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30/11/2023 | FRANCE | N°22DA01819

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 30 novembre 2023, 22DA01819


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. et Mme A... C... ont demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu, ainsi que des contributions sociales, auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2013 et 2014, pour un montant total, en droits et pénalités, de 91 467 euros.



Par un jugement no 1903068 du 21 juillet 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.



Procédure devant la cour :




Par une requête et des mémoires, enregistrés les 18 août 2022, 3 février 2023, 16 mai 2023 et 30 août ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A... C... ont demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu, ainsi que des contributions sociales, auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2013 et 2014, pour un montant total, en droits et pénalités, de 91 467 euros.

Par un jugement no 1903068 du 21 juillet 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 18 août 2022, 3 février 2023, 16 mai 2023 et 30 août 2023, M. et Mme C..., représentés par la SCP d'avocats Bejin-Camus-Belot, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions en litige et de prescrire la restitution des sommes acquittées par eux à ce titre, augmentées des intérêts au taux de 4,80 %.

Ils soutiennent que :

- les fonds appréhendés ne peuvent pas être qualifiés de revenus imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ;

- l'administration était tenue de leur adresser une mise en demeure avant d'évaluer d'office les revenus en litige ;

- le jugement du tribunal correctionnel de Laon du 1er février 2018 n'est pas revêtu de l'autorité de la chose jugée ;

- la charge de la preuve incombe à l'administration ;

- la qualification des faits de " abus de confiance " retenue par le juge pénal ne s'impose pas au juge fiscal ;

- le tribunal correctionnel ne s'est pas prononcé sur le montant des fonds détournés ;

- la moitié des fonds détournés ne pouvait pas être imposée au titre d'une activité " illicite " dès lors qu'elle correspond à la quote-part lui revenant de l'indivision successorale ayant résulté du décès de son père ;

- le montant des détournements n'a pas excédé 50 000 euros ;

- il y a lieu de déduire de la base imposable les remboursements partiels effectués ;

- les impositions en litige sont excessives.

Par un mémoire en défense et des mémoires, enregistrés les 27 décembre 2022, 7 avril 2023, 19 juillet 2023 et 2 octobre 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bertrand Baillard, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. Par un jugement du 1er février 2018 devenu définitif, le tribunal correctionnel de Laon a condamné M.et Mme C... à une peine de dix mois d'emprisonnement avec sursis chacun pour des faits d'abus de confiance commis à l'encontre de la mère de Mme C... entre le 21 janvier 2013 et le 5 janvier 2015. Par deux propositions de rectification du 14 juin 2018, l'administration, sur la base de ce jugement et des procès-verbaux obtenus dans le cadre de l'exercice de son droit de communication, a procédé, en application du 2° de l'article L. 73 B du livre des procédures fiscales, à l'évaluation d'office des bénéfices non commerciaux ayant résulté de l'activité occulte exercée par Mme C... dont le montant a été fixé aux sommes de 55 799 euros au titre de l'année 2013 et de 36 740 euros au titre de l'année 2014. En outre, le service a appliqué la majoration de 80 % prévue au c. de l'article 1729 du code général des impôts. En conséquence, la somme totale de 91 467 euros a été mise en recouvrement le 31 décembre 2018. Leur réclamation ayant été rejetée, M. et Mme C... ont porté le litige devant le tribunal administratif d'Amiens. Par un jugement du 21 juillet 2022 dont les époux C... relèvent appel, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Sur la nature des sommes imposées :

2. Les revenus tirés de détournements de fonds sont imposables sur le fondement du 1 de l'article 92 du code général des impôts, qui qualifie de bénéfices non commerciaux " toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus ".

3. L'administration a constaté, sur le fondement du jugement rendu par le tribunal correctionnel de Laon et après avoir consulté les pièces de la procédure pénale qui lui avaient été communiquées par l'autorité judiciaire, que Mme C... s'était livrée, sur la période allant du 21 janvier 2013 au 5 janvier 2015, à une activité consistant à détourner des fonds à son profit, dans le cadre de l'utilisation d'une procuration sur les comptes bancaires de sa mère. Le tribunal correctionnel de Laon, dans son jugement du 1er février 2018 devenu définitif, déclarant M. et Mme C... coupables des faits d'abus de confiance envers la mère de Mme C..., a ainsi retenu que les intéressés avaient détourné, à ce titre, la somme totale de 92 538,90 euros. Or l'autorité de la chose jugée par le juge pénal s'impose au juge de l'impôt s'agissant des constatations de faits qui sont le support nécessaire des condamnations.

4. Au demeurant, si le couple C... soutient que Mme C... ne disposait que d'une procuration bancaire de telle sorte que l'utilisation des fonds ne dépendait pas que de sa volonté, d'une part, la procuration bancaire dont disposait Mme C... sur les comptes bancaires de sa mère n'était qu'une procuration de gestion qui ne lui permettait pas d'utiliser les fonds à son profit, et, d'autre part, les requérants ne démontrent aucunement que la mère de Mme C... aurait été consultée préalablement aux opérations bancaires, cette dernière ayant d'ailleurs affirmé avoir été victime d'abus de confiance de la part de sa fille.

5. Dans ces conditions, l'administration apporte la preuve de la réalité de détournements de fonds, lesquels doivent être regardés comme s'étant inscrits dans le cadre de l'exercice habituel d'une activité dont les revenus sont, par nature, assimilables aux bénéfices non commerciaux mentionnés au 1 de l'article 92 du code général des impôts.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

6. Aux termes de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales : " Peuvent être évalués d'office : / (...) / 2° Le bénéfice imposable des contribuables qui perçoivent des revenus non commerciaux ou des revenus assimilés lorsque la déclaration annuelle prévue à l'article 97 du code général des impôts n'a pas été déposée dans le délai légal ; / (...) / Les dispositions de l'article L. 68 sont applicables dans les cas d'évaluation d'office prévus aux 1° et 2°. ".

7. En vertu de l'article L. 68 du même livre, la procédure de taxation d'office n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une mise en demeure, ce même article précisant toutefois qu'il n'y a pas lieu de procéder à cette mise en demeure, notamment, si, ainsi qu'il est dit au 3°, le contribuable s'est livré à une " activité occulte " au sens du deuxième alinéa de l'article L. 169 de ce livre. L'article L. 169 du livre des procédures fiscales énonce qu'une " activité occulte " est réputée exercée lorsque le contribuable qui s'y livre n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une " activité illicite ".

8. Enfin, en vertu de l'article 97 du code général des impôts, les contribuables exerçant une activité qui génère des bénéfices non commerciaux et qui sont soumis, obligatoirement ou sur option, au régime de la déclaration contrôlée sont tenus de souscrire chaque année, dans des conditions et délais prévus aux articles 172 et 175 de ce code, une déclaration de résultats.

9. Il résulte de l'instruction que, ainsi qu'il a été dit au point 3, Mme C... s'est livrée à des détournements de fonds au détriment de sa mère en 2013 et 2014, activité qui a généré pour elle des bénéfices non commerciaux. Il est constant que le couple C... n'a pas souscrit la déclaration, exigée par l'article 97 du code général des impôts, des revenus provenant de cette activité et n'a pas davantage fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce. Au demeurant, cette activé, ainsi que l'admettent les requérants eux-mêmes, est une activité illicite.

10. En conséquence, cette activité doit être regardée comme ayant présenté un caractère occulte au sens des dispositions de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales. Dès lors, l'administration a pu, sans entacher d'irrégularité la procédure d'imposition, notifier aux intéressés, selon la procédure d'évaluation d'office prévue au 2° de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales, les rehaussements d'impôt sur le revenu en matière de bénéfices non commerciaux au titre des années 2013 et 2014 sans préalablement leur adresser une mise en demeure de régulariser leur situation.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne la charge de la preuve :

11. Aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition ". Aux termes de l'article R. 193-1 du même livre : " Dans le cas prévu à l'article L. 193 le contribuable peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition mise à sa charge en démontrant son caractère exagéré ".

12. Les impositions litigieuses ont été régulièrement établies selon la procédure d'évaluation d'office prévue par l'article L. 73 du livre des procédures fiscales. Dès lors, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme C..., il leur appartient d'établir le caractère infondé ou exagéré des rectifications.

En ce qui concerne le principe et le montant des impositions :

13. En premier lieu, M. et Mme C... ne sont pas recevables à contester devant le juge de l'impôt la qualification pénale d'abus de confiance donnée par le tribunal correctionnel de Laon, qualification qui, au demeurant, ne fonde pas les impositions en litige.

14. En deuxième lieu, si M. et Mme C... soutiennent que le montant des détournements de 92 538,90 euros mentionné dans le jugement du tribunal correctionnel de Laon n'est pas revêtu de l'autorité de la chose jugée, il résulte de l'instruction, en tout état de cause, que l'administration a évalué le montant des bénéfices non commerciaux perçus ayant résulté de l'activité occulte exercée par Mme C... aux sommes de 55 799 euros au titre de l'année 2013 et de 36 740 euros au titre de l'année 2014 sur la base des éléments figurant dans les procès-verbaux d'investigations et d'audition communiqués par l'autorité judiciaire.

15. En troisième lieu, le couple C... soutient qu'une partie des sommes en litige ne peut pas être qualifiée de bénéfices non commerciaux dès lors qu'elle provient de l'indivision successorale ayant résulté du décès du père de Mme C... et sur laquelle celle-ci disposait de droits privatifs. Toutefois, d'une part, il n'est aucunement démontré que tout ou partie des fonds détournés constituerait la part successorale de 27 622 euros revenant à Mme C... et mentionnée dans la déclaration de succession du 8 août 2023. D'autre part, ainsi que le fait valoir l'administration, l'acte de dévolution successorale établi le même jour a mentionné que la mère de Mme C... avait opté, en tant que conjoint survivant à son époux décédé, pour l'exécution de la disposition à cause de mort lui accordant un quart des biens mobiliers et immobiliers composant la succession en toute propriété et trois quarts en usufruit, de telle sorte que, en tout état de cause, il n'était pas possible à Mme C... de disposer des fonds en litige avant le décès de sa mère, usufruitière.

16. En quatrième lieu, M. et Mme C... soutiennent que le montant des sommes détournées doit être limité à la somme de 50 000 euros, ainsi qu'en a attesté la mère de Mme C... le 12 janvier 2018. Toutefois, cette seule attestation, d'ailleurs particulièrement sommaire, n'est pas suffisante pour démontrer le caractère excessif des rehaussements des bénéfices non commerciaux perçus alors que l'administration a fait état, dans ses propositions de rectification, du détail des opérations bancaires sur les comptes de la mère de Mme C... constitutives d'un détournement.

17. En cinquième lieu, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme C..., les remboursements qui ont été opérés postérieurement aux années d'imposition en litige, sont, en tout état de cause, sans incidence sur le caractère imposable des bénéfices non commerciaux perçus en 2013 et en 2014.

18. En dernier lieu, si M. et Mme C... soutiennent que le montant, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à leur charge est excessif, ils ne se prévalent à ce titre d'aucune règle ou d'aucun principe de nature à faire obstacle à l'application de la loi fiscale.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2013 et 2014.

15. Par voie de conséquence et en tout état de cause, les conclusions de M. et Mme C... tendant à la restitution, assortie d'intérêts moratoires, des sommes acquittées par eux en paiement des impositions en litige doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administratrice générale des finances publiques chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience publique du 16 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Bertrand Baillard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 novembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : B. BaillardLe président de chambre,

Signé : M. B...

La greffière,

Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation

La greffière,

Elisabeth Héléniak

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N°22DA01819

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01819
Date de la décision : 30/11/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Bertrand Baillard
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SCP BEJIN CAMUS BELOT

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-30;22da01819 ?
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