Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Maria B..., née A..., a demandé au tribunal administratif de Lille, d'annuler l'arrêté de péril imminent du 5 février 2020 du maire de Berlaimont portant sur l'immeuble situé 11 rue de l'église.
Par un jugement n° 2003498 du 13 avril 2022, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté, a enjoint au maire de Berlaimont de mettre en œuvre ses pouvoirs de police générale pour procéder sans délai à la démolition de l'immeuble situé 11 rue de l'Eglise dans les conditions rappelées aux points 11 et 12 du jugement et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 mai 2022, Maria A..., représentée par Me Lynda Atton, demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 2 et 3 de ce jugement ;
2°) d'enjoindre au maire de Berlaimont de réaliser les travaux de mise hors de danger de son immeuble ;
3°) de condamner la commune de Berlaimont à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles subis ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Berlaimont, la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif a statué " ultra petita " en ce qui concerne l'injonction ;
- le pouvoir de police générale justifiant l'injonction prononcée a été soulevé d'office par le tribunal sans que les parties en soient informées ;
-l'annulation de l'arrêté de péril grave et imminent n'impliquait pas nécessairement la démolition de l'immeuble ;
- la démolition ne constituait pas une préconisation catégorique de l'expert ;
- elle a subi un long processus de harcèlement dont elle doit être indemnisée.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 29 juin 2022 et 9 novembre 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la commune de Berlaimont, représentée par Me Olivier Berne, conclut au rejet de la requête, à l'annulation du jugement, par la voie de l'appel incident et à la mise à la charge de Maria A... de la somme de 7 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'appel est irrecevable, l'adresse mentionnée dans la requête ne constituant pas le domicile de l'appelante ;
- la démolition des immeubles de l'ilot n'a pas endommagé l'immeuble de Maria A..., le jugement doit donc être annulé en tant qu'il annule l'arrêté de péril grave et imminent ;
- la requérante avait présenté des conclusions d'injonction, les premiers juges n'ont donc pas statué ultra petita ;
- la mise hors de danger de l'immeuble demandée par Maria A... impliquait la démolition de l'immeuble, l'injonction prononcée par le tribunal administratif doit donc être confirmée ;
- la demande indemnitaire était tardive et mal fondée.
Par des mémoires enregistrés le 12 septembre 2023 et le 27 octobre 2023, M. C... B..., représenté par Me Lydia Atton, déclare reprendre l'instance engagée par sa mère, Maria A..., décédée le 29 août 2022, et confirme en tous points les conclusions de la requête d'appel déposée par Mme A....
Il reprend également les moyens développés dans la requête.
Par une ordonnance du 19 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 novembre 2023 à 12 heures.
Les parties ont été informées que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions à fins d'injonction qui constituent des conclusions à titre principal, la commune n'ayant pas été saisie d'une demande de réalisation de travaux sur l'immeuble de Maria A....
Les observations de la commune présentées par une lettre et un mémoire enregistrés le 20 novembre 2023, ont été communiquées.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- l'ordonnance n° 2020-1144 du 16 septembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me Véronique Truong, représentant M. B... C... et de Me Justine Rocq représentant la commune de Berlaimont.
Considérant ce qui suit :
1. Le maire de Berlaimont a informé Maria A... par courrier du 21 janvier 2020 qu'il engageait une procédure de péril grave et imminent visant l'immeuble dont elle était propriétaire au 11 rue de l'église. Il a ensuite saisi le tribunal administratif de Lille qui a désigné un expert par ordonnance du 24 janvier 2020. Le maire de Berlaimont a pris, le 5 février 2020, à la suite du rapport de l'expert déposé le 27 janvier 2020, un arrêté de péril grave et imminent. Saisi par Maria A..., le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté par un jugement du 13 avril 2022, a enjoint à l'article 2 de ce jugement le maire de mettre en œuvre ses pouvoirs de police générale pour procéder à la démolition sans délai de l'immeuble et a rejeté à l'article 3 du jugement le surplus des conclusions de Maria A.... Cette dernière a demandé à la cour de prononcer l'annulation des articles 2 et 3 de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, la commune de Berlaimont conclut à l'annulation du jugement en ce qu'il a annulé l'arrêté du 5 février 2020. Maria A... est décédée le 29 août 2022 et son fils, M. C... B..., seul héritier, a repris l'instance.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune :
2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. ". D'autre part aux termes de l'article R. 431-1 du même code, applicables devant les cours administratives d'appel en vertu de l'article R. 431-13 de ce code : " Lorsqu'une partie est représentée devant le tribunal administratif par un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2, les actes de procédure, à l'exception de la notification de la décision prévue aux articles R. 751-3 et suivants, ne sont accomplis qu'à l'égard de ce mandataire. ".
3. Si la requête indique que Maria A... est domiciliée au 11 rue de l'église, alors qu'il ressort des pièces du dossier que ce bâtiment n'est plus habitable et que Maria A... a déclaré avoir quitté ce logement en janvier 2015, il est constant que l'appelante est propriétaire de cette parcelle et a introduit sa requête d'appel comme d'ailleurs sa demande de première instance par la voie d'un mandataire qui la représente. Par suite, la circonstance que la requête ne comporte pas la mention du domicile actuel de Maria A..., n'est pas de nature à l'entacher d'irrecevabilité. Au surplus, la requête a été reprise par son fils qui a indiqué son adresse. La fin de non-recevoir opposée à la requête d'appel par la commune doit donc être écartée.
Sur les conclusions d'appel incident de la commune :
4. Aux termes de l'article L. 511-19 du code de la construction et de l'habitation : " En cas de danger imminent, manifeste ou constaté par le rapport mentionné à l'article L. 511-8 ou par l'expert désigné en application de l'article L. 511-9, l'autorité compétente ordonne par arrêté et sans procédure contradictoire préalable les mesures indispensables pour faire cesser ce danger dans un délai qu'elle fixe. / (...)". L'article L. 511-4 du même code précise que le maire est l'autorité compétente pour exercer les pouvoirs de police de la sécurité et de la salubrité des immeubles, locaux et installations pour remédier, en application de l'article L. 511-2 du même code aux " risques présentés par les murs, bâtiments ou édifices quelconques qui n'offrent pas les garanties de solidité nécessaires au maintien de la sécurité des occupants et des tiers ".
5. Les pouvoirs reconnus au maire par l'article L. 511-19 du code de la construction et de l'habitation auxquels renvoie l'article L. 2213-24 du code général des collectivités territoriales, doivent être mises en œuvre lorsque le danger provoqué par un immeuble provient à titre prépondérant de causes qui lui sont propres. Elles se distinguent en cela des pouvoirs de police générale reconnus au maire par l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, qui s'appliquent dans l'hypothèse où le danger menaçant un immeuble résulte d'une cause qui lui est extérieure.
6. La contestation des décisions prises en application des dispositions précitées, qui ont remplacé les arrêtés de péril imminent depuis l'ordonnance du 16 septembre 2020 relative à l'harmonisation et à la simplification des polices des immeubles, locaux et installations, relève du contentieux de pleine juridiction. Par suite, la légalité d'un tel arrêté s'apprécie à la date à laquelle le juge se prononce.
7. Il résulte du rapport du 25 janvier 2020 de l'expert désigné par le tribunal administratif dans le cadre de la procédure de péril imminent que l'état de l'immeuble du 11 rue de l'église présente un danger résultant des pignons fissurés et de leurs maçonneries disloquées, des enduits de façade fissurés et disloqués ainsi que de la fissure relevée entre le pignon ouest et la façade principale. Une précédente expertise ordonnée par le tribunal administratif de Lille pour déterminer la cause des désordres affectant l'immeuble de Maria A... concluait dans son rapport du 14 novembre 2016 que " le risque d'effondrement de l'immeuble est la conséquence de la démolition des bâtiments attenants numéros 9 et 13 ". Ce premier rapport constate le maintien en place d'éléments des anciens bâtiments, l'étaiement des pignons et la destruction d'éléments du bâtiment de Maria A... lors de la démolition des bâtiments voisins. Cette démolition avait été entreprise à partir de mai 2013 par la commune qui s'était portée acquéreur de l'ensemble de l'ilot, à l'exception de la maison de Maria A.... Si ce rapport fait également état de la vétusté et du défaut d'entretien de l'immeuble avant même les travaux de démolition, ces désordres concernent principalement les menuiseries extérieures et les enduits de façade. L'architecte mandaté par l'appelante ne remet pas en cause les conclusions des expertises, confirmant au contraire que les démolitions sont à l'origine de l'état du bâtiment de sa cliente. Dans ces conditions, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif, la cause prépondérante du danger provoqué par l'immeuble du 11 rue de l'église ne provient pas de cet immeuble mais des démolitions qui l'ont fragilisé. Le maire ne pouvait donc pas faire usage des pouvoirs qu'il tient du code de la construction et de l'habitation. Par suite, la commune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille, par le jugement contesté, a annulé l'arrêté du 5 février 2020.
Sur les conclusions d'appel principal :
En ce qui concerne l'injonction prononcée :
8. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ". Aux termes de l'article R. 611-7-3 du même code : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'impliquer le prononcé d'office d'une injonction, assortie le cas échéant d'une astreinte, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations. "
9. Il résulte des écritures de première instance de Maria A... que celle-ci concluait à ce qu'il soit enjoint " à la commune de Berlaimont la réalisation des travaux de mise hors de danger " de son immeuble " et au besoin d'exécuter les travaux prévus par l'arrêté de péril imminent du 5 février 2020 à sa charge et à ses frais ". Si le tribunal administratif était saisi de conclusions à fins d'injonction par Maria A..., celle-ci ne demandait évidemment pas la démolition de son immeuble. Par ailleurs, l'annulation de l'arrêté de péril grave et imminent du 5 février 2020, pris en application des pouvoirs que le maire tient de l'article L. 511-1 du code de la construction et de l'habitation n'impliquait pas nécessairement qu'il fasse usage de ses pouvoirs de police générale. Enfin, si le tribunal administratif pouvait prononcer une injonction, il devait informer les parties afin qu'elles puissent présenter des observations. Par suite, Maria A..., aux droits de qui vient son fils, est fondée à soutenir que l'article 2 du jugement du 13 avril 2022 doit être annulé pour irrégularité. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande d'injonction présentée par Maria A... devant le tribunal administratif de Lille
10. Il ne résulte pas de l'instruction que Maria A... ait demandé préalablement à la commune de réaliser des travaux de mise hors de danger de son immeuble. Par suite, ses conclusions à fins d'injonction constituent des conclusions à titre principal, ne se rattachant à aucune décision de refus de la commune et doivent donc être rejetées comme irrecevables.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
11. Maria A... a formé une demande d'indemnisation en cours de première instance par un courrier du 1er mars 2022 et le maire de Berlaimont a rejeté explicitement cette demande, le 2 mars suivant. L'intervention en cours d'instance de cette décision expresse a régularisé, contrairement à ce que soutient la commune en défense, les conclusions indemnitaires de l'intéressée.
12. L'illégalité de l'arrêté de péril grave et imminent engage la responsabilité de la commune. Maria A... demandait l'indemnisation d'un préjudice moral qu'elle fixait à 50 000 euros, résultant d'un long processus de harcèlement moral et judiciaire. Cet arrêté prenait place dans une longue procédure menée par la mairie, depuis 1997, conduite selon la requérante, pour s'assurer par diverses procédures de la maîtrise foncière de la totalité de l'ilot comprenant sa maison. Dans ce contexte, il a donc causé un préjudice moral à l'intéressée qui habitait cette maison depuis au plus tard 1997 selon ses écritures, d'abord avec sa mère puis seule au décès de celle-ci. Toutefois le danger que représente aujourd'hui l'immeuble n'est contesté par aucune des parties et il résulte notamment du rapport d'expertise du 14 novembre 2016 que cet immeuble présentait des dégradations. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Maria A... en le fixant à la somme de 2 000 euros. Par suite, les conclusions aux fins d'annulation de l'article 3 du jugement du 13 avril 2023 doivent être rejetées.
Sur les conclusions présentées à titre subsidiaire :
13. Maria A... demande à titre très subsidiaire que soit décidée une médiation. Toutefois, elle n'a pas saisi la présidente de la cour d'une telle demande en dehors de sa requête. Une telle mesure, que la juridiction n'est pas tenue de prononcer, n'apparaît pas utile en l'espèce.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Maria A..., qui n'est pas la partie principalement perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Berlaimont demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Berlaimont la somme de 2 000 euros à verser à M. B..., ayant-droit de Maria A....
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement du tribunal administratif de Lille du 13 avril 2022 sont annulés.
Article 2 : La commune de Berlaimont est condamnée à payer à M. B..., ayant-droit de Maria A..., la somme de 2 000 euros.
Article 3 : La commune de Berlaimont versera à M. B... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., ayant-droit de Maria A... et à la commune de Berlaimont.
Délibéré après l'audience publique du 23 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Denis Perrin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 décembre 2023.
Le-rapporteur,
Signé : D. PerrinLa présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : C. Sire
La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Christine Sire
N° 22DA01045 2