lot-et-Garonne du 27 février 2023 faisant obligation
à Mme B... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays
de renvoi sont annulées.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2301670 du 7 juin 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de Lot-et-Garonne de réexaminer la situation de Mme B... et de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., au préfet de Lot-et-Garonne
et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président,
Mme Catherine Girault, présidente de chambre,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 décembre 2023.
La rapporteure,
Anne A...
Le président,
Luc DerepasLe greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23BX01823