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01/12/2023 | FRANCE | N°22NT02480

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 01 décembre 2023, 22NT02480


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté préfectoral du 17 janvier 2019 déclarant d'utilité publique les travaux nécessaires à la mise à deux fois deux voies de la RN 164 dans le secteur de Mûr-de-Bretagne, sur le territoire des communes de Caurel, Guerlédan et Saint-Caradec, et la décision du 7 mai 2019 de rejet de son recours gracieux tendant au retrait de cet arrêté.



Par un jugement n° 1903439 du 9 juin 2022

, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions.



Pr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté préfectoral du 17 janvier 2019 déclarant d'utilité publique les travaux nécessaires à la mise à deux fois deux voies de la RN 164 dans le secteur de Mûr-de-Bretagne, sur le territoire des communes de Caurel, Guerlédan et Saint-Caradec, et la décision du 7 mai 2019 de rejet de son recours gracieux tendant au retrait de cet arrêté.

Par un jugement n° 1903439 du 9 juin 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 27 juillet 2022, Mme B..., représentée par Me Guezennec, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 9 juin 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 17 janvier 2019 déclarant d'utilité publique les travaux nécessaires à la mise à deux fois deux voies de la RN 164 dans le secteur de Mûr-de-Bretagne, sur le territoire des communes de Caurel, Guerlédan et Saint-Caradec, et la décision du 7 mai 2019 de rejet de son recours gracieux tendant au retrait de cet arrêté ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le commissaire enquêteur s'est abstenu de fournir une opinion argumentée et personnelle en reprenant à son compte " les éléments de langage de la DREAL " figurant dans le rapport d'enquête publique ;

- l'étude d'impact est insuffisante au regard des exigences de l'article R. 122-5 du code de l'environnement dans la mesure où elle est entachée d'erreur quant à la localisation de sa maison et aux conséquences sonores du projet sur celle-ci, tant en phase chantier qu'en phase d'exploitation ;

- le projet ne présente aucun caractère d'utilité publique compte tenu de son coût très élevé et de son absence d'effets sur la sécurité publique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 février 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête de Mme B....

Il s'en rapporte aux écritures de première instance du préfet des Côtes d'Armor.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Derlange, président assesseur,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 17 janvier 2019 le préfet des Côtes-d'Armor a déclaré d'utilité publique des travaux destinés à convertir intégralement la route nationale (RN) 164 en deux fois deux voies, notamment sur le territoire des communes de Caurel, Guerlédan et Saint-Caradec. Mme B..., propriétaire d'un ensemble immobilier et d'un espace boisé dans le secteur de Mûr-de-Bretagne, à Guerlédan, a demandé au préfet des Côtes d'Armor de retirer cet arrêté. Par une décision du 7 mai 2019, le préfet a rejeté sa demande. Mme B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler ces deux décisions. Elle relève appel du jugement du 9 juin 2022 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Sur le bien-fondé de l'arrêté attaque :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 11-10 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique alors en vigueur : " (...) Le commissaire enquêteur ou la commission d'enquête rédige des conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables ou non à l'opération. (...) ".

3. Le rapport d'enquête publique, établi le 25 novembre 2018, comporte quarante-six pages hors annexes, aux termes desquelles le commissaire enquêteur, après avoir examiné les conditions de déroulement de cette enquête et de la concertation et passé en revue les avantages et inconvénients du projet en fait un bilan pour conclure par un avis favorable, assorti de plusieurs recommandations. Il en ressort manifestement que le commissaire enquêteur s'est livré à cette occasion à une appréciation personnelle des éléments qui lui ont été soumis, quand bien même il a pu en reprendre certains issus de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et il n'est pas établi qu'il aurait omis de se prononcer sur des points déterminants. Il a ainsi notamment répondu aux observations de Mme B... au sujet du coût de l'opération, en particulier au regard de ses impacts environnementaux et économiques, pages 16 à 18 de son rapport, et à celles au sujet des nuisances que subira sa propriété, pages 39 à 41 de ce rapport. La requérante n'est donc pas fondée à soutenir que le rapport d'enquête publique ne répondrait pas à l'exigence de " conclusions motivées ".

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 122-5 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté contesté : " I. - Le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, installations, ouvrages, ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine. / II. - En application du 2° du II de l'article L. 122-3, l'étude d'impact comporte les éléments suivants, en fonction des caractéristiques spécifiques du projet et du type d'incidences sur l'environnement qu'il est susceptible de produire : / (...) 5° Une description des incidences notables que le projet est susceptible d'avoir sur l'environnement résultant, entre autres : /a) De la construction et de l'existence du projet, y compris, le cas échéant, des travaux de démolition ; / b) De l'utilisation des ressources naturelles, en particulier les terres, le sol, l'eau et la biodiversité, en tenant compte, dans la mesure du possible, de la disponibilité durable de ces ressources ; / c) De l'émission de polluants, du bruit, de la vibration, de la lumière, la chaleur et la radiation, de la création de nuisances et de l'élimination et la valorisation des déchets ; / d) Des risques pour la santé humaine, pour le patrimoine culturel ou pour l'environnement (...) ". Les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.

5. D'une part, il est constant que l'étude de bruit initiale réalisée en 2013 comporte une erreur en ce qu'elle indique que la propriété de Mme B... est située sur le lieu-dit " Tréfault ", alors qu'il se situe sur celui dénommé " la Ville Jan ". Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette erreur mineure a eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou a été de nature à exercer une influence sur la décision du préfet des Côtes d'Armor.

6. D'autre part, si Mme B... soutient que l'étude d'impact n'a pas pris en compte les graves nuisances qu'elle risque de subir alors que sa propriété se trouvera à 100 mètres des nouvelles voies, elle ne conteste pas que les seuils sonores prévus en 2035 resteront inférieurs à 60 décibels en journée et à 55 la nuit, inférieurs en tout état de cause aux seuils réglementaires, et que la hausse résultant pour elle du nouvel ouvrage restera inférieure à 2 dB(A). Il ressort en outre de la page 263 de l'étude d'impact que les effets du chantier ont été pris en compte même si ce n'est pas précisément au titre de sa propriété. En outre, dans sa partie " analyse des incidences du projet sur l'environnement ", l'étude prévoit des mesures d'évitement, elle aborde les questions liées aux sols et sous-sols ainsi que les conséquences du projet sur le paysage ou le bâti et le voisinage. Par suite, Mme B..., qui ne démontre pas que l'étude de bruit réalisée en 2013 n'était plus pertinente en 2019, alors qu'elle avait fait l'objet d'une actualisation en 2016, n'est pas fondée à soutenir que l'étude d'impact serait insuffisante. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une insuffisance de prise en compte de sa situation propre aurait eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou aurait été de nature à exercer une influence sur la décision du préfet des Côtes d'Armor.

7. En troisième et dernier lieu, il appartient au juge, lorsqu'il doit se prononcer sur le caractère d'utilité publique d'une opération nécessitant l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers, de contrôler successivement qu'elle répond à une finalité d'intérêt général, que l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation, notamment en utilisant des biens se trouvant dans son patrimoine et, enfin, que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente. Il lui appartient également, s'il est saisi d'un moyen en ce sens, de s'assurer, au titre du contrôle sur la nécessité de l'expropriation, que l'inclusion d'une parcelle déterminée dans le périmètre d'expropriation n'est pas sans rapport avec l'opération déclarée d'utilité publique. En revanche, il n'appartient pas au juge de l'excès de pouvoir, au titre de l'examen du bilan des avantages et inconvénients de l'opération, d'apprécier l'opportunité des choix retenus par l'administration.

8. Il ressort du rapport d'enquête publique que le projet permettra une amélioration de la sécurité routière de la RN 164 par la mise à 2x2 voies de la section en cause, l'amélioration de la qualité des eaux grâce à une meilleure gestion des eaux pluviales, la transparence hydraulique et la circulation des espèces notamment grâce à la mise en place d'ouvrages de franchissement pour la petite et la grande faune, les passages de voies vertes, les boviducs et les ouvrages hydrauliques, l'amélioration de l'accessibilité du territoire et donc le renforcement de la compétitivité économique du territoire et l'amélioration du cadre de vie notamment en éloignant la route du bourg de Mûr de Bretagne ainsi que d'autres hameaux. Il en ressort également que malgré ses inconvénients en termes environnementaux, économiques, touristiques et pour les personnes, compte tenu de la destruction d'une maison et la présence de deux habitations très proches de la route, eu égard aux mesures compensatoires envisagées, sous réserve des recommandations faites par le commissaire enquêteur, le bilan de ce projet est positif ce qui est de nature à établir son utilité publique.

9. Mme B... conteste ce bilan en faisant valoir que le coût de " l'heure gagnée " pour les véhicules empruntant les nouvelles voies s'élève à 160 ou 71 euros selon que l'ouvrage est amorti sur 45 ou 25 ans. Toutefois les chiffres qu'elle oppose, issus d'un calcul dont la méthodologie est contestable, ne suffisent pas à démontrer que le bilan global du projet ne serait pas positif, en prenant en compte l'ensemble des éléments pertinents comme les économies positives liées à la sécurisation du parcours ou les retombées touristiques et économiques en lien avec l'amélioration de l'accessibilité de certaines zones.

10. Par ailleurs, en se bornant à soutenir qu'il y a peu d'accidents sur la zone concernée, elle ne remet pas en cause les conclusions du commissaire enquêteur qui a estimé que le projet améliorera la sécurité routière de la section par la mise à 2x2 voies de la section. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que le projet ne poursuivrait pas une finalité d'intérêt général.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que Mme B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré après l'audience du 14 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2023.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02480


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02480
Date de la décision : 01/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : GUEZENNEC

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-01;22nt02480 ?
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