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28/11/2023 | FRANCE | N°22PA04187

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 28 novembre 2023, 22PA04187


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a, par deux requêtes, demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision par laquelle la ministre du travail de l'emploi et de l'insertion a implicitement rejeté son recours hiérarchique dirigé contre la décision de l'inspecteur du travail de la 7ème section de l'unité de contrôle 10-18 de Paris du 8 février 2021 ayant accordé l'autorisation demandée le 22 décembre 2020 par la société Hôtel Mercure Paris de le licencier pour inaptitude, ainsi

que la décision du 12 octobre 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a, par deux requêtes, demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision par laquelle la ministre du travail de l'emploi et de l'insertion a implicitement rejeté son recours hiérarchique dirigé contre la décision de l'inspecteur du travail de la 7ème section de l'unité de contrôle 10-18 de Paris du 8 février 2021 ayant accordé l'autorisation demandée le 22 décembre 2020 par la société Hôtel Mercure Paris de le licencier pour inaptitude, ainsi que la décision du 12 octobre 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a rejeté le recours hiérarchique formé contre la décision précitée de l'inspecteur du travail, sauf en ce qu'elle a annulé la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique contre ladite décision de l'inspecteur.

Par un jugement n° 2121238-2126488 du 13 juillet 2022, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 13 septembre 2022 et des mémoires en réplique enregistrés le 2 décembre 2022 et le 18 janvier 2023, M. B..., représenté par Me Vincent, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 13 juillet 2022 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 8 février 2021 de l'inspecteur du travail autorisant son licenciement et la décision du 12 octobre 2021 de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion rejetant son recours hiérarchique ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le licenciement est en lien avec son mandat et aurait dû être refusé pour ce motif ; toutes les mesures prises par la direction de l'entreprise sont contemporaines de sa demande d'organisation des élections professionnelles ; il a subi un harcèlement moral à l'origine de ses problèmes de santé dont la dégradation est en lien direct avec les obstacles mis par son employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives ; le caractère professionnel de sa maladie a été reconnu par l'assurance maladie ; le rapport d'expertise produit pas la direction de l'entreprise est entaché d'un défaut du contradictoire et d'objectivité.

Par des mémoires en défense enregistrés le 3 novembre 2022, le 16 décembre 2022 et 31 janvier 2023, la société Hôtel Mercure Paris, représentée par Me d'Aleman, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 octobre 2023, le ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Julliard,

- les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique,

- les observations de Me Vincent, représentant M. B...,

- et les observations de Me de Courson de la Villeneuve, représentant la société Hôtel Mercure Paris.

Considérant ce qui suit :

1. La société Hôtel Mercure Paris, qui exploite deux hôtels situés à Paris, a sollicité l'autorisation de licencier pour inaptitude M. B..., employé comme responsable technique et investi des mandats de délégué syndical CGT et de membre de la délégation du personnel du comité social et économique. Par une décision du 3 octobre 2019, l'inspecteur du travail a accordé cette autorisation. Saisie du recours hiérarchique formé par M. B..., la ministre du travail a, par une décision du 15 juin 2020, annulé la décision de l'inspecteur du travail et refusé l'autorisation de licencier M. B... en raison de l'irrégularité de la convocation de l'intéressé à l'entretien préalable à son licenciement. La société Hôtel Mercure Paris a demandé au Tribunal administratif de Paris l'annulation de la décision de la ministre du travail du

15 juin 2020. Par un jugement du 7 juin 2021, le tribunal a annulé la décision du 15 juin 2020 au motif que la société Hôtel Mercure Paris aurait dû informer le salarié de la faculté de recourir à un conseiller, en violation du dernier alinéa de l'article L. 1232-4 du code du travail. M. B... a été réintégré en septembre 2020. Le 22 décembre 2020, la société Hôtel Mercure Paris a à nouveau demandé l'autorisation de licencier pour inaptitude M. B.... Par une décision du 8 février 2021, l'inspecteur du travail de la 7ème section de l'unité de contrôle 10-18 de Paris a accordé cette autorisation. Par une décision implicite, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a rejeté le recours hiérarchique formé par M. B... contre la décision de l'inspecteur du travail du 8 février 2021, puis par une décision du 12 octobre 2021, expressément rejeté ce recours. M. B... a demandé au Tribunal administratif de Paris l'annulation de la décision de la ministre du 12 octobre 2021, ainsi que de la décision de l'inspecteur du travail du 8 février 2021. Par un jugement du 13 juillet 2022 dont M. B... relève appel, le tribunal a rejeté ses demandes.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude du salarié, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge, si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé, compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise.

3. En revanche, dans l'exercice de ce contrôle, il n'appartient pas à l'administration de rechercher la cause de cette inaptitude. Toutefois, il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives est à cet égard de nature à révéler l'existence d'un tel rapport.

4. M. B... soutient que son inaptitude résulte d'une dégradation de ses conditions de travail dès lors qu'à partir de sa demande d'organisation d'élections professionnelles en février 2018, il a été soumis à de fortes pressions de la part de son employeur l'obligeant à consulter le médecin du travail en mars 2018 et qu'il s'est vu notifier un courrier en vue d'une rupture conventionnelle de son contrat de travail alors même qu'il n'avait pas formulé un tel souhait. Il ressort toutefois d'un courriel du 13 mars 2018 que M. B... avait sollicité une rupture conventionnelle auprès de son employeur à la fin du mois de février et il ressort des pièces du dossier que le salarié a indiqué au médecin du travail, lors de sa visite du

14 mars 2018, avoir obtenu une rupture conventionnelle du fait d'une situation de souffrance au travail mais y avoir renoncé compte tenu de l'arrivée de nouveaux dirigeants. Il résulte de ces éléments que la situation de souffrance au travail était liée à des conflits avec son ancienne hiérarchie et préexistait à la demande d'organisation d'élections professionnelles.

5. M. B... se prévaut également du fait qu'il a été convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire le 26 mars 2019, soit le lendemain de sa déclaration de candidature aux élections professionnelles. Néanmoins, cette convocation fait suite à un incident survenu le 20 mars, antérieurement à sa déclaration de candidature, au cours duquel M. B... s'est présenté sur son lieu de travail en pleine nuit alors qu'il se trouvait en arrêt maladie, et qui n'a donné lieu qu'à un simple rappel à l'ordre le 4 avril 2019.

6. Si M. B... soutient encore qu'à la suite de sa candidature, la direction aurait exercé une pression sur les salariés afin qu'ils votent pour les candidats du syndicat CFDT, ce fait n'est pas établi par la production d'une attestation d'une salariée ayant quitté l'entreprise, peu circonstanciée et non corroborée par d'autres pièces du dossier.

7. M. B... fait également valoir qu'à la suite de son élection en tant que membre titulaire de la délégation du personnel du comité social et économique (CSE) le 24 avril 2019, il a fait l'objet d'une évaluation défavorable le 6 mars 2019 alors que ces précédentes évaluations étaient élogieuses. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que les évaluations produites par le salarié pour les années 2016 et 2017 comportent des appréciations nuancées et que l'évaluation de 2019 comporte des éléments positifs mais relève que le salarié a créé " un environnement de travail compliqué ; voire une relation malsaine avec sa direction depuis la nomination d'un réceptionniste en tant que 1er de réceptionniste ".

8. Il ressort en effet des pièces du dossier que des difficultés relationnelles entre le salarié et sa direction sont apparues à la suite de la promotion accordée fin novembre 2018 à un autre salarié avec laquelle il entretenait des relations conflictuelles et qu'à compter de cette date M. B... a refusé de siéger au comité de direction de l'établissement et a sollicité l'organisation de nouvelles élections professionnelles.

9. M. B... soutient qu'à compter de son élection en tant que membre du CSE et délégué syndical CGT, il aurait subi des pressions et produit le procès-verbal de son dépôt de plainte pour harcèlement moral du 21 mai 2019. Il soutient que des pressions auraient également été exercées par la direction à l'égard d'autres salariés de l'entreprise en produisant des attestations rédigées par d'anciens salariés après leur départ de l'entreprise, indiquant que la direction les aurait forcés à dénoncer le comportement de M. B..., ainsi qu'une attestation d'un ancien stagiaire en janvier 2019 indiquant avoir été témoin du harcèlement, du dénigrement et de l'isolement de ce dernier, ainsi qu'une attestation de sa compagne. Toutefois, la société Mercure France produit également un courriel du 1er février 2019 d'un salarié dénonçant l'hostilité et les mensonges de M. B... et les dépôts de plainte pour harcèlement moral contre de M. B... d'un autre salarié du 11 juin 2019, de la directrice adjointe du

4 juillet 2019 et de la directrice du 17 juin 2019. Par suite, les attestations produites par le salarié ne sont pas, à elles seules, de nature à établir les discriminations qu'il allègue alors qu'il ressort également des pièces du dossier qu'il a exercé son mandat de façon conflictuelle en multipliant les demandes auprès de la direction, matérialisées par l'envoi, chaque jour, de nombreux mails et de nombreuses questions lors des séances du CSE, qui ont systématiquement donné lieu à des réponses de son employeur et alors que, contrairement à ce qu'il soutient, les réunions du CSE se sont tenues sans entrave de la direction. En outre, par un jugement du 22 octobre 2021, le conseil des prud'hommes de Paris a exclu toute discrimination syndicale à son égard.

10. Enfin, si M. B... fait état du licenciement de sa compagne, qui exerçait les fonctions de directrice adjointe dans le même établissement, intervenu 15 jours après son élection et annulé par jugement du conseil de Prud'hommes de Paris du 11 octobre 2022, il ressort des pièces du dossier que ce licenciement a été prononcé pour faute grave en raison de faits survenus le 11 avril 2019 et ayant donné lieu au signalement d'un client le 4 mai 2019 alors que la salariée avait déjà fait l'objet d'un premier avertissement au mois de janvier 2019. Par suite, une telle procédure ne peut être regardée comme un indice de discrimination à son égard.

11. Par suite, il ne ressort pas des éléments produits par M. B... que la dégradation de son état de santé à l'origine de son inaptitude résulterait d'obstacles mis par son employeur à l'exercice de son mandat.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les frais de l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, verse à M. B... et à la société Hôtel Mercure Paris la somme qu'ils demandent au titre des frais de l'instance.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société Hôtel Mercure Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à la société Hôtel Mercure Paris.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Marianne Julliard, présidente de la formation de jugement,

- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2023.

La présidente-rapporteure,

M. JULLIARD

L'assesseure la plus ancienne,

M-I LABETOULLE

La greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22PA04187 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de PARIS
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA04187
Date de la décision : 28/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JULLIARD
Rapporteur ?: Mme Marianne JULLIARD
Rapporteur public ?: Mme DÉGARDIN
Avocat(s) : VINCENT

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-28;22pa04187 ?
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