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29/11/2023 | FRANCE | N°23PA02888

France | France, Cour administrative d'appel, 7ème chambre, 29 novembre 2023, 23PA02888


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme F... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 21 avril 2023 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile.



Par un jugement n° 2310177/8 du 1er juin 2023, le Tribunal administratif de Paris, après avoir admis Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a, d'une part, annulé l'arrêté attaqué, d'autre part, enjoint au préfet ter

ritorialement compétent d'enregistrer la demande d'asile de Mme B... en procédure normale et de lui dé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 21 avril 2023 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2310177/8 du 1er juin 2023, le Tribunal administratif de Paris, après avoir admis Mme B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a, d'une part, annulé l'arrêté attaqué, d'autre part, enjoint au préfet territorialement compétent d'enregistrer la demande d'asile de Mme B... en procédure normale et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 30 juin 2023, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2310177/8 du 1er juin 2023 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- l'état de santé de Mme B... n'est pas incompatible avec un transfert en Italie et la décision n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation dans la mise en œuvre de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- l'arrêté attaqué a été signé par une autorité compétente ;

- il est suffisamment motivé ;

- la procédure de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 a été respectée ;

- l'intéressée a bénéficié d'un entretien conformément aux dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- l'arrêté ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête du préfet de police a été communiquée à Mme B..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Hamon a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... B..., ressortissante guinéenne née le 31 décembre 1996, est entrée irrégulièrement en France et y a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du fichier Eurodac ayant révélé que l'intéressée avait franchi irrégulièrement les frontières italiennes le 29 décembre 2022, le préfet de police a adressé aux autorités italiennes une demande de reprise en charge de Mme B... en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, que les autorités italiennes ont acceptée. Le préfet de police a en conséquence décidé du transfert de Mme B... aux autorités italiennes par un arrêté du 21 avril 2023, lequel a été annulé par un jugement du 1er juin 2023 du Tribunal administratif de Paris. Le préfet de police fait appel de ce jugement.

Sur le moyen d'annulation retenu par le Tribunal :

2. Aux termes de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe par en vertu des critères fixés par le présent règlement ".

3. Dans son arrêt C-578/16 PPU du 16 février 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a interprété ces dispositions dans le sens que, lorsque le transfert d'un demandeur d'asile présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave est susceptible d'entraîner un risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, un tel transfert constitue un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. La Cour en a déduit que les autorités de l'État membre concerné doivent vérifier auprès de celles de l'État membre responsable que les soins indispensables et appropriés à l'état de santé du demandeur d'asile seront disponibles à l'arrivée et que le transfert n'entraînera pas, par lui-même, un risque réel d'une aggravation significative et irrémédiable de cet état. Elle a en outre précisé que, au cas où ces autorités s'apercevraient que l'état de santé du demandeur d'asile ne devait pas s'améliorer à court terme ou que la suspension pendant une longue durée de la procédure risquait d'aggraver son état, l'État membre requérant pourrait choisir d'examiner lui-même la demande du demandeur en faisant usage de la " clause discrétionnaire " prévue par les dispositions qui précèdent. Toutefois, la faculté pour les autorités françaises d'examiner une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un État tiers, alors même que cet examen ne leur incombe pas, relève du pouvoir discrétionnaire du préfet et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

4. Pour annuler l'arrêté contesté, le Tribunal a considéré que le préfet de police avait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de faire application de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 précité du règlement dit " C... A... ", au motif que l'état de santé de Mme B... étant incompatible avec un transfert vers l'Italie, lequel serait susceptible d'entraîner a minima à court terme, un arrêt de tout traitement en l'absence au dossier de tout élément permettant de s'assurer qu'un suivi équivalent pourrait être mis en place en Italie.

5. Toutefois, s'il est constant que l'état de santé de Mme B..., qui a levé le secret médical, nécessite un suivi médical des séquelles d'une grave affection dermatologique et d'une pathologie affectant l'œil gauche, il ne ressort pas des seuls documents médicaux et notes sociales produites que ce suivi médical, entamé depuis son arrivée en France en janvier 2023 et pour lequel elle a bénéficié d'un traitement antibiotique ophtalmique, une intervention chirurgicale sur l'œil gauche étant seulement évoquée sans notion d'urgence, ne pourrait pas être poursuivi en Italie, ni qu'il existerait un risque réel d'une aggravation significative et irrémédiable de cet état de santé en cas de transfert dans ce pays. Dans ces conditions, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 21 avril 2023.

6. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... en première instance.

Sur les autres moyens soulevés par Mme B... :

7. En premier lieu, par un arrêté n° 2022-01543 du 30 décembre 2022 régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial n° 75-2022-922 du 30 décembre 2022, le préfet de police a donné à Mme E... D..., attachée d'administration de l'État et auteur de l'arrêté en cause, délégation à l'effet de signer les décisions dans la limite de ses attributions, dont relève la police des étrangers, en cas d'absence ou d'empêchement d'autorités dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles n'ont pas été absentes ou empêchées lors de la signature de la décision litigieuse. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige aurait été signé par une autorité incompétente doit être écarté comme manquant en fait.

8. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué mentionne les considérations de fait et de droit qui en sont le fondement et, par suite, est suffisamment motivé.

9. En troisième lieu, en vertu du paragraphe 3 de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 et des paragraphes 2 et 3 de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'intégralité des informations qui, en application des paragraphes 1 de chacun de ces articles, doivent être fournies aux personnes concernées dans une langue qu'elles comprennent ou dont on peut raisonnablement penser qu'elles la comprennent, figure dans des brochures communes rédigées par la Commission.

10. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... s'est vu remettre le 19 janvier 2023 les documents d'information dits brochures A et B, intitulés respectivement " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande " et " Je suis sous procédure C... - qu'est-ce que cela signifie ' ", qui constituent les brochures communes prévues par les dispositions de l'article 4 du règlement précité, en langue française, langue qu'elle a déclaré comprendre. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.

11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / [...] 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national [...] ".

12. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a bénéficié, le 19 janvier 2023, dans les locaux de la préfecture de police, d'un entretien individuel assuré par un agent de la préfecture de police dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il n'aurait pas été qualifié pour conduire l'entretien. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

13. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

14. Eu égard à la faible durée de sa présence en France et à la circonstance qu'elle n'y a aucune famille, et alors qu'ainsi qu'il a été dit, l'intéressée n'établit pas qu'elle ne pourrait pas bénéficier en Italie d'une prise en charge adaptée à son état de santé, l'arrêté contesté n'a pas porté au droit de Mme B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a été pris. Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que cet arrêté méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, elle n'est pas plus fondée à soutenir qu'il serait entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa vie privée et familiale.

15. Enfin aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre A... désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre A... afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. (...) ". En se bornant à citer un article de media en ligne du mois de mars 2023 qui fait état d'une hausse importante des arrivées de migrants en Italie, la requérante n'établit pas qu'il y aurait de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 21 avril 2023 et lui a enjoint de réexaminer la situation de Mme B.... Les conclusions de la demande présentée par cette dernière devant le Tribunal administratif de Paris, auxquelles cette juridiction a fait droit, doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2310177/8 du 1er juin 2023 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par Mme B... devant le Tribunal administratif de Paris auxquelles cette juridiction a fait droit par les articles 2, 3 et 4 de son jugement, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme F... B....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 14 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Auvray, président de chambre,

- Mme Hamon, présidente-assesseure,

- Mme Zeudmi Sahraoui, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2023.

La rapporteure,

P. HAMONLe président,

B. AUVRAY

La greffière,

L. CHANALa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23PA02888


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23PA02888
Date de la décision : 29/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. AUVRAY
Rapporteur ?: Mme Perrine HAMON
Rapporteur public ?: Mme JURIN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-29;23pa02888 ?
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