Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner la région Auvergne-Rhône-Alpes à lui verser la somme totale de 325 793,55 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.
Par un jugement n° 2005084 du 11 mars 2022, le tribunal administratif de Lyon a condamné la région Auvergne-Rhône-Alpes à lui verser une indemnité de 11 000 euros et a mis à sa charge une somme de 1 400 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 11 mai 2022 et un mémoire enregistré le 17 janvier 2023, Mme B..., représentée par Me Cayuela, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 11 mars 2022, en ce qu'il limite la condamnation de la région Auvergne-Rhône-Alpes à la somme de 11 000 euros ;
2°) de porter le montant de l'indemnité due à la somme de 325 793,55 euros ;
3°) de mettre à la charge de région Auvergne-Rhône-Alpes une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le déficit fonctionnel temporaire total dont elle a souffert pendant 115 jours doit être indemnisé à hauteur de 3 105 euros, et le déficit fonctionnel temporaire partiel dont elle a souffert pendant 545 jours, doit être indemnisé à hauteur de 3 678,75 euros ;
- les souffrances endurées du fait de ses pathologies, évaluées au niveau de 3 sur une échelle de 1 à 7, doivent être indemnisées à hauteur de 8 000 euros ;
- au regard de son âge et de son niveau de déficit fonctionnel permanent, évalué à 10 %, celui-ci doit être indemnisé à hauteur de 18 500 euros ;
- son préjudice d'agrément est établi, et doit être indemnisé à hauteur de 10 000 euros ;
- son préjudice moral lié au retard dans la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa pathologie asthmatique doit être indemnisé à hauteur de 50 000 euros ;
- son préjudice financier, composé de frais juridiques et d'assistance restés à sa charge, d'un montant élevé l'ayant forcé à emprunter auprès de sa famille, de frais postaux et des conséquences financières de l'interruption de sa rémunération, ainsi que d'un surcoût d'imposition, doit être indemnisé à concurrence de 45 440,80 euros ;
- la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui n'a pas respecté la nécessité d'aménager son poste, a commis une faute ayant aggravé sa pathologie ; le préjudice en découlant doit être évalué à 50 000 euros ;
- l'administration a elle-même reconnu l'imputabilité au service de sa dépression réactionnelle avec tachycardie ; sa responsabilité est dès lors engagée à cet égard ; son préjudice consiste en la perte du droit à un congé de maladie, qui doit être évaluée à 84 000 euros, en la perte du remboursement de consultations psychiatriques, pour un montant de 3 069 euros, et en une majoration de son invalidité, qui doit être indemnisée à hauteur de 50 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 août 2022, la région Auvergne-Rhône-Alpes, représentée par la SELARL Centaure Avocats, agissant par Me Magnaval, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de Mme B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- Mme B..., qui n'a pas contesté la décision portant refus de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie anxio-dépressive avec tachycardie, n'est plus recevable à le faire ;
- aucun des moyens soulevés par Mme B... n'est fondé.
Par ordonnance du 20 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Joël Arnould, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;
- et les observations de Me Potterie, avocat, pour la région Auvergne-Rhône-Alpes ;
Considérant ce qui suit :
1. Adjointe technique territoriale de deuxième classe des établissements d'enseignement employée par la région Auvergne Rhône-Alpes en qualité d'agent d'entretien et d'hygiène, affectée depuis 2011 au Lycée Edouard Branly de Lyon, Mme B... a sollicité la reconnaissance de l'imputabilité au service d'un asthme diagnostiqué comme étant d'origine professionnelle en août 2014, et d'un syndrome anxio-dépressif réactionnel avec tachycardie. Elle a été admise à la retraite pour invalidité à compter du 1er novembre 2020. Le 23 mars 2020, elle a sollicité de la région Auvergne-Rhône-Alpes une indemnité totale de 325 793,55 euros en réparation des divers préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'imputabilité au service des troubles respiratoires, cardiaques et psychiques dont elle souffre et des conditions dans lesquelles cette imputabilité n'a pas été ou n'a été que tardivement reconnue. La région ayant conservé le silence, elle a saisi le tribunal administratif de Lyon. Mme B... relève appel du jugement du 11 mars 2022 par lequel le tribunal n'a fait que partiellement droit à sa demande, en ce qu'il a limité à 11 000 euros l'indemnité mise à la charge de son ancien employeur.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardés comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre cette personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne.
En ce qui concerne la responsabilité sans faute du fait des pathologies imputables au service :
3. Mme B..., qui demande la condamnation de la région Auvergne-Rhône-Alpes à l'indemniser du préjudice lié à la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa pathologie en se prévalant des conclusions du rapport du 21 décembre 2017 établi dans le cadre de l'expertise médicale prescrite par le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, doit être regardée comme recherchant la responsabilité sans faute de la région tant au titre de son asthme que de son état anxio-dépressif avec tachychardie.
S'agissant du principe de la responsabilité :
4. Il n'est pas contesté que par un arrêté du 30 septembre 2014, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a reconnu l'imputabilité au service de l'asthme dont Mme B... est atteinte. En outre, en exécution des jugements rendus les 19 septembre et 5 décembre 2018 par le tribunal administratif de Lyon, et devenus définitifs, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, par des arrêtés du 30 novembre 2018 et du 13 juin 2019, a maintenu la requérante en congé pour maladie imputable au service à compter du 14 février 2015 et jusqu'à la reprise de son activité professionnelle. Par ailleurs, la circonstance que Mme B... n'a pas contesté la décision du 9 janvier 2018 par laquelle le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes avait refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie anxio-dépressive avec tachycardie, laquelle décision est ainsi devenue définitive, ne fait pas obstacle à ce que la requérante recherche la responsabilité de son ancien employeur au titre de l'imputabilité de cette maladie au service, laquelle a été reconnue par un arrêté du président du conseil régional du 6 octobre 2020, ayant admis Mme B... à la retraite pour invalidité imputable au service au vu notamment de ces troubles anxio-dépressifs avec tachychardie. Par une décision du 18 janvier 2021, le directeur de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales a d'ailleurs attribué à l'intéressée une rente d'invalidité au taux de 10 %, au titre tant de la pathologie respiratoire que de la pathologie anxio-dépressive avec tachycardie. Mme B... est par suite fondée à soutenir que la responsabilité de la région est engagée au titre des deux pathologies.
S'agissant des préjudices temporaires :
5. En premier lieu, il ressort du rapport d'expertise judiciaire du 21 décembre 2017, désigné dans le cadre de l'expertise prescrite par le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, que durant la période du 6 janvier 2015 au 6 octobre 2016, Mme B... a été en arrêt de travail environ trois mois, pour la pathologie respiratoire ou les troubles anxieux, et souffrait durant cette période d'un déficit fonctionnel temporaire total. En outre, durant les intervalles entre ces arrêts de travail, elle a souffert d'un déficit fonctionnel temporaire partiel de 25 %. Dans ces circonstances, il y a lieu de lui allouer en réparation de ce préjudice la somme de 3 000 euros.
6. En deuxième lieu, l'expert judiciaire a évalué les souffrances endurées par Mme B... durant la même période à 3 sur une échelle de 1 à 7. Il sera fait une juste indemnisation de ce préjudice en allouant à la requérante la somme de 3 500 euros.
S'agissant des préjudices permanents :
7. En premier lieu, il ressort du rapport d'expertise judiciaire, ainsi que de l'avis rendu par la commission de réforme le 5 novembre 2019, que le déficit fonctionnel permanent dont Mme B... souffre du fait de son asthme est de 5 %, et que celui dont elle souffre du fait de ses troubles anxieux réactionnels avec tachycardie est également de 5 %. Compte tenu de l'âge de l'intéressée, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en lui allouant la somme de 13 000 euros.
8. En deuxième lieu, en revanche, la requérante n'invoquant la privation d'aucune activité spécifique du fait de ses pathologies imputables au service, elle ne peut prétendre à aucune indemnité au titre d'un préjudice d'agrément.
En ce qui concerne la responsabilité de la région pour la faute tenant au refus de reconnaître l'imputabilité au service de l'asthme postérieurement à février 2015 :
9. L'illégalité des décisions portant refus de reconnaissance de l'imputabilité au service de la pathologie respiratoire au-delà de février 2015 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
S'agissant des préjudices financiers :
10. En premier lieu, si Mme B... soutient avoir exposé 313,82 euros de frais d'envois postaux pour faire valoir ses droits au titre de l'imputabilité au service de sa pathologie respiratoire, elle se borne à renvoyer aux bordereaux d'envoi de ses lettres recommandées, que pour la plupart, elle ne produit pas, et lesquels, contrairement à ce qu'elle fait valoir, ne mentionnent pas de manière lisible le tarif appliqué. Ces frais ne sont dès lors pas justifiés.
11. En deuxième lieu, les frais de justice exposés devant le juge administratif en conséquence directe d'une faute de l'administration sont susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de la faute imputable à celle-ci. Toutefois, lorsque l'intéressé avait qualité de partie à l'instance, la part de son préjudice correspondant à des frais non compris dans les dépens est réputée intégralement réparée par la décision que prend le juge dans l'instance en cause, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Mme B... ne peut dès lors prétendre à une indemnité couvrant la part des frais qui sont restés à sa charge dans les instances antérieures. Par ailleurs, Mme B... ne justifie pas des frais qu'elle dit avoir exposés dans le cadre des expertises médicales, auxquelles elle aurait été accompagnée par son avocate.
12. En troisième lieu, Mme B... n'établit pas le lien entre la faute de l'administration et les dettes qu'elle a contractées.
13. En quatrième et dernier lieu, la requérante n'établit pas que les modalités de déclaration par la région des sommes qu'elle lui a versées en exécution des jugements rendus les 19 septembre et 5 décembre 2018, ont eu pour conséquence de générer pour elle un impôt sur le revenu dont elle n'aurait pas dû avoir la charge.
S'agissant du préjudice moral :
14. Compte tenu de la période pendant laquelle Mme B... n'a pas vu ses droits reconnus et du versement tardif, aux mois de juin et juillet 2019, du rappel de la rémunération à laquelle elle avait droit, et de la somme allouée par ailleurs au titre des souffrances endurées, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral causé à la requérante par le refus de reconnaître l'imputabilité au service de l'asthme dont elle souffre en lui allouant la somme de 1 000 euros.
En ce qui concerne la responsabilité de la région pour la faute tenant au refus d'un reclassement approprié :
15. Mme B... soutient que la région Auvergne-Rhône-Alpes a fautivement refusé de procéder à son reclassement approprié, en maintenant son affectation à des tâches l'exposant à la poussière, qui est une substance irritante, et que cette faute a eu pour conséquence l'aggravation de son asthme et l'apparition de la dépression réactionnelle avec tachycardie. Toutefois, à supposer la faute de la région avérée, en tout état de cause, la requérante n'invoque aucun préjudice distinct des préjudices personnels déjà indemnisés au titre de l'asthme et des troubles anxieux avec tachycardie. La requérante n'est donc fondée à réclamer aucune indemnité sur ce fondement.
En ce qui concerne la responsabilité de la région pour la faute tenant au refus de reconnaître l'imputabilité au service des troubles anxieux avec tachycardie :
16. Mme B... soutient enfin que le refus fautif de la région Auvergne-Rhône-Alpes de reconnaître l'imputabilité au service de ses troubles anxieux avec tachycardie lui a causé des préjudices.
17. Toutefois, en premier lieu, si la requérante invoque l'aggravation de sa pathologie qui aurait résulté du refus d'en reconnaître l'imputabilité, d'une part, elle ne démontre pas cette aggravation, et d'autre part, une fois encore, elle n'invoque aucun préjudice personnel qui ne serait pas déjà indemnisé, notamment au titre de son déficit fonctionnel permanent apprécié à la date de sa radiation des cadres.
18. En deuxième lieu, le refus de reconnaître l'imputabilité de la pathologie de la requérante est sans lien avec le fait qu'elle n'a pas bénéficié d'un congé de longue maladie, ce congé n'étant pas subordonné à l'existence d'un tel lien d'imputabilité. La requérante, qui a d'ailleurs été placée rétroactivement en congé pour maladie imputable au service jusqu'à sa mise à la retraite pour invalidité, n'a donc subi à cet égard aucun préjudice.
19. En troisième et dernier lieu, si la requérante invoque les frais médicaux qu'elle a exposés pour plus de quatre-vingt-dix consultations d'un psychiatre, elle ne justifie pas, par les pièces qu'elle produit, que ces consultations seraient en lien avec sa pathologie imputable au service.
20. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à soutenir que l'indemnité mise à la charge de la région Auvergne-Rhône-Alpes doit être portée à la somme totale de 20 500 euros.
Sur les frais liés au litige :
21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la région Auvergne-Rhône-Alpes réclame au titre des frais exposés. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la région Auvergne-Rhône-Alpes une somme de 1 500 euros, en application de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 11 000 euros que la région Auvergne-Rhône-Alpes a été condamnée à verser à Mme B... par le jugement du tribunal administratif de Lyon du 11 mars 2022 est portée à 20 500 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 11 mars 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La région Auvergne-Rhône-Alpes versera à Mme B... une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme B... est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par la région Auvergne-Rhône-Alpes sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
M. Joël Arnould, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2023.
Le rapporteur,
Joël ArnouldLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne à la préfète du Rhône, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 22LY01426