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24/11/2023 | FRANCE | N°22NT02380

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 24 novembre 2023, 22NT02380


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 8 décembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 23 septembre 2021 de l'autorité consulaire française à Yaoundé (Cameroun) refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité d'étudiante.





Par un jugement n° 2114832 du 11 juillet

2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décision...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 8 décembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 23 septembre 2021 de l'autorité consulaire française à Yaoundé (Cameroun) refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité d'étudiante.

Par un jugement n° 2114832 du 11 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer à Mme B... A... le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 juillet 2022, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- la décision contestée n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation quant à l'existence d'un risque de détournement de l'objet du visa, compte tenu du niveau d'études moyen de la demandeuse de visa, du manque de précision et de consistance de son projet d'études, de la redondance des études envisagées avec le cursus entamé au Cameroun et de la résidence en France de sa mère ;

- la formation envisagée n'a aucune valeur et n'offre que peu de perspectives d'insertion sur le marché du travail ;

- la formation projetée est dispensée par une école privée où il existe une part d'intérêt financier et qui pratique des frais de scolarité élevés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 octobre 2022, Mme A..., représentée par Me Bella Etoundi, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'un visa lui a été délivré dont il appartient à la cour de prendre acte.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'instruction interministérielle relative aux demandes de visas de long séjour pour études dans le cadre de la directive UE 2016/801 du 4 juillet 2019 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Montes-Derouet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 23 septembre 2021, l'ambassade de France à Yaoundé (Cameroun) a rejeté la demande de visa de long séjour présentée en qualité d'étudiante par Mme A..., ressortissante camerounaise. Par une décision du 8 décembre 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision. Par un jugement du 11 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme A..., la décision de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer à celle-ci le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour (...) ". Aux termes de l'article R. 312-2 du même code : " (...). / Les autorités diplomatiques et consulaires sont tenues de statuer sur les demandes de visa de long séjour formées par (...) les étudiants dans les meilleurs délais ".

3. Selon l'article 5 de la directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative aux conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d'études, de formation, de volontariat et de programmes d'échange d'élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair, l'admission d'un ressortissant d'un pays tiers à des fins d'études est soumise à des conditions générales, fixées par l'article 7, comme l'existence de ressources suffisantes pour couvrir ses frais de subsistance durant son séjour ainsi que ses frais de retour et à des conditions particulières, fixées par l'article 11, telles que l'admission dans un établissement d'enseignement supérieur ainsi que le paiement des droits d'inscription. L'article 20 de la même directive, qui définit précisément les motifs de rejet d'une demande d'admission, prévoit qu'un État membre rejette une demande d'admission si ces conditions ne sont pas remplies ou encore, peut rejeter la demande, selon le f) du 2, " s'il possède des preuves ou des motifs sérieux et objectifs pour établir que l'auteur de la demande souhaite séjourner sur son territoire à d'autres fins que celles pour lesquelles il demande son admission ".

4. En l'absence de dispositions spécifiques figurant dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une demande de visa de long séjour formée pour effectuer des études en France est notamment soumise aux instructions générales établies par le ministre chargé de l'immigration prévues par le décret du 13 novembre 2008 relatif aux attributions des chefs de mission diplomatique et des chefs de poste consulaire en matière de visas, en particulier son article 3, pris sur le fondement de l'article L. 311-1 de ce code. L'instruction applicable est, s'agissant des demandes de visas de long séjour en qualité d'étudiant mentionnés à l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'instruction ministérielle du 4 juillet 2019 relative aux demandes de visas de long séjour pour études dans le cadre de la directive (UE) 2016/801, laquelle participe de la transposition de cette même directive.

5. Le point 2.1 de l'instruction interministérielle relative aux demandes de visas de long séjour pour études dans le cadre de la directive UE 2016/801 du 4 juillet 2019, intitulé " L'étranger doit justifier qu'il a été admis dans un établissement d'enseignement supérieur pour y suivre un cycle d'études ", indique notamment : " Il présente (...) au dossier de demande de visa un certificat d'admission dans un établissement en France. ". Cette même instruction, en son point 2.4 intitulé " Autres vérifications par l'autorité consulaire ", indique que cette dernière " (...) peut opposer un refus s'il existe des éléments suffisamment probants et des motifs sérieux permettant d'établir que le demandeur séjournera en France à d'autres fins que celles pour lesquelles il demande un visa pour études. ". Ainsi, l'autorité administrative peut, le cas échéant, et sous le contrôle des juges de l'excès de pouvoir restreint à l'erreur manifeste, rejeter la demande de visa de long séjour pour effectuer des études en se fondant sur le défaut de caractère sérieux et cohérent des études envisagées, de nature à révéler que l'intéressé sollicite ce visa à d'autres fins que son projet d'études.

6. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motifs tirés de ce que la demande de visa était devenue sans objet en raison du dépassement de la date de rentrée de l'établissement et de ce que la demandeuse de visa n'a pas présenté d'éléments suffisamment probants permettant de s'assurer que son séjour en France à des fins alléguées d'étude ne présente pas un risque de détournement de l'objet de sa demande.

7. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a joint à sa demande de visa l'accord préalable d'inscription obtenu, pour l'année scolaire 2021/2022, auprès d'un établissement d'enseignement privé dénommé " Insertis Business school " afin de suivre en France une formation sur trois ans à la préparation d'un " Bachelor " en Banque, Finance et Assurance. Si elle justifie le choix de cette formation par la volonté d'acquérir des connaissances et de renforcer ses notions en techniques bancaires, en économie et en marketing bancaire dans la perspective de trouver au Cameroun un emploi en qualité de cadre bancaire, il ressort des pièces du dossier qu'elle a entamé, lors de l'année scolaire 2020/2021, une préparation au diplôme de BTS, dans la même spécialité Banque et Finance, auprès de l'institut privé supérieur de technologie appliquée et de gestion au Cameroun dont elle a validé la première année. En se bornant à faire état de la reconnaissance internationale du diplôme délivré par cet établissement et de la qualité des enseignements délivrés, Mme A... n'apporte pas de précisions suffisantes sur la nécessité de démarrer un nouveau cursus scolaire dans cet établissement, alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle ne pourrait pas poursuivre les enseignements comparables entamés dans son pays de résidence. Il ressort, en outre, du compte-rendu de son entretien avec un conseiller Campus France, qui a émis un avis défavorable sur le projet de l'intéressée, que celle-ci " n'a pas su défendre son projet " et qu'il lui a été impossible " d'exprimer clairement ses ambitions professionnelles ". Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que Mme A..., jeune célibataire âgée de 21 ans, sera hébergée en France au domicile de sa mère qui y réside sous couvert d'une carte de résident. Dans ces conditions, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, a pu, sans entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, refuser la délivrance du visa sollicité en se fondant sur le motif tiré de l'existence d'un risque de détournement de l'objet du visa.

8. Il résulte de l'instruction que la commission aurait pris la même décision en se fondant sur ce seul motif. Par suite, le moyen qui tend à contester l'autre motif de refus opposé à sa demande de visa est inopérant et ne peut qu'être écarté.

9. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, pour annuler la décision de la commission de recours, le tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur le motif que la commission de recours a entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en retenant que Mme A... entendait séjourner en France à d'autres fins que ses études.

10. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes et devant la cour.

11. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision litigieuse de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de son insuffisance de motivation manque en fait.

12. En deuxième lieu, aux termes de l'article 26 de la Déclaration universelle des droits de l'homme : " Toute personne a droit à l'éducation ". Aux termes des stipulations de l'article 14 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 12 décembre 2007, qui consacre le droit à l'éducation : " 1. Toute personne a droit à l'éducation, ainsi qu'à l'accès à la formation professionnelle et continue (...) ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 2 du premier protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction (...) ".

13. La circonstance que la décision en litige fait obstacle au projet de Mme A... de bénéficier des enseignements dispensés par l'établissement français d'enseignement auprès duquel elle a obtenu un accord préalable d'inscription ne porte pas, par elle-même, atteinte à son droit à l'éducation et à l'instruction, dès lors qu'elle n'a pas pour effet de la priver d'un droit à l'éducation et à la formation, qui peut s'exercer hors de France. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations citées au point 12 doit, en tout état de cause, être écarté.

14. En dernier lieu, Mme A... se borne à soutenir, à l'appui de son moyen tiré de la méconnaissance des stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles de l'article 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union, que d'autres demandeurs de visa auraient obtenu un visa de séjour en qualité d'étudiant. Dans ces conditions, ces moyens ne peuvent qu'être écartés.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 8 décembre 2021 de la commission de recours.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à Mme A... une somme, au demeurant non chiffrée, que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 11 juillet 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées devant la cour par Mme A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme C... A....

Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2023.

La rapporteure,

I. MONTES-DEROUETLa présidente,

C. BUFFET

La greffière,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02380


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02380
Date de la décision : 24/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: Mme Isabelle MONTES-DEROUET
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : BELLA ETOUNDI

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-24;22nt02380 ?
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