Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 12 mai 2020 par laquelle la ministre du travail a confirmé la décision de l'inspecteur du travail du 24 septembre 2019 autorisant la société Degreane à le licencier pour faute.
Par un jugement n° 2001802 du 27 mai 2022, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 25 juillet 2022, sous le n° 22MA02073, M. B..., représenté par Me Caïs, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 27 mai 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 12 mai 2020 de la ministre du travail ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Degreane la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'inspecteur du travail n'a pas respecté le principe du contradictoire ;
- la matérialité du grief n'est pas établie ;
- aucune plainte de la prétendue propriétaire de la poussette n'a été communiquée ;
- la qualification de faute grave ne résiste pas à l'analyse objective des faits ;
- le licenciement est disproportionné ;
- le lien avec son mandat est établi.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 septembre 2022, la société par actions simplifiées (SAS) Degreane, représentée par Me Friburger, conclut au rejet de la requête de M. B... et demande à la Cour de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marchessaux,
- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été recruté à compter du 4 août 2007 par la société Degreane par contrat à durée indéterminée en qualité d'électronicien, ouvrier professionnel N2P2 selon la convention collective nationale des entreprises des travaux publics. Il détenait un mandat de membre titulaire de la délégation unique du personnel. Par une lettre du 6 juin 2019, la société Degreane l'a convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est tenu le 18 juin 2019. Par un courrier du 20 août 2019, la société Degreane a sollicité de l'inspection du travail l'autorisation de le licencier. Par une décision du 24 septembre 2019, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de M. B.... Ce dernier a formé, le 19 novembre 2019, un recours hiérarchique à l'encontre de cette décision. Par une décision du 12 mai 2020, la ministre du travail a confirmé la décision de l'inspecteur du travail du 24 septembre 2019. M. B... relève appel du jugement du 27 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 12 mai 2020. Le requérant doit être regardé comme demandant également l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 24 septembre 2019.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
3. En matière d'autorisations administratives de licenciement des salariés protégés, les décisions prises sur recours hiérarchique par le ministre ne se substituent pas aux décisions de l'inspecteur du travail, dès lors que ce recours ne présente pas un caractère obligatoire. Ainsi, la demande d'un salarié protégé tendant à l'annulation de la décision du ministre rejetant son recours hiérarchique contre la décision de l'inspecteur du travail autorisant son licenciement doit être regardée comme tendant également à l'annulation de cette dernière décision.
En ce qui concerne la procédure contradictoire :
4. L'article R. 2421-4 du code du travail prévoit que : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. (...) ".
5. Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné. Il implique, en outre, que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation. C'est seulement lorsque l'accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.
6. En l'espèce, l'inspecteur du travail a convoqué M. B... et son employeur à une audition dans le cadre de l'enquête contradictoire par courrier du 5 août 2019. A la suite de cette convocation, l'inspecteur du travail a procédé à une audition personnelle et individuelle du salarié le 29 août 2019. L'inspecteur du travail ne s'est pas fondé uniquement sur les déclarations de l'employeur dès lors qu'il a entendu M. B... et a cité son courrier du 12 août 2019 dans lequel il a déclaré qu'il avait vu la poussette jetée et abandonnée recouverte de poussière et de feuillage dans un fossé. Son rapport mentionne également que lors de l'enquête contradictoire, il a été remis à M. B... l'attestation établie par M. A... et dans laquelle ce dernier déclarait que " une heure plus tard, j'ai reçu un coup de téléphone du responsable technique de la fondation Carmignac, qui me demande si par hasard nous n'avions pas vu cette poussette (...), je lui ai donc confirmé que nous l'avions bien vue et j'ai aussitôt appelé M. C... B... pour qu'il la ramène au plus vite ", que M. B... n'a pas remis en question cette partie de la déclaration de M. A... et a confirmé même avoir ramené cette poussette le jour même après cet appel téléphonique de M. A.... L'inspecteur du travail s'est également fondé sur un courriel du 19 avril 2019 de la directrice du site de Porquerolles de la fondation Carmignac mentionnant que " C... a volé une poussette sur le site. Nous avons pu après de multiples recherches établir que c'était bien C... qui avait commis ce vol (nous le voyons aux cameras) même s'il dit avoir trouvé la poussette dans un fossé ". Ainsi, au regard de l'attestation de M. A..., du courriel précité et de la déclaration de M. B... selon laquelle il a bien procédé à la " récupération " de la poussette sur le site privé de la fondation Carmignac, l'inspecteur du travail n'avait pas besoin d'auditionner les salariés présents sur les lieux ni de visionner les enregistrements des caméras de vidéo-surveillance pour établir la matérialité des faits. Par ailleurs, l'inspecteur du travail pouvait prendre en compte la violation de l'article 15.1 du règlement intérieur des établissements Degreane lequel prévoit " qu'il est formellement interdit aux membre du personnel - d'emporter sans autorisation quoi que ce soit ne leur appartenant pas (documents ou objets confiés par l'entreprise, matériel, outil, matériaux, etc...) ", cette interdiction ne concernant pas uniquement les biens propriétés de l'entreprise mais aussi les biens extérieurs à l'entreprise. M. B... ne conteste pas le fait que la demande d'autorisation de licenciement et ses annexes, ainsi que les éléments déterminants recueillis en cours d'enquête lui ont bien été communiqués. Par suite, l'inspecteur du travail n'a pas méconnu le principe du contradictoire.
En ce qui concerne la matérialité des faits reprochés :
7. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du témoignage de M. A... qui travaillait avec M. B... le 19 avril 2019, sur le site de la fondation Carmignac, que le requérant alors qu'il retournait vers le port de Porquerolles a emporté une poussette laquelle était en excellent état. S'il prétend l'avoir trouvé dans un fossé, le courriel du 29 mai 2019 de la directrice du site de Porquerolles de la fondation Carmignac mentionne que c'était impossible dès lors que la poussette et le visiteur à qui elle appartenait se trouvaient sur le site de la fondation. Par ailleurs, l'autre courriel du 19 avril 2019, de cette directrice mentionne que le visionnage de la vidéo-surveillance a permis d'établir que M. B... avait commis ce vol. A supposer même que M. A... aurait donné à M. B... l'autorisation de prendre la poussette, cette circonstance est sans incidence sur la matérialité des faits de vol lesquels sont corroborés par le courriel du 19 avril 2019 précité et le témoignage de M. A... qui atteste avoir vu M. B... récupérer la poussette, constaté qu'une fois arrivé au port de Porquerolles, il l'avait chargée dans le véhicule et que cette poussette n'était pas du tout abandonnée comme il l'avait précisé car en excellent état. Ce fait de vol est dès lors matériellement établi et imputable à M. B....
En ce qui concerne le caractère suffisamment grave des faits :
8. Ainsi qu'il a été dit au point 6, l'article 15.1 du règlement intérieur des établissements Degreane interdisait formellement aux membres du personnel d'emporter sans autorisation quoi que ce soit ne leur appartenant pas. Par ailleurs, selon le courriel du 29 mai 2019 de la directrice du site de Porquerolles de la fondation Carmignac, cet acte a eu pour effet de remettre en cause la confiance de la fondation dans la SAS Degreane, le courriel indiquant que " il est improbable que nous puissions maintenant vous confier les contrats d'entretien que nous envisagions de passer avec Degreane ".
9. La circonstance que la SAS Degreane n'ait pas prononcé de mise à pied à l'égard de M. B... n'est pas de nature à établir que la faute qui lui est reprochée ne présenterait pas un caractère de gravité suffisant justifiant son licenciement. Il en va de même du fait que l'employeur aurait attendu le 8 juin 2019 pour lancer la procédure de licenciement. En effet, si l'employeur a été informé du fait commis par M. B... par le courriel du 19 avril 2019 de la directrice du site de Porquerolles de la fondation Carmignac, celui-ci avait, en vertu de de l'article L. 1332-4 du code du travail, un délai de deux mois pour engager une procédure disciplinaire à l'encontre du requérant, ce qu'il a fait en le convoquant à un entretien préalable par un courrier du 6 juin 2019, reçu le 7 juin suivant par le salarié, dans ce délai. Si l'appelant soutient que la prétendue propriétaire de la poussette n'a déposé aucune plainte, cette circonstance est sans incidence. Par suite, le manquement mentionné au point 7 constitue, dans les circonstances de l'espèce, une faute suffisamment grave pour justifier le licenciement de M. B..., lequel n'est pas disproportionné.
En ce qui concerne le lien entre le licenciement et le mandat de M. B... :
10. M. B... soutient que diverses procédures étaient en cours impliquant la délégation unique du personnel et que lors de la réunion du comité d'entreprise du 25 octobre 2018, les élus ont indiqué qu'une procédure allait être engagée contre les établissements Degreane concernant l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante. Toutefois, ces circonstances ne sont pas de nature à établir que le licenciement en cause aurait un lien avec le mandat syndical de M. B....
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions des 24 septembre 2019 et 12 mai 2020.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat et de la société Degreane qui ne sont pas dans la présente instance les parties perdantes, la somme demandée par M. B... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SAS Degreane et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : M. B... versera à la SAS Degreane une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à la SAS Degreane et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 10 novembre 2023, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 novembre 2023.
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N° 22MA02073
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