Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Mottin et la société July ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler d'une part, l'arrêté du 6 avril 2020 par lequel le maire de Blangy-sur-Bresle a accordé à la SNC Lidl un permis de construire un centre commercial ainsi que la décision du 18 juin 2020 rejetant le recours gracieux formé contre cet arrêté et d'autre part, l'arrêté du 12 mars 2021 par lequel le maire de Blangy-sur-Bresle a accordé un permis modificatif portant sur le même projet.
Par un jugement n° 2002167 du 7 avril 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ces demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 juin 2022 et des mémoires enregistrés le 29 juin 2023, le 15 septembre 2023, ainsi que le 21 septembre 2023 et le 4 octobre 2023, la société Mottin et la société July, représentées par Me Rémy Demaret, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler le permis de construire délivré le 6 avril 2020 par le maire de Blangy-sur-Bresle modifié par le permis modificatif délivré le 12 mars 2021 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Blangy-sur-Bresle et de la société Lidl la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- elles sont propriétaires de parcelles contiguës au projet, elles justifient ainsi de leur intérêt à agir ;
- le sous dimensionnement du parc de stationnement dans le projet porte atteinte à leurs intérêts ;
- elles ont agi en tant que propriétaires et exploitantes de terrains voisins et non en qualité de concurrentes ;
- l'implantation du projet va détourner des flux de véhicules à leur détriment ;
- le projet va créer une zone accidentogène qui préjudiciera à leurs intérêts ;
- le projet porte atteinte à leurs droits, elles étaient donc recevables à former un recours en tant que " membres du public " au sens de la convention d'Aarhus ;
- le Conseil d'Etat a déjà admis leur intérêt pour agir ;
- le permis de construire est fondé sur une décision illégale le dispensant d'évaluation environnementale notamment parce que le terrain est en zone humide ;
- ce permis méconnaît la protection des haies et alignements d'arbres instituée par le plan local d'urbanisme ;
- il méconnaît également les articles UV 1 et UV 2 du plan local d'urbanisme de Blangy-sur-Bresle ;
- le projet aurait dû faire l'objet d'une autorisation d'exploitation commerciale ;
- le permis méconnaît l'article L. 350-3 du code de l'urbanisme ;
- le dossier de demande ne permettait pas d'apprécier la conformité aux règles d'urbanisme et l'impact sur l'environnement du projet ;
- une étude d'incidence sur la zone Natura 2000 aurait dû faire partie des pièces du dossier ;
- le permis n'est pas conforme aux dispositions des articles Uy 3 et Uy 12 du plan local d'urbanisme de Blangy-sur-Bresle.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 15 mars 2023, le 6 septembre 2023 et le 26 septembre 2023, la SNC Lidl, représentée par Me Alexia Robbes, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge des sociétés Mottin et July de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable en l'absence de justification d'intérêt à agir des sociétés Mottin et July ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
La procédure a été communiquée à la commune de Blangy-sur-Bresle qui n'a pas produit de mémoire.
Par ordonnance du 22 septembre 2023, l'instruction a été rouverte et la clôture d'instruction a été fixée au 11 octobre 2023 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, faite à Aarhus le 25 juin 1998 ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de l'environnement ;
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me Lisa Tavernier, représentant les sociétés Mottin et July et de Me Alexia Robbes représentant la SNC Lidl.
Considérant ce qui suit :
1. Le maire de Blangy-sur-Bresle a délivré le 6 avril 2020 à la SNC Lidl un permis de construire un centre commercial de 2 103 m² de surface de plancher avec un parc de stationnement de 122 places sur un terrain d'une superficie totale de 11 881 mètres carrés, cadastré AN 16, 17 et 447. Les sociétés Mottin et July ont formé contre ce permis un recours gracieux qui a été rejeté par décision du 18 juin 2020. Les sociétés Mottin et July en ont alors demandé l'annulation au tribunal administratif de Rouen. Au cours de l'instance devant le tribunal administratif, le maire de Blangy-sur-Bresle a délivré le 12 mars 2021, un permis modificatif dont les deux sociétés ont également demandé l'annulation. Elles relèvent appel du jugement du 7 avril 2022 qui a rejeté leurs conclusions pour irrecevabilité.
Sur la régularité du jugement :
En ce qui concerne la motivation du jugement :
2. Le jugement du tribunal administratif a répondu à chacun des arguments développés par les sociétés Mottin et July pour établir leur intérêt pour agir. En particulier, il a fait référence aux flux de circulation et à la valeur vénale des propriétés de la société Mottin. Le moyen tiré de l'irrégularité du jugement en tant qu'il est insuffisamment motivé doit donc être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré de ce que le tribunal administratif a rejeté à tort la demande comme irrecevable :
3. Aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme: " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation.".
4. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.
5. En dehors du cas où les caractéristiques particulières de la construction envisagée sont de nature à affecter par elles-mêmes les conditions d'exploitation d'un établissement commercial, ce dernier ne justifie pas d'un intérêt à contester devant le juge de l'excès de pouvoir un permis de construire délivré à une entreprise concurrente, même située à proximité.
S'agissant de la qualité de voisins immédiats du projet :
6. Les société Mottin et July entendent se prévaloir de leur qualité de voisins immédiats du projet.
7. D'une part, la société Mottin établit qu'elle est propriétaire de parcelles dont les plus proches sont situées à environ 32 mètres du projet. Les appelantes produisent également un contrat de location gérance du 27 juin 2018 par lequel la société Mottin loue à la société July un fonds de commerce comprenant notamment une station de distribution de carburants. Si ce contrat ne précise pas les parcelles sur lesquelles sont implantés les fonds de commerce, un constat d'huissier établi à la demande des appelantes, le 28 septembre 2023, soit postérieurement à l'introduction de la demande de première instance établit que la station-service que la société July soutient exploiter est située à 38,5 mètres du projet à vol d'oiseau.
8. Toutefois, ces parcelles, situées à proximité du projet, sont séparées du projet au nord par la route départementale 49 E qui constitue un axe de circulation important permettant l'accès à l'autoroute et traversant ensuite le centre-ville de Blangy-sur-Bresle. Elles ne sont pas non plus en face du projet qui est situé en face d'une vaste parcelle inoccupée constituant un délaissé autoroutier. Elles sont par ailleurs séparées du projet à l'ouest par la route départementale 49 D qui constitue la bretelle d'accès et de sortie de l'autoroute et se poursuit de l'autre côté de la route départementale 49 E pour rejoindre une autre voie départementale de contournement du centre-ville de Blangy-sur-Bresle. Aucun passage piéton ne permet de traverser ce carrefour routier d'importance. Dans ces conditions, les sociétés Mottin et July, séparées du projet par cette interconnexion routière, ne peuvent être considérées comme des voisins immédiats du projet.
S'agissant de l'intérêt à agir de la société Mottin en tant que propriétaire :
9. La société Mottin fait valoir que le projet est susceptible d'affecter les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance des terrains dont elle est propriétaire.
10. En premier lieu, si la société Mottin fait valoir que le projet aura une incidence sur les flux de circulation desservant les parcelles dont elle est propriétaire, l'étude de circulation réalisée pour le projet de centre commercial conclut que l'impact de ce projet sur la circulation reste compatible avec le fonctionnement satisfaisant que la route départementale 49 E qui le dessert. Dans ces conditions, aucun élément ne permet d'établir que le projet aura une incidence accidentogène sur le trafic routier comme le prétend la société Mottin.
11. En deuxième lieu, si la société Mottin soutient également que le projet entrainera un stationnement sur les terrains dont elle est propriétaire à proximité du projet, ce dernier comprend un parking de 122 places dont les appelantes ne démontrent ni qu'il serait inadapté pour le projet, ni a fortiori que le stationnement excédentaire se ferait nécessairement sur leurs parcelles, situées de l'autre côté de la route départementale et de la bretelle autoroutière.
12. En troisième lieu, si la société Mottin se prévaut des incidences environnementales du projet, elle n'apporte aucun élément de nature à établir que les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de ses biens, aujourd'hui inoccupés ou en friche, ou loués à des fins d'exploitation d'une station-service seraient affectés par de telles incidences, à supposer qu'elles soient établies. Au surplus, si le projet jouxte une zone Natura 2000, le long de l'un des bras de la Bresle, cette zone est située à l'autre extrémité du terrain d'assiette par rapport aux propriétés de la société Mottin. En outre, si le projet prévoit l'abattage d'arbres, notamment de l'autre côté du carrefour par rapport aux propriétés de la société Mottin, il prévoit également la plantation de 34 arbres et un traitement végétalisé de ses abords.
13. En quatrième lieu, si la société Mottin a produit le rapport d'un expert-comptable du 17 juin 2020 qui fait état d'une prévision de perte de 15% de chiffre d'affaires pour la société July, cette perte résulte directement de l'activité concurrente exercée sur le site du projet et non d'une conséquence directe du permis de construire. La perte éventuelle de valeur du bail commercial de la société Mottin ne résulte donc pas d'une atteinte aux conditions de jouissance de son bien résultant de l'autorisation d'urbanisme.
14. Il résulte de ce qui précède que la société Mottin en tant que propriétaire de parcelles situées à proximité du projet n'apporte pas d'éléments suffisamment précis et étayés pour justifier d'une atteinte de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien.
S'agissant de l'atteinte aux conditions d'exploitation des établissements commerciaux :
15. En premier lieu, le supermarché dont la société Mottin est propriétaire est situé à plus de 450 mètres du projet et est séparé de celui-ci par l'autoroute A 28. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les caractéristiques de la construction envisagée affectent les conditions d'exploitation de cet établissement commercial.
16. En deuxième lieu, la société July est exploitante d'une station-service, située à environ quarante mètres du projet de l'autre côté de la route départementale 49 E desservant les deux parcelles et de la bretelle d'accès à l'autoroute. Elle n'apporte aucun élément de nature à démontrer, compte tenu de ce qui a été dit aux points précédents, que les caractéristiques de la construction envisagée affecteraient les conditions d'exploitation de sa station-service.
17. En troisième lieu, si les sociétés appelantes invoquent le droit à " former un recours devant une instance judiciaire ou un autre organe indépendant et impartial établi par la loi ", garanti en matière de décisions ayant une incidence sur l'environnement par l'article 9 de la Convention d'Aarhus, ces dispositions n'ont ni pour objet, ni pour effet de modifier les conditions d'appréciation par le juge administratif de l'intérêt donnant qualité pour agir contre des décisions ayant une incidence sur l'environnement.
18. En quatrième lieu, si les appelantes se prévalent de la décision du 24 juin 2021 par laquelle le Conseil d'Etat a annulé l'ordonnance du 16 avril 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Rouen saisi par les sociétés Mottin et July pour suspendre l'exécution du permis de construire, l'intérêt à se pourvoir en cassation de ces deux sociétés est distinct de leur intérêt à faire appel du jugement rejetant leur demande d'annulation du permis de construire. Au surplus, le Conseil d'Etat a annulé l'ordonnance, sans se prononcer, comme il le mentionne explicitement, sur la fin de non-recevoir opposée par la société Lidl à ce pourvoi.
19. Par suite, les sociétés Mottin et July ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a rejeté comme irrecevable leurs demandes dont il était saisi. Il résulte également de ce qui précède que le moyen tiré de l'irrégularité du jugement en ce qu'il aurait rejeté à tort la demande des sociétés Mottin et July comme irrecevables ne peut qu'être écarté.
Sur les frais liés au procès :
En ce qui concerne les frais mis à la charge des sociétés Mottin et July en première instance :
20. Les sociétés Mottin et July demandent l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen en tant qu'il a mis à leur charge des frais à verser à la commune de Blangy-sur-Bresle.
21. Si une personne publique qui n'a pas eu recours au ministère d'avocat peut néanmoins demander au juge le bénéfice de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais spécifiques exposés par elle à l'occasion de l'instance, elle ne saurait se borner à faire état d'un surcroît de travail de ses services et doit faire état précisément des frais qu'elle aurait exposés pour défendre à l'instance.
22. La commune de Blangy-sur-Bresle n'a pas eu recours à un avocat en première instance et s'est bornée à demander que les sommes engagées pour sa défense soient mises à la charge des sociétés Mottin et July. Par suite, il y a lieu de faire droit à la demande d'annulation des frais mises à la charge de ces sociétés au profit de la commune de Blangy-sur-Bresle et en conséquence d'annuler l'article 2 du jugement du 7 avril 2022 du tribunal administratif de Rouen.
En ce qui concerne l'instance d'appel :
23. Les conclusions des sociétés Mottin et July, parties principalement perdantes dans la présente instance doivent, être rejetées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
24. En revanche, il y a lieu de mettre à leur charge une somme globale de 2 000 euros à verser à la SNC Lidl au titre des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement n° 2002167 du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête des sociétés Mottin et July est rejeté.
Article 3 : Les sociétés Mottin et July verseront à la SNC Lidl une somme globale de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Mottin et July, à la SNC Lidl et à la commune de Blangy-sur-Bresle.
Délibéré après l'audience publique du 9 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente assesseure,
- M. Denis Perrin, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 novembre 2023.
Le rapporteur,
Signé : D. Perrin La présidente de la 1ère chambre,
signé : G. Borot
La greffière,
Signé : C. Sire
La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
N°22DA01274 2