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06/12/2023 | FRANCE | N°21BX03772

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 06 décembre 2023, 21BX03772


Vu la procédure suivante :



Par une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 23 septembre 2021, 6 février 2023 et 5 avril 2023, la société par actions simplifiée Ferme éolienne de Saint Mary, représentée par le cabinet Volta, demande à la cour :



1°) d'annuler l'arrêté du 29 juillet 2021 par lequel la préfète de la Charente a rejeté sa demande d'autorisation environnementale relative à l'implantation et l'exploitation de neuf éoliennes sur le territoire de la commune de Saint Mary ;



2°) de

délivrer l'autorisation sollicitée ;



3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre sous astreinte à la p...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 23 septembre 2021, 6 février 2023 et 5 avril 2023, la société par actions simplifiée Ferme éolienne de Saint Mary, représentée par le cabinet Volta, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 29 juillet 2021 par lequel la préfète de la Charente a rejeté sa demande d'autorisation environnementale relative à l'implantation et l'exploitation de neuf éoliennes sur le territoire de la commune de Saint Mary ;

2°) de délivrer l'autorisation sollicitée ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre sous astreinte à la préfète de délivrer l'autorisation sollicitée dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) à titre infiniment subsidiaire, d'enjoindre sous astreinte à la préfète de réexaminer la demande dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;

- la préfète a commis une erreur d'appréciation en considérant que le projet portait une atteinte trop importante au paysage et au patrimoine ;

- la préfète a commis une erreur de droit en refusant de délivrer l'autorisation au motif qu'elle causerait un préjudice économique au parc éolien voisin de Moquepanier.

Par un mémoire enregistré le 21 décembre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par des mémoires en intervention enregistrés les 19 décembre 2022 et 6 mars 2023, l'association Sonnette D'Alarme et M. A... B..., représentés par Me Cadro, demandent à la cour de rejeter la requête de la société Ferme éolienne de Saint Mary.

Ils font valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés et que le projet porte en outre atteinte à l'avifaune et aux chiroptères.

Par une ordonnance du 7 avril 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 8 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Sébastien Ellie ;

- les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public ;

- et les observations de Me Bonnin représentant la société Ferme Eolienne de Saint Mary et Me Cadro représentant l'Association sonnette d'Alarme.

Une note en délibéré présentée par Me Guiheux pour la société Ferme Eolienne de Saint Mary a été enregistrée le 17 novembre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Le 30 juillet 2019, la SAS Ferme éolienne de Saint Mary a déposé une demande d'autorisation environnementale pour l'installation et l'exploitation d'un parc éolien composé de neuf éoliennes de 180 mètres de hauteur en bout de pale et d'un poste de livraison, sur le territoire de la commune de Saint-Mary (Charente). Par un arrêté du 29 juillet 2021, la préfète de la Charente a rejeté cette demande. La société Ferme éolienne de Saint Mary demande l'annulation de cet arrêté.

Sur l'intervention :

2. Est recevable à former une intervention, devant le juge du fond toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige.

3. L'association Sonnette D'Alarme a pour objet la défense de l'environnement et de l'urbanisme dans les communes de la vallée du Son-Sonnette et de ses affluents, au nombre desquelles figure la commune de La Tâche, laquelle est voisine immédiate du terrain d'assiette du projet. Dès lors, eu égard aux intérêts qu'elle se donne pour mission de défendre et au ressort géographique de son action, au cœur duquel se situe le projet d'implantation du site éolien en litige, cette association justifie d'un intérêt suffisant à intervenir au soutien des conclusions en défense, même postérieures, présentées par l'État. Ainsi l'intervention collective de cette association et de M. B... est recevable.

Sur la légalité du refus d'autorisation environnementale :

En ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté attaqué :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

5. Après avoir visé les textes applicables et notamment les articles pertinents du code de l'environnement et décrit le projet de parc éolien, la préfète a relevé que les nuisances visuelles et lumineuses causées par le parc éolien seraient extrêmement fortes pour les habitants du hameau du Madinteau, déjà impacté par le parc éolien de Moquepanier. Elle a ajouté que le projet présente des covisibilités importantes avec le château et l'église Sainte-Colombe et rompt avec des marqueurs identitaires et patrimoniaux. Elle retient également que le projet accentuera le phénomène de saturation et d'encerclement déjà quantifiable dans le secteur et causerait des pertes financières à la Ferme éolienne de Moquepanier en raison d'une perte de production électrique due à l'effet de sillage. Cette motivation est suffisante, contrairement à ce que soutient la société requérante, dès lors qu'elle permet de comprendre les éléments de droit et de fait sur lesquels la décision est fondée.

En ce qui concerne l'impact patrimonial et paysager du projet :

6. Aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'environnement : " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. / L'autorisation, dénommée autorisation environnementale, est délivrée dans les conditions prévues au chapitre unique du titre VIII du livre Ier ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...), les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, (...) soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ".

7. Pour statuer sur une demande d'autorisation, il appartient à l'autorité administrative de s'assurer que le projet ne méconnaît pas, notamment, l'exigence de protection des paysages et de conservation des sites et ne porte pas atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants. Elle doit également vérifier que le projet n'est pas susceptible de caractériser une atteinte excessive à la commodité du voisinage au sens de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, notamment par une aggravation de l'effet de saturation visuelle.

8. La préfète de la Charente doit être regardée comme ayant fondé son refus notamment sur la commodité du voisinage, le phénomène de saturation visuelle qu'est susceptible de générer un projet pouvant être pris en compte pour apprécier ses inconvénients pour cet intérêt mentionné à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

9. Il résulte de l'instruction que le projet de parc éolien litigieux est situé à moins de 20 km de six parcs éoliens en exploitation et cinq parcs autorisés mais non encore construits avec, au sud-ouest, le parc éolien d'Aussac-Vadalle (quatre éoliennes, à une distance de 11 km) et le parc éolien de Xambes-Villemur (6 éoliennes, à une distance de 16 km), au nord-ouest, le parc éolien des Combusins et des Jaladeaux (neuf éoliennes, à une distance de 16 km), le parc éolien de Fontenille (cinq éoliennes, à une distance de 12 km), le parc éolien de Villegats (quatre éoliennes, à une distance de 16,7 km), la ferme éolienne de la Plaine (trois éoliennes, à une distance de 13,1 km), au nord-est, la ferme éolienne de Moquepanier (huit éoliennes, à une distance de 500 mètres), le parc éolien de Turgon (cinq éoliennes, à une distance de 11,6 km), le parc éolien du Confolentais (six éoliennes, à une distance de 15 km), à l'ouest, le parc éolien de la Verte Épine (sept éoliennes, à une distance de 9,1 km) et au sud-est, le parc éolien de Chasseneuil (cinq éoliennes, à une distance de 9 km). L'inspection des installations classées de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) Nouvelle-Aquitaine a émis un avis défavorable au projet le 14 avril 2021, tout comme le commissaire-enquêteur le 18 novembre 2020, au regard notamment de l'effet de saturation visuelle pouvant être constaté dans le secteur d'implantation du projet.

10. L'étude d'impact a évalué la saturation visuelle du point de vue des habitants des principaux hameaux à partir d'un indice d'occupation de l'horizon, d'un indice de densité sur les horizons occupés et d'un indice d'espace de respiration ou angle de respiration, auxquels doit s'ajouter une appréciation affinée au cas par cas de la topographie des lieux. S'agissant de Saint-Angeau, situé à 2,8 km au sud-ouest du projet, l'étude d'impact fait ressortir que 30 éoliennes seront visibles depuis le point de vue utilisé, dont 22 entre 0 et 5 km et 8 entre 5 et 10 km. L'indice d'occupation des horizons est de 99° (47° au sud-ouest et 52° au nord-est), avec un angle de respiration théorique de 141° (sud-est) et de 130° (nord-ouest). L'indice de densité sur les horizons occupés est de 0,30. Un angle de respiration inférieur à 160° constitue un seuil d'alerte indicatif, tout comme un indice de densité sur les horizons occupés supérieur à 0,10. Si la végétation existante permet de diminuer l'impact visuel des éoliennes, celui-ci demeure important par l'effet notamment de la topographie. Il ressort également des photomontages versés au dossier portant en particulier sur Sainte-Colombe, Saint-Angeau et Coulgens dans le périmètre rapproché, et La Tâche, Puyclavaud, Galvert, La Grange au Puits et Les Grandes Plantes dans le périmètre immédiat, que les éoliennes conduisent à un effet de saturation visuelle pour les habitants de ces hameaux, notamment ceux du hameau de Galvert, aucune végétation ne pouvant masquer efficacement la présence des éoliennes. La présence de 17 éoliennes à moins de 1 km de ces hameaux, constituées du regroupement du parc de Moquepanier et de la ferme éolienne de Saint-Mary, crée une occupation importante de l'horizon et une omniprésence des aérogénérateurs, alors même que l'implantation des éoliennes en litige aurait été étudiée au regard du parc existant de Moquepanier et que le site d'implantation se situe dans une zone favorable selon l'ancien schéma régional éolien de Poitou-Charentes de 2013, annulé en 2017 par la cour administrative d'appel de Bordeaux.

11. Il résulte de ce qui précède que ce seul motif suffit à justifier un refus à la demande d'autorisation présentée par la SAS Ferme éolienne de Saint Mary. Cette dernière n'est par suite pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté de la préfète de la Charente du 29 juillet 2021.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la SAS Ferme éolienne de Saint Mary, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par la société requérante doivent être rejetées.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SAS Ferme éolienne de Saint Mary demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de l'association Sonnette D'Alarme et M. B... est admise.

Article 2 : La requête de la SAS Ferme éolienne de Saint Mary est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Ferme éolienne de Saint Mary, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à l'association Sonnette D'Alarme et à M. A... B....

Copie en sera adressé à la préfète de la Charente.

Délibéré après l'audience du 14 novembre 2023 où siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

M. Sébastien Ellie, premier conseiller,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 décembre 2023.

Le rapporteur,

Sébastien Ellie

La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21BX03772


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03772
Date de la décision : 06/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: M. Sébastien ELLIE
Rapporteur public ?: M. GUEGUEIN
Avocat(s) : CABINET VOLTA

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-06;21bx03772 ?
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