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23/11/2023 | FRANCE | N°22DA01029

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 23 novembre 2023, 22DA01029


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La Fédération France Nature Environnement Normandie (FNE Normandie) et le Groupe national de surveillance des arbres (GNSA) ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir, l'arrêté du 4 décembre 2020 par lequel le maire du Neubourg n'a pas fait opposition à la déclaration préalable déposée le 2 novembre 2020 par la commune en vue de la coupe et de l'abattage d'un alignement de 167 arbres le long de l'avenue du Champ de Bataille et a assorti

cette déclaration de prescriptions, ensemble l'arrêté du 15 décembre 2020 modifiant l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Fédération France Nature Environnement Normandie (FNE Normandie) et le Groupe national de surveillance des arbres (GNSA) ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir, l'arrêté du 4 décembre 2020 par lequel le maire du Neubourg n'a pas fait opposition à la déclaration préalable déposée le 2 novembre 2020 par la commune en vue de la coupe et de l'abattage d'un alignement de 167 arbres le long de l'avenue du Champ de Bataille et a assorti cette déclaration de prescriptions, ensemble l'arrêté du 15 décembre 2020 modifiant l'arrêté précité.

Par un jugement n° 2100356 du 10 mars 2022, le tribunal administratif de Rouen a annulé les arrêtés du 4 et 15 décembre 2020 en tant qu'ils n'ont pas limité l'autorisation d'abattage accordée aux trente arbres numérotés 6, 11, 12, 18, 48, 53, 54, 56,58, 65, 72, 74 et 75 (allée Nord) et à ceux numérotés 101, 105, 106, 107, 109, 111, 114, 127, 131,133, 135, 137, 149, 170, 181, 182 et 183 (allée Sud) dans le rapport de l'Office national des forêts daté de mai 2020.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 mai 2022 et des mémoires enregistrés le 27 décembre 2022 et le 7 mars 2023, la commune du Neubourg, représentée par Me Sandrine Gillet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes de FNE Normandie et du GNSA ;

3°) à titre subsidiaire de surseoir à statuer pour permettre à la commune du Neubourg de régulariser les arrêtés des 4 et 15 décembre 2020, en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme ;

4°) de mettre à la charge de FNE Normandie et du GNSA le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'abattage de la totalité des arbres était nécessaire pour des motifs sanitaires et des mesures de compensation avaient été prévues ;

- aucun des autres moyens de la requête de France nature environnement n'était fondé ;

- elle sollicite subsidiairement d'être invitée à régulariser.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 1er août 2022 et le 20 février 2023, France nature environnement (FNE) Normandie, représentée par Me Justine Touzet, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la commune du Neubourg de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement du tribunal administratif de Rouen est particulièrement bien fondé ;

- subsidiairement, les autres moyens développés en première instance justifient également l'annulation des décisions de la commune du Neubourg ;

- aucune mesure de régularisation n'est possible.

Par une ordonnance du 28 mars 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Charles Carluis représentant la commune du Neubourg et de Me Justine Touzet représentant la fédération France nature environnement.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. La commune du Neubourg a déposé, le 2 novembre 2020, une déclaration préalable pour l'abattage des arbres de l'allée conduisant au château du Champ de bataille depuis le centre de cette commune. Par un arrêté du 4 décembre 2020 modifié par un arrêté du 15 décembre suivant, la maire de Neubourg ne s'est pas opposée à cette déclaration préalable. La Fédération nature environnement Normandie et le Groupe national de surveillance des arbres ont contesté ces arrêtés devant le tribunal administratif de Rouen. Par un jugement du 10 mars 2022, ce tribunal a annulé ces arrêtés en tant qu'ils n'ont pas limité l'abattage à 30 arbres, identifiés comme présentant un danger immédiat dans le diagnostic réalisé par l'Office national des forêts en mai 2020. La commune du Neubourg relève appel de ce jugement.

Sur le moyen d'annulation accueilli par le tribunal administratif de Rouen :

2. Aux termes de l'article L. 350-3 du code de l'environnement dans sa rédaction applicable : " Les allées d'arbres et alignements d'arbres qui bordent les voies de communication constituent un patrimoine culturel et une source d'aménités, en plus de leur rôle pour la préservation de la biodiversité et, à ce titre, font l'objet d'une protection spécifique. Ils sont protégés, appelant ainsi une conservation, à savoir leur maintien et leur renouvellement, et une mise en valeur spécifiques. / Le fait d'abattre, de porter atteinte à l'arbre, de compromettre la conservation ou de modifier radicalement l'aspect d'un ou de plusieurs arbres d'une allée ou d'un alignement d'arbres est interdit, sauf lorsqu'il est démontré que l'état sanitaire ou mécanique des arbres présente un danger pour la sécurité des personnes et des biens ou un danger sanitaire pour les autres arbres ou bien lorsque l'esthétique de la composition ne peut plus être assurée et que la préservation de la biodiversité peut être obtenue par d'autres mesures. / Des dérogations peuvent être accordées par l'autorité administrative compétente pour les besoins de projets de construction. / Le fait d'abattre ou de porter atteinte à l'arbre, de compromettre la conservation ou de modifier radicalement l'aspect d'un ou de plusieurs arbres d'une allée ou d'un alignement d'arbres donne lieu, y compris en cas d'autorisation ou de dérogation, à des mesures compensatoires locales, comprenant un volet en nature (plantations) et un volet financier destiné à assurer l'entretien ultérieur. "

3. Il résulte de ces dispositions que le fait d'abattre ou de porter atteinte à un ou à plusieurs des arbres qui composent une allée ou un alignement d'arbres le long des voies de communication est interdit, sauf si l'abattage ou l'atteinte est nécessaire pour des motifs sanitaires, mécaniques ou esthétiques ou s'il a été autorisé, à titre dérogatoire, pour la réalisation d'un projet de construction. L'abattage ou l'atteinte portée à un ou plusieurs arbres composant une allée ou un alignement doit donner lieu à des mesures compensatoires locales. Lorsqu'un permis de construire ou d'aménager ou une décision de non-opposition à déclaration préalable porte sur un projet impliquant l'atteinte ou l'abattage d'un ou plusieurs arbres composant une allée ou un alignement le long d'une voie de communication, il résulte des articles L. 421-6, R. 111-26 et R. 111-27 du code de l'urbanisme et de l'article L. 350-3 du code de l'environnement que l'autorisation d'urbanisme ou la décision de non-opposition à déclaration préalable vaut octroi de la dérogation prévue par le troisième alinéa de l'article L. 350-3 du code de l'environnement. Il appartient à l'autorité administrative compétente pour délivrer l'autorisation d'urbanisme ou statuer sur la déclaration préalable de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de la nécessité de l'abattage ou de l'atteinte portée aux arbres pour les besoins du projet ainsi que de l'existence de mesures de compensation appropriées et suffisantes à la charge du pétitionnaire ou du maître d'ouvrage.

4. Le juge de l'excès de pouvoir saisi de conclusions d'annulation d'une décision administrative se prononce au vu des circonstances de fait et de droit à la date de la décision. Il ne peut prendre en compte des éléments postérieurs à celle-ci que lorsque ceux-ci révèlent une situation préexistante.

5. Il ressort du rapport de l'Office national des forêts adressé à la maire du Neubourg que la totalité des arbres formant un double alignement de l'allée du champ de bataille présentaient un état sanitaire très médiocre. Toutefois, ce rapport relevait également que 38 arbres n'avaient que des défauts modérés. Il préconisait uniquement l'abattage dès que possible de 30 arbres, une taille de mise en sécurité de 24 autres arbres à l'automne 2020 et uniquement des tailles d'entretien ou de cohabitation pour 98 arbres ou encore des expertises complémentaires pour 19 arbres. Si ce rapport indiquait qu'un " renouvellement des alignements est à programmer dans les années à venir ", à aucun moment, il ne recommandait l'abattage de la totalité de l'allée, d'autant qu'il conditionnait les nouvelles plantations à une étude préalable de sol. La commune s'appuie également sur un diagnostic faunistique établi à sa demande. Néanmoins, si cette étude confirmait le mauvais état de l'allée et en conséquence sa faible attractivité pour les oiseaux et les chauve-souris, ce que conteste France nature environnement, elle ne préconisait pas de solution d'abattage de la totalité de l'allée et n'avait d'ailleurs pas cet objet. Enfin, si l'architecte des bâtiments de France saisi tant en raison de l'inscription de ce site qu'au titre des abords des monuments historiques a donné un avis favorable à l'abattage de la totalité de l'allée en indiquant qu'en cas d'abattage partiel, les arbres restants seraient plus fragiles, la plantation de nouveaux sujets ne serait pas possible et que l'aspect esthétique de l'alignement ne serait plus préservé, aucune pièce du dossier ne vient confirmer ces constats qui ne ressortent pas explicitement du rapport précité de l'Office national des forêts. Par ailleurs, il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que l'abattage de la totalité de l'allée serait le seul moyen de préserver l'esthétique à moyen terme du site.

6. Dans ces conditions, il n'est donc pas démontré que chacun des arbres dont l'abattage était projeté présentait un danger soit pour la sécurité, soit d'un point de vue sanitaire pour les autres arbres, ni qu'un abattage partiel ne permettait pas d'assurer l'esthétique de la composition. Le maire ne pouvait donc pas, au vu des éléments dont il disposait à la date de sa décision, ne pas s'opposer à la déclaration préalable sans méconnaitre les dispositions précitées de l'article L. 350-3 du code de l'environnement.

7. Si la commune se fonde également sur le rapport établi le 10 août 2021 par l'office national des forêts, celui-ci retrace l'évolution de l'allée d'arbres depuis le premier rapport de mai 2020. Le tribunal administratif comme la cour, statuant en excès de pouvoir, ne peut en aucun cas tenir compte de cet élément postérieur à la date de la décision, du 15 décembre 2020, qui ne fait pas état de la situation préexistante à cette date. Au surplus, le rapport du 10 août 2021, s'il relevait un processus de dépérissement irréversible des hêtres, ne préconisait qu'un abattage immédiat de 36 arbres au lieu de 30 dans le premier rapport ainsi que des tailles de mise en sécurité portant sur 44 arbres au lieu de 24, la commune n'établissant pas avoir entrepris les tailles préconisées dans le premier rapport.

8. La commune du Neubourg n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a annulé pour ce motif les arrêtés des 4 et 15 décembre 2020. Aucun autre moyen n'est susceptible d'entraîner l'annulation de ces décisions, comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges.

Sur les conclusions à titre subsidiaire de la commune :

9. Aux termes de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme : " Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5-1, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé, limite à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et, le cas échéant, fixe le délai dans lequel le titulaire de l'autorisation pourra en demander la régularisation, même après l'achèvement des travaux. Le refus par le juge de faire droit à une demande d'annulation partielle est motivé. " et aux termes de l'article L. 600-5-1 du même code : " Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. ".

10. Il résulte de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, éclairé par les travaux parlementaires ayant précédé l'adoption de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, que lorsque le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme dont l'annulation est demandée, sont susceptibles d'être régularisés, le juge doit surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation. Il invite au préalable les parties à présenter leurs observations sur la possibilité de régulariser le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme. Le juge n'est toutefois pas tenu de surseoir à statuer, d'une part, si les conditions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme sont réunies et qu'il fait le choix d'y recourir, d'autre part, si le bénéficiaire de l'autorisation lui a indiqué qu'il ne souhaitait pas bénéficier d'une mesure de régularisation.

11. Il n'est pas contesté que le moyen accueilli par le tribunal administratif de Rouen ne concernait qu'une partie du projet soumis à déclaration préalable d'abattage de la totalité de l'allée, l'abattage immédiat de 30 arbres étant préconisé dans le rapport de l'Office national des forêts de mai 2020. Le tribunal administratif de Rouen, après avoir écarté les autres moyens, pouvait donc faire le choix d'annuler seulement partiellement les arrêtés des 4 et 15 décembre 2020 en tant qu'ils n'avaient pas limité l'abattage aux seuls 30 arbres précédemment évoqués. Il n'était donc pas tenu de surseoir à statuer.

12. La cour confirmant le jugement du 10 mars 2022 et l'annulation partielle ainsi décidée, n'est pas non plus tenue de faire droit à la demande de régularisation formée par la commune du Neubourg en appel.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Fédération France nature environnement Normandie, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'appelante demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

14. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune du Neubourg la somme de 1 500 euros à verser à la Fédération France nature environnement Normandie au titre des frais qu'elle a exposés, non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune du Neubourg est rejetée.

Article 2 : La commune du Neubourg versera à la Fédération France nature environnement Normandie la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune du Neubourg et à la Fédération France nature environnement Normandie.

Copie en sera adressée à l'association Groupe National de Surveillance des arbres.

Délibéré après l'audience publique du 9 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Legrand, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : D. PerrinLa présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au préfet de l'Eure en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

N° 22DA01029 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01029
Date de la décision : 23/11/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : SCP EMO AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-23;22da01029 ?
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