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28/11/2023 | FRANCE | N°20NC02253

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 28 novembre 2023, 20NC02253


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La Mutuelle des architectes français (MAF) a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner in solidum la société Nox ingénierie, la société Imhoff et la société Qualiconsult à lui verser une somme de 762 083,74 euros.



Par un jugement n° 1701850 du 25 juin 2020, le tribunal administratif de Besançon a donné acte du désistement des conclusions de la MAF dirigées contre la société Imhoff et rejeté le surplus des conclusions des parties

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Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire enregistrés les 6 août 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Mutuelle des architectes français (MAF) a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner in solidum la société Nox ingénierie, la société Imhoff et la société Qualiconsult à lui verser une somme de 762 083,74 euros.

Par un jugement n° 1701850 du 25 juin 2020, le tribunal administratif de Besançon a donné acte du désistement des conclusions de la MAF dirigées contre la société Imhoff et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 6 août 2020 et 28 septembre 2022, la MAF, représentée par Me Puybaret, de la SELAS interbarreaux Larrieu et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation in solidum de la société Nox ingénierie et de la société Qualiconsult ;

2°) de condamner solidairement ou in solidum la société Nox ingénierie et la société Qualiconsult à lui verser une somme de 305 947,05 euros ;

3°) dans le dernier état de leurs écritures, de mettre à la charge de la société Nox ingénierie et de la société Qualiconsult le versement d'une somme de 5 000 euros, au titre des frais d'instance ;

4°) de condamner solidairement ou in solidum ces sociétés aux dépens.

Elle soutient que :

- elle est l'assureur de l'hôpital Saint-Louis, à Ornans ; à l'issue de travaux dans cet établissement, réceptionnés le 12 novembre 2017, le développement de légionnelle a été constaté, en raison du débit insuffisant de l'eau chaude sanitaire et de la fluctuation de température ; elle a réglé à l'hôpital 789 384,47 euros et a été indemnisée à hauteur de 462 483,07 euros par Allianz, assureur de la société Imhoff ;

- elle ne conteste pas le jugement en tant que les premiers juges ont estimé son recours subrogatoire recevable et qu'ils n'avaient pas à examiner l'appel en garantie de la société Imhoff contre M. A... ;

- elle est subrogée dans les droits du propriétaire du bâtiment conformément à l'article L. 121-12 du code des assureurs ;

- les désordres sont de nature décennale et font peser une présomption de responsabilité décennale sur les constructeurs, y compris s'agissant du contrôleur technique, de sorte que l'appréciation de leur responsabilité est inutile ; le développement de légionnelle dans un établissement hospitalier rend ce dernier impropre à sa destination dans son ensemble ; les éléments versés permettent à la cour de se prononcer en toute connaissance de cause sur la question des responsabilités ;

- subsidiairement, la responsabilité de droit commun des constructeurs est engagée, dès lors qu'ils ont commis des fautes dans la réalisation des travaux ou missions qui leur ont été confiés ;

- l'insuffisance de vitesse de circulation de l'eau résulte d'un défaut d'exécution imputable à la société Imhoff et à l'insuffisance d'études ou de contrôle des sociétés Nox et Qualiconsult, les experts des assureurs s'étant accordés sur un partage de responsabilité, la société Nox ayant vocation à supporter 25 % du dommage et la société Qualiconsult 15 % ; le contrôleur technique ne conteste pas s'être vu confier les missions F et HYS, portant sur la prévention du risque et sur les réseaux d'eau intérieurs ; la conception technique des installations, relevant de la société Nox n'a pas empêché la survenance de légionnelle.

Par des mémoires enregistrés les 19 mars 2021, 3 janvier 2022, 15 septembre 2022 et 27 septembre 2022, la société Qualiconsult, représentée par la SCP Raffin et associés, agissant par l'intermédiaire de Me Launey, conclut :

- au rejet de la requête ;

- subsidiairement, à ce que les sociétés Cetba groupe Nox, venant aux droits de la société Nox ingénierie, et Imhoff soient condamnées in solidum à la relever et garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

- à ce que le versement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative soit mis à la charge de la MAF, ainsi que les dépens.

Elle soutient que :

- la requérante n'établit pas que le désordre lui était imputable, s'agissant de la garantie décennale, ni qu'elle aurait commis une faute ;

- subsidiairement, elle ne saurait faire l'objet d'une condamnation in solidum ou solidaire, au regard des dispositions de l'article L. 111-24 du code de la construction et de l'habitation ;

- très subsidiairement, elle a droit à être garantie, sur le fondement des principes dont s'inspire l'article 1240 du code civil, par la société Cetba, qui a conçu l'installation et par la société Imhoff qui a réalisé les travaux de plomberie.

Par un mémoire enregistré le 27 octobre 2023, la société Imhoff, représentée par Me Zanatti, conclut :

- au rejet des conclusions dirigées à son encontre et à ce que les sociétés Nox ingénierie et Qualiconsult soient condamnées in solidum à la relever et garantir des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre, à hauteur de 40 % ;

- à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge des sociétés Nox ingénierie et Qualiconsult et de M. A..., in solidum, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a indemnisé la MAF à hauteur de 462 483,07 euros, correspondant à sa part de responsabilité, au regard de l'expertise amiable ; le jugement doit être confirmé en tant qu'il donne acte du désistement de la MAF à son encontre ;

- elle s'en remet à l'appréciation de la cour quant au sort à réserver aux conclusions de la MAF ; son éventuelle condamnation doit être prononcée en deniers et quittances ; elle a déjà indemnisé le maître d'ouvrage ;

- les conclusions d'appel en garantie dirigées à son encontre doivent être rejetées ; les conclusions de la société Qualiconsult ne sont pas motivées ;

- elle a droit à être garantie par la société Nox ingénierie, maître d'œuvre chargé d'une mission complète, incluant les études d'exécution, et qui doit conserver une part de responsabilité prépondérante ou à défaut significative, et par la société Qualiconsult, contrôleur technique qui n'échappe pas à la présomption de responsabilité pesant sur lui et dont la responsabilité est renforcée par le fait que le sinistre aurait trait à la présence de légionnelle dans les réseaux, et donc à un risque sanitaire pour les personnes.

Un mémoire, produit pour la société Qualiconsult, a été enregistré le 6 novembre 2023, après la clôture de l'instruction survenue trois jours francs avant l'audience, et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des assurances ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Samson-Dye,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me Benhalima, de la SCP Raffin et associés, pour la société Qualiconsult.

Considérant ce qui suit :

1. En 2005, le centre hospitalier Saint-Louis, situé sur le territoire de la commune d'Ornans, a entrepris des travaux de restructuration et d'extension de son établissement. A cet effet, il a confié la maîtrise d'œuvre à une équipe composée notamment de la société Cetba ingénierie, le contrôle technique à la société Qualiconsult et les lots " chauffage-ventilation-climatisation " et " plomberie-sanitaire " à la société Imhoff. Le centre hospitalier a parallèlement souscrit, pour cette opération, un contrat d'assurance dommages ouvrage auprès de la Mutuelle des architectes français (MAF). La réception des travaux des phases 1 et 2 a été prononcée le 26 mars 2009 avec effet au 12 novembre 2007 pour la " phase 1 " et au 15 janvier 2009 pour la " phase 2 ". Après les opérations de réception, le centre hospitalier de Saint-Louis a déclaré, au titre de son assurance, un désordre, relatif à un " débit insuffisant eau chaude sanitaire et fluctuation de la température ", qui a fait l'objet d'une opération d'expertise amiable. La MAF a demandé au tribunal administratif de Besançon la condamnation in solidum de la société Nox ingénierie, venue aux droits de la société Cetba ingénierie, de la société Imhoff, et de la société Qualiconsult à lui verser une somme correspondant au montant de la quittance subrogatoire qu'elle estime détenir, au titre de ce désordre, sur le centre hospitalier Saint-Louis. Par un jugement du 25 juin 2020, le tribunal a donné acte du désistement de ses conclusions dirigées contre la société Imhoff et a rejeté le surplus de ses conclusions. La MAF conteste ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions dirigées contre les sociétés Nox ingénierie et Qualiconsult.

Sur la responsabilité décennale :

2. Il résulte des principes qui régissent la responsabilité décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

3. Il résulte de l'instruction, et en particulier des pièces produites pour la première fois en appel dont une expertise amiable entre assureurs de constructeurs concernés, que la présence généralisée de légionnelle dans le réseau de distribution d'eau chaude sanitaire a été constatée au sein du centre hospitalier en 2012, avec pour cause principale le non-respect des vitesses de circulation et des températures résultant d'un défaut d'équilibrage du réseau, à l'origine d'une fluctuation anormale de la température de l'eau en certains points. La prolifération de légionnelle résultant des travaux de plomberie rend l'établissement de santé impropre à sa destination.

4. Il ressort des termes de cette expertise que ce désordre résulte, de manière déterminante, de défauts de conception, de mise en œuvre et d'exploitation. Il est ainsi imputable à la société Cetba ingénierie, maître d'œuvre, chargée d'une mission complète de maîtrise d'œuvre. Il est également imputable à la société Imhoff en charge des lots " chauffage-ventilation-climatisation " et " plomberie-sanitaire " ainsi qu'à la société Qualiconsult, bureau de contrôle, dont le rapport de l'expertise amiable révèle qu'elle était chargée des missions F (fonctionnement des installations) et HYS (hygiène et santé dans les bâtiments). Si la société Qualiconsult conteste, pour la première fois à hauteur d'appel, avoir eu en charge de telles missions, elle n'établit, ni même n'allègue l'avoir fait valoir dans le cadre de l'expertise amiable à laquelle elle a pourtant participé, ni jugé utile de produire le contrat qui la liait au maître d'ouvrage, malgré la mesure d'instruction de la cour. La société Qualiconsult ne saurait enfin utilement se prévaloir de l'article L. 111-24 du code de la construction et de l'habitation, qui disposait, dans sa version alors applicable, que : " Le contrôleur technique n'est tenu vis-à-vis des constructeurs à supporter la réparation de dommages qu'à concurrence de la part de responsabilité susceptible d'être mise à sa charge dans les limites des missions définies par le contrat le liant au maître d'ouvrage ", dès lors que ces dispositions sont sans incidence sur la garantie qu'elle doit au maître d'ouvrage, et sur la possibilité de se voir condamnée solidairement avec les autres constructeurs, dès lors qu'ils ont concouru à la réalisation du même dommage. La MAF, subrogée dans les droits du centre hospitalier en vertu de l'article L. 121-12 du code des assurances, est donc fondée à soutenir que la responsabilité décennale des sociétés Cetba ingénierie et Qualiconsult, seules poursuivies, est engagée.

5. Il résulte de l'expertise amiable et des pièces produites par la MAF, qui ne sont pas contestées, que le désordre en question a impliqué des mesures d'investigation, pour 18 108,63 euros TTC, des mesures conservatoires, pour 312 050,61 euros TTC, et des travaux de reprise de 459 225,03 euros TTC, soit un montant total de 789 384,27 euros TTC, selon l'estimation opérée dans le rapport d'expertise complémentaire. La MAF ne justifie cependant être subrogée dans les droits de son assurée qu'à hauteur de 764 867,64 euros TTC, ainsi que l'ont retenu les premiers juges. La MAF a été indemnisée par Allianz IARD, venant aux droits de GAN Eurocourtage, assureur de la société Imhoff, à hauteur de 462 483,07 euros TTC.

6. Il en résulte que la MAF est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande et à demander la condamnation in solidum de la société Nox ingénierie, venue aux droits de la société Cetba ingénierie et de la société Qualiconsult à lui verser la somme de 302 384,57 euros TTC.

Sur les appels en garantie :

7. Il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport d'une expertise réalisée à titre amiable que le désordre doit être regardé comme ayant été occasionné par des manquements imputables à la société Imhoff, à hauteur de 60 %, de la société Cetba ingénierie à hauteur de 25 % et de la société Qualiconsult à hauteur de 15 %.

8. La société Imhoff, qui a directement indemnisé l'assureur du maître d'ouvrage pour un montant correspondant à sa part de responsabilité, ne saurait, dans ces conditions, être condamnée à garantir les constructeurs condamnés pour leurs propres parts par le présent arrêt. Les conclusions de la société Qualiconsult dirigées contre la société Imhoff ne peuvent par suite qu'être rejetées.

9. En revanche, il résulte de l'instruction que la société Cetba ingénierie a commis des manquements dans ses missions de conception et de suivi de l'exécution des travaux de réalisation du réseau d'eau chaude sanitaire. Au regard du partage de responsabilité retenu dans le rapport d'expertise, non contesté, rappelé au point 7 du présent arrêt, la société Qualiconsult est fondée à demander la condamnation de la société Nox ingénierie, qui vient aux droits de la société Cetba ingénierie, à la garantir de 62,50 % de la somme mise à sa charge au point 6 du présent arrêt.

Sur les conclusions relatives aux dépens et aux frais d'instance :

10 En premier lieu, aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. ". La présente affaire, qui n'a donné lieu qu'à une expertise amiable, n'a pas fait l'objet de frais susceptibles d'être qualifiés de dépens au sens de ces dispositions. Les conclusions des parties relatives aux dépens sont sans objet et doivent donc être rejetées.

11. En second lieu, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter les conclusions présentées par les parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La société Nox ingénierie et la société Qualiconsult sont condamnées in solidum à verser à la Mutuelle des architectes français la somme de 302 384,57 euros TTC.

Article 2 : La société Nox ngénierie est condamnée à garantir la société Qualiconsult de la condamnation prononcée à son encontre à hauteur de 62,50 %.

Article 3 : Le jugement n° 1701850 du tribunal administratif de Besançon du 25 juin 2020 est annulé.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la Mutuelle des architectes français, à la société Cetba Groupe Nox, à la société Qualiconsult et à la société Imhoff.

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente-assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2023

La rapporteure,

Signé : A. Samson-Dye

La présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au préfet du Doubs en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 20NC02253


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC02253
Date de la décision : 28/11/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SELAS LARRIEU & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-28;20nc02253 ?
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