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23/11/2023 | FRANCE | N°23LY00800

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 23 novembre 2023, 23LY00800


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble :



1°) d'annuler l'arrêté du 4 août 2022 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui renouveler son titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire d'une durée d'un an ;



2°) d'enjoindre, sous astreinte, au préfet d

e lui délivrer une carte de résident ou une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familial...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

1°) d'annuler l'arrêté du 4 août 2022 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui renouveler son titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire d'une durée d'un an ;

2°) d'enjoindre, sous astreinte, au préfet de lui délivrer une carte de résident ou une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", subsidiairement, de réexaminer sa demande après remise d'un récépissé valant autorisation de séjour.

Par un jugement n° 2206573 du 31 janvier 2023, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à la demande d'annulation et a enjoint au préfet de l'Isère de réexaminer la demande de Mme C... sous deux mois et après remise d'une autorisation provisoire de séjour.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 1er mars 2023, le préfet de l'Isère demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 31 janvier 2023 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Grenoble.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité du premier enfant de Mme C... est établi ;

- celle-ci ne remplit pas les conditions requises pour prétendre à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L 423-7 et L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- les autres moyens soulevés en première instance n'étaient pas fondés.

Par mémoire enregistré le 7 août 2023, Mme C..., représentée par Me Praliaud, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie de l'appel incident :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 janvier 2023 en ce qu'il a rejeté sa demande d'injonction en délivrance de titre de séjour et d'enjoindre au préfet de l'Isère de lui délivrer une carte de résident d'une durée de dix ans, subsidiairement une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai de trente jours suivant la notification de l'arrêt et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;

- en tout état de cause, le refus de titre de séjour litigieux méconnaît le 2ème alinéa de l'article L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et les articles 3-1 et 9-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'obligation de quitter le territoire français litigieuse méconnaît le 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision et celles fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français sont illégales en conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

- l'interdiction de retour sur le territoire français est entachée d'erreur d'appréciation ;

- l'annulation de ces décisions implique nécessairement qu'un titre de séjour lui soit délivré, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Sophie Corvellec,

- et les observations de Mme C... ;

Considérant ce qui suit :

1. Le 26 juin 2020, Mme C..., ressortissante ivoirienne née en 1996, a sollicité le renouvellement du titre de séjour dont elle disposait en qualité de mère d'un enfant de nationalité française. Le préfet de l'Isère a rejeté sa demande, en assortissant sa décision d'une obligation de quitter le territoire français et d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, par un arrêté du 4 août 2022. Le tribunal administratif de Grenoble a, par jugement du 31 janvier 2023, annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de procéder à un nouvel examen de la demande de Mme C.... Le préfet de l'Isère relève appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, Mme C... demande, outre l'annulation de l'article 2 de ce jugement, qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour.

Sur l'appel principal du préfet de l'Isère :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an (...) ".

3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en œuvre des dispositions du L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.

4. Il ressort des pièces du dossier que la fille aînée de Mme C..., née le 3 mai 2016, est de nationalité française en raison de sa reconnaissance, avant sa naissance, par M. B..., ressortissant français. Pour soutenir que cette reconnaissance de paternité procèderait d'une fraude, le préfet de l'Isère fait valoir que M. B..., le père du second enfant de Mme C..., M. A...., et la prétendue co-locataire de l'intéressée, Mme D., ont, par le passé, partagé la même adresse et que l'enfant, de même que celui de Mme D., portent une partie du nom de M. A... comme deuxième prénom. Toutefois, ces circonstances, qui indiquent tout au plus que ces personnes se connaissent, ne permettent pas d'établir que le père de la fille aînée de Mme C... serait en réalité M. A...., comme le prétend le préfet de l'Isère. En outre, Mme C... indique, sans être contredite, avoir elle-même proposé à l'autorité judiciaire saisie de cette suspicion de fraude, la réalisation d'un test génétique pour confirmer la paternité de sa fille. Dans ces conditions, et alors même que M. B... n'entretiendrait aucune relation avec l'enfant qu'il a reconnue, le préfet de l'Isère ne démontre pas le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité à l'origine de la nationalité française de cette enfant.

5. En second lieu, si le préfet de l'Isère ajoute que Mme C... " ne remplit pas les conditions exigées par les articles L. 423-7 et 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ", il n'apporte aucune précision à l'appui de ce moyen. A supposer qu'il ait ainsi entendu solliciter une substitution de motif, celle-ci ne peut qu'être écartée.

6. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 4 août 2022.

Sur les conclusions incidentes présentées par Mme C... :

7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution (...) ", tandis qu'aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé (...) ".

8. Le tribunal ayant sanctionné l'analyse erronée de la fraude qui a conduit le préfet de l'Isère à ne pas examiner au fond les conditions de renouvellement du titre de séjour de Mme C... au regard de l'article L. 423-8, ce motif impliquait nécessairement, au sens de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, mais seulement, qu'il soit enjoint à celui-ci de procéder à un nouvel examen de sa demande.

9. Il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a seulement enjoint au préfet de l'Isère de réexaminer sa demande.

Sur les frais liés au litige :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Mme C... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de l'Isère est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Mme C... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par Mme C... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 2 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Philippe Arbarétaz, président de chambre,

Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,

Mme Sophie Corvellec, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2023.

La rapporteure,

S. CorvellecLe président,

Ph. Arbarétaz

La greffière,

A.-C. Ponnelle

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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N° 23LY00800


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY00800
Date de la décision : 23/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Sophie CORVELLEC
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : PRALIAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-23;23ly00800 ?
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