La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/12/2023 | FRANCE | N°22DA01928

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 01 décembre 2023, 22DA01928


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le département de l'Oise a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner Voies navigables de France à lui verser une somme de 416 370,98 euros en réparation des préjudices matériels qu'il a subis à raison de l'absence d'entretien du pont situé à Noyon permettant le franchissement du canal du Nord par la route départementale n° 938, qui lui incombait en application des stipulations d'un procès-verbal du 7 octobre 1960.



Par un jugement n° 190

3949 du 15 juillet 2022, le tribunal administratif d'Amiens a condamné Voies navigables de France à...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département de l'Oise a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner Voies navigables de France à lui verser une somme de 416 370,98 euros en réparation des préjudices matériels qu'il a subis à raison de l'absence d'entretien du pont situé à Noyon permettant le franchissement du canal du Nord par la route départementale n° 938, qui lui incombait en application des stipulations d'un procès-verbal du 7 octobre 1960.

Par un jugement n° 1903949 du 15 juillet 2022, le tribunal administratif d'Amiens a condamné Voies navigables de France à verser au département de l'Oise une somme de 156 680 euros hors taxes, assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 octobre 2013 et de leur capitalisation, au titre de sa responsabilité contractuelle et une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par le même jugement, le tribunal administratif d'Amiens a en outre rejeté les conclusions des parties pour le surplus.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 septembre 2022 et 24 mars 2023, Voies navigables de France, représenté par Me Véronique Vray, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il le condamne au versement au département de l'Oise des sommes précitées ;

2°) de rejeter les demandes présentées en ce sens en première instance par le département de l'Oise ;

3°) de rejeter les conclusions d'appel incident du département de l'Oise ;

4°) de mettre à la charge du département de l'Oise le paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le pont de Noyon, dès lors qu'il a pour objet d'assurer la continuité du passage sur la route départementale aujourd'hui désignée comme " RD938 ", interrompue par le canal du Nord, ne fait pas partie du domaine public fluvial de l'État mais appartient au domaine public routier du département de l'Oise ;

- le procès-verbal du 7 octobre 1960 signé entre l'État et le département de l'Oise ne portant pas sur le domaine public fluvial et l'ouvrage n'étant pas nécessaire à l'exercice des missions confiées à Voies navigables de France, il n'est pas au nombre des conventions pour lesquelles Voies navigables de France se substitue de plein droit à l'État ;

- ce pont est mentionné dans l'annexe 3 de l'arrêté du 22 juillet 2020 qui répertorie les ouvrages d'art rétablissant des voies des collectivités territoriales et interrompues par une voie navigable du domaine public fluvial de l'État pour lesquels il n'existe aucune convention de répartition des charges d'entretien ;

- sa responsabilité contractuelle ne saurait dès lors être engagée et aucune part du coût des travaux de réfection et d'entretien engagés par le département de l'Oise ne peut être mise à sa charge ;

- à titre subsidiaire, l'entretien du pont, qui est à l'origine des désordres, incombait en tout état de cause au département de l'Oise qui a à cet égard fait preuve de négligence, Voies navigables de France pouvant seulement le cas échéant être appelé à participer au financement ; Voies navigables de France n'est contractuellement pas tenu de prendre en charge des travaux dépassant l'entretien courant, or les travaux litigieux constituent des travaux de reconstruction ; les travaux ont été exécutés sans son accord préalable ;

- s'agissant des préjudices invoqués par le département de l'Oise : les travaux réalisés sur les culées du pont n'étaient pas nécessaires et les travaux sur le tablier et les garde-corps n'ont été rendus nécessaires qu'en raison du défaut d'entretien de la chaussée qui incombait au département de l'Oise ; la réalisation de ces travaux, à laquelle Voies navigables de France n'a jamais consenti, ne saurait dès lors être mise à sa charge ; la somme de 416 370,98 euros hors taxes avancée par le département de l'Oise n'est pas justifiée et n'est pas conforme à la clé de répartition convenue dans la convention du 7 octobre 1960.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 janvier 2023 et 5 mai 2023, le département de l'Oise, représenté par Me Philippe Bluteau, conclut :

1°) au rejet de la requête d'appel ;

2°) par la voie de l'appel incident, à ce que la somme de 156 680 euros hors taxes que Voies navigables de France a été condamné à lui verser soit portée à 416 370,98 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 octobre 2013 et de leur capitalisation ;

3°) à ce qu'il soit mis à la charge de Voies navigables de France le paiement d'une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- le procès-verbal de conférence signé le 7 octobre 1960 entre l'État et le département de l'Oise qualifie lui-même le pont de Noyon de " dépendance du canal du Nord " et il est de ce fait au nombre des conventions pour lesquelles Voies navigables de France a été substitué de plein droit à l'État ;

- en tout état de cause, indépendamment de la qualification domaniale de ce pont, aucun texte ni aucun principe ne s'opposait à la conclusion d'une convention de répartition des charges d'entretien, d'autant plus que le propriétaire du domaine public fluvial a tout intérêt à cet entretien qui contribue au maintien de la navigabilité du canal ;

- la circonstance que le pont ait été à tort inscrit à l'annexe 3 de l'arrêté du 22 juillet 2020 n'a ni pour objet ni pour effet de faire disparaître la convention du 7 octobre 1960, laquelle demeure de plein droit applicable ainsi que le prévoit le I. de l'article L. 2123-11 du code général de la propriété des personnes publiques ; au demeurant, cet arrêté, à défaut d'avoir fait l'objet d'une publicité suffisante et adéquate, n'est pas exécutoire ;

- il s'ensuit que Voies Navigables de France est tenu par les stipulations de la convention du 7 octobre 1960 qui l'obligeait à prendre en charge l'entretien des culées et du tablier du pont de Noyon ;

- l'inexécution fautive des stipulations de la convention du 7 octobre 1960 par Voies navigables de France engage sa responsabilité contractuelle ; les travaux qu'il a réalisés en lieu et place de Voies navigables de France pour maintenir la sécurité des usagers ont le caractère de travaux d'entretien au sens des stipulations de la convention ;

- la dégradation des parties de l'ouvrage dont l'entretien incombe à Voies navigables de France n'est pas imputable à un défaut d'entretien du trottoir et de la chaussée, lequel incombe au département de l'Oise ; Voies navigables de France a été informé des travaux engagés par le département ; il ne peut donc lui être reproché aucune faute de nature à exonérer Voies navigables de France de sa responsabilité ;

- des travaux étaient nécessaires au niveau des culées du pont dès lors qu'elles étaient fissurées et que le tablier était en butée ; la mission de 2004 n'avait pas pour objet de chiffrer les travaux propres à remédier aux désordres, ce qui n'a été possible que lors de la phase préalable de la maîtrise d'œuvre ; la part des travaux dont la charge pèse sur Voies navigables de France en application de la convention du 7 octobre 1960 s'élève à la somme de 416 370,98 euros.

Par ordonnance du 27 mars 2023, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 10 mai 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code des transports ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- la loi n° 2014-774 du 7 juillet 2014 ;

- l'arrêté du 22 juillet 2020 portant recensement des ouvrages d'art de rétablissement en application du III du L. 2123-11 du code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique,

- les observations de Me Véronique Vray, représentant Voies navigables de France et de Me Adrien Karimzadeh, représentant le département de l'Oise.

Considérant ce qui suit :

1. Le département de l'Oise a entrepris en 2012 la rénovation du pont permettant le franchissement du canal du Nord par la route départementale n° 938 et situé à Noyon. Par un courrier du 24 octobre 2012, le département de l'Oise a demandé, en application des stipulations d'un procès-verbal de conférence en date du 7 octobre 1960, la prise en charge d'une partie des coûts de ces travaux à Voies navigables de France, lequel a fait part de son refus par un courrier du 21 décembre 2012. Le département de l'Oise a émis le 10 octobre 2013 un titre exécutoire d'un montant de 412 000 euros à l'encontre de Voies navigables de France, qui n'y a pas donné suite.

2. Par un jugement n° 1903949 du 15 juillet 2022, le tribunal administratif d'Amiens, saisi par le département de l'Oise, a condamné Voies navigables de France à verser à ce dernier une somme de 156 680 euros hors taxes au titre de sa responsabilité contractuelle. Voies navigables de France relève appel de ce jugement en tant qu'il le condamne à verser cette somme et demande à la cour de rejeter la demande de première instance du département de l'Oise. Ce dernier conclut au rejet de la requête d'appel et, par la voie de l'appel incident, demande à la cour de porter la condamnation à la somme de 416 370,98 euros hors taxe qu'il avait demandée en première instance.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. D'une part, les ponts sont au nombre des éléments constitutifs des voies dont ils relient les parties séparées de façon à assurer la continuité du passage. Les circonstances que la construction d'un pont assurant la continuité d'une voie départementale résulte de la décision de l'État de percer une voie fluviale nouvelle et qu'elle a été adaptée au gabarit de navigation sur cette voie ne sauraient avoir pour effet de faire regarder ce pont comme incorporé au domaine public fluvial. Un tel ouvrage appartient à la voirie départementale et, par suite, au domaine public routier du département.

4. D'autre part, aucune disposition ni aucun principe ne fait obstacle à ce que le département conclue avec le propriétaire ou l'exploitant de la voie franchie par un pont appartenant à la voirie départementale une convention mettant à la charge de celui-ci tout ou partie des frais d'entretien de cet ouvrage. Si le département peut, lorsqu'une telle convention a été conclue, réclamer sur ce fondement le versement d'une indemnité réparant le préjudice que lui a causé l'inexécution fautive du contrat par l'autre partie, il reste toutefois tenu, dans tous les cas, d'assurer l'entretien normal du pont en faisant procéder aux réparations nécessaires et en inscrivant les dépenses correspondantes à son budget.

En ce qui concerne la responsabilité de Voies navigables de France :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 4311-1 du code des transports : " L'établissement public de l'État à caractère administratif dénommé "Voies navigables de France" : / 1° Assure l'exploitation, l'entretien, la maintenance, l'amélioration, l'extension et la promotion des voies navigables ainsi que de leurs dépendances en développant un transport fluvial complémentaire des autres modes de transport, contribuant ainsi au report modal par le réseau principal et par le réseau secondaire ; / (...) / 4° Gère et exploite, en régie directe ou par l'intermédiaire de personnes morales de droit public ou de sociétés qu'il contrôle, le domaine de l'État qui lui est confié en vertu de l'article L. 4314-1 ainsi que son domaine privé ". Aux termes de l'article L. 4314-1 du même code : " La consistance du domaine confié à Voies navigables de France est définie par voie réglementaire ". Pour l'application de cette disposition, l'article D. 4314-1 du même code dispose que : " Le domaine confié à Voies navigables de France en application de l'article L. 4314-1 est le domaine public fluvial de l'État tel qu'il est défini aux articles L. 2111-7, L. 2111-10 et L. 2111-11 du code général de la propriété des personnes publiques (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 4313-13 du code des transports : " Sur le domaine qui lui est confié et pour l'exercice de ses missions, Voies navigables de France est substitué de plein droit à l'État dans les droits et obligations de celui-ci, tels qu'ils résultent des conventions, contrats et concessions qu'il a conclus avec des tiers antérieurement à la création de l'établissement public ".

6. Par les dispositions citées au point précédent, l'État a confié à Voies navigables de France la gestion et l'exploitation de son domaine public fluvial, à l'exception des biens expressément mentionnés aux articles D. 4314-1 à D. 4314-3 du code des transports. A cette fin, l'État a subrogé Voies navigables de France dans l'ensemble des droits et obligations résultant des conventions, contrats et concessions qu'il a antérieurement conclus avec des tiers. Contrairement à ce que soutient Voies navigables de France, il ne résulte pas des dispositions de l'article R. 4313-13 du code des transports que cette subrogation soit limitée aux seules conventions qui s'appliquent directement sur le domaine public fluvial, cette subrogation devant être regardée comme s'étendant à toutes les conventions qui ont été conclues par l'État à l'occasion de la gestion et l'exploitation du domaine public fluvial et dans l'intérêt de celui-ci.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2123-9 du code général de la propriété des personnes publiques, issu de la loi n° 2014-774 du 7 juillet 2014 : " (...) / II.- Lorsque, du fait de la réalisation d'une nouvelle infrastructure de transport, la continuité d'une voie de communication existante est assurée par un ouvrage dénivelé, la superposition des ouvrages publics qui en résulte fait l'objet d'une convention entre le gestionnaire de l'infrastructure de transport nouvelle et le propriétaire de la voie existante. / Cette convention prévoit les modalités de répartition des charges des opérations de surveillance, d'entretien, de réparation et de renouvellement de l'ouvrage ainsi que les conditions de sa remise en pleine propriété à la collectivité territoriale et d'ouverture à la circulation. / (...) ". Aux termes de l'article L. 2123-11 du même code : " I.- Les dispositions des conventions conclues antérieurement à la promulgation de la loi n° 2014-774 du 7 juillet 2014 visant à répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d'art de rétablissement des voies, prévoyant les modalités de gestion d'un ouvrage de rétablissement de voies, continuent à s'appliquer. / (...) / III.- Le ministre chargé des transports fait procéder, avant le 1er juin 2018, à un recensement des ouvrages d'art de rétablissement des voies qui relèvent ou franchissent les réseaux routiers, ferroviaires et fluviaux de l'État et de ses établissements publics et pour lesquels il n'existe aucune convention en vigueur. / (...) ". Pour l'application de cet article, le recensement prévu à son paragraphe III a été réalisé par un arrêté du ministre de la transition écologique du 22 juillet 2020, publié au Bulletin officiel du ministère de la transition écologique et solidaire le 31 juillet 2020, mesure de publicité suffisante au regard du public visé pour lui conférer un caractère exécutoire.

8. Il résulte des dispositions citées au point précédent que la loi du 7 juillet 2014, qui impose à l'occasion de toute construction nouvelle d'un ouvrage d'art de rétablissement des voies de rechercher la conclusion d'une convention prévoyant les modalités de répartition des charges d'entretien de l'ouvrage, n'a aucune incidence sur les conventions conclues antérieurement à son entrée en vigueur. Celles-ci continuent à s'appliquer de plein droit, et ce indépendamment du recensement, à visée informative, réalisé en application du III de l'article L. 2123-11 du code général de la propriété des personnes publiques. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient Voies navigables de France, la circonstance qu'un ouvrage d'art aurait été recensé par l'arrêté du 22 juillet 2020 comme ne faisant l'objet d'aucune convention de répartition des charges d'entretien ne permet pas d'écarter l'application des conventions qui s'avèreraient en réalité existantes, régulièrement conclues et toujours en cours d'exécution à la date d'entrée en vigueur de la loi du 7 juillet 2014 et du recensement qu'elle prévoit.

9. En troisième lieu, le procès-verbal de conférence du 7 octobre 1960, établi notamment entre l'État et le département de l'Oise, prévoyant la reconstruction du pont situé à Noyon qui permet le franchissement du canal du Nord par la route nationale n° 38, devenue depuis la route départementale n° 938, prévoit, s'agissant de l'entretien de l'ouvrage, que : " Le nouvel ouvrage sera considéré comme une dépendance du Canal du Nord et les permissions de voierie qui se rapporteront à son usage seront délivrées par le Service Spécial de la Navigation Belgique-Paris-Est. / L'entretien des culées et du tablier (y compris le garde-corps) sera assuré par ce service. / L'entretien de la chaussée et des trottoirs sur l'ouvrage ainsi que des rampes d'accès sera assuré par le Service Ordinaire du Département de l'Oise ".

10. Il résulte des principes rappelés au point 3 que le pont franchissant le canal du Nord par la route départementale n° 938 situé à Noyon, indépendamment de la qualification retenue dans le procès-verbal de conférence du 7 octobre 1960, appartient au domaine public routier du département de l'Oise. Il résulte également des principes rappelés au point 4 que cette circonstance ne s'opposait pas à la conclusion d'une convention prévoyant les modalités de répartition des charges d'entretien du pont, ce à quoi procède le procès-verbal de conférence du 7 octobre 1960. Cette convention, en tant qu'elle a pour objet de garantir le bon entretien du pont qui surplombe le canal du Nord, doit être regardée comme ayant été conclue par l'État à l'occasion de la gestion et l'exploitation du domaine public fluvial et dans l'intérêt de celui-ci. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que les droits et obligations de l'État découlant de cette convention ont dès lors été transférés à Voies navigables de France. Il ne résulte pas de l'instruction que cette convention, qui ne prévoyait aucun terme, ait cessé de produire ses effets. En particulier, pour les motifs exposés au point 8, ni la loi du 7 juillet 2014 ni l'arrêté du 22 juillet 2020 du ministre de la transition écologique et solidaire n'ont mis fin à son application. En revanche, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que cette convention a seulement pour objet et pour effet d'obliger l'État, et désormais Voies navigables de France depuis sa création, à financer les opérations d'entretien réalisées sur les parties du pont qu'elle met à sa charge mais elle n'exonère pas le département de l'Oise, qui demeure maître de l'ouvrage, d'assurer l'entretien normal du pont en faisant procéder à toutes les réparations nécessaires.

11. Il résulte de l'instruction que le département de l'Oise a fait réaliser, à compter du mois de septembre 2012, des travaux sur le pont litigieux. Ces travaux ont porté non seulement sur la chaussée et les trottoirs, parties dont il a la charge au terme de la convention du 7 octobre 1960, mais aussi sur les culées, le tablier et le garde-corps, parties que la convention met à la charge de l'État, désormais subrogé par Voies navigables de France. Ces travaux ont consisté à remplacer les dispositifs d'appuis du tablier, à ajuster la hauteur des murs garde-grève des culées, à rénover et renforcer les dispositifs d'étanchéités du tablier, à remplacer le garde-corps, à refaire les enrobages des chaussées et des trottoirs et à remettre l'ensemble de l'ouvrage en peinture. Compte tenu de leur ampleur limitée et en l'absence de modifications majeures sur la structure du pont, ces travaux présentent le caractère de travaux d'entretien au sens et pour l'application des stipulations citées au point 9 de la convention du 7 octobre 1960. Il s'ensuit que Voies navigables de France était tenu par les stipulations de cette convention de financer ceux de ces travaux ayant porté sur les culées du pont, son tablier et son garde-corps. Or, il résulte de l'instruction que Voies navigables de France a par deux fois explicitement opposé un refus aux demandes en ce sens du département de l'Oise formulées dans des courriers des 21 décembre 2012 et 5 juin 2016 et qu'il ne s'est jamais acquitté du titre exécutoire émis à cette fin à son encontre le 10 octobre 2013. Dès lors, l'inexécution des engagements souscrits dans la convention du 7 octobre 1960, opposables à Voies navigables de France pour les motifs rappelés précédemment, est fautive et engage la responsabilité contractuelle de ce dernier.

12. En revanche, il résulte également de l'instruction, notamment des deux études réalisées en 2004 et 2011, que les travaux entrepris par le département de l'Oise ont notamment eu pour objet de remédier aux nombreux problèmes de corrosion dont le pont était affecté, auxquels ont participé les infiltrations d'eau depuis les parties supérieures du tablier. Les deux études précitées avaient identifié que des équipements concourants, à ce niveau, à l'étanchéité de l'ouvrage étaient dégradés. Ainsi, ces études ont-elles constaté que les joints d'étanchéité de la chaussée et des trottoirs étaient dans un état " médiocre ", " défaillants " et " très dégradés ". Également, les revêtements de la chaussée, décrits comme étant dans un état juste " convenable " dans l'étude de 2004, sont qualifiés de " dégradés " et " en mauvais état " dans celle de 2011. Alors que la convention de répartition des charges d'entretien du 7 octobre 1960 est, ainsi qu'il a été dit aux points 4 et 10, sans incidence sur l'obligation du département de l'Oise de s'assurer en tout temps de l'état de l'ouvrage et de réaliser les entretiens nécessaires, il ne justifie pas de travaux d'entretien avant ceux réalisés en 2012, même sur les parties laissées à sa charge par la convention du 7 octobre 1960. Aussi, il n'établit ni même n'allègue avoir alerté sur l'état du pont avant l'étude de 2004 ni que Voies navigables de France, ou l'État avant lui, aurait fait échec à l'entretien. Dans ces conditions, Voies navigables de France est fondé à soutenir que le défaut de surveillance et d'entretien courant du pont a aggravé les désordres et le coût des travaux réalisés en 2012 et que cette faute du département de l'Oise l'exonère en partie de ses propres responsabilités contractuelles. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de la part des responsabilités respectives de Voies navigables de France et du département de l'Oise en faisant supporter à ce dernier 50% du préjudice financier que lui a causé l'inexécution fautive par Voies navigables de France des obligations découlant de la convention du 7 octobre 1960.

En ce qui concerne la réparation du département de l'Oise :

13. Si l'étude préalable réalisée en 2004, dont ce n'était pas l'objet principal, avait estimé le coût des travaux rendus nécessaires par l'état du pont à seulement 210 000 euros toutes taxes comprises, il résulte de l'instruction, et il n'est pas contesté, que le département de l'Oise s'est finalement acquitté, dans le cadre des travaux réalisés en 2012, de 511 480,68 euros hors taxes. Si les culées du pont n'étaient pas atteintes de désordres majeurs, les deux études réalisées sur l'ouvrage avaient identifié qu'elles étaient affectées de fissures et que le tablier était en butée. Les travaux sur les culées, dont le coût représente seulement 10% du coût total des travaux, se sont limités à une reprise du haut des murs garde-grève et à une remise en peinture et n'ont dès lors pas excédé les travaux d'entretien courant qui permettaient de remédier aux désordres précités. Voies navigables de France n'est dès lors pas fondé à soutenir que ces travaux étaient inutiles et qu'ils doivent être déduits du coût des travaux à mettre à sa charge. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 12, les fautes commises par le département de l'Oise dans la surveillance et l'entretien courant de l'ouvrage justifient seulement de limiter à 50% la réparation du préjudice qu'il a subi mais pas d'écarter l'intégralité du coût des travaux réalisés sur le tablier et le garde-corps. Pour le reste, Voies navigables de France, qui ne peut utilement se prévaloir du coefficient de 30% que la convention du 7 octobre 1960 appliquait seulement aux travaux de construction de l'ouvrage et non aux travaux d'entretien, ne conteste pas que la part des travaux réalisés sur les parties du pont dont le coût d'entretien est laissé à sa charge par cette convention s'est élevée à 416 370,98 euros hors taxes. Il s'ensuit que le département de l'Oise doit être regardé comme ayant subi un préjudice financier de 416 370,98 euros hors taxes et que Voies navigables de France doit, compte tenu de ce qui a été dit au point 12, en supporter seulement la moitié, soit 208 185,49 euros hors taxes.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le département de l'Oise est fondé à demander la condamnation de Voies navigables de France, du fait de l'inexécution fautive de la convention du 7 octobre 1960, à lui verser une somme totale de 208 185,49 euros hors taxes. Il s'ensuit que les conclusions d'appel de Voies navigables de France, tendant à l'annulation du jugement et au rejet de la demande de première instance du département de l'Oise, doivent être rejetées. Quant au département de l'Oise, il est seulement fondé à demander que la somme de 156 680 euros que Voies navigables de France a été condamné à lui verser soit portée à 208 185,49 euros hors taxes.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du département de l'Oise, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le paiement de la somme que Voies navigables de France demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de ce dernier le paiement d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés au même titre par le département de l'Oise.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 156 680 euros hors taxes que Voies navigables de France a été condamné à verser au département de l'Oise est portée à 208 185,49 euros hors taxes.

Article 2 : Le jugement n° 1903949 du 15 juillet 2022 du tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Voies navigables de France versera au département de l'Oise une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions des parties sont rejetées pour le surplus.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Voies navigables de France et au département de l'Oise.

Délibéré après l'audience publique du 14 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Thierry Sorin, président de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : G. ToutiasLe président de chambre,

Signé : T. SorinLa greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au préfet de l'Oise, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière

Anne-Sophie Villette

2

N°22DA01928


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01928
Date de la décision : 01/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Sorin
Rapporteur ?: M. Guillaume Toutias
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : VRAY

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-01;22da01928 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award