Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre des années 2012 et 2013, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 2000096 du 15 juin 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 6 août 2021, le 14 septembre 2023, le 3 octobre 2023 et le 24 octobre 2023, M. B..., représenté par Me Coste, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 15 juin 2021 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions demeurant en litige et des pénalités y afférentes ;
3°) de condamner l'Etat aux entiers dépens et de mettre à sa charge une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal administratif n'a pas statué sur l'ensemble de ses arguments relatifs à la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires ;
- la société à responsabilité limitée (SARL) Villa Mont Liban n'a pas reçu le courrier du vérificateur daté du 28 janvier 2015 et formalisant les conditions d'exploitation du restaurant ;
- la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires de la SARL Villa Mont Liban est radicalement viciée ou, à défaut, excessivement sommaire ;
- plusieurs erreurs entachent cette reconstitution du chiffre d'affaires ;
- il propose une méthode pertinente de reconstitution de ce chiffre d'affaires ;
- c'est à tort que l'administration l'a regardé comme le maître de l'affaire et a ainsi estimé qu'il avait appréhendé les revenus réputés distribués.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 18 novembre 2021, le 25 septembre 2023 et le 16 octobre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mastrantuono,
- les conclusions de M. Ury, rapporteur public,
- et les observations de Me Coste, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue d'une vérification de comptabilité de la SARL Villa Mont Liban, dont M. B... est gérant et associé, l'administration fiscale, après avoir écarté la comptabilité présentée par la société comme étant irrégulière et non probante, a procédé à une reconstitution des chiffres d'affaires des exercices clos en 2012 et 2013. M. B... a fait l'objet d'un contrôle sur pièces à l'issue duquel il a été assujetti à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux au titre des années 2012 et 2013, à raison des recettes omises par la SARL Villa Mont Liban, regardées comme des revenus réputés distribués. M. B... relève appel du jugement du tribunal du 15 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la décharge des suppléments d'impôt demeurant à sa charge à l'issue de l'admission partielle d'une précédente réclamation préalable, ainsi que des pénalités correspondantes.
Sur la régularité du jugement :
2. Le tribunal a expressément répondu, au point 3 du jugement attaqué, aux moyens soulevés par M. B..., tirés de ce que la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires de la SARL Villa Mont Liban serait radicalement viciée ou excessivement sommaire. Ainsi, le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments présentés par le requérant, a répondu sur ce point de manière suffisante aux moyens invoqués.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
3. Si M. B... fait valoir que, contrairement à ce qui est indiqué dans la proposition de rectification du 18 mai 2015 adressée à la SARL Villa Mont Liban, cette dernière n'a pas réceptionné le pli contenant la lettre du vérificateur datée du 28 janvier 2015 et formalisant les conditions d'exploitation de son activité, les irrégularités de la procédure de rectification suivie à l'encontre de la SARL Villa Mont Liban, à les supposer même établies, sont sans incidence sur l'imposition personnelle de M. B..., en raison du principe d'indépendance des procédures de rectification menées à l'encontre de la société, d'une part, et de ses associés, d'autre part.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
4. Il résulte de l'instruction que la méthode initialement retenue par l'administration pour reconstituer les recettes de la SARL Villa Mont Liban a consisté à déterminer, dans un premier temps, le coefficient correspondant à la proportion des cafés vendus isolément dans le chiffre d'affaires total, à partir des copies du ticket Z relatif à la période du 18 février au 31 décembre 2014, dans un second temps, les recettes théoriques des ventes de cafés à partir des achats revendus, dont le montant a été établi grâce au dépouillement des factures, et corrigé des variations de stocks, puis à leur appliquer le rapport existant entre le chiffre d'affaires de ces boissons et le chiffre d'affaires global, en tenant compte d'abattements correspondant aux pertes et offerts à hauteur de 10 % et de la consommation du personnel. Elle a appliqué la même méthode s'agissant des ventes de vins en bouteilles, en retenant un taux de pertes de 2 %, et a calculé la moyenne des chiffres d'affaires ainsi obtenus. Dans le cadre du recours hiérarchique, l'administration a accepté d'appliquer cette méthode aux ventes de coca-cola, en retenant des abattements correspondant aux pertes et offerts à hauteur de 10 % et à la consommation du personnel à hauteur de 10 %. Elle a également admis de ne pas calculer la moyenne des chiffres d'affaires, mais de retenir le chiffre d'affaires le plus favorable à la société, à savoir celui déterminé à partir des achats revendus de vins pour l'exercice 2012, et de coca-cola pour l'exercice 2013. Elle a considéré que les recettes omises par la SARL Villa Mont Liban étaient des revenus réputés distribués, imposables entre les mains de M. B... sur le fondement de l'article 109,1-2° du code général des impôts à hauteur des montants respectifs de 33 855 euros et 45 916 euros au titre des années 2012 et 2013, et sur le fondement de l'article 109,1-1° du code général des impôts à hauteur du montant de 8 805 euros au titre de l'année 2013, et a appliqué à ces sommes, en ce qui concerne les revenus retenus pour le calcul de l'impôt sur le revenu, le coefficient multiplicateur de 1,25 prévu par l'article 158-7-1° du code général des impôts.
S'agissant des rectifications fondées sur l'article 109,1-1° du code général des impôts :
5. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (...) ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109 les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés (...) ".
6. En premier lieu, si les tarifs pratiqués par le restaurant exploité par la SARL Villa Mont Liban ont été augmentés au cours de l'année 2014 et la carte des vins refondue, M. B... ne démontre pas que les incidences de ces modifications sur la détermination des coefficients correspondant à la proportion des boissons vendues isolément dans le chiffre d'affaires total seraient de nature à vicier radicalement la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires retenue. Il en va de même de l'évolution des taux de taxe sur la valeur ajoutée au 1er janvier 2014. Le requérant ne démontre pas davantage l'incidence sur la reconstitution du chiffre d'affaires des travaux de construction d'un immeuble situé en face de l'établissement par la seule production de deux photographies de l'avenue prises avant et après cette construction. Par ailleurs, contrairement à ce qui est soutenu, le vérificateur a retenu les ventes de bouteilles de côtes-du-Rhône rouge de 75 cl pour la détermination du coefficient. Enfin, la méthode de reconstitution retenue, consistant à déterminer le chiffre d'affaires par extrapolation à partir des achats revendus de vin en bouteille, de café et de coca-cola, qui représentent respectivement 5,5 %, 0,95 % et 0,85 % des recettes totales, et à retenir le chiffre d'affaires le plus favorable à la société, n'apparaît ni radicalement viciée ni excessivement sommaire.
7. En deuxième lieu, si M. B... fait valoir que le nombre de journées d'ouverture du restaurant en 2013 serait erroné, que le nombre de couverts serait moindre que celui qui a été retenu, que le vérificateur n'a pas pris en compte le menu " Baalbeck ", et qu'aucune formule plat " indien " n'est proposée, ces circonstances sont sans incidence sur la reconstitution du chiffre d'affaires, fondée, ainsi qu'il a été dit précédemment, sur l'extrapolation du chiffre d'affaires par rapport aux achats revendus de certaines boissons. Par ailleurs, s'il fait valoir que le personnel consomme des boissons vendues au détail, et que le taux des offerts de boissons non alcoolisées s'élève à 10 %, l'administration, ainsi qu'il a déjà été exposé, a admis des abattements de 10 % au titre des pertes et offerts de coca-cola, et de 10 % au titre de la consommation du personnel, dont il n'est pas établi qu'ils seraient insuffisants. Par conséquent, le moyen tiré de ce que la reconstitution du chiffre d'affaires de la SARL Villa Mont Liban serait entachée d'erreurs doit être écarté.
8. En troisième lieu, M. B... propose une méthode de reconstitution du chiffre d'affaires fondée sur la moyenne des chiffres d'affaires obtenus à partir de l'extrapolation du chiffre d'affaires par rapport aux achats revendus de cinq boissons non alcoolisées et de deux bières. Toutefois, alors que les chiffres d'affaires déclarés par la SARL Villa Mont Liban s'élevaient respectivement à 214 508 et 226 426 euros pour les années 2012 et 2013, la reconstitution fondée sur la bière libanaise aboutit à un chiffre d'affaires inférieur à 50 000 euros pour l'année 2012 et à 100 000 euros pour 2013, alors que la reconstitution fondée sur la bière de marque Heineken aboutit à un chiffre d'affaires de près de 600 000 euros pour l'année 2012. Par suite, eu égard à l'incohérence des résultats de l'extrapolation ainsi proposée en ce qui concerne certaines des boissons retenues, cette méthode de reconstitution du chiffre d'affaires n'est pas plus pertinente que celle que l'administration a finalement mise en œuvre.
9. En quatrième lieu, pour établir que M. B... était le seul maître de l'affaire, le service a retenu que l'intéressé, gérant de droit et détenteur de 16 % des parts sociales, disposait du pouvoir exclusif de gestion dès lors qu'il avait procuration sur le compte bancaire de la société et qu'il assurait seul, selon les réponses qu'il a apportées au questionnaire du vérificateur daté du 5 mai 2015, que l'administration a produit à l'appui de son mémoire en défense devant le tribunal administratif, la gestion commerciale de l'établissement. Dans ce document le contribuable mentionne qu'il établit les factures et est en relation directe avec les fournisseurs et les clients, qu'il gère le personnel, et signe les chèques émis pour le règlement des charges de l'entreprise. Le service relève également que M. B..., qui était présent au quotidien dans l'établissement, avait le contrôle de la caisse, et qu'il a été l'unique interlocuteur du service vérificateur. Le requérant fait valoir qu'il n'était pas le seul détenteur de la signature bancaire de la société, dès lors que son frère, qui détenait 52 % des parts sociales et avait été le gérant de droit jusqu'en septembre 2011, disposait également de cette signature, et que lui-même était contraint d'effectuer des séjours réguliers à l'hôpital en raison d'une maladie invalidante. Il se prévaut en outre de courriels qui auraient été échangés entre son frère et le comptable de la société, d'attestations rédigées par un fournisseur de l'entreprise ainsi que par des clients, selon lesquelles son frère était leur interlocuteur, et de devis qui auraient été établis par son frère. Toutefois, ces documents, produits par M. B... pour la première fois à l'appui de mémoires enregistrés au greffe de la Cour le 3 octobre 2023 et le 24 octobre 2023, ne permettent pas de remettre en cause les informations précises sur lesquelles l'administration s'est fondée, provenant des propres réponses à un questionnaire formulées par M. B... au cours du contrôle, dont il résulte qu'il disposait sans contrôle des fonds sociaux. En outre, le requérant n'établit pas que son frère aurait été l'interlocuteur de l'administration, alors qu'il ressort des mentions non contestées de la proposition de rectification adressée à la société que M. B... était présent au cours des nombreuses interventions du vérificateur, alors que son frère, dûment mandaté afin de représenter la société, n'a été présent qu'au cours de la dernière intervention. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve qui lui incombe que M. B... était le seul maître de l'affaire de la SARL Villa Mont Liban et ainsi comme démontrant l'appréhension par M. B... des revenus distribués par la société.
S'agissant des rectifications initialement fondées sur l'article 109,1-2° du code général des impôts :
10. Aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / (...) c. Les rémunérations et avantages occultes ".
11. Dans son mémoire en défense, le ministre demande que les rectifications initialement fondées sur l'article 109,1-2° du code général des impôts, soient désormais fondées sur le c) de l'article 111 du même code, pour un montant de 33 855 euros au titre de l'année 2012, et de 45 916 euros au titre de l'année 2013. Toutefois, les bénéfices reconstitués à raison de l'activité d'une société ne peuvent, de ce seul fait, être regardés comme distribués au maître de l'affaire sur le fondement du c) de l'article 111 du code général des impôts, en l'absence d'opérations individualisées et indentifiables en comptabilité à même d'établir l'existence d'une rémunération ou d'un avantage occulte. Ainsi, la seule circonstance que la reconstitution du chiffre d'affaires d'une société a conduit l'administration à mettre en évidence une insuffisance des bénéfices déclarés ne suffit pas à qualifier les bénéfices non déclarés comme constituant par nature des avantages ou rémunérations occultes pour le maître de l'affaire sur le fondement du c) de l'article 111 du code général des impôts. Par suite, la substitution de base légale demandée par l'administration ne peut qu'être écartée. Ainsi, l'administration n'entendant plus fonder ces rectifications sur les dispositions de l'article 109,1-2° du code général des impôts, M. B... est fondé à demander la décharge des impositions correspondantes.
12. Il résulte de ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande de décharge, en droits et pénalités, des impositions mises à sa charge au titre de l'année 2012, et des impositions mises à sa charge au titre de l'année 2013 à concurrence d'une réduction en base de 45 916 euros avant application, en ce qui concerne les revenus retenus pour le calcul de l'impôt sur le revenu, du coefficient multiplicateur de 1,25 prévu par l'article 158-7-1° du code général des impôts.
Sur les frais liés au litige :
13. En premier lieu, la présente affaire n'a donné lieu à aucun dépens. Par suite, les conclusions présentées par M. B... sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
14. En second lieu, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
D É C I D E
Article 1er : La base d'imposition assignée à M. B... au titre de l'année 2013 est réduite de la somme de 45 916 euros avant application, en ce qui concerne les revenus retenus pour le calcul de l'impôt sur le revenu, du coefficient multiplicateur de 1,25 prévu par l'article 158-7-1° du code général des impôts.
Article 2 : M. B... est déchargé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2012, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2013 à raison de la réduction de la base d'imposition définie à l'article 1er, et des pénalités correspondantes.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille n° 2000096 du 15 juin 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 1er et 2.
Article 4 : L'Etat versera à M. B... une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2023, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente,
- M. Platillero, président assesseur,
- Mme Mastrantuono, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 novembre 2023.
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N° 21MA03372