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28/11/2023 | FRANCE | N°21BX01868

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 28 novembre 2023, 21BX01868


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... D..., M. A... D... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de la Martinique de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2015.

Par un jugement n° 2000445, 2000487, 2000488 du 11 mars 2021, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :



Par une

requête et un mémoire, enregistrés les 7 mai 2021 et 7 janvier 2022, M. C... D..., M. A... D... et M. B... D.....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D..., M. A... D... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de la Martinique de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2015.

Par un jugement n° 2000445, 2000487, 2000488 du 11 mars 2021, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 mai 2021 et 7 janvier 2022, M. C... D..., M. A... D... et M. B... D..., représentés par Me Watrin, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 11 mars 2021 ;

2°) de prononcer la décharge totale, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2015 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 8 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les requérants soutiennent que :

- la cession réalisée par la société Créjolia présentant un caractère unique, elle se situe hors champ d'application des bénéfices industriels et commerciaux ; les premiers juges ont commis une erreur de droit en estimant que la condition d'habitude était remplie ; dans ces conditions, les bénéfices relatifs à la cession en litige ne devaient pas être imposés entre les mains des associés en tant que bénéfices industriels et commerciaux ;

- les bénéfices résultant de la cession en litige relèvent du régime des plus-values des particuliers ; ils sont ainsi fondés à obtenir l'exonération prévue par le 7° du II de l'article 150 U du code général des impôts ;

- le droit de reprise de l'administration était prescrit ;

- ils sont fondés à se prévaloir de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales et de la doctrine administrative, l'administration ayant préalablement pris une position formelle en leur accordant un dégrèvement et le bénéfice du régime des plus-values des particuliers, position sur laquelle elle ne peut revenir en les imposant sur les bénéfices industriels et commerciaux de la société Créjolia, dans laquelle ils détenaient chacun 25 % des parts.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 28 octobre 2021 et 8 février 2022, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par les requérants ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pauline Reynaud,

- les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique,

- et les observations de Me Watrin, représentant MM. C..., A... et B... D...

Considérant ce qui suit :

1. MM. C..., B... et A... D..., et Eliane D... détenaient en indivision un terrain situé 57, rue Vincent Allègre, sur le territoire de la commune du Robert. Les intéressés ont créé, par acte du 8 novembre 2011, la société civile de construction-vente Créjolia, qui exerce une activité de promotion immobilière de logements, détenue à parts égales par chaque associé, et la propriété du terrain en litige a été transférée à cette société par acte du 31 janvier 2012 pour un montant de 800 000 euros. Par acte notarié du 16 mai 2013, la société Créjolia a vendu en l'état de futur achèvement trois bâtiments construits sur le terrain à la société Garantie A L9, dans le cadre de la construction de logements sociaux. Cette société a déclaré au titre de l'exercice 2015 un bénéfice industriel et commercial de 691 476 euros. L'administration a considéré que les bénéfices réalisés par la société Créjolia relevaient de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et devaient dès lors être soumis à l'impôt sur le revenu de MM. C..., A... et B... D.... Par proposition de rectification du 30 octobre 2017, l'administration les a informés des rehaussements en matière d'impôt sur le revenu au titre de l'année 2015. Les réclamations préalables formées par les intéressés par courriers du 17 juin 2019 ayant été rejetées par décisions de l'administration du 30 juin 2020, MM. C..., A... et B... D... ont demandé au tribunal administratif de la Martinique de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à leur charge au titre de l'année 2015. Ils relèvent appel du jugement n° 2000445, 2000487, 2000488 du 11 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leur demande.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 206 du code général des impôts relatifs au champ d'application de l'impôt sur les sociétés : " (...) 2. Sous réserve des dispositions de l'article 239 ter, les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt, (...) si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 ". Selon l'article 35 du même code : " I. Présentent également le caractère de bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par les personnes physiques désignées ci-après : / 1° Personnes qui, habituellement, achètent en leur nom, en vue de les revendre, des immeubles, des fonds de commerce, des actions ou parts de sociétés immobilières (...). / 1° bis Personnes qui, à titre habituel, achètent des biens immeubles, en vue d'édifier un ou plusieurs bâtiments et de les vendre, en bloc ou par locaux (...) ". L'article 239 ter du même code prévoit que : " I. Les dispositions du 2 de l'article 206 ne sont pas applicables aux sociétés civiles créées après l'entrée en vigueur de la loi n° 64-1278 du 23 décembre 1964 et qui ont pour objet la construction d'immeubles en vue de la vente, à la condition que ces sociétés ne soient pas constituées sous la forme de sociétés par actions ou à responsabilité limitée et que leurs statuts prévoient la responsabilité indéfinie des associés en ce qui concerne le passif social. / Les sociétés civiles visées au premier alinéa sont soumises au même régime que les sociétés en nom collectif effectuant les mêmes opérations ; leurs associés sont imposés dans les mêmes conditions que les membres de ces dernières sociétés ".

3. Il résulte notamment de ces dispositions que les opérations de construction vente présentent le caractère de bénéfices industriels et commerciaux à la double condition, cumulative, que ces opérations procèdent d'une intention spéculative et présentent un caractère habituel. Il en résulte également que la condition d'habitude n'est pas en principe remplie dans le cas d'une société civile qui a eu pour seule activité la réalisation d'une opération spéculative unique consistant à acheter et revendre en l'état un immeuble déterminé. Il en va toutefois différemment lorsque les associés qui jouent un rôle prépondérant ou bénéficient principalement des activités de la société sont des personnes se livrant elles-mêmes de façon habituelle à des opérations immobilières soit par des achats et des ventes faites en leur propre nom, soit par leur participation à des sociétés civiles dont chacune réalise une opération déterminée.

4. Ainsi qu'il a été rappelé au point 1, il résulte de l'instruction que MM. C..., A... et B... D... ont créé avec leur sœur Eliane, par acte du 8 novembre 2011, la société civile de construction-vente Créjolia, à qui a été cédé, par acte du 31 janvier 2012, un terrain situé 57 rue Vincent Allègre, sur le territoire de la commune du Robert, pour un montant de 800 000 euros. Par acte notarié du 13 mai 2016, la société Créjolia a vendu en l'état futur d'achèvement un ensemble immobilier construit sur ce terrain, et constitué de trois immeubles de soixante logements, trois locaux d'activités, un local collectif résidentiel, quarante-trois places de parking en sous-sol et cinq caves, au prix de 8 903 139,80 euros, à la société en nom collectif Garantie A L9, dans le cadre de la construction de logements sociaux.

5. D'une part, il résulte des statuts de la société Créjolia que celle-ci avait pour objet " l'acquisition du terrain, la construction d'un ensemble immobilier sur ce terrain, portant sur trois bâtiments, soixante logements, trois locaux d'activité, un local collectif résidentiel, quarante-trois places de stationnement en sous-sol, cinq caves et des aménagement variés divers, ainsi que la vente de l'ensemble immobilier par lots ou en bloc, après achèvement de la construction, soit en l'état de futur achèvement, ou à terme ". L'intention spéculative qui était celle de la société Créjolia lors de sa constitution, de revendre l'immeuble qui lui était cédé découle directement de l'objet social en vue duquel elle a été constituée.

6. D'autre part, et en revanche, en l'espèce, la société Créjolia n'a réalisé qu'une opération unique de vente en l'état futur d'achèvement d'un ensemble immobilier par un acte notarié du 13 mai 2016. Par ailleurs, il est constant que les associés de la société Créjolia ne se sont pas eux-mêmes livrés de façon habituelle, en leur propre nom ou par leur participation à des sociétés civiles, à des opérations d'achats et de revente en l'état d'immeubles. Cette circonstance ne peut donc être prise en compte pour apprécier la condition d'habitude au niveau de la société. Dans ces conditions, nonobstant la brève période qui sépare le transfert de propriété du terrain à bâtir et la vente de l'ensemble immobilier ainsi que de l'importance des plus-values réalisées, la cession consentie par la société Créjolia n'a pas revêtu un caractère habituel. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que l'administration leur a appliqué les dispositions précitées de l'article 239 du code général des impôts et a soumis les bénéfices réalisés lors de la cession en litige à l'impôt sur le revenu au titre des bénéfices industriels et commerciaux pour l'année 2015, conformément à l'article 35 du code général des impôts.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que les consorts D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leur demande. Ils sont, par suite, fondés à demander la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2015.

Sur les frais liés à l'instance :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement, à M. C... D..., M. A... D... et M. B... D..., de la somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2000445, 2000487, 2000488 du 11 mars 2021 du tribunal administratif de la Martinique est annulé.

Article 2 : M. C... D..., M. A... D... et M. B... D... sont déchargés, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2015.

Article 3 : L'Etat versera à M. C... D..., M. A... D... et M. B... D... la somme globale de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., désigné représentant unique des consorts D..., et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal Sud-Ouest.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente assesseure,

Mme Pauline Reynaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2023.

La rapporteure,

Pauline ReynaudLa présidente,

Evelyne Balzamo

Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX01868 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX01868
Date de la décision : 28/11/2023

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: Mme Pauline REYNAUD
Rapporteur public ?: Mme GAY
Avocat(s) : CABINET WATRIN (SELARL)

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-28;21bx01868 ?
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