Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 26 avril 2023 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé son transfert aux autorités autrichiennes.
Par un jugement n° 2305231 du 2 juin 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a annulé l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 26 avril 2023, a enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de réexaminer la situation de M. A... dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me Semak, conseil de M. A..., au titre des frais d'instance.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 30 juin 2023 sous le n° 23PA02897, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2305231 du 2 juin 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Montreuil.
Il soutient que :
- les brochures visées à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été remises à M. A... lors de l'entretien individuel qui s'est tenu le 6 février 2023 et non postérieurement ;
- les autres moyens soulevés par M. A... en première instance ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à M. A... qui n'a pas produit de mémoire en défense.
II. Par une requête enregistrée le 4 juillet 2023 sous le n° 23PA02934, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande à la cour d'ordonner, sur le fondement des dispositions des articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement n° 2305231 du 2 juin 2023 du magistrat désigné du tribunal administratif de Montreuil.
Il soutient que les conditions fixées par les articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative sont remplies.
La requête a été communiquée à M. A... qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Menasseyre a été entendu au cours de l'audience publique :
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant turc né le 2 septembre 1987, est entré irrégulièrement en France et a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. La confrontation de ses empreintes avec la base de données Eurodac ayant révélé qu'il avait présenté une demande d'asile en Autriche le 1er janvier 2023, le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé le transfert de M. A... aux autorités autrichiennes, responsables, selon lui, de l'examen de sa demande d'asile, par un arrêté du 26 avril 2023. Par un jugement du 2 juin 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de réexaminer la situation de M. A... dans le délai d'un mois à compter de la notification de son jugement. Le préfet de la Seine-Saint-Denis relève appel de ce jugement.
2. Les requêtes n° 23PA02897 et n° 23PA02934 présentées par le préfet de la Seine-Saint-Denis tendent respectivement à l'annulation et au sursis à exécution du même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.
3. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement (...) / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) c) de l'entretien individuel en vertu de 1'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de 1'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".
4. Pour annuler l'arrêté du 26 avril 2023 du préfet de la Seine-Saint-Denis, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montreuil a retenu qu'il ressortait des écritures mêmes du préfet que la brochure mentionnée par l'article 4 du règlement (UE) du 26 juin 2013 avait été remise à M. A... postérieurement à l'entretien individuel dont il a bénéficié au titre de l'article 5 de ce règlement, de sorte que l'intéressé avait été privé de la garantie tenant à la possibilité de pouvoir comprendre les informations qui lui ont été communiquées, en méconnaissance des dispositions précitées.
5. La délivrance de documents d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile doit, eu égard à l'objet et au contenu de ces documents, intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes et, notamment, de mesurer les enjeux attachés au fait de porter à la connaissance de ces autorités des informations relatives à la présence de membres de la famille dans un Etat membre ou aux raisons humanitaires susceptibles de justifier l'examen de la demande dans un Etat membre déterminé. Les intéressés doivent ainsi avoir été mis à même de présenter, de manière utile et effective, les éléments permettant de déterminer l'Etat qui devra se prononcer sur leur demande de protection internationale et les motifs qui légitimeraient que l'autorité déroge à l'application des critères de détermination de cet Etat. Un vice affectant la délivrance de ces documents est de nature à entacher d'illégalité la décision de transfert prise postérieurement si, du fait de l'absence de communication des informations contenues dans ces brochures, un élément n'a pas pu être avancé alors qu'il était susceptible de faire obstacle au transfert vers l'État membre requis.
6. Par ailleurs, tout État membre peut déroger aux critères de responsabilité, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion, afin notamment de permettre le rapprochement de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent et examiner une demande de protection internationale introduite sur son territoire ou sur le territoire d'un autre État membre, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères obligatoires fixés dans le règlement (UE) n° 604/2013.
7. Au cas d'espèce, le préfet de la Seine-Saint-Denis a indiqué devant le tribunal que M. A... avait sollicité l'asile le 6 février 2023 et que, " A l'issue de l'entretien individuel, réalisé dans une langue qu'il comprend (tuque et kurde), il a reconnu avoir transité par l'Autriche et s'est vu remettre une information dans une langue qu'il comprend ainsi qu'une attestation de demandeur d'asile procédure " Dublin " ". Devant la cour, le préfet de la Seine-Saint-Denis indique : " L'intéressé a manifesté le souhait de demander l'asile et a été reçu à cet effet le 6 février 2023, date à laquelle il a bénéficié d'un entretien individuel. Compte tenu des informations recueillies, M. B... A... s'est vu remettre les brochures d'information relatives à la procédure engagée, dont l'opportunité était confirmée par les résultats d'identification du fichier Eurodac ". Alors que l'heure de remise de ces brochures n'apparaît pas dans les pièces produites, il ressort des termes mêmes utilisés par le préfet que les brochures en cause ayant été remises à l'intéressé à l'issue de l'entretien, M. A... n'a pas reçu les informations en cause avant le terme de l'entretien qui s'est tenu le 6 février 2023. Dans ces conditions, et alors qu'il ressort des pièces du dossier que des parents de M. A... ont obtenu la qualité de réfugiés en France, M. A... ne peut être regardé comme ayant été mis à même de mesurer les enjeux attachés à la présentation d'informations relatives à la présence de membres de la famille, de proches ou d'autres parents sur le territoire français au moment de l'enregistrement de sa demande d'asile. Dès lors, le préfet de la Seine-Saint-Denis n'est pas fondé à soutenir que la remise de ces brochures d'information à l'issue de l'entretien assure le droit à l'information en début de procédure tel que prévu par les dispositions précitées. Il n'est, par suite, pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Montreuil a annulé, l'arrêté du 26 avril 2023 décidant du transfert de M. A... aux autorités autrichiennes.
8. Enfin, la cour se prononçant, par le présent arrêt, sur la requête du préfet de la Seine-Saint-Denis tendant à l'annulation du jugement du 2 juin 2023 du tribunal administratif de Montreuil, il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 23PA02934 par laquelle il sollicite le sursis à exécution de ce jugement.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 23PA02934 du préfet de la Seine-Saint-Denis.
Article 2 : La requête n° 23PA02897 est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 20 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Menasseyre, présidente-rapporteure,
- M. Ho Si Fat, président assesseur,
- Mme Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2023.
La présidente-rapporteure,
A. MENASSEYRE L'assesseur le plus ancien,
F. HO SI FAT
La greffière,
N. COUTY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA02897, 23PA02934 2