Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Service Terminal Atlantique Container (STAC) a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le Grand Port Maritime de Bordeaux à lui verser une indemnité de 804 133 euros, sur le fondement du 3) de l'article 16 de la convention d'occupation temporaire du domaine public portuaire conclue le 16 novembre 2015 avec le Grand Port Maritime de Bordeaux, en réparation du préjudice subi résultant de la fin de l'exploitation des installations mises à sa disposition sur un terrain situé à l'angle des rues Bertrand Balguerie et Henri Delattre, dans la zone industrielle de fret de Bruges.
Par un jugement n° 1900594 du 4 mars 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 avril 2021 et 8 mars 2023, la société STAC, représentée par Me Morin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 4 mars 2021 ;
2°) de condamner le Grand Port Maritime de Bordeaux à lui verser une indemnité de 804 133 euros ;
3°) de mettre à la charge du Grand Port Maritime de Bordeaux une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa demande de première instance était recevable ;
- le projet de développement du Port du Verdon n'a jamais connu le moindre commencement d'exécution et a été abandonné ; en janvier 2017, il pouvait être légitimement considéré que l'implantation du port à sec à Bruges était déjà obsolète ;
- elle justifie avoir réalisé les travaux correspondant aux aménagements prévus à l'article 3 de la convention pour un montant total de 1 023 663, 10 euros, à savoir la déconstruction du bâtiment et un surfaçage du terrain destiné à permettre la manutention et le stockage des containers ; elle justifie du paiement des factures correspondantes ; le Grand Port Maritime de Bordeaux ne peut prétendre qu'il n'aurait pas accepté ces travaux ; les travaux ont été réalisés en totale concertation avec le Grand Port Maritime de Bordeaux ; elle n'a commis aucune faute dans l'exécution de la convention.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 février 2023, le Grand Port Maritime de Bordeaux, représenté par Me Merlet-Bonnan, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société STAC d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la demande de première instance était tardive et, par suite, irrecevable ;
- les stipulations de la convention ne prévoient une indemnisation que dans les hypothèses de cessation d'activité ou de réorganisation du terminal du Verdon ; la STAC a décidé de démarrer son activité et de réaliser les investissements alors que l'activité du terminal du Verdon n'avait pas débuté, prenant ainsi un risque ; la date de la demande de résiliation, le projet d'exploitation du terminal du Verdon n'était pas abandonné ;
- le remboursement des investissements ne saurait, en tout état de cause, être accordé à la société, faute d'agrément des travaux prévu par la convention ;
- les factures ne permettent pas de justifier des investissements allégués ; il n'est pas justifié du paiement de ces factures ; une partie des factures est à destination, non pas de la société STAC, mais de la société Balguerie ; plusieurs factures résultent de devis ou commandes antérieurs à la signature de la convention ; la convention limitait à 90 000 euros HT le montant des travaux de déconstruction d'un bâtiment ;
Par ordonnance 10 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 10 avril 2023 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
-le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- les conclusions de Mme Le Bris, rapporteure publique,
- les observations de Me Dacharry, représentant la société STAC, et les observations de Me Merlet-Bonnan, représentant le Grand Port Maritime de Bordeaux.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre du projet Terminal Containers Sud-Ouest (TCSO), la Société Service Terminal Atlantique Container (STAC) et le Grand Port Maritime de Bordeaux (GPMB) ont conclu le 16 novembre 2015 une convention d'occupation temporaire du domaine public portuaire pour une durée de 15 ans portant autorisation de la société STAC à occuper le terrain cadastré section AI n°s 55, 56 et 103, situé à l'angle des rues Bertrand Balguerie et Henri Delattre dans la zone industrielle de fret de Bruges (Gironde), en vue de la réalisation d'un terminal multimodal pour la gestion logistique des conteneurs (port à sec) relié par navettes ferroviaires au terminal maritime à conteneurs situé au Verdon. Par un courrier du 5 janvier 2017, la société STAC a sollicité la résiliation de la convention et le versement d'une indemnité sur le fondement des stipulations de l'article 15 et du 3) de l'article 16 de cette convention. Le GPBM a fait droit à la demande de résiliation de la convention, laquelle a pris effet au 6 mars 2017. En revanche, estimant que les conditions contractuelles de versement d'une indemnité de résiliation n'étaient pas satisfaites, il a refusé de lui verser une telle indemnité. La société STAC relève appel du jugement du 4 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la condamnation du GPMB à lui verser une indemnité de 804 133 euros sur le fondement du 3) de l'article 16 de ladite convention.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable au litige : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. / Les mesures prises pour l'exécution d'un contrat ne constituent pas des décisions au sens du présent article. ". Aux termes de l'article R. 421-2 du même code, dans sa rédaction applicable : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. (...). / La date du dépôt de la demande à l'administration, constatée par tous moyens, doit être établie à l'appui de la requête. ". Aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ".
3. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société STAC a, par courrier du 5 janvier 2017, demandé au GPMB le versement d'une indemnité de résiliation, puis, par courrier de " mise en demeure " adressé le 22 novembre 2018, sollicité le versement d'une somme de 802 179,85 euros. La fin de non-recevoir opposée en première instance par le GPMB et tirée de l'absence de réclamation préalable ne peut dès lors qu'être écartée.
4. En second lieu, il résulte du principe de sécurité juridique que le destinataire d'une décision administrative individuelle qui a reçu notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s'il entend obtenir l'annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an. Toutefois, cette règle ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique qui, s'ils doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration, ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation, mais à la condamnation de cette personne publique à verser les sommes dont elle est redevable en exécution d'un contrat. La prise en compte de l'objectif de sécurité juridique, qui implique notamment que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps, est alors assurée, à défaut de stipulation contractuelle invoquée par les parties, par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ou, le cas échéant, par les clauses instituant des forclusions propres au contrat en litige. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de ce que la demande de première instance, introduite après l'expiration d'un délai raisonnable, serait tardive, ne peut qu'être écartée.
Au fond :
En ce qui concerne le droit à indemnité de la société STAC :
5. L'article 3 de la convention conclue le 16 novembre 2015 entre la société STAC et le GPMB, relatif aux " ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier ", stipule : " Pour l'exercice de l'activité visée à l'article premier, le bénéficiaire est autorisé à réaliser : - la démolition des bâtiments existants (90.000 €) / l'aménagement d'un terre-plein pour la manutention et le stockage de containers (780.000 €) /- les grosses réparations (investissements de renouvellement) concernant les VRD nécessaires à la poursuite de l'exploitation des installations. Le montant maximum des dépenses initiales hors taxes à engager pour ces ouvrages, constructions ou installations est évalué à huit cent soixante-dix mille euros HT (870.000 € HT, valeur novembre 2015)". L'article 4 de cette convention prévoit : " Le bénéficiaire s'engage à soumettre à l'agrément du Port de Bordeaux, dans un délai de trois mois après la signature de la présente convention et sans que cet agrément puisse en aucune manière engager la responsabilité du GPMB, les projets de travaux de toute nature qu'il entend réaliser (...) Après achèvement de chaque étape des travaux, le bénéficiaire fait connaître au GPMB, dans un délai de trois mois, le coût hors taxes détaillé et justifié des constructions et installations immobilières et leur date d'achèvement ". Aux termes de l'article 15 de cette convention : " Dans le cas où il aurait décidé de cesser définitivement l'exploitation des installations avant la date fixée à l'article 2 ci-dessus, le bénéficiaire peut obtenir la résiliation de la présente convention en notifiant sa décision par lettre recommandée adressée au GPMB, moyennant un préavis de deux mois ". Enfin, le 3) de l'article 16 de cette convention, relatif au sort des installations à l'issue de la convention, stipule : " Si le bénéficiaire venait à cesser l'exploitation des installations de Bruges dans les conditions prévues à l'article 15 du fait d'une cessation d'activité ou d'une réorganisation du terminal containers du Verdon rendant l'implantation du port à sec à Bruges obsolète, le bénéficiaire pourra prétendre à être indemnisé du préjudice subi. Le montant de l'indemnité sera égal à la valeur résiduelle des aménagements décrits à l'article 3, calculée linéairement sur la durée de la convention ".
6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la demande de résiliation présentée le 5 janvier 2017 par la société STAC était fondée sur l'impossibilité pour elle d'exploiter le terminal multimodal qu'elle avait édifié à Bruges, faute d'exploitation du terminal à containers du Verdon. Il est constant qu'à cette date le terminal du Verdon n'était ni exploité ni même susceptible de l'être compte tenu, d'une part, de la résiliation de la convention de terminal conclue entre le GMPB et la société Europorte et, d'autre part, de l'annulation, par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux du 4 novembre 2016, de la convention de mise en régie conclue entre le GPMB et la société de manutention portuaire d'Aquitaine. S'il est exact que cette ordonnance a été annulée par une décision du Conseil d'Etat du 14 février 2017, il n'est ni établi ni même allégué que la convention de mise en régie aurait été exécutée ni que le GPMB aurait conclu un nouveau contrat relatif à l'exploitation du terminal du Verdon ou même manifesté l'intention de le faire. Il résulte ainsi de l'instruction que le projet de terminal à containers du Verdon a finalement été abandonné, sans avoir jamais été exploité. Dans ces circonstances, et contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges, la société STAC doit être regardée comme ayant cessé d'exploiter les installations de Bruges à raison de la cessation d'activité du terminal à containers du Verdon rendant l'implantation du port à sec à Bruges obsolète, au sens des stipulations précitées du 3) de l'article 16 de la convention du 16 novembre 2015.
7. En deuxième lieu, si les stipulations précitées de la convention du 16 novembre 2015 prévoient un agrément des travaux par le GPMB, il résulte de l'instruction que la société STAC a régulièrement informé ce dernier de l'avancement de ses travaux, qu'il a ainsi implicitement validés. Par suite, la circonstance que la société STAC n'ait pas soumis les travaux réalisés à un agrément préalable du GPMB ne fait pas obstacle à son droit au versement de l'indemnité prévue au 3) de l'article 16 de ladite convention.
8. Enfin, en réalisant, de manière logique, les travaux de création du terminal multimodal destiné à la gestion logistique des containers avant le démarrage de l'exploitation du terminal à containers du Verdon, la société STAC n'a commis aucune imprudence fautive de nature à exonérer le GPMB de son obligation contractuelle de lui verser l'indemnité litigieuse.
En ce qui concerne le montant de l'indemnité :
9. La société STAC a produit 14 factures, d'un montant total de 1 026 663,10 euros, correspondant selon elle aux travaux prévus par la convention conclue le 16 novembre 2015. Elle produit une attestation d'un commissaire aux comptes de la société Balguerie, dont elle est une filiale, selon laquelle l'ensemble de ces factures sont afférentes au projet de " Terminal Containers Sud-Ouest " (TCSO) et ont été réglées.
10. Il résulte de l'instruction que certaines factures ont été acquittées par la société Balguerie et non par la société STAC. Cette circonstance est toutefois sans incidence sur l'indemnité de résiliation due à la société STAC à raison de la valeur non amortie des aménagements réalisés, dès lors qu'il résulte des stipulations de l'article 3 de la convention, qui renvoie sur ce point aux dispositions de l'article L. 2122-6 du code général de la propriété des personnes publiques, que la société STAC était seule titulaire, pour la durée de la convention conclue avec le GPMB, d'un droit réel sur les ouvrages réalisés pour son compte par sa société mère, lui conférant sur ces ouvrages les prérogatives et obligations du propriétaire. Par ailleurs, la circonstance que ces certaines factures mentionnent des devis ou commandes antérieurs à la convention litigieuse ne permet pas de démontrer qu'elles ne seraient, en réalité, pas afférentes aux travaux de réalisation, par la société STAC, du terminal multimodal en cause. Dans ces conditions, la société STAC est fondée à se prévaloir d'un montant total de travaux de 1 026 663,10 euros engagés pour la mise en œuvre des stipulations précitées de l'article 3 de la convention.
11. Il résulte de l'instruction que les travaux résiliés par la société STAC correspondent, à hauteur de 140 001 euros, aux frais non amortissables de démolition des bâtiments existants, et à hauteur de 886 662,10 euros, à la réalisation des aménagements nécessaires à l'exploitation du terminal multimodal. Par ailleurs, la convention, initialement conclue pour une durée de 15 ans, soit 180 mois, a été résiliée 15,2 mois après sa conclusion. Dans ces conditions, la valeur résiduelle des aménagements réalisés par la société STAC en exécution de l'article 3 de la convention, calculée linéairement sur la durée de la convention, peut être fixée, après déduction d'un amortissement de 74 873,69 euros, à la somme de 811 788,41 euros. La société STAC limitant sa demande d'indemnisation à la somme de 804 133 euros, il y a lieu de lui allouer cette somme.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société STAC est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la condamnation du GPMB à lui verser une somme de 804 133 euros.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société STAC, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du GMPM une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société STAC et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1900594 du 4 mars 2021 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : Le GMPB est condamné à verser à la société STAC une indemnité de 804 133 euros.
Article 3 : Le GPMB versera à la société STAC une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par le GPMB sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Service Terminal Atlantique Container et au Grand Port Maritime de Bordeaux.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2023.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
Le président,
Laurent Pouget
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX01674