Vu la procédure suivante :
Procédures contentieuses antérieures
Mme K... G..., M. Y... Q..., Mme P... H..., Mme B... I..., M. F... C..., Mme U... N..., Mme X... A..., Mme T... D..., Mme E... L..., M. S... O..., Mme W... R..., Mme Z... M... et M. J... V... ont respectivement, avec le syndicat FAPT de l'Allier et l'unité départementale CGT de l'Allier, demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand :
1°) le règlement de traitements et de congés payés à hauteur de respectivement, 16 505,29 euros et 1 650,53 euros pour Mme G..., 3 067,98 euros et 306,80 euros pour M. Q..., 3 871,67 euros et 387,17 euros pour Mme H..., 4 323,27 euros et 432,33 euros pour Mme I..., 3 185,47 euros et 318,74 euros pour M. C..., 4 189,09 euros et 418,91 euros pour Mme N..., 4 249,74 euros et 424,97 euros pour Mme A..., 3884,62 euros et 388,46 euros pour Mme D..., 2 917,33 euros et 291,73 euros pour Mme L..., 2 375,31 euros et 237,53 euros pour M. O..., 4 418,32 euros et 441,83 euros pour Mme R..., 2 044,72 euros et 204,47 euros pour Mme M... et 3 216,16 euros et 321,62 euros pour M. V... et l'annulation des décisions le leur refusant ;
2°) la condamnation de la société La Poste à leur verser respectivement 9 000 euros pour Mme G... et 6 000 euros pour M. Q..., Mme H..., Mme I..., M. C..., Mme N..., Mme A..., Mme D..., Mme L..., M. O..., Mme R..., Mme M... et M. V... de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral et financier et 1 000 euros à chacun des syndicats à titre de dommages intérêts.
Par un jugement n° 2000857, 2000858, 2000859, 2000860, 2000861, 2000862, 2000863, 2000864, 2000865, 2000866, 2000867, 2000868, 2000869 du 19 mai 2022, le tribunal a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 18 juillet 2022, Mme G..., M. Q..., Mme H..., Mme I..., M. C..., Mme N..., Mme A..., Mme D..., Mme L..., M. O..., Mme R..., Mme M..., M. V..., le syndicat FAPT de l'Allier et l'unité départementale CGT de l'Allier, représentés par Me Giraud, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la société La Poste au versement de respectivement 16 505,29 euros et 1 650,53 euros à Mme G..., 2 928,47 euros et 292,85 euros à M. Q..., 3 871,67 euros et 387,17 euros à Mme H..., 7 219,36 euros et 721,94 euros à Mme I..., 7 280,85 euros et 728,08 euros à M. C..., 6 701,04 euros et 670,10 euros à Mme N..., 13 526,64 euros et 1 352,67 euros à Mme A..., 15 055,53 euros 1 505,55 euros à Mme D..., 9 126,71 euros et 912,67 euros à Mme L..., 11 802,57 euros et 1 180,26 euros à M. O..., 9 268,95 euros et 926,89 euros à Mme R..., 7 345,21 euros et 734,52 euros à Mme M... et 10 052,85 euros et 1 005,28 euros à M. V... au titre des traitements et congés payés qui leurs sont dus ;
3°) de condamner la société La Poste à verser respectivement à Mme G..., M. Q..., Mme H..., Mme I..., M. C..., Mme N..., Mme A..., Mme D..., Mme L..., M. O..., Mme R..., Mme M... et M. V... une somme de 9 000 euros en réparation du préjudice moral et financier subi, ainsi qu'une somme de 13 000 euros à chacun des deux syndicats ;
4°) de mettre à la charge de la société la Poste une somme de 2 000 euros à verser respectivement à Mme G..., M. Q..., Mme H..., Mme I..., M. C..., Mme N..., Mme A..., Mme D..., Mme L..., M. O..., Mme R..., Mme M... et M. V... et une somme de 5 000 euros à verser à chaque syndicat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- ils ont droit au versement des sommes indûment retenues sur leurs traitements et aux congés payés afférents car l'exercice de leur droit de retrait était justifié par l'existence d'un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé ;
- ils ont droit à la réparation du préjudice moral et financier qu'ils ont subi dans la mesure où ils ont été privés de traitement pendant huit mois et qu'ils ont fait l'objet de pressions ;
- les syndicats, qui ont apporté une aide morale et matérielle aux agents, justifient d'un préjudice propre.
Par un mémoire enregistré le 30 septembre 2022, la société La Poste conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de chacun des requérants une somme de 2 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les demandes présentées prématurément devant le tribunal, avant que les décisions de rejet de leurs réclamations préalables ne soient intervenues, n'étaient pas recevables ;
- le recours au droit de retrait n'était pas justifié par une danger grave et imminent ;
- l'exercice du droit de retrait a entrainé la création d'une nouvelle situation de danger grave et imminent ;
- l'exercice illégal du droit de retrait justifiait que soient pratiquées des retenues sur traitement ;
- leurs demandes portant sur les congés payés afférents aux jours où ils ont exercé leur droit de retrait n'ont aucun fondement juridique ;
- les demandes indemnitaires des fonctionnaires ne sont pas fondées dès lors que la société La Poste n'a commis aucune faute et qu'ils ne justifient pas de l'existence d'un préjudice ;
- les demandes indemnitaires des syndicats ne sont pas fondées, en l'absence de faute de la société La Poste et en l'absence de préjudice propre.
Par ordonnance du 19 septembre 2023, la clôture de l'instruction à effet immédiat a été prononcée.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
- le décret n° 2011-619 du 31 mai 2011 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, rapporteure,
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public,
- et les observations de Me Ladoul pour la société La Poste ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme G..., M. Q..., Mme H..., Mme I..., M. C..., Mme N..., Mme A..., Mme D..., Mme L..., M. O..., Mme R..., Mme M... et M. V..., fonctionnaires au sein de la plateforme de préparation et distribution du courrier de Moulins-Yzeure de La Poste ont exercé leur droit de retrait du 15 janvier 2020 au 11 septembre 2020 à la suite du prononcé de sanctions disciplinaires à l'encontre de collègues. Par courrier du 20 février 2020 la société La Poste les a informés qu'elle avait procédé à des retenues sur traitements à raison des jours non travaillés au mois de janvier 2020 sur la paie du mois de février. Mme G... et les douze autres fonctionnaires précités, ont, avec le syndicat FAPT de l'Allier et l'unité départementale CGT de l'Allier, par courriers du 20 février 2020, demandé à la société La Poste le remboursement de ces retenues augmentées des congés payés y afférents et de réparer le préjudice moral et financier subi du fait de l'exercice de cette retenue en leur versant des dommages intérêts. Ils ont ensuite saisi le tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'une demande tendant au règlement par la société La Poste de ces sommes et à la condamnation de la société La Poste à leur verser des dommages-intérêts. Ils relèvent appel du jugement du 19 mai 2022 par lequel le tribunal a rejeté leurs demandes et demandent à la cour de condamner la société La Poste à leur verser la totalité des sommes qu'elle a retenues sur leurs traitements correspondant à leurs absences jusqu'au 11 septembre 2020 ainsi que les congés payés y afférents et de la condamner à verser à chacun d'eux une somme de 9 000 euros et à chacun des deux syndicats une somme de 13 000 euros en réparation des préjudices subis.
Sur les conclusions pécuniaires :
2. Aux termes de l'article 6 du décret du 31 mai 2011 relatif à la santé et à la sécurité au travail à La Poste : " I.- Tout agent de La Poste signale immédiatement au responsable de La Poste toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection. / Aucune sanction ne peut être prise ni aucune retenue de salaire faite à l'encontre d'un agent ou d'un groupe d'agents qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou la santé de chacun d'eux. " Aux termes de l'article 7 du même décret : " I.- Si un membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail constate qu'il existe une cause de danger grave et imminent, notamment lorsqu'un agent a exercé son droit de retrait dans les conditions définies à l'article 6, il en avise immédiatement le responsable de La Poste et consigne cet avis dans le registre prévu à l'article 8. Le responsable de La Poste fait une enquête immédiate, accompagné du membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ayant signalé le danger. Le responsable de La Poste prend les mesures nécessaires pour remédier à la situation et informe le comité des décisions prises. ".
3. Il résulte de l'instruction que les requérants ont exercé leur droit de retrait à compter du 15 janvier 2020. Aucun d'entre eux n'a personnellement signalé au responsable de La Poste le motif qui l'a conduit à exercer son droit. Une mention a été portée le 15 janvier 2020 sur le registre du comité d'hygiène et de sécurité (CHSCT) indiquant que tous les agents de la plateforme de préparation et distribution du courrier de Moulins-Yzeure ont décidé de faire usage de leur droit de retrait à la suite de la réception, par trois agents, de sanctions disciplinaires. La mention précisait qu'ils demandaient le retrait de ces trois sanctions, qui pouvaient engendrer des risques psycho-sociaux. Ces sanctions avaient été prises par la direction de La Poste à la suite de dégradations commises le 6 décembre 2019 à l'occasion d'un piquet de grève. Le 16 janvier 2020, une nouvelle mention sur le registre faisait état d'un danger grave et immédiat et d'une alerte sociale nationale toujours en cours, du mépris de la direction et de son refus d'échanger avec le personnel. Le 21 janvier 2020, en application de l'article 7 précité du décret du 31 mai 2011, la secrétaire du CHSCT a procédé au signalement d'un danger grave et immédiat pour l'ensemble des agents de la plateforme en faisant état de la crainte de revivre le traumatisme vécu par les agents en février 2019, à la suite d'un piquet de grève qui avait dégénéré et au cours duquel des agents avaient été blessés, la crainte de revivre " la violence de la direction " du mois de mai 2019, le fait qu'alors qu'un bilan social devait être réalisé dans un délai qui était arrivé à échéance aucune réunion n'avait été organisée, qu'une alerte sociale nationale n'était pas traitée, que les révisions de tournées demandées depuis octobre 2019 étaient toujours en suspens et que la direction bafouait les règles des ressources humaines. Ce signalement a conduit à l'organisation de réunions extraordinaires du CHSCT les 23 puis 24 janvier 2020 en présence d'un agent de contrôle de l'inspection du travail, qui s'est rendu sur place le 27 janvier 2020 pour entendre les agents qui le souhaitaient. A la suite de ces entrevues, qui n'ont concerné que quelques agents, par courrier du 4 février 2020, et conformément aux pouvoirs qu'il tient de l'article L. 4721-1 du code du travail, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), constatant qu'il existait un danger pour la santé de certains agents, a mis en demeure la société La Poste de prendre dans un délai de trente jours les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs de la plateforme.
4. Il est constant, au vu de ces éléments, que les relations sociales étaient très tendues au sein de la plateforme de préparation et distribution du courrier de Moulins-Yzeure à la suite des différents conflits sociaux survenus dans les mois précédents aux niveaux national et local. Ces tensions ont été accentuées à la suite d'un changement de direction de l'établissement. L'atmosphère de travail s'est peu à peu dégradée au sein de cet établissement. Pour autant, et alors même que le directeur régional de la DIRECCTE a constaté qu'il existait un danger pour la santé de certains agents, cette situation ne caractérisait pas, ainsi qu'en témoignent notamment les premiers motifs qui ont été invoqués pour justifier de l'exercice du droit de retrait, une situation de travail dont les requérants auraient, chacun en ce qui le concerne, eu un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé justifiant de l'usage de ce droit. Dans ces conditions, et quelle que soit l'appréciation qui a pu être par ailleurs portée par le juge judiciaire sur la légitimité de l'exercice du droit de retrait par les salariés de droit privé de la plateforme, la société La Poste a pu légalement procéder à des retenues de traitements pour service non fait. Par suite, Mme G... et autres ne sont pas fondés à demander, chacun en ce qui le concerne, la condamnation de la société La Poste, à leur verser le montant des sommes qui ont été retenues sur leurs traitements ainsi que les congés payés y afférents.
Sur les conclusions indemnitaires :
5. L'exercice par Mme G... et autres de leur droit de retrait n'étant pas justifié, ils ne sont pas fondés à réclamer l'indemnisation du préjudice moral et financier qu'ils auraient subi à raison des retenues de traitement qui ont été pratiquées par La Poste à compter de leur paie du mois de février 2020.
6. Pour le même motif, le syndicat FAPT de l'Allier et l'unité départementale CGT de l'Allier, qui au demeurant ne justifient pas d'un préjudice propre, ne sont pas fondés à demander la condamnation de la Poste à réparer le préjudice qui aurait résulté, pour eux, de l'illégalité des retenues de traitement qui ont été pratiquées par la société La Poste.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par la société La Poste devant le tribunal, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté leurs demandes.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de chacun des requérants une somme de 100 euros au titre des frais exposés par la société La Poste et non compris dans les dépens.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société La Poste qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse aux requérants les sommes qu'ils réclament au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme G... et autres est rejetée.
Article 2 : Mme G... et autres verseront chacun une somme de 100 euros à la société La Poste en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme K... G..., première dénommée et à la société La Poste.
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Picard, président,
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure,
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2023.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V.-M. Picard
La greffière,
A.-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de la transformation et de la fonction publiques en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier,
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N° 22LY02245
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