Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 17 novembre 2022 par lequel la préfète de l'Oise a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.
Par un jugement n° 2300108 du 16 mars 2023, le tribunal administratif d'Amiens a annulé cet arrêté, a enjoint à la préfète de l'Oise de réexaminer la situation de M. C... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge l'Etat le versement à M. C... de la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 avril 2023, la préfète de l'Oise demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif d'Amiens.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu le moyen tiré de l'erreur de fait pour annuler l'arrêté en litige dès lors que M. C... ne l'avait pas informée de son mariage avec une ressortissante française ;
- les moyens soulevés en première instance par M. C... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 mai 2023, M. C..., représenté par Me Ferrero, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'il soit enjoint à la préfète de l'Oise de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) à ce que la somme de 2 400 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par la préfète de l'Oise ne sont pas fondés ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par une ordonnance du 25 mai 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 juin 2023.
Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce que le tribunal administratif n'a pas épuisé son office en estimant que l'un des deux motifs du refus de titre de séjour contesté était entaché d'illégalité sans rechercher si l'autre motif également opposé aurait à lui seul conduit la préfète à prendre la décision attaquée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Pin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant algérien né le 23 septembre 2001, déclare être entré en France le 18 août 2016. Le 3 février 2022, il a sollicité la délivrance d'un certificat de résidence en qualité de conjoint d'une ressortissante de nationalité française. Par un arrêté du 17 novembre 2022, la préfète de l'Oise a refusé de lui délivrer un certificat de résidence, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. La préfète de l'Oise relève appel du jugement du 16 mars 2023 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a annulé cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il appartient au juge qui, saisi d'un recours en excès de pouvoir dirigé contre une décision administrative fondée sur plusieurs motifs, estime que l'un ou plusieurs de ces motifs, ayant fait l'objet d'un débat entre les parties, est entaché d'illégalité, de rechercher, le cas échéant de lui-même, si l'un des autres motifs également opposé aurait à lui seul conduit l'administration à prendre la décision contestée.
3. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser de délivrer un titre de séjour à M. C..., la préfète de l'Oise s'est fondée, d'une part, sur le fait que sa présence en France constituait une menace pour l'ordre public, et, d'autre part, sur la circonstance que n'étant pas marié à une ressortissante française, l'intéressé ne remplissait pas les conditions posées par le 2 de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968.
4. En annulant, à la demande de M. C..., l'arrêté de la préfète de l'Oise du 17 novembre 2022 au motif qu'il était entaché d'une erreur de fait en raison du mariage de l'intéressé avec une ressortissante française le 27 septembre 2022, sans rechercher s'il résultait de l'instruction que la préfète aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur le second motif tiré de la menace pour l'ordre public que constituait la présence de M. C... en France, également invoqué dans la décision contestée, les premiers juges n'ont pas épuisé leur office et ont entaché leur jugement d'irrégularité. Par suite, le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 16 mars 2023 doit être annulé.
5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif d'Amiens.
Sur la légalité du refus de titre de séjour :
6. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) / Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) / 2. Au ressortissant algérien, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ; / (...) ". Ces stipulations ne privent pas l'autorité compétente du pouvoir qui lui appartient de refuser à un ressortissant algérien la délivrance du certificat de résidence d'un an lorsque sa présence en France constitue une menace pour l'ordre public.
7. Si la légalité d'une décision s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise, il appartient au juge de tenir compte des justifications apportées devant lui, dès lors qu'elles attestent de faits antérieurs à la décision critiquée, même si ces éléments n'ont pas été portés à la connaissance de l'administration avant qu'elle se prononce.
8. Pour refuser à M. C... le certificat de résidence algérien qu'il sollicitait, la préfète de l'Oise s'est fondée sur le double motif tiré, d'une part, de ce que l'intéressé, s'il avait conclu un pacte civil de solidarité avec une conjointe de nationalité française, n'était pas marié avec elle et, d'autre part, de ce que sa présence en France constituait une menace pour l'ordre public.
9. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a épousé le 27 septembre 2022 la ressortissante française avec laquelle il avait précédemment conclu un pacte civil de solidarité. Par suite, en estimant que M. C... n'était pas marié à une ressortissante française à la date de l'arrêté contesté, et quand bien même n'aurait-elle pas été informée de l'ensemble de la situation de M. C..., la préfète de l'Oise s'est fondée sur des faits matériellement inexacts de nature à modifier son appréciation au regard des stipulations du 2 de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968.
10. Toutefois, la préfète de l'Oise a également relevé, à la suite de la consultation du fichier dénommé " traitement des antécédents judiciaires ", que M. C... avait fait l'objet de signalements auprès des services de police entre 2020 et 2022 pour des faits de " vol avec destruction ou dégradation, vol d'un véhicule ", " circulation avec un véhicule terrestre sans assurance ", " agression sexuelle sur mineur de plus de quinze ans ", " arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivi d'une libération avant le septième jour " et " conduite sans permis ".
11. M. C... reconnaît être l'auteur des faits de vol avec destruction ou dégradation d'un véhicule, et de conduite d'un véhicule sans assurance et sans permis de conduire. S'il soutient en appel que la procédure pénale diligentée à raison des faits d'agression sexuelle et de séquestration relevés par la préfète a donné lieu à un classement sans suite, il ne justifie ni du classement allégué ni même du motif qui aurait conduit à ce classement sans suite.
12. Eu égard à la nature de ces faits, à leur gravité et à leur caractère récent, la préfète a pu légalement estimer que la présence de M. C... en France constituait une menace pour l'ordre public et il résulte de l'instruction que la préfète aurait pris la même décision si elle s'était uniquement fondée sur la menace pour l'ordre public que constituait la présence de M. C... en France.
13. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
14. M. C... fait valoir qu'il réside depuis 2016 en France, où il a été confié à l'aide sociale à l'enfance jusqu'à sa majorité, qu'il a suivi entre 2018 et 2021 une formation en vue de l'obtention d'un certificat d'aptitude professionnelle " agent polyvalent de restauration ", qu'il a bénéficié d'un contrat d'apprentissage et qu'il a épousé une ressortissante française en septembre 2022.
15. Toutefois, ce mariage était très récent à la date de l'arrêté et M. C... n'a pas fait état d'une vie commune antérieure. En outre, il conserve sa famille en Algérie, où il a vécu pour l'essentiel, et avec laquelle il n'établit pas, par ses seules allégations, avoir rompu tout lien. M. C..., qui ne soutient pas avoir obtenu le certificat d'aptitude professionnelle qu'il préparait depuis l'année scolaire 2018-2019, ne justifie pas, eu égard à l'ensemble des faits rappelés ci-dessus, d'une intégration particulière.
16. Par suite, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, la décision contestée de refus de titre de séjour n'a pas porté au droit de M. C... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts qu'elle poursuivait et n'a, ainsi, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, la décision en litige n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
17. Aux termes de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. (...) Dans le cas prévu au 3° de l'article L. 611-1, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour (...) ".
18. Pour obliger M. C... à quitter le territoire français, la préfète de l'Oise a visé les dispositions du 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a ajouté que l'intéressé n'entrait dans aucun des cas de protection contre l'éloignement prévus par l'article L. 611-3 de ce code. En outre, la décision portant refus de séjour a comporté de manière suffisante l'indication des considérations de droit et de fait sur lesquelles l'autorité préfectorale s'était fondée pour prendre cette décision, de sorte que l'obligation de quitter le territoire français, prise sur le fondement du 3° de l'article L. 611-1, n'avait pas à faire l'objet d'une motivation spécifique. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision contestée doit être écarté.
19. M. C... se prévaut, au soutien de ses moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la mesure d'éloignement sur sa vie personnelle, des mêmes arguments que ceux qui ont été précédemment exposés et ces moyens doivent donc être écartés pour les motifs mentionnés ci-dessus.
20. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté de la préfète de l'Oise du 17 novembre 2022. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2300108 du 16 mars 2023 du tribunal administratif d'Amiens est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif d'Amiens et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à la préfète de l'Oise et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience publique du 16 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,
- M. Bertrand Baillard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 novembre 2023.
Le président-rapporteur,
Signé : F.-X. Pin
Le président de chambre,
Signé : M. A...La greffière,
Signé : E. Héléniak
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation
La greffière,
Elisabeth Héléniak
N°23DA00616 2