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28/11/2023 | FRANCE | N°22PA05247

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 28 novembre 2023, 22PA05247


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 7 juin 2019 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la fondation de Rothschild à prononcer son licenciement pour inaptitude, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Par un jugement n°1907226 du 21 octobre 2022 le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête enregistrée le 8 décembre 2022, Mme A...,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 7 juin 2019 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la fondation de Rothschild à prononcer son licenciement pour inaptitude, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1907226 du 21 octobre 2022 le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 8 décembre 2022, Mme A..., représentée par Me Dadi, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1907226 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 7 juin 2019 de l'inspecteur du travail autorisant son licenciement ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision attaquée a été prise au terme d'une procédure méconnaissant l'article

R. 2421-4 du code du travail et le principe du contradictoire dès lors qu'elle n'a pas reçu communication des éléments sur lesquels se fondait la demande de son employeur et n'a donc pu assurer utilement sa défense ;

- le tribunal a inversé la charge de la preuve en faisant peser sur elle la charge de la preuve de ce qu'elle n'avait pas reçu ces pièces ;

- la décision attaquée méconnait les dispositions de l'article L1226-2 du code du travail dès lors que son employeur n'a pas respecté son obligation de reclassement, et que l'inspecteur du travail n'a pas vérifié que les tentatives de reclassement avaient bien porté sur l'ensemble du groupe.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mars 2023, la Fondation Rothschild représentée par Me Bredon, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable dès lors qu'elle se borne à reprendre les moyens de première instance ;

- les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 20 octobre 2023 ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de cette requête et renvoie à ses écritures de première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Labetoulle,

- les conclusions de Mme Degardin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Caulet, représentant la fondation de Rothschild.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., employée par la fondation de Rothschild depuis le 14 juin 2010, et titulaire d'un contrat à durée indéterminée, occupait le poste d'éducatrice spécialisée au centre d'observation et de rééducation de Chevilly-Larue. Elle a été victime d'un accident du travail survenu le 27 mai 2011. Son état a été considéré comme consolidé le 5 mai 2014, avec un taux d'IPP de 5% du fait d'une " angoisse persistante épisodique ". Le médecin du travail, par des avis des 27 janvier,

23 février 2015 et 2 juin 2016, l'a ensuite déclarée définitivement inapte au poste d'éducatrice spécialisée et a indiqué qu'elle serait apte à travailler à un poste " sans surexposition à une charge émotionnelle, avec formation préalable si besoin ". Des échanges entre la fondation Rothschild et la médecine du travail pour rechercher un possible reclassement pour Madame A... ont conduit à proposer à celle-ci deux postes alternatifs d'agent polyvalent. A défaut d'acceptation de sa part, son licenciement pour inaptitude a été envisagé et, du fait de sa désignation en juillet 2017 par le secrétaire général de l'union locale CGT de Rungis comme représentante de la section syndicale, son employeur a, par une lettre du 18 avril 2019, demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de prononcer un tel licenciement. L'inspecteur du travail a accordé cette autorisation par une décision du 7 juin 2019 dont Mme A... a demandé l'annulation au tribunal administratif de Melun qui a rejeté sa demande par un jugement n°1907226 du 21 octobre 2022 dont elle relève appel.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article R. 2421-4 du code du travail : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat ". Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément à ces dispositions implique que le salarié protégé puisse être mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, notamment des témoignages et attestations ; toutefois, lorsque l'accès à ces témoignages et attestations serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs, l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.

3. Il ressort des pièces du dossier que l'inspecteur du travail a convoqué Mme A... pour l'enquête contradictoire, devant se tenir le 9 mai 2019, par un courrier du 30 avril précédent, mentionnant la production en annexe de la copie de la lettre de demande d'autorisation de licenciement adressée par l'employeur et des pièces jointes. Par ailleurs Mme A... a, lors de son entretien avec l'inspecteur du travail qui s'est tenu du 29 mai 2019, établi une attestation, signée, par laquelle elle indiquait avoir été destinataire " dans le cadre de l'enquête contradictoire menée par l'inspecteur du travail, d'une copie de la demande d'autorisation de licenciement présentée par (son) employeur et (la) concernant, et de ses annexes ". Enfin, l'obligation de mettre le salarié à même de prendre connaissance des pièces produites par l'employeur ayant pour objet d'assurer le caractère contradictoire de l'enquête et non de s'assurer de la communication d'une liste préétablie de documents, la circonstance que la liste des annexes à la demande d'autorisation de licenciement ne figure pas sur la convocation envoyée par l'inspecteur du travail à la requérante est sans incidence sur le respect de la procédure dès lors qu'aucun élément ne permet de penser qu'elle n'aurait pas été mise à même de prendre connaissance de la totalité des pièces soumises à l'inspecteur du travail. Dès lors c'est à juste titre et sans inverser la charge de la preuve que le tribunal, se fondant sur cette absence de tout élément de nature à donner à penser que certaines pièces n'auraient pas été communiquées à la requérante, a rejeté le moyen tiré de l'irrégularité de l'enquête et de la méconnaissance du principe du contradictoire.

4. En second lieu, aux termes de l'article L. 1226-10 du code du travail : " Lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. / Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail (...) ". Aux termes de l'article L. 1226-12 du même code : " Lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement. / L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi. / L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail. ".

5. Dans le cas où la demande de licenciement d'un salarié protégé est motivée par l'inaptitude physique de celui-ci, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que l'employeur a respecté son obligation de reclassement dans les conditions prévues par les dispositions précitées des articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du code du travail. La présomption instituée par le troisième alinéa de ce texte ne joue que si l'employeur a proposé au salarié, loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

6. Il ressort des pièces du dossier que la fondation Rothschild a effectué une recherche de reclassement de Mme A... dans les différentes entités la composant, en envoyant notamment un courrier, en date du 29 novembre 2018, aux directeurs des établissements faisant partie de cette fondation, afin de rechercher un poste correspondant aux préconisations du médecin du travail, et en soulignant que cette recherche devait mentionner tous les postes, en CDI ou en CDD, à pourvoir dans lesdits établissements. A la suite de ce courrier une liste de dix-sept postes vacants a été établie et transmise à la médecine du travail, qui, dans ses échanges avec l'employeur, a indiqué que " la plupart des postes requérant un diplôme (IDE, psychologue, kinésithérapeute...) ne pourraient être assurés par cette salariée éducatrice de formation. Seuls les postes n'exigeant pas de formation spécialisée pourraient être proposés, sauf si une formation préalable peut être dispensée ". Tirant les conséquences de cet avis, l'employeur a adressé à la requérante deux propositions de reclassement pour des postes d'agents de service polyvalents, après que ces propositions ont fait l'objet d'un avis favorable des délégués du personnel à l'issue de leur réunion extraordinaire du

31 janvier 2019, qu'elle a refusées. Si Mme A... fait valoir qu'il appartenait à son employeur, pour se conformer aux recommandations de la médecine du travail, de lui assurer une formation lui permettant d'occuper un des autres postes déclarés vacants lors de la recherche de reclassement effectuée, il ressort des pièces du dossier qu'il s'agissait de postes, tels ceux de psychologues ou d'orthophonistes, qui correspondaient à des métiers entièrement distincts de celui d'éducatrice spécialisée qu'elle exerçait, sans que l'obligation de formation à la charge de l'employeur puisse y remédier. En outre, il ressort également des pièces du dossier que la Fondation Rothschild qui, dès l'année 2013 avait saisi l'OETH (Objectif Emploi des Travailleurs Handicapés) afin de réaliser avec Mme A... un bilan de reconversion professionnelle, a de nouveau contacté cette association à son sujet en 2018, et s'est vu répondre par courriel du 4 décembre 2018 qu'" aucune action complémentaire ne pourra être diligentée par l'OETH concernant cette situation ". Dès lors, et alors même que la fondation Rothschild ne produit pas l'organigramme des entités la composant, la requérante n'est pas fondée à soutenir que son employeur n'aurait pas effectué les diligences qui lui incombaient pour tenter d'assurer son reclassement, ni que l'inspecteur du travail ne se serait pas livré à une exacte interprétation des articles L1226-10 et L1226-12 du code du travail.

7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, sa requête ne peut qu'être rejetée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur sa recevabilité.

Sur les frais liés à l'instance :

8. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais liés à l'instance. Dès lors, les conclusions présentées à ce titre par Mme A... doivent être rejetées.

9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de Mme A... la somme que demande la Fondation Rothschild au titre des frais liés à l'instance.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la Fondation Rothschild, tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A..., au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à la Fondation Rothschild

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Marianne Julliard, présidente de la formation de jugement,

- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2023

La rapporteure,

M-I LABETOULLELa présidente,

M. B...

La greffière,

N. DAHMANILa République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA05247


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA05247
Date de la décision : 28/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JULLIARD
Rapporteur ?: Mme Marie-Isabelle LABETOULLE
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : BREDON AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-28;22pa05247 ?
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