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01/12/2023 | FRANCE | N°22DA01127

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 01 décembre 2023, 22DA01127


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :





Mme A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 10 septembre 2019 par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a refusé de lui délivrer l'autorisation d'exercer en France la profession de chirurgien-dentiste et d'enjoindre au ministre de la santé et de la prévention, à titre principal, de lui délivrer l'autorisation d'exercer en France la profession de chirurgien-dentiste ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa d

emande.



Par un jugement n° 1909680 du 1er avril 2022, le tribunal administratif d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 10 septembre 2019 par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a refusé de lui délivrer l'autorisation d'exercer en France la profession de chirurgien-dentiste et d'enjoindre au ministre de la santé et de la prévention, à titre principal, de lui délivrer l'autorisation d'exercer en France la profession de chirurgien-dentiste ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande.

Par un jugement n° 1909680 du 1er avril 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, et un mémoire, enregistrés les 31 mai 2022 et 31 mars 2023, Mme C... B..., représentée par Me Francine Thomas, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 10 septembre 2019 de la ministre des solidarités et de la santé ;

3°) d'enjoindre au ministre de la santé et de la prévention, dans le délai de deux mois à compter de la mise à disposition de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à titre principal, de lui délivrer l'autorisation d'exercer en France la profession de chirurgien-dentiste ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande ;

4°) de mettre, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le paiement de la somme de 3 000 euros à la charge de l'État.

Elle soutient que la ministre des solidarités et de la santé a commis une erreur de droit ainsi qu'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et méconnu les articles 45 et 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'interprétés par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment, de son arrêt C166/20 du 8 juillet 2021, dès lors que sa demande d'autorisation d'exercice n'a pas donné lieu à une appréciation de l'ensemble de ces diplômes, certificats et autres titres, ainsi que de son expérience pertinente, avec, le cas échéant, la possibilité d'exiger des mesures de compensation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2023, le ministre de la santé et de la prévention conclut au rejet de la requête et soutient qu'aucun des moyens soulevés par l'appelante n'est fondé.

Par ordonnance du 27 février 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 11 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 ;

- la directive 2013/55/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 novembre 2013 modifiant la directive 2005/36/CE et relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé ;

- le code de la santé publique ;

- l'arrêt C-166/20 du 8 juillet 2021 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe, rapporteur ;

- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique ;

- et les observations de Mme C... B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... C... B..., de nationalité française, est titulaire notamment, du diplôme de chirurgien-dentiste obtenu en 2004 et d'un diplôme en endo-parodontologie obtenu en juin 2009 à l'université autonome de Nuevo Leon (Mexique). Par une attestation académique en date du 31 octobre 2014, le ministre espagnol de l'éducation, de la culture et des sports a homologué son diplôme de chirurgien-dentiste mexicain au titre universitaire espagnol de " Licenciada en Odontología ". Mme C... B... a formulé une demande d'autorisation d'exercer en France la profession de chirurgien-dentiste, sans spécialité, au titre du II de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique. Le 10 septembre 2019, après l'avis de la commission d'autorisation d'exercice compétente pour les chirurgiens-dentistes en date du 28 juin 2019, la ministre des solidarités et de la santé a rejeté sa demande au motif que l'exercice plénier de la profession de chirurgien-dentiste était insuffisant. Mme C... B... fait appel du jugement n°1909680 du 1er avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 4111-1 du code de la santé publique : " Nul ne peut exercer la profession de médecin, de chirurgien-dentiste ou de sage-femme s'il n'est : 1° Titulaire d'un diplôme, certificat ou autre titre mentionné aux articles L. 4131-1, L. 4141-3 ou L. 4151-5 (...) ". En outre, l'article L. 4141-3 du même code dispose que : " Les titres de formation exigés en application du 1° de l'article L. 4111-1 sont pour l'exercice de la profession de chirurgien-dentiste : / 1° Soit le diplôme français d'État de docteur en chirurgie dentaire ; / 2° Soit le diplôme français d'État de chirurgien-dentiste ; / 3° Soit si l'intéressé est ressortissant d'un État membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen : a) Les titres de formation de praticien de l'art dentaire délivrés par l'un de ces États conformément aux obligations communautaires et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés de l'enseignement supérieur et de la santé ". Enfin, aux termes des dispositions du II de l'article L. 4111-2 du même code, dans leur rédaction applicable à la date de la décision en litige, issue de l'ordonnance du 19 janvier 2017 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé, prise pour la transposition de la directive 2013/55/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 novembre 2013 modifiant la directive 2005/36/CE et relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé : " L'autorité compétente peut également, après avis d'une commission composée notamment de professionnels, autoriser individuellement à exercer la profession de médecin dans la spécialité concernée, de chirurgien-dentiste, le cas échéant dans la spécialité, ou de sage-femme les ressortissants d'un État membre de l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, titulaires de titres de formation délivrés par un État tiers, et reconnus dans un État, membre ou partie, autre que la France, permettant d'y exercer légalement la profession. S'agissant des médecins et, le cas échéant, des chirurgiens-dentistes, la reconnaissance porte à la fois sur le titre de base et sur le titre de spécialité. /L'intéressé justifie avoir exercé la profession, le cas échéant dans la spécialité, pendant trois ans à temps plein ou à temps partiel pendant une durée totale équivalente dans cet État, membre ou partie. (...) ".

3. En vertu de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment, en dernier lieu, de son arrêt C-166/20 du 8 juillet 2021, il découle des articles 45 et 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, garantissant respectivement la libre circulation des travailleurs et la liberté d'établissement, que, lorsque les autorités d'un État membre sont saisies par un ressortissant de l'Union d'une demande d'autorisation d'exercer une profession dont l'accès est, selon la législation nationale, subordonné à la possession d'un diplôme, d'une qualification professionnelle ou encore à des périodes d'expérience pratique, et que, faute pour le demandeur d'avoir obtenu un titre de formation le qualifiant, dans l'État membre d'origine, pour y exercer une profession réglementée, sa situation n'entre pas dans le champ d'application de la directive 2005/36 modifiée, elles sont tenues de prendre en considération l'ensemble des diplômes, certificats et autres titres, ainsi que l'expérience pertinente de l'intéressé, en rapport avec cette profession, acquis tant dans l'État membre d'origine que dans l'État membre d'accueil, en procédant à une comparaison entre d'une part les compétences attestées par ces titres et cette expérience et, d'autre part, les connaissances et qualifications exigées par la législation nationale.

4. Il ressort des pièces du dossier que si Mme C... B... est titulaire du diplôme mexicain de chirurgien-dentiste, reconnu en Espagne en 2014 comme équivalent à la " licenciada en odontología ", correspondant en Espagne à la formation de base de praticien de l'art dentaire, il est constant qu'elle n'a pas exercé la profession de chirurgien-dentiste en Espagne pendant trois années. Tout d'abord, la circonstance que son diplôme mexicain ait été reconnu en Espagne constitue un élément sortant du cadre purement interne à la France, permettant à Mme C... B... de se prévaloir des libertés garanties par les articles 45 et 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. En outre, dès lors que la situation de Mme C... B... n'entre pas dans le champ d'application du dispositif de reconnaissance des titres de formation de la directive 2005/36 modifiée et transposée notamment au sein des dispositions du II de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique, il appartenait à l'administration, conformément à ce qui a été dit au point 3, de prendre en considération l'ensemble des diplômes, certificats et autres titres, ainsi que l'expérience pertinente de l'intéressé, en rapport avec cette profession, acquis tant dans l'État membre d'origine que dans l'État membre d'accueil, en procédant à une comparaison entre d'une part les compétences attestées par ces titres et cette expérience et, d'autre part, les connaissances et qualifications exigées par la législation nationale. Or, il ressort des termes de la décision attaquée que la demande d'autorisation de Mme C... B... a été rejetée au motif que son exercice plénier de la profession de chirurgien-dentiste était " insuffisant " en raison de ce qu'elle ne justifiait ni d'un exercice de l'odontologie après l'année 2014 ni de trois années d'exercice en Espagne. En ne prenant pas en considération l'ensemble des connaissances et qualifications de Mme C... B... et en lui opposant la condition, fixée par le II de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique, d'une durée d'exercice de trois ans en Espagne, qui n'était pas applicable à sa situation, la ministre des solidarités et de la santé a ainsi commis une erreur de droit. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de la requête, sa décision doit être annulée.

5. Il résulte de ce qui précède que Mme C... B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

6. Eu égard aux motifs d'annulation de la décision du 10 septembre 2019 de la ministre des solidarités et de la santé, le présent arrêt implique seulement qu'il soit enjoint au ministre de la santé et de la prévention de réexaminer la demande d'autorisation d'exercer sur le territoire français la profession de chirurgien-dentiste de Mme C... B..., dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

7. Il y a lieu de mettre à la charge de l'État, partie perdante dans la présente instance, le versement à Mme C... B... de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1909680 du 1er avril 2022 du tribunal administratif de Lille et la décision du 10 septembre 2019 de la ministre des solidarités et de la santé sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de la santé et de la prévention de réexaminer la demande de Mme C... B... d'autorisation d'exercer sur le territoire français la profession de chirurgien-dentiste, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à Mme C... B... une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme C... B... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... B... et au ministre de la santé et de la prévention.

Délibéré après l'audience publique du 14 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Thierry Sorin, président de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur ;

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : G. VandenbergheLe président de chambre,

Signé : T. Sorin

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Anne-Sophie Villette

2

N°22DA01127


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01127
Date de la décision : 01/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Sorin
Rapporteur ?: M. Guillaume Vandenberghe
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : CABINET ACG

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-01;22da01127 ?
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