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23/11/2023 | FRANCE | N°22DA01047

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 23 novembre 2023, 22DA01047


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



L'association Picardie nature a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 6 novembre 2019 par lequel le préfet de l'Oise a autorisé la société Carrières Chouvet à poursuivre et étendre l'exploitation d'une carrière alluvionnaire sur le territoire des communes de Bailleul-sur-Thérain, Rochy-Condé et Warluis.



Par un jugement n° 2001044 du 17 mars 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 17 mai 2022, l'association Picardie nat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Picardie nature a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 6 novembre 2019 par lequel le préfet de l'Oise a autorisé la société Carrières Chouvet à poursuivre et étendre l'exploitation d'une carrière alluvionnaire sur le territoire des communes de Bailleul-sur-Thérain, Rochy-Condé et Warluis.

Par un jugement n° 2001044 du 17 mars 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 17 mai 2022, l'association Picardie nature, représentée par Me Pierre-Edouard Szymanski, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 17 mars 2022 ;

2°) d'annuler cet arrêté du 6 novembre 2019 du préfet de l'Oise ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son président a qualité pour agir ;

- l'étude d'impact est lacunaire ;

- le périmètre de l'enquête publique aurait dû comprendre la commune de Therdonne et aucun dossier n'a été remis au maire de cette commune ;

- le dossier d'enquête publique est lacunaire ;

- les conclusions du commissaire enquêteur sont insuffisamment motivées ;

- l'arrêté attaqué est incompatible avec le schéma départemental des carrières ;

- il méconnaît l'article L. 411-1 du code de l'environnement ;

- il méconnaît l'article L. 341-5 du code forestier ;

- il méconnaît l'article L. 110-1 du code de l'environnement ;

- il est incompatible avec le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux ;

- il méconnaît l'article L. 181-3 du code de l'environnement et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Par des mémoires en défense enregistrés les 9 janvier 2023 et 28 avril 2023, la société Carrières Chouvet, représentée par Me Isabelle Cassin, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire, au prononcé d'une annulation partielle ou d'un sursis à statuer sur le fondement de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, en ne suspendant pas l'exécution des parties non viciées de l'autorisation ;

3°) à titre subsidiaire, à la modulation des effets de l'annulation de l'arrêté attaqué, en fixant sa date d'entrée en vigueur à la fin de de l'exploitation des secteurs B et C et à la fin de la phase 1 de l'exploitation du secteur A ;

4°) à la mise à la charge de l'association Picardie nature de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le président de l'association n'a pas qualité pour agir ;

- les moyens contenus dans la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 6 octobre 2023, l'instruction a été close le jour même en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Un mémoire en défense présenté par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a été enregistré le 9 octobre 2023 au greffe de la cour, après la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stéphane Eustache, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Isabelle Cassin représentant la société Carrières Chouvet.

Considérant ce qui suit :

1. La société Carrières Chouvet a déposé le 13 avril 2017 et complété les 13 décembre 2017 et 19 juin 2018 une demande d'autorisation tendant à poursuivre et étendre l'exploitation d'une carrière de sables et de graviers sur le territoire des communes de Warluis, Rochy-Condé et de Bailleul-sur-Thérain. Par un arrêté du 6 novembre 2019, le préfet de l'Oise a délivré l'autorisation sollicitée. L'association Picardie nature a demandé au tribunal administratif d'Amiens, d'une part, la suspension de l'exécution de cet arrêté sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative et, d'autre part, l'annulation de cet arrêté. Par une ordonnance n°2101189 du 21 avril 2021, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a suspendu l'exécution de cet arrêté " jusqu'au jugement au fond des requêtes n°s 2000747 et 2001044 ". Par un jugement n° 2001044 du 17 mars 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande d'annulation. L'association Picardie nature interjette appel contre ce jugement.

Sur la recevabilité :

2. Une association est régulièrement engagée par l'organe tenant de ses statuts le pouvoir de la représenter en justice, sauf stipulation de ces statuts réservant expressément à un autre organe la capacité de décider de former une action devant le juge administratif. Il appartient à la juridiction administrative saisie, qui en a toujours la faculté, de s'assurer, le cas échéant, que le représentant de cette personne morale justifie de sa qualité pour agir au nom de cette partie. Tel est le cas lorsque cette qualité est contestée sérieusement par l'autre partie ou qu'au premier examen l'absence de qualité du représentant de la personne morale semble ressortir des pièces du dossier. A ce titre, si le juge doit s'assurer de la réalité de l'habilitation du représentant de l'association qui l'a saisi, lorsque celle-ci est requise par les statuts, il ne lui appartient pas, en revanche, de vérifier la régularité des conditions dans lesquelles une telle habilitation a été adoptée.

3. D'une part, aux termes de l'article 10 des statuts de l'association Picardie nature : " [Le] conseil [d'administration] élit un bureau composé du président, des vices-présidents, du trésorier et du secrétaire. Le bureau est élu pour un an ". Aux termes de l'article 11 des mêmes statuts : " Le conseil d'administration se réunit soit physiquement, soit par réunion téléphonique, visio-conférence ou autre moyen électronique au moins trois fois par an et chaque fois qu'il est convoqué par son président ou sur la demande au moins du quart des administrateurs-trices. / La présence et la représentation de la majorité absolue des administrateurs est nécessaire pour la validité des délibérations. Les décisions sont prises à la majorité des voix des administrateurs présents ou représentés (...) ".

4. Aux termes de l'article 14 des mêmes statuts : " L'association est représentée en justice et dans tous les actes de la vie civile par le Président, les vices-présidents ou tout autre personne quand ils sont délégués à cet effet par le conseil d'administration ou le bureau. / Le conseil d'administration, compétent pour ester en justice, peut mandater par délibération spéciale une ou plusieurs personnes physiques, membre ou salarié de l'association, jouissant du plein exercice de ses droits civils. / Toutefois, lorsqu'un délai de procédure empêche une décision avant le terme de la prochaine réunion normalement prévue du conseil d'administration, le Président a compétence exclusive pour décider d'ester en justice, sous réserve d'en informer le conseil d'administration lors de sa plus prochaine réunion ".

5. D'autre part, aux termes de l'article R. 181-50 du code de l'environnement : " Les décisions mentionnées aux articles L. 181-12 à L. 181-15-1 peuvent être déférées à la juridiction administrative : / (...) / 2° Par les tiers intéressés en raison des inconvénients ou des dangers pour les intérêts mentionnés à l'article L. 181-3, dans un délai de quatre mois à compter de : / a) L'affichage en mairie dans les conditions prévues au 2° de l'article R. 181-44 ; / b) La publication de la décision sur le site internet de la préfecture prévue au 4° du même article. / Le délai court à compter de la dernière formalité accomplie. Si l'affichage constitue cette dernière formalité, le délai court à compter du premier jour d'affichage de la décision (...) ".

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le délai de recours contentieux contre l'arrêté litigieux a commencé à courir à compter du 21 novembre 2019 dans les conditions prévues à l'article R. 181-50 du code de l'environnement. Or l'appelante soutient, sans être sérieusement contredite, qu'elle n'a pris connaissance de l'arrêté litigieux qu'au début du mois de mars 2020, alors que le prochain conseil d'administration, selon la programmation qui avait été arrêtée, ne devait se réunir que le 7 avril 2020 et n'a pu effectivement avoir lieu que le 10 juin 2020 en raison des contraintes liées à l'épidémie de Covid 19 et, en particulier, à l'hospitalisation de son président.

7. Il s'ensuit qu'avant l'expiration du délai de recours contentieux, la décision d'ester en justice contre l'arrêté litigieux ne pouvait en principe être utilement prise par le conseil d'administration au cours d'une de ses réunions " normalement " prévues au sens de l'article 14 des statuts de l'association. En outre, si l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 a prorogé les délais de recours contentieux qui ont expiré entre le 12 mars et le 23 juin 2020, le président de l'association a introduit la demande de première instance devant le tribunal administratif d'Amiens le 21 mars 2020, avant qu'une telle prorogation ne soit édictée et n'entre en vigueur de manière rétroactive.

8. Dans ces conditions, eu égard au motif d'urgence établi à la date de la saisine du tribunal administratif, le président de l'association était légalement compétent pour ester en justice au nom de l'association en application du dernier alinéa de l'article 14 des statuts, alors même que, d'une part, le conseil d'administration aurait pu se réunir de manière extraordinaire et, le cas échéant, dématérialisée pour se prononcer lui-même avant l'expiration du délai de recours contentieux et que, d'autre part, l'association pouvait bénéficier pour contester l'arrêté litigieux de la prorogation prévue par l'article 2 de l'ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020.

9. En second lieu, si le dernier alinéa de l'article 14 des statuts de l'association stipule que le conseil d'administration doit être informé, une fois qu'elle a été prise, de la décision du président d'ester en justice, il résulte de ces statuts qu'une telle formalité n'est pas prescrite à peine d'irrégularité de l'action introduite devant la juridiction administrative. Il s'ensuit que la société Carrières Chouvet ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance de cette formalité pour contester la qualité pour agir du président de l'association.

10. Au demeurant, il résulte de l'instruction que, d'une part, le conseil d'administration de l'association, lors de sa réunion du 10 juin 2020, a été informé par son président de l'action contentieuse engagée devant le tribunal administratif d'Amiens et que, d'autre part, par une délibération du 27 avril 2022, le conseil d'administration a décidé de " confirmer le bien-fondé de la requête en annulation initiale déposée le 21 mars 2020 par Patrick Thiery, président en exercice, dans le respect des dispositions de l'article 14 [des] statuts " et de " faire appel du jugement du tribunal administratif en date du 17 mars 2022 ".

11. Il résulte de ce qui précède que le président de l'association Picardie Nature avait qualité pour présenter la demande de première instance qui a été enregistrée le 21 mars 2020 devant le tribunal administratif d'Amiens. Par suite, l'association est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande comme irrecevable au motif que son président, qui la représentait, ne justifiait pas de sa qualité pour agir.

12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif d'Amiens pour qu'il statue à nouveau sur la demande de l'association Picardie nature.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'association Picardie nature, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, au titre des frais exposés par la société Carrières Chouvet et non compris dans les dépens.

14. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Carrières Chouvet le versement d'une somme de 1 500 euros à l'association Picardie nature au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°2001044 du 17 mars 2022 du tribunal administratif d'Amiens et annulé.

Article 2 : L'association Picardie nature est renvoyée devant le tribunal administratif d'Amiens pour qu'il soit statué sur sa demande.

Article 3 : La société Carrières Chouvet versera une somme de 1 500 euros à l'association Picardie Nature en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la société Carrières Chouvet sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Picardie nature et à la société Carrières Chouvet.

Copie en sera transmise pour information au préfet de l'Oise.

Délibéré après l'audience publique du 9 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : S. Eustache

La présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

N°22DA01047 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01047
Date de la décision : 23/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Stéphane Eustache
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : SZYMANSKI

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-23;22da01047 ?
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