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05/12/2023 | FRANCE | N°22MA02862

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 05 décembre 2023, 22MA02862


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 6 février 2021 par lequel le maire d'Eccica-Suarella a retiré le permis de construire qu'il lui avait délivré, le 6 novembre 2020, en vue de la réalisation d'une maison et d'une piscine, avec une surface de plancher créée de 100,30 m², sur un terrain situé au lieu-dit " C... ", sur le territoire communal.



Par un jugement n° 2100190 du 29 septembre 2022, le tribunal admin

istratif de Bastia a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 6 février 2021 par lequel le maire d'Eccica-Suarella a retiré le permis de construire qu'il lui avait délivré, le 6 novembre 2020, en vue de la réalisation d'une maison et d'une piscine, avec une surface de plancher créée de 100,30 m², sur un terrain situé au lieu-dit " C... ", sur le territoire communal.

Par un jugement n° 2100190 du 29 septembre 2022, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 22 novembre 2022, Mme B..., représentée par Me Gasparri-Lombard, demande à la Cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 29 septembre 2022 et cet arrêté du maire d'Eccica-Suarella du 6 février 2021.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif de Bastia a omis de lui communiquer les pièces que la commune d'Eccica-Suarella lui a adressées le 21 avril 2022 ; son jugement a ainsi été rendu en méconnaissance du principe du contradictoire et cette omission lui est d'autant plus préjudiciable que devait figurer parmi ces pièces l'arrêté du 24 juin 2020 portant retrait de la décision du 20 mars 2020 de non-opposition à la déclaration préalable ;

- dans le cas où la commune d'Eccica-Suarella ne serait pas en mesure de communiquer l'accusé de réception de la notification de cet arrêté du 24 juin 2020, la Cour ne pourra que considérer que cet acte ne lui a pas été régulièrement notifié ;

- l'arrêté contesté du maire d'Eccica-Suarella du 6 février 2021 ne répond pas aux exigences de motivation prévues à l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle se trouve toujours sous le bénéfice de la décision de non-opposition à sa déclaration préalable du 20 mars 2020 qui a eu pour effet, en application de l'article L. 442-14 du code de l'urbanisme, de ne pas pouvoir lui opposer de dispositions nouvelles durant cinq ans ; ainsi, sa demande de permis de construire n'a pas vocation à être impactée par la délibération de l'assemblée de Corse du 5 novembre 2020 relative aux espaces stratégiques agricoles ;

- pour l'application de la loi Montagne du 9 janvier 1985, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, les critères de continuité sont réunis.

La requête a été communiquée à la commune d'Eccica-Suarella qui n'a pas produit de mémoire.

Par une ordonnance du 11 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 11 octobre 2023, à 12 heures.

Par des lettres du 9 novembre 2023, la Cour a informé les parties, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce qu'elle était susceptible de fonder son arrêt sur le moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité du moyen tiré de l'absence de motivation de l'arrêté du maire d'Eccica-Suarella du 6 février 2021 dès lors que ce moyen de légalité externe, qui n'est pas d'ordre public, se rattache à une cause juridique distincte de celle dont relèvent les moyens soulevés par Mme B... dans le délai de recours contentieux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lombart,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gasparri-Lombard, représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Le 28 septembre 2020, Mme B... a déposé, auprès des services de la mairie d'Eccica-Suarella, une demande de permis de construire une maison et une piscine, avec une surface de plancher créée de 100,30 m², sur la parcelle alors cadastrée, d'après les pièces du dossier, section D n° 1865, et située au lieu-dit " C... ", sur le territoire communal. Par un arrêté du 6 novembre 2020, le maire de cette commune a fait droit à cette demande. Mais, à la suite d'un recours gracieux du préfet de la Corse-du-Sud exercé dans le cadre du contrôle de légalité, le maire d'Eccica-Suarella a retiré, par un arrêté du 6 février 2021, le permis de construire ainsi délivré. Par le jugement du 29 septembre 2022 dont Mme B... relève appel, le tribunal administratif de Bastia a rejeté la demande présentée par cette dernière tendant à l'annulation de ce dernier arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. (...) ". Aux termes de l'article R. 613-1-1 du même code : " Postérieurement à la clôture de l'instruction ordonnée en application de l'article précédent, le président de la formation de jugement peut inviter une partie à produire des éléments ou pièces en vue de compléter l'instruction. Cette demande, de même que la communication éventuelle aux autres parties des éléments et pièces produits, n'a pour effet de rouvrir l'instruction qu'en ce qui concerne ces éléments ou pièces. ".

3. Il ressort des termes mêmes du jugement attaqué du 29 septembre 2022 que, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 442-14 du code de l'urbanisme, le tribunal administratif de Bastia s'est appuyé sur l'arrêté du maire d'Eccica-Suarella du 24 juin 2020 par lequel ce dernier a retiré son arrêté du 20 mars 2020 portant non-opposition à la déclaration préalable de division parcellaire présentée par Mme B... que la commune défenderesse avait produite, le 21 avril 2022, en réponse à une mesure d'instruction prise, le 12 avril 2022, sur le fondement des dispositions précitées de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, par le magistrat-rapporteur qui l'avait invitée à verser aux débats les entiers dossiers de demande de permis de construire et de déclaration préalable en cause. En s'abstenant de communiquer cette pièce à Mme B... alors même qu'ils se sont ainsi fondés sur elle pour statuer au point 6 de leur jugement attaqué, les premiers juges ont méconnu le caractère contradictoire de la procédure. Pour ce motif, il y a lieu d'annuler ce jugement.

4. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Bastia.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du maire d'Eccica-Suarella du 6 février 2021 :

En ce qui concerne la légalité externe de cet arrêté :

5. Le moyen tiré de l'absence de motivation de l'arrêté contesté du maire Eccica-Suarella du 6 février 2021, invoqué par Mme B... pour la première fois devant la Cour et qui n'est pas d'ordre public, relève de la légalité externe. Or, cette cause juridique est distincte de celle dont relèvent les moyens qui ont été soulevés par Mme B..., dans le délai de recours contentieux, lequel a commencé à courir au plus tard à la date d'enregistrement de sa demande de première instance sur l'application informatique Télérecours. Par suite, ce moyen n'est pas recevable et, pour ce motif, il ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne de cet arrêté :

6. L'article L. 122-5 du code de l'urbanisme dispose que : " L'urbanisation est réalisée en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants, sous réserve de l'adaptation, du changement de destination, de la réfection ou de l'extension limitée des constructions existantes, ainsi que de la construction d'annexes, de taille limitée, à ces constructions, et de la réalisation d'installations ou d'équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées. ".

7. Il résulte de ces dispositions que l'urbanisation en zone de montagne, sans être autorisée en zone d'urbanisation diffuse, peut être réalisée non seulement en continuité avec les bourgs, villages et hameaux existants, mais également en continuité avec les " groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants " et qu'est ainsi possible l'édification de constructions nouvelles en continuité d'un groupe de constructions traditionnelles ou d'un groupe d'habitations qui, ne s'inscrivant pas dans les traditions locales, ne pourrait être regardé comme un hameau. L'existence d'un tel groupe suppose plusieurs constructions qui, eu égard notamment à leurs caractéristiques, à leur implantation les unes par rapport aux autres et à l'existence de voies et de réseaux, peuvent être perçues comme appartenant à un même ensemble. Pour déterminer si un projet de construction réalise une urbanisation en continuité par rapport à un tel groupe, il convient de rechercher si, par les modalités de son implantation, notamment en termes de distance par rapport aux constructions existantes, ce projet sera perçu comme s'insérant dans l'ensemble existant.

8. Le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC), qui peut préciser les modalités d'application de ces dispositions en application du I de l'article L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales, adopté par la délibération n° 15/235 AC du 2 octobre 2015 de l'assemblée de Corse, prévoit qu'un bourg est un gros village présentant certains caractères urbains, qu'un village est plus important qu'un hameau et comprend ou a compris des équipements ou lieux collectifs administratifs, culturels ou commerciaux, et qu'un hameau est caractérisé par sa taille, le regroupement des constructions, la structuration de sa trame urbaine, la présence d'espaces publics, la destination des constructions et l'existence de voies et équipements structurants. Ces prescriptions apportent des précisions et sont compatibles avec les dispositions du code de l'urbanisme particulières à la montagne. En revanche, le PADDUC se borne à rappeler les critères mentionnés ci-dessus et permettant d'identifier un groupe de constructions traditionnelles ou d'habitations existants et d'apprécier si une construction est située en continuité des bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants.

9. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier des documents photographiques et cartographiques qui y sont joints, que le terrain d'assiette du projet de construction porté par Mme B... est situé au lieu-dit " C... ", et non pas au sein du hameau dénommé " Saint-Jean-de-Pisciatello " de la commune d'Eccica-Suarella. D'une superficie de 2 000 m², la partie du terrain où devait être implantée la maison d'habitation dont Mme B... projetait la construction est demeurée à l'état naturel et boisée. La maison d'habitation existante sur la partie Nord de ce terrain est située à plus de soixante-dix mètres du projet porté par l'appelante tandis que les constructions situées sur les flancs Ouest et Est seraient placées respectivement à environ soixante et plus de trente mètres de la construction projetée. Pour le reste, le terrain d'assiette est entouré de parcelles non bâties qui se rattachent à une zone naturelle. Dans ces conditions, eu égard à la faible densité de l'habitat dans le secteur duquel s'implante le projet porté par Mme B..., ce dernier ne peut pas être regardé comme situé en continuité d'un groupe d'habitations existant au sens des dispositions précitées, à supposer même que la parcelle, qui est reliée à la voie publique par une servitude, soit desservie par les réseaux publics. En outre, et comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges, à supposer même que les constructions implantées au Sud-Ouest de ce terrain d'assiette puissent être regardées comme constituant un groupe d'habitations, le projet en cause ne saurait être regardé, par ses modalités d'implantation, comme s'insérant dans l'ensemble existant qui est un village de vacances. Dès lors, en délivrant à l'appelante, le 28 septembre 2020, le permis de construire qu'elle sollicitait, le maire d'Eccica-Suarella a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 122-5 du code de l'urbanisme, telles que précisées par le PADDUC. Le motif de retrait tenant à la méconnaissance de ces dispositions est donc légal.

10. En se bornant à se prévaloir, pour obtenir le bénéfice des dispositions de l'article L. 442-14 du code de l'urbanisme, de l'arrêté du 20 mars 2020 portant non-opposition à la déclaration préalable de division parcellaire qu'elle avait présentée alors même qu'il est constant que celui-ci a été retiré par un arrêté du maire d'Eccica-Suarella du 24 juin 2020, Mme B... ne discute pas utilement l'autre motif de retrait du permis de construire qui lui avait été délivré tenant à ce que le terrain d'assiette de son projet est compris dans les espaces stratégiques agricoles tels que définis et identifiés par la délibération n° 20/149 de l'assemblée de Corse du 5 novembre 2020.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à solliciter l'annulation de l'arrêté du maire d'Eccica-Suarella du 6 février 2021.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2100190 du tribunal administratif de Bastia du 29 septembre 2022 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de première instance et d'appel présentées par Mme B... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la commune d'Eccica-Suarella.

Copie en sera adressée au préfet de la Corse-du-Sud.

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2023, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Lombart, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2023.

2

No 22MA02862

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02862
Date de la décision : 05/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-03-04-05 Urbanisme et aménagement du territoire. - Permis de construire. - Régime d'utilisation du permis. - Retrait du permis.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Laurent LOMBART
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : CABINET GASPARRI & LOMBARD

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-05;22ma02862 ?
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